Dans une tentative exceptionnelle de faire un diagnostique psychologique, la Commission du renseignement du Sénat a estimé que la CIA avait, avant la guerre, succombé à ce qu’on peut qualifier de « pensée de groupe » : la supposition collective que l’Irak possédait des armes de destruction massive a poussé les analystes à écarter toutes les informations qui allaient à l’encontre de cette supposition.
La « pensée de groupe » est un mécanisme psychologique identifié au début des années 70 par Irving Janis. Dans ce mécanisme, le consensus l’emporte dans les délibérations dans un petit groupe. Chacun veut se soumettre à ce qu’il identifie comme la pensée du groupe et trouve dans l’approbation du groupe une validation de ses affirmations. L’individu s’autocensure sur tout sujet qui pourrait nuire à l’harmonie du groupe. Cela peut conduire à des conclusions très éloignées de la réalité. Ce type de mécanisme a amené des décisions désastreuses par le passé comme la tentative d’invasion de la Baie des Cochons ou la dissimulation des preuves du Watergate.
La pensée de groupe ne peut toutefois pas s’appliquer à la CIA. En effet, les analystes de l’agence travaillent avant tout seuls avant de mettre leurs travaux en commun, le plus souvent lors de réunions ad hoc qui rassemblent des personnes différentes à des moments différents. La plupart des analystes de la CIA ont choisi cette carrière car ils souhaitent travailler seuls. L’agence connaît bien les mécanismes de la pensée de groupe ainsi que toutes les autres pathologies lors des prises de décisions.
Je ne dis pas que la CIA a bien agi, mais il faut plutôt analyser la façon dont l’agence a voulu aller dans le sens de l’administration Bush qui la mettait sous pression.

Source
Los Angeles Times (États-Unis)

« ’Groupthink’ Isn’t the CIA’s Problem », par Robert Jervis, Los Angeles Times, 11 juillet 2004.