Le peuple vénézuélien a rejetté la réforme constitutionnelle proposée par le président Hugo Chavez lors d’un référendum qui s’est caractérisé par une abstention massive. Au-delà des slogans, Romain Migus avance plusieurs éléments d’analyse de ce phénomène et met en évidence les carences de la campagne électorale.
Les résultats du référendum sur la Réforme partielle de la Constitution de la République bolivarienne sont désormais connus de tous. Le Non l’a emporté de peu. Devant la surprise de ces résultats, diverses analyses ont été publiées. Nous y ajoutons ici la notre.
A propos de Podemos, de Baduel et du « mouvement étudiant virtuel »
Comment interpréter leur poids dans l’élection de dimanche ?
Si l’on regarde les chiffres de l’élection, on peut noter que l’opposition augmente son score de 211 888 électeurs (soit 1.3 % du corps électoral). Où sont donc passés les 759 826 électeurs qui avaient choisi de voter pour Podemos à l’élection présidentielle de décembre 2006 ? Où sont passés les soit disant partisans du général Baduel ? Où sont « les multitudes » d’étudiants surgis lors de la non-rénonvation de la concession hertzienne publique à RCTV et qui manifestaient contre la Réforme de la Constitution ?
Il n’est point né de nouvelle force politique au Venezuela. L’opposition a réussi à mobiliser son habituel potentiel électoral. En fait, c’est plus l’apparition médiatique de ces « nouveaux acteurs » de l’opposition, qui a eu pour tache de faire douter les électeurs chavistes. Il en est de même pour les anarchistes libertaires ou une fraction minoritaire du trotskysme. Leurs appels à l’abstention ont été immédiatement relayés dans les media de droite. C’est l’utilisation de nouvelles têtes ou de dissidents revenus à la Raison par les anciens partis et les media commerciaux qui a permis une forte mobilisation de l’opposition et une apathie des secteurs chavistes.
Donc, pas nouveaux leaderships au sein de l’opposition. Au contraire, dans l’État d’Aragua, le Oui l’a emporté avec plus de 52 %, en dépit du fait que le gouverneur soit de Podemos, que le secrétaire général de Podemos soit élu député dans une circonscription de l’État d’Aragua, et surtout que le général Baduel soit originaire de cet État et fut longtemps commandant de la base de parachutistes basée dans la capitale de l’État.
Quant au « mouvement étudiant virtuel » formé pour les coups d’État soft, leur popularité ne survit jamais à l’échéance politique pour laquelle ils ont combattu. Rappelons par exemple que Pora, l’élève ukrainien d’Otpor n’a totalisé que 1.47 % des voix aux élections législatives qui ont suivi la « Révolution Orange ».
Derrière l’arbre, une forêt de problèmes à régler
Si l’opposition peut compter sur tout le potentiel électoral qu’elle avait capitalisé en décembre 2006, en revanche dans le camp chaviste, il y a une différence de 2 929 688 voix entre l’élection présidentielle et celle du referendum pour le bloc A, dont la majorité des articles furent proposés par le président Chavez. Constat : les chavistes sont restés chez eux. Pourquoi ?
– Premièrement, un certain triomphalisme régnait dans le camp du président Chavez depuis sa récente élection. Certain ne se sont pas déplacé sûrs de la victoire du Oui.
– Deuxièmement, certains électeurs qui avaient voté Chavez ne se sont pas déplacés car le gouvernement n’a pas donné de réponses à un problème concret : l’insécurité. Bien que l’insécurité au Venezuela ne soit pas arrivée avec Chavez, et bien que celle-ci était tout aussi élevée lors des élections présidentielles, l’opposition a su particulièrement bien utiliser ce facteur pour assimiler le Non à l’insécurité au Non à la réforme constitutionnelle. Plus généralement, une partie du chavisme a décidé de ne pas aller voter pour exprimer son mécontentement sur la lenteur de certains changements, sans pour autant voter pour une opposition qu’ils détestent. C’est ce qui a permis à deux grands quartiers populaires (Petare et Caricuao) de Caracas de donner le Non vainqueur.
– Troisièmement, la guerre psychologique et médiatique menée par les media commerciaux fut particulièrement forte et les moyens de communication du gouvernement ou du Parti Socialiste Uni du Venezuela n’ont pas été à la hauteur. Les messages de l’opposition et des media commerciaux étaient généralement courts, basé sur leur interprétation des articles, et très chargés émotionnellement. En résumé, c’était « avec la Réforme, c’est la fin de la liberté et de la démocratie », « l’État sera propriétaire de ta maison, ton téléviseur, tes enfants, etc… ». Au lieu de répondre sur le même registre, la télévision d’État a fait défilé un grand nombre d’intellectuels certes passionnants mais présentés de manière très ennuyeuse, pour venir expliquer pendant des heures la réforme constitutionnelle, texte en main.
Explication rationnelle Vs. Conquête émotionnelle : les Vénézuéliens ont exprimés dans les urnes quelle fut la meilleure stratégie. Dans les témoignages que nous avions pu recueillir peu avant le vote, nous avions noté que l’appel à la réaction émotionnelle fait par l’opposition entraînait un vote contraire aux propres intérêts de l’électeur. Ainsi, une ouvrière agricole de l’État du Tachira allait voter Non par peur de voir ses jeunes enfants enlevés par des fonctionnaires pour les emmener à Cuba. S’il n’y avait évidemment rien de tel dans la proposition de Réforme partielle de la Constitution, en revanche l’article 307 interdisait le latifundio, et ouvrait donc la voie à une possible propriété pour cette ouvrière agricole. Dans un autre registre, cet homosexuel du centre de Caracas, qui a voté Non pour défendre la liberté. Moins vague que la défense de la liberté, l’article 21 interdisait toute discrimination en raison de l’orientation sexuelle. Ou encore cette personne d’un quartier populaire de Caracas qui n’allait pas aller voter par peur que le gouvernement lui enlève sa maison, sans vouloir se rendre compte que le titre de propriété du terrain de sa maison lui a été donné par ce même gouvernement, ou que la réfection de sa maison a été rendu possible par un micro-crédit donné par…le gouvernement. Le résultat de l’élection de dimanche met en évidence une mauvaise gestion communicationnelle de la part du gouvernement dès lors qu’il ne s’agit pas de Hugo Chavez en tant que personne.
Ce que met aussi en lumière le résultat du 2 décembre 2007, c’est la confusion qui règne au Parti Socialiste Uni du Venezuela. Plus de 6 000 000 de militants, et à peine 2/3 qui se retrouvent dans les urnes (car n’oublions pas les apports des sympathisants et des militants du Parti Communiste et du parti Patrie Pour Tous). Où sont donc passés ces militants ? Quel est le nombre réel de militants sincères ?
Certains élus de municipios, dont l’élection s’explique seulement parce qu’ils sont membres du Parti du président Chavez, appelaient ouvertement à voter Non. Une certaine clarification devrait être nécessaire dans le camp de la Révolution pour continuer à approfondir la transition vers le Socialisme. C’est ce que demandait, dés le lundi après-midi, environ 2 000 manifestants concentrés au pied du Palais Présidentiel, aux cris de « Dehors les traîtres à la Révolution », ou encore « Nettoyage général ! ». [1]
Deux pièges à éviter
Certaines analyses montrent que la réaction du président Chavez empêchera désormais les entreprises de communications internationales de le traiter de dictateur. Rien n’est moins sûr ! Il n’y a qu’à regarder comment Courrier International en France préparait une victoire du Oui au référendum [2]. Quelques jours plus tard, dans son émission « Tout le Monde en parle », Laurent Ruquier s’enthousiasmait de la défaite des chavistes au motif que « la réforme constitutionnelle donnait les pleins pouvoirs à Chavez et lui permettait de devenir président à vie » (sic). Si ces réactions nous montrent comment aurait été reçu la décision du Peuple vénézuélien si celui-ci avait majoritairement voté pour le Oui, elles nous indiquent surtout que les entreprises médiatiques continueront leurs entreprises de désinformation sur le Venezuela. De la même manière qu’elles ont oubliés le coup d’État, le lock-out et le sabotage de l’économie pétrolière dans l’explication du contexte vénézuélien, elles oublieront bien vite le résultat défavorable des urnes accepté par un président démocratiquement élu, pour présenter un dictateur assoiffé de pouvoir au fur et à mesure que le gouvernement continuera sur la voie du Socialisme.
L’autre piège est de croire que l’opposition est soudainement devenue démocratique car elle accepte le résultat des urnes. Dés le début de l’après midi du 2 décembre, de nombreux leaders de l’opposition, dont le général parachutiste Raul Baduel, appelaient à ne reconnaître les résultats qu’en cas de victoire de l’opposition. Drôle de vision de la démocratie. On ose imaginer ce qui se serait passé si Chavez ou un membre du gouvernement bolivarien eut tenu un tel discours. Comme nous l’avions déjà montré, l’opposition au gouvernement bolivarien n’est démocratique que lorsque cela arrange son image internationale [3]. Toute une infrastructure était prête pour lancer une Révolution colorée en cas de victoire du Oui. On peut même avancé que l’intense campagne médiatique nationale et internationale contre la Réforme, l’action des étudiants du « mouvement étudiant virtuel » qui ont bien réussi à imposer une vision d’un gouvernement « répressif » et « totalitaire », le blocus organisé sur des aliments de première nécessité, la guerre psychologique, ont réussi leur objectif d’empêcher l’approbation de la Réforme constitutionnelle. Pour être démocratique, il serait aussi bon de laisser la démocratie se développer sans influer de manière anti-démocratique sur une élection.
L’acceptation des résultats par le président Chavez juste après leur annonce officiel va permettre de desserrer un instant l’étau médiatique autour du Venezuela. Un cours instant puisque le président a annoncé le 5 décembre 2007, qu’il ne pouvait plus présenter de réforme constitutionnelle durant son mandat mais que le Peuple le pouvait. En effet, l’article 342 de la Constitution (défendue désormais par l’opposition « démocratique ») prévoit que si 15 % du registre électoral présente une proposition de réforme à l’Assemblée Nationale, celle-ci peut décider l’organisation d’un référendum. On peut donc s’attendre à ce qu’une deuxième version de la Réforme constitutionnelle soit proposée aux Vénézuéliens dans les années qui viennent. Nous verrons alors la posture des entreprises de communication internationales et l’attitude de l’opposition vénézuélienne.
Pour le reste, le président Chavez reste au pouvoir jusqu’en 2012 malgré la demande de démission lancé par certains membres de cette opposition « démocratique ». Le Socialisme vénézuélien a encore plusieurs années d’approfondissement devant lui. En espérant que les erreurs qui ont conduit à la défaite du 2 décembre sauront être analysées par le gouvernement et les militants révolutionnaires pour pouvoir pallier à certaines défaillances et éviter ainsi une répétition de ce scénario.
[2] « Courrier International dégaine plus vite que son ombre... et nous donne le ton », par Maxime Vivas, Le Grand Soir, 5 décembre 2007.
[3] « La Contre-révolution endogène unifié », « Le Rose Brun », « Réforme Constitutionnelle ou Déstabilisation », par Romain Migus, Le Grand Soir, 21 août et 12 septembre 2006, 27 novembre 2007.
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