Les sentiments anti-américains se développent partout dans le monde. Les démocrates déclarent que les politiques du président George W. Bush ont dégradé l’attrait de l’Amérique, tandis que les républicains répondent que l’Amérique est condamnée à être mal aimée du fait de sa taille et de son implication dans la mondialisation. Pour eux, l’antiaméricanisme persistera parce que certains perçoivent l’Amérique comme une menace culturelle.
Contrairement aux idées reçues, la mondialisation n’est pas un facteur d’homogénéisation et d’américanisation des cultures mondiales. L’existence des États-Unis et leur présence à l’avant-garde de la révolution des NTIC (nouvelles technologies de l’information et de la communication) entraînent, bien sûr, un certain degré d’américanisation, mais celui-ci diminuera probablement au cours du siècle sous l’influence de la pénétration technologique et de la modernisation des cultures locales selon leur rythme propre. Le Japon est une bonne illustration de cet argument.
La conception selon laquelle l’Amérique est un facteur d’homogénéisation culturelle planétaire reflète une vision erronée et statique des cultures. Les efforts déployés pour présenter les cultures locales comme immuables reflètent souvent des stratégies politiques réactionnaires plutôt qu’une description fidèle de la réalité. Les cultures fécondes sont en constante transition, empruntant à d’autres cultures - mais pas nécessairement de façon systématique aux États-Unis. Par ailleurs, du fait de la mondialisation, dans certaines régions, ce n’est pas seulement un « retour de bâton » qui s’exprime à l’encontre des importations culturelles américaines, ce sont aussi des efforts qui se font jour pour changer la culture américaine elle-même ; cela s’observe sur la question de la peine de mort, des OGM ou du changement climatique. La mondialisation et la révolution informationnelle pourraient renforcer plutôt qu’amenuiser la diversité culturelle. Certains commentateurs français craignent que, dans le marché global dominé par Internet, il n’y ait plus de place pour une culture qui raffole de ses centaines de variétés de fromages. Bien au contraire, Internet offre à des consommateurs dispersés sur toute la surface du globe l’occasion de se rassembler. Internet permet également aux gens d’établir des ensembles des communautés politiques plus diverses.
De façon superficielle, on peut certes observer que les mêmes logos sont sur les vêtements partout dans le monde, mais il restera toujours une grande diversité culturelle sous-jacente. La culture américaine domine le monde aujourd’hui, et elle contribue à l’attrait de l’Amérique, c’est là son "pouvoir doux" ("soft power"). Toutefois ce pouvoir ne s’exerce pas dans tous les domaines. Au même moment, les immigrants, les idées et les événements qui surviennent au-delà des frontières américaines changent la culture américaine. La multiplication des échanges va permettre une participation élargie aux communications globales et les États-Unis perdront de leur prépondérance. Moins de domination mondiale du modèle américain pourrait bien signifier un peu moins d’anxiété vis-à-vis de l’américanisation, de plus rares protestations contre l’arrogance américaine et une intensité décroissante de la réaction anti-américaine.

Source
Le Figaro (France)
Diffusion 350 000 exemplaires. Propriété de la Socpresse (anciennement créée par Robert Hersant, aujourd’hui détenue par l’avionneur Serge Dassault). Le quotidien de référence de la droite française.
Taipei Times (Taïwan)

« L’antiaméricanisme a-t-il un avenir ? », par Joseph S. Nye, Le Figaro, 22 octobre 2004.
« Globalization is not Americanization », Taipei Times, 22 octobre 2004.