La mort de l’ancien président des États-Unis, Ronald Reagan, samedi 5 juin 2004, à l’âge de 93 ans, a suscité une déferlante hagiographique dans la presse de son pays, mais aussi, de façon plus surprenante, dans l’ensemble des médias occidentaux. Les huit années qu’il passa au pouvoir ont pourtant représenté une période de conflit sanglants : de 1980 à 1988, pour redonner confiance à son pays, il a conduit une politique étrangère messianique visant à détruire l’URSS, qualifiée d’Empire du Mal. Une doctrine qui l’a poussé à multiplier les actions militaires et les opérations secrètes.
Ronald Reagan commence sa carrière dans l’establishment états-unien au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Alors que le conflit s’achève, William Casey crée le Comité international des réfugiés (International Refugee Committee) pour coordonner l’exfiltration de dirigeants nazis vers les États-Unis d’où ils doivent participer à la lutte contre le communisme. Le Comité dispose d’une vitrine légale intitulée Comité Europe libre. Il lance une campagne publique de collecte de fonds, la Croisade pour la liberté, dont le porte-parole n’est autre que le jeune acteur Ronald Reagan [1].
Délation à Hollywood
Malgré de médiocres prestations cinématographiques, et tout en menant, en parallèle une carrière de commentateur sportif, Reagan prend la tête du Screen Actors Guild, le syndicat des acteurs à Hollywood, en 1947. La même année, devant la commission parlementaire consacrée aux activités non-américaines, où siège Richard Nixon, il témoigne de la présence, au sein de l’organisation qu’il préside, d’un petit groupe opposé aux décisions prises par le syndicat. Selon lui, cela ne fait aucun doute : il s’agit de membres du Parti communiste états-unien [2]. Il ne cite cependant aucun nom. Mais, selon l’historien Garry Wills, qui a étudié les dossiers du FBI, il informe la police en secret [3]. Onze artistes soupçonnés d’appartenir au Parti communiste sont alors convoqués par la commission. Seul Bertold Brecht, le dramaturge allemand, acceptera de répondre aux questions du jury, et niera son appartenance au Parti communiste. Les dix autres, qui invoquent le 5e amendement pour refuser de répondre, seront envoyés en prison, et entreront dans l’Histoire sous le nom des Dix d’Hollywood [4].
Ronald Reagan, jusqu’ici connu comme étant un libéral, membre du Parti démocrate, change d’orientation politique. Il soutient la « chasse aux sorcières » de Joseph McCarthy. En 1951, il déclare ainsi : « Si un acteur, par son comportement en dehors des activités syndicales, offense l’opinion publique à un point tel qu’il fait tort aux entrées, le syndicat ne peut, ni ne veut, contraindre les studios à l’employer ». En 1953, le syndicat interdit l’adhésion aux acteurs communistes [5].
Ascension républicaine
Dans la foulée, il adhère au Parti républicain et s’engage pour l’élection de Dwight Eisenhower en 1952 et en 1956, puis soutient la candidature de Richard Nixon en 1960 et celle de Barry Goldwater en 1964. Il est récompensé de ses efforts en 1965 : cette année-là, le milliardaire catholique fondamentaliste Patrick J. Frawley Jr. et trois personnalités californiennes, Henry Salvatori (Pdg de la firme d’exploration pétrolière Western Geophysical), Homes Tuttle (pdg d’un réseau de vente d’automobiles) et A.C. Rubel (Pdg d’Union Oil) le sollicitent, en raison de sa popularité en tant qu’acteur et de son engagement anti-communiste, pour qu’il se présente au gouvernorat de Californie. Omniprésent par la suite, on surnomma ce groupe « The Kitchen Cabinet » [6]. L’année suivante, grâce à des moyens financiers impressionnants et à une campagne massive de dénigrement contre son adversaire Pat Brown, il remporte l’élection avec 58 % des suffrages [7].
