George F. Kennan affirmait en 1947 que la Guerre froide serait une guerre mondiale qui ne serait pas tout à fait froide. En effet, 210 000 Américains périrent au Vietnam, en Corée et dans d’autres conflits aux côtés de nos alliés dans la lutte contre l’URSS. C’est pour cette raison que je suis d’accord avec Eliot A. Cohen quand il définit la Guerre froide comme la Troisième Guerre mondiale. Suivant les critères de Cohen, nous pouvons d’ailleurs affirmer que nous sommes entrés dans la Quatrième Guerre mondiale et que, comme la précédente, elle a été déclarée par l’énonciation d’une doctrine présidentielle, la doctrine Truman hier, la doctrine Bush aujourd’hui. Cette doctrine fait de George W. Bush le digne héritier de Ronald Reagan.
Avant l’énonciation de sa doctrine, il apparaissait comme son père, comme un réaliste et c’est pourquoi le discours du 20 septembre 2001 devant le Congrès fut une surprise car il démontrait que le président, quoi qu’il ait pu être auparavant, était devenu un idéaliste démocratique. C’est aussi par ce discours qu’il commença la guerre contre les " réseaux terroristes globaux » et pour le développement de la liberté dans le monde. Même M. Reagan, le " grand communicateur », ne fut pas aussi éloquent que Bush ce jour là.
Ce jour là, il posa comme premier pilier de sa doctrine le rejet du relativisme moral. Lors de son discours sur l’état de l’union en janvier 2002, il dénonça l’" Axe du mal ", une expression qui provoqua les mêmes réactions indignées que l’" Empire du mal " de Reagan. Par ces paroles, Bush se plaça clairement du côté de Francis Fukuyama et contre Samuel Huntington, ne croyant pas qu’il y ait des civilisations qui ne puissent adopter les valeurs de liberté de l’Amérique.
Le deuxième pilier de la doctrine de Bush est une nouvelle conception du terrorisme. Jusque là, il était vu comme la conséquence de difficultés économiques et on pensait devoir le combattre par la reconstruction de structures économiques d’un pays. Bush rejette cette définition et affirme qu’il faut affronter les groupes terroristes en renversant les régimes qui les soutiennent et en démocratisant le monde arabe. Le terrorisme selon cette définition n’est plus le fait d’individus isolés, mais des agents d’organisations qui dépendent du soutien de gouvernements. Il faut donc détruire tous les réseaux et les cellules situés dans 50 ou 60 pays. Désormais, ce ne sont plus des criminels mais des troupes irrégulières d’une alliance militaire en guerre contre les États-Unis. C’est pour cela que nous avons attaqué l’Afghanistan, qui abritait et soutenait Ben Laden et avait rejeté notre ultimatum. Cette guerre a temporairement éliminé le syndrome du Vietnam bien qu’elle nous ait parfois été présentée comme un nouveau Vietnam. A son terme, Ben Laden ne fut pas capturé, Al Qaïda ne fut pas détruit mais ils furent affaiblis et le nouveau gouvernement d’Afghanistan, bien qu’il ne soit pas encore démocratique, n’est plus un gouvernement totalitaire qui soutient les terroristes. Cette guerre a démontré à tous les pays qui abritaient des terroristes ce qui risquait de leur arriver.
Le troisième pilier de la doctrine Bush est celui des frappes préventives, exposé lors de son discours de janvier 2002. Elles consistent à ne pas laisser une menace se former. Dans ce discours, il pensait à Saddam Hussein, le soutien laïc au terrorisme dans la région. Cette guerre fut dénoncée par Brent Scrowcroft en août 2002 dans une tribune du Wall Street Journal. Scowcroft demandait de ne pas attaquer l’Irak bien qu’il soit convaincu qu’il avait des liens avec Al Qaïda, car cela nous mettrait toute la région à dos. Il préconisait au contraire de " s’attaquer au conflit israélo-palestinien ", un euphémisme pour demander des pressions sur Israël. Ce texte fondateur fut la base de la dénonciation par les " paléo-conservateurs " d’une cabale de partisans d’Israël ayant capturé les États-Unis au profit d’Israël. Ceux là n’étaient plus taxés de " juifs " mais de " néo-conservateurs ". Cet argument était utilisé depuis 1991 par Patrick Buchanan. Il dénonça en 2001 les intellectuels juifs (Charles Krauthammer, William Kristol, Robert Kagan) et les hommes politiques juifs (Richard Perle, Paul Wolfowitz, Douglas J. Feith) qui avait détourné la politique étrangère états-unienne au profit d’Israël. Un argument peu convainquant car il est douteux que des personnalités comme Dick Cheney, Donald Rumsfeld ou Condoleezza Rice aient pu être abusés par des manipulateurs.
Le quatrième pilier porte sur le problème israélo-palestinien. Bush estime qu’il faut un État palestinien qui ne soit pas dirigé par un terroriste comme Yasser Arafat et qu’Israël devrait être entouré d’États arabes pacifiques. Pressé par Colin Powell et Tony Blair, il lui arrive de donner l’impression de transiger sur ce principe mais le président y revient toujours. Avec ce quatrième point, la doctrine Bush est complète.

Source
Wall Street Journal (États-Unis)

« Enter the Bush Doctrine », par Norman Podhoretz, Wall Street Journal, 2 septembre 2004. Cette tribune est la reprise d’un article qui sera publié dans l’édition de septembre de Commentary.