Deux jours après qu’une voiture piégée eut explosé devant l’hôtel Mont Liban de Bagdad le mois dernier, je prenais le thé avec une de mes amis, poète irakien, qui m’affirmait que les États-Unis mettaient en scène la violence pour justifier le maintien de leurs troupes en Irak. Quelques heures plus tard, je voyais un représentant de Moqtada al-Sadr prendre la parole devant une foule de 1 500 personnes venues protester contre la loi administrative transitoire. Il exprima sa crainte de voir le « conseil des gouvernés irakiens » (la façon dont les Irakiens désignent le Conseil de gouvernement irakien) demander aux États-Unis de rester dans leur pays. Mon ami poète affirmait que l’Irak était devenu un pays surréaliste, mais en rentrant aux États-Unis j’ai eu l’impression que c’était mon pays qui était devenu surréaliste.
En effet, ici, le débat se concentre exclusivement sur ce que la Guerre d’Irak a fait ou n’a pas fait pour les Etats-Unis. Il existe un consensus bipartisan concernant le fait qu’il ne faut pas que les États-Unis se retirent d’Irak sous peine d’une érosion du prestige de puissance mondiale. Ce débat autocentré se fonde sur la conviction que les Irakiens veulent nous voir rester. En se basant sur les sondages qui affirment qu’une majorité d’Irakiens pensent être mieux aujourd’hui que sous Saddam Hussein, les États-Unis en concluent qu’ils sont les bienvenus malgré la généralisation de la violence dans le pays.
J’ai pourtant pu constater que les Irakiens avaient totalement perdus foi dans les États-Unis et leurs intentions. La dissolution de l’armée états-unienne par L. Paul Bremer et la déba’asification sauvage soutenues par les partisans d’Amhed Chalabi ont fait augmenter le chômage. Les Irakiens sans emplois manifestent contre le chômage, les coupures d’électricité ou la détention sans charges de 13 000 personnes. La loi administrative transitoire est rejetée partout, hormis au Kurdistan car elle donne aux Kurdes un droit de veto de facto sur la future constitution. Or, les Kurdes veulent garder l’autonomie tandis que les autres craignent que le fédéralisme entraîne la partition du pays. S’il fallait une preuve supplémentaire du caractère autocentré du débat, l’absence de chiffre sur les morts civils en Irak en est une bonne.

Source
Los Angeles Times (États-Unis)

« Lost in Our Own Little World », par Chris Toensing, Los Angeles Times, 19 avril 2004.