À la tête de l’État, Ronald Reagan, qui devient le premier acteur à occuper un poste de gouverneur, met en œuvre une politique présentée comme ultra-libérale, comprenant notamment d’importantes baisses d’impôts et d’importantes coupes budgétaires dans les programmes sociaux. Parallèlement, il fait augmenter les droits de scolarité pour l’entrée à l’université, et multiplie les cadeaux fiscaux en direction des grosses entreprises. Il réprime par ailleurs les mouvements étudiants opposés à la guerre au Vietnam. En 1967, après que des manifestants pacifistes eurent bloqué une base militaire à Oakland, le gouverneur Reagan demande que soient appliquées les dispositions des temps de guerre afin de pouvoir poursuivre les pacifistes pour intelligence avec l’ennemi. Bien qu’il n’ait pas obtenu gain de cause, il donna ordre à la Garde nationale de réprimer les manifestations à l’université de Berkeley, en mai 1969, en utilisant des moyens militaires [8].
En 1974, il quitte ses fonctions et tente de conquérir le Parti républicain, où sa politique à la tête de la Californie l’a rendu populaire. Candidat malheureux à la primaire de 1972, il retente sa chance contre le président sortant Gerald Ford en 1976. Il est à nouveau battu, mais son influence s’accroît au sein du parti. Pour preuve, en janvier 1975, le président Ford le nomme membre de la Commission d’enquête parlementaire Rockefeller sur les agissements de la CIA. Lors de la remise du rapport, il minimise les faits établis par la Commission en déclarant que dans une administration de 16 000 personnes, il y a toujours des brebis galeuses pour commettre des bavures.
L’affaire de l’ambassade états-unienne de Téhéran
Cette loyauté est récompensée à la fin des années 1970. Pour l’élection présidentielle de 1980, il remporte la primaire républicaine face à l’ancien directeur de la CIA, George H. W. Bush. Après avoir refusé de composer avec son rival, qu’il accuse d’user de méthodes barbouzardes, il change soudainement d’avis et le prend comme vice-président. Interrogé sur les motifs d’un tel revirement, Reagan confia à son admirateur Jerry Faldwell : « Nancy et moi venons de vivre les deux jours les plus difficiles de notre vie et c’est tout ce que j’ai à dire là-dessus. ». Les deux hommes forment donc le « ticket présidentiel » qui affronte le sortant Jimmy Carter. Après la défaite du Vietnam, les affres du Watergate et la gifle iranienne, ils se proposent de restaurer la grandeur de « l’Amérique ».
L’essentiel des débats électoraux porte sur la politique étrangère, dans un contexte international tendu. Après l’arrivée au pouvoir de l’ayatollah Khomeyni, des étudiants islamistes ont pris possession des locaux de l’ambassade états-unienne à Téhéran, faisant près de deux cents otages. En 1979, 52 sont encore détenus. Les sondages révèlent alors que s’ils venaient à être libérés entre le 18 et le 25 octobre 1980, soit moins de deux semaines avant le scrutin, le président Jimmy Carter pourrait se voir créditer de 10 % de suffrages supplémentaires. La menace est réelle pour les Républicains qui vont tout faire pour empêcher cette libération [9].
La première étape consiste à faire échouer l’opération militaire Eagle Claw planifiée par la Maison-Blanche. Jimmy Carter décide, en avril 1980, d’autoriser une action armée pour récupérer les otages. Mais le président est mal entouré, puisque les principaux responsables de l’opération sont des reaganiens : Richard Secord, chargé de la planification, Oliver North, qui doit veiller au départ des hélicoptères, et Albert Hakim, qui supervise l’approvisionnement, seront tous trois ultérieurement impliqués dans l’affaire Iran-Contras [10]. Tous trois sont des amis de William Casey, le directeur de campagne de Ronald Reagan [11].
Le fiasco est à la hauteur des espérances républicaines : sur les huit hélicoptères, au moins deux s’écrasent en plein désert, victimes de sabotage. Les filtres à sable protégeant les moteurs avaient été enlevés. Huit marines sont tués. L’opération est annulée et l’escalade diplomatique avec Téhéran se poursuit [12]. Il faut alors saboter les négociations que mène Washington avec la République islamique. C’est ce à quoi s’emploie une équipe de négociateurs républicains, emmenés par George H.W. Bush, qui rencontre les responsables iraniens à Paris, entre le 15 et le 20 octobre 1980. L’objectif est de les convaincre de ne pas relâcher les otages avant l’élection présidentielle, en échange de promesses de fourniture de matériel militaire et civil une fois Ronald Reagan arrivé à la Maison-Blanche. Autour de la table des négociations se trouvent outre George H. W. Bush, William Casey, Don Gregg, mais aussi les marchands d’armes Cyrus Hashemi, Manucher Ghorbanifar et Albert Hakim [13]. La « surprise d’Octobre » souhaitée par Jimmy Carter n’aura pas lieu, et les otages ne seront pas libérés avant l’élection, que Ronald Reagan remporte finalement aisément. Quelques minutes après qu’il eut prêté serment au cours de la cérémonie d’investiture, les ressortissants états-uniens sont relâchés par Téhéran et rapatriés.
Une autre personnalité a permis ce succès. Il s’agit d’un important membre de son cabinet de campagne, Michael Deaver. Ce dernier est proche de trois gouvernements étrangers opposés à Jimmy Carter : l’Argentine, Taïwan, et les forces de droite du Guatemala, qui financèrent la campagne du candidat républicain. Auparavant, Deaver avait été attaché de Ronald Reagan au bureau du gouverneur de Californie, aux côtés de Peter Hannaford. Après le retrait de Reagan en 1974, les deux hommes créent une société de relations publiques chargée d’organiser toutes les apparitions publiques du candidat à la présidence.
Tentative d’assassinat
Deux mois après son investiture à la Maison-Blanche, le 30 mars 1981, Ronald Reagan manque de se faire assassiner par un jeune homme de 25 ans, John Hinckley Jr., alors qu’il quitte un hôtel de Washington. Il reçoit une balle de calibre 22 dans la poitrine et subit une intervention chirurgicale trois heures durant. Pendant ce temps, son vice-président et grand rival à l’investiture républicaine, George H. W. Bush, dirige un cabinet de crise, secondé par le secrétaire d’État Alexander Haig. Dans une atmosphère de coup d’État, Haig se présente devant les télévisions comme le nouveau n°2, alors que la Constitution prévoit qu’en cas de vacance du président et du vice-président, l’intérim revient aux présidents des deux chambres [14]. Cinq heures plus tard, lorsque l’on apprend que Ronald Reagan est sauvé, se basant sur les premiers rapports incomplets, Bush écarte a priori et officiellement toute conspiration ; c’est la thèse du fou isolé, admirateur du film Taxi Driver et voulant impressionner l’actrice Jodie Foster qui sera majoritairement reprise dans la presse. Pourtant des investigations plus approfondies auraient été nécessaires : Scott Hinckley, frère du « tireur isolé », était invité à dîner ce soir-là chez Neil Bush, un des fils du vice-président. Les deux familles ont fait fortune parallèlement dans l’exploitation du pétrole texan (Scott Hinckley était vice-président de Vanderbilt Energy Corporation et George Bush Sr. avait dirigé Zapata Oil), et la famille Hinckley était l’un des plus généreux donateurs à la campagne de Bush Senior pour le Congrès. George W. vivait à Lubbock, Texas, en 1978, en même temps que John Hinckley. Les membres de la famille Bush, interrogés au sujet de John Hinckley, répondent qu’ils ne sont « pas sûrs de l’avoir rencontré » [15].
WACL, Moonies et P2
Ronald Reagan forme autour de lui une équipe hétéroclite, mais cohérente dans son idéologie. Comme plusieurs autres présidents des États-Unis dont l’actuel George W. Bush, Reagan était membre d’une organisation religieuse secrète, connue sous le nom de code de « La Famille ». Installée dans le cadre de l’affrontement Est-Ouest et disposant de moyens mis à sa disposition par l’OTAN, elle avait pris le pasteur Billy Graham comme porte-parole. Graham devint le conseiller spirituel de Reagan et le convertit au « dispensionalisme ». Il était persuadé que la venue du Christ était imminente. Le retour des Juifs en Palestine et la création de l’État d’Israël étaient les signes annonciateurs du combat d’Armageddon au cours duquel l’Empire du Mal (l’URSS) serait détruit [16]. Ses éléments permettent d’expliquer en partie la politique résolument pro-israélienne de l’ancien président états-unien, et notamment la mise en place d’un état-major commun, en novembre 1983. [17], et la fourniture de missiles TOW, en septembre 1985.
Trois chevaliers de l’Ordre souverain militaire et hospitalier de Malte sont nommés à des postes clés : William Casey, son ancien officier traitant, devient directeur de la CIA ; Alexander Haig devient secrétaire d’État ; et James Buckley [18] est nommé responsable de la propagande en Europe de l’Est à la direction de Radio Free Europe et Radio Liberty [19]. Plusieurs membres de la loge P2 font également partie de l’Ordre, et Licio Gelli, vénérable de la loge, sera invité par le dirigeant républicain Phil Guarino au bal d’investiture du président Reagan [20].
L’administration Reagan est également proche de l’Assemblée des Nations européennes captives (Assembly of Captive European Nations, ACEN), une organisation qui a permis de réunir de nombreux criminels de guerre nazis venus d’Europe de l’Est au sein d’une structure chargée de déstabiliser leur pays d’origine tombés dans l’orbite soviétique [21]. L’ACEN n’était pas pour autant uniquement composée de nazis ou de collaborateurs. Les délégations tchèque, polonaise et hongroise notamment, comprenaient presque exclusivement des anciens résistants à l’occupation du Reich.
Mais malgré ces gages de respectabilité, la formation se positionne, dans les années 1960-1970, à l’extrême droite de l’échiquier politique, s’alliant avec le Bloc des Nations Anti-Bolchéviques (Anti-Bolshevik Bloc of Nations, ABN), une organisation néo-nazie basée en Europe. Sous Reagan, les membres de l’ACEN composent près de 15% de la Coalition for Peace Through Strength, un puissant lobby mis en place par le complexe militaro-industriel qui obtiendra l’annulation des accords de désarmement Strategic Arms Limitation Treaty II (SALT II), avec l’appui d’une partie de l’équipe présidentielle [22]. Il s’agit là de soutiens auxquels il faut donner des gages, ce qui fit le président Reagan le 5 mai 1985, lors de sa visite au cimetière allemand de Bitburg où il se recueille sur la tombe de quarante-huit SS.
Il faut, pour compléter la liste des soutiens anticommunistes à Ronald Reagan, citer l’Église de l’Unification fondée, en 1954, par le révérend Sun Myung Moon. Les liens de cette institution avec le Parti républicain ne sont plus à démontrer [23]. Le soir de son élection, Reagan pose ainsi pour une photographie souvenir sur laquelle il tient un exemplaire du News World, propriété de Moon, apportant son soutien à l’entreprise. Tout au long de son mandat, le président affirmera à plusieurs reprises que le Washington Times, quotidien appartenant à la secte Moon, était son journal préféré [24].
La bataille eschatologique contre l’Empire du Mal
Cette coalition puissante va permettre à Ronald Reagan d’élaborer une politique étrangère extrêmement agressive à l’encontre de l’ennemi soviétique et de ceux qui se tournent vers lui en Amérique latine.
Il engage une course aux armements avec l’Union soviétique et déploie en Allemagne des missiles Pershing II, transformant l’Europe en éventuel champ de bataille en cas d’affrontement Ouest-Est. Malgré les manifestations pacifistes en Europe et aux États-Unis, il mène à bout ce projet en s’appuyant politiquement sur François Mitterrand.
Le 23 mars 1983, il prononce un discours dans lequel il annonce le lancement d’un programme d’armement spatial intitulé Strategic Defense Initiative. Rapidement rebaptisée « Guerre des étoiles », la SDI est confiée à la Ballistic Missile Defense Organization, une nouvelle agence qui regroupe les différents programmes spatiaux développés séparément jusque-là. Elle doit permettre de développer un bouclier anti-missiles grâce à des vecteurs d’interception divers : on parle notamment de lasers tirés depuis l’espace, grâce à des véhicules spatiaux militarisés. Mais de nombreux experts qualifient le projet d’irréaliste, pour deux raisons. D’une part, ils considèrent la chose techniquement infaisable, en l’état actuel des technologies, et inefficace face à des missiles de croisière ou des avions. D’autre part, ils critiquent le programme en ce qu’il modifierait profondément l’équilibre des forces à l’échelle de la planète et encouragerait la militarisation de l’espace. Des remarques qui n’empêchent pas le Congrès de débloquer des milliards de dollars pour sa réalisation. L’objectif parallèle consiste à relancer l’économie états-unienne en engageant le pays sur la voie du keynésianisme militaire. Ce qui ne va pas sans servir les intérêts de certains responsables politiques de l’époque, appelés ultérieurement à remplir des fonctions dans des compagnies d’armement privées [25].
Plus encore que par la course aux armements, il épuise l’URSS en Afghanistan où il soutient les combattants d’Oussama Ben Laden.
