Quand on veut combattre le racisme et l’antisémitisme, il est important de garder leur sens au mot. Dans le domaine international, nous sommes parvenus à limiter l’usage du terme « génocide » et à le réserver à des cas bien précis. Son emploi est désormais porteur de conséquences internationales majeures comme on l’a vu au Darfour. « Racisme », « nazisme », « apartheