Le débat sur la Turquie est mal posé : pour nous, l’adhésion de la Turquie n’est pas une question de modalités, mais une question de principes. Il ne s’agit pas de savoir si la Turquie réalise les réformes démocratiques lui permettant d’entrer dans l’Union européenne, mais de savoir si elle a oui ou non vocation à entrer dans l’Union européenne. Pour nous, la réponse est « non » et c’est de la nature même de l’Europe dont il est question. L’Europe n’a pas vocation à s’étendre indéfiniment et si la Turquie adhérait à l’Union européenne, la nature même de l’Europe s’en trouverait changée. Une Europe en voie d’extension indéfinie serait une Europe en voie de dissolution. Élargie demain à la Turquie, après-demain à la Russie, à l’Ukraine, au Maghreb, elle se réduirait définitivement à une zone de libre-échange. L’UDF veut une Europe défendant un modèle de société original qui porte haut et fort nos valeurs et qui soit capable de parler d’égal à égal avec les États-Unis et la Chine.
Nous souhaitons cependant établir un partenariat avec la Turquie et établir une relation privilégiée économique et politique avec Ankara. Nous venons d’intégrer dix nouveaux pays. Cet élargissement était une nécessité morale et historique, puisqu’il signifiait la réunification de l’Europe. Demain, d’autres pays nous rejoindront, comme la Bulgarie ou la Croatie. Prenons le temps de faire vivre cette nouvelle Europe à vingt-cinq, à vingt-sept. Le Premier ministre, puis le président de la République, qui avait d’abord refusé aux parlementaires le droit de discuter de ce sujet, ont finalement accepté. Mais ce débat ne suffit pas, il faut un vote. Quant à un référendum sur la question de l’adhésion d’Ankara c’est une manière de duper les Français, car ouvrir des négociations, c’est déjà accepter l’adhésion. On ne peut pas refuser l’entrée d’un pays après dix ou quinze ans d’efforts. Nous voulons un débat et un vote conformément à l’article 88-4 de la Constitution avant le 17 décembre. Le gouvernement doit consulter les élus du peuple sur les grandes questions. Au moment où l’on oppose à la Turquie des critères politiques de respect de la démocratie, ne bafouons pas nous-mêmes ces principes ! En tant que parlementaires, députés, députés européens ou sénateurs, nous voulons affirmer que le rôle du Parlement est ici mis en cause. L’abaissement continu du pouvoir législatif serait un péril grave pour la démocratie française.

Source
Le Figaro (France)
Diffusion 350 000 exemplaires. Propriété de la Socpresse (anciennement créée par Robert Hersant, aujourd’hui détenue par l’avionneur Serge Dassault). Le quotidien de référence de la droite française.

« Turquie : débattre et voter », par Hervé Morin, Michel Mercier et Marielle de Sarnez, Le Figaro, 12 octobre 2004.