Le 8 mars 1983, devant la Convention annuelle des associations évangéliques nationales, Ronald Reagan prononce son plus célèbre discours. Il y stigmatise l’Union soviétique qu’il qualifie d’Empire du Mal.
Dès lors, tous les moyens sont bons pour en finir avec le diable. Sous sa présidence, la Ligue anti-communiste mondiale (WACL) devient un outil pour les opérations secrètes de la CIA [26]. Parallèlement, Reagan crée la National Endowement for Democracy (NED) en 1984, pour continuer les activités d’ingérence politique et syndicale de la CIA sous une étiquette moins compromettante [27].
Cette réforme entraîne une multiplication des opérations secrètes, principalement en Amérique latine. L’une des premières cibles est le Guatemala, dont le président sortant, le général Romeo Lucas Garcia, avait pourtant financé la campagne présidentielle de Reagan à hauteur de 500 000 dollars. Son bras droit, Mario Sandoval Alarcon, « le "parrain" des escadrons de la mort en Amérique centrale » avait même été invité à la cérémonie d’investiture du nouveau président états-unien, en janvier 1981. Washington décide tout de même son remplacement. En 1982, un coup d’État amène le général Efrain Rios Mont au pouvoir. Cet évangéliste fanatique, qui déclarait qu’« un Chrétien doit se balader avec sa Bible et sa mitrailleuse » dirigera le pays de mars 1982 à août 1983 [28], érigeant les méthodes de contre-insurrection en modèle absolu de lutte contre le communisme. Les exactions de ces hommes feront entre 50 et 75 000 disparus, essentiellement parmi la minorité maya. Il est renversé en 1983 par son ministre de la Défense, le général Oscar Mejia, qui a reçu une formation de contre-insurrection aux États-Unis.
En 1983, à Grenade, le président de gauche Maurice Bishop est renversé par un coup d’État alors qu’il mettait son aéroport à disposition de Cuba pour le transport de troupes en Afrique. Le peuple parvient à libérer Bishop. Dans la confusion, les golpistes demandent l’aide états-unienne. Ceux-ci débarquent en force (opération Urgent Fury) et rétablissent un gouvernement à leur dévotion.
Autre pays visé : le Honduras, où John Negroponte dirige la guerre de basse intensité. Rapidement, ses activités s’étendent au Nicaragua, où les sandinistes ont renversé le dictateur Somoza [29]. C’est le début de l’Iran-Contra, cette opération qui prévoit la livraison d’armes au régime de Téhéran via Israël afin de permettre de financer la guérilla d’extrême droite des Contra. Le tout dans le dos du Congrès états-unien. Le scandale éclate en 1986, après qu’un pilote états-unien se fut écrasé au Nicaragua. Le Congrès se saisit de l’affaire et crée une commission d’enquête, présidée par John Kerry, qui entendra tous les principaux protagonistes. Ronald Reagan argue de son ignorance des détails pour empêcher sa destitution. Les auditions n’ont en effet pas permis de savoir l’ampleur de la connaissance de l’opération du président états-unien. Une zone d’ombre qui laisse la place à toutes les spéculations concernant les véritables responsables, dont les noms sont certainement à chercher du côté du Conseil de sécurité nationale, dirigé par l’amiral John Poindexter. Ronald Reagan, de son côté, parvient à mener jusqu’à son terme son deuxième mandat.
Ronald Reagan accuse le président libyen d’être le chef d’orchestre du terrorisme international. Il prétend qu’il a commandité un attentat contre une discothèque de Berlin-Ouest fréquentée par des GI’s. En rétorsion, il ordonne le bombardement de son palais, le 14 avril 1986, tuant environ 80 personnes. Pour réaliser cette opération, le président François Mitterrand autorise le survol du territoire français par les avions US. Les autorités judiciaires allemandes, quant à elles, ne trouvent aucune preuve de la responsabilité libyenne dans l’attentat [30]
Tout en livrant secrètement des armes à l’Iran pour financer son action en Amérique latine, Reagan arme massivement l’Irak. Il envoie un patron de l’industrie pharmaceutique, Donald Rumsfeld, vendre des armes chimiques à Saddam Hussein en violation des Conventions internationales. Au plus fort de la guerre Irak-Iran, le 3 juillet 1988, il donne l’ordre à l’USS Vincennes d’abattre le vol Iran Air 655, dans les eaux territoriales iraniennes, faisant 290 morts.
Inoxydable
Malgré la brutalité de son action extérieure et les scandales qui entourent son administration, malgré les condamnations pour trahison et félonie de ses collaborateurs, malgré ses résultats économiques désastreux (lors du krash de 1987, l’indice boursier de Wall Street perd 22% en une journée), Ronald Reagan a toujours été populaire aux États-Unis. Par son style personnel, cet acteur de cinéma a su incarner une Amérique sympathique et fière d’elle-même. Plusieurs de ses successeurs se sont réclamés de son héritage. Notamment George W. Bush qui a repris son discours en remplaçant l’épouvantail terroriste international Khadafi par Ben Laden et l’Empire du Mal par l’Axe du Mal.
[1] The Cultural Cold War par Frances Stonor Saunders, The New Press, 2000. Version française Qui mène la danse ?, Denoël, 2003.
[2] Ronald Reagan, Testimony Before the House Un-American Activities Committee (1947), 23 octobre 1947.
[3] Reagan’s America par Garry Wills, Penguin, 2000.
[4] Il s’agit du réalisateur Edward Dmytryk et des scénaristes John Howard Lawson, Dalton Trumbo, Albert Maltz, Alvah Bessie, Samuel Ornintz, Herbert Biberman, Adrian Scott, Ring Lardner, Jr. et Lester Cole. « HUAC and Censorship Changes ».
[5] La Chasse aux sorcières par Marie-France Toinet, Éditions Complexe, 1984.
[6] Power on the Right par William W. Turner, Ramparts Press, 1971.
[8] California : Our First Parafacist State par Kenneth Lamott, Brown & Co, 1971.
[9] George Bush : The Unauthorized Biography, de Webster G. Tarpey et Anton Chaitkin, Executive Intelligence Review, 1992. Le livre est téléchargeable sur http://www.tarpley.net/bushb.htm.
[10] « The October Surprise Scenario », transcription du documentaire « COVERUP, Behind the Iran Contra Affair ».
[11] L’équipe de William Casey comprend également Richard Allen, Roger Fontaine et John Singlaub, membre de la CIA et futur président de la Ligue anticommuniste mondiale.
[12] « Bush’s Impending Watergate », par Harvey Wasserman, The Valley Advocate, 23 mai 1991.
[13] George Bush : The Unauthorized Biography, op.cit.
[14] « The Day Reagan Was Shot », par Richard V. Allen, The Atlantic Monthly, avril 2001.
[15] Bush Son Had Dinner Plans With Hinckley Brother Before Shooting, Associated Press, 31 mars 1981.
[16] « The Theology of Nuclear War » par Larry Kick, Covert Action Quaterly, printemps 1987.
[17] Voir « Ouverture de négociations militaires israélo-états-uniennes », Regards du Proche-Orient, 15 octobre 2003.
[18] Membre de la CIA, William Buckley était chargé de négocier les libérations d’otages au Proche-Orient pour le compte de l’administration Reagan. Capturé en 1985 par des milices libanaises, il fut exécuté après quinze mois de détention.
[19] « Knights of Darkness - The Sovereign Military Order of Malta », Covert Action Information Bulletin, été 1986, n°25.
[20] The Iran-Contra Connection - Secret Teams and Covert Operations in the Reagan Era, de Jonathan Marshall, Peter Dale Scott et Jane Hunter, South End Press, 1987.
[21] Blowback, par Christopher Simpson, Weidenfeld & Nicolson, 1988.
[22] Ibid.
[23] Voir « Révérend Moon, le retour », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, avril 2001.
[24] « The disturbing political influence of Rev. Moon », par Eli Swiney, 2 septembre 2003.
[25] Voir « Le Carlyle Group, une affaire d’initiés », Voltaire, 9 février 2004.
[26] Voir « La Ligue anti-communiste mondiale, une internationale du crime », Voltaire, 12 mai 2004.
[27] Voir « La nébuleuse de l’ingérence "démocratique" », Voltaire, 22 janvier 2004.
[28] « General Efrai Rios Mont, President of Guatemala », Friendly Dictators Trading Cards, par Bill Sienkiewicz.
[29] « John Negroponte bientôt à Bagdad », par Arthur Lepic, Voltaire, 20 avril 2004.
[30] « Target Qaddafi » par Seymour Hersh, The New York Times du 22 février 1987.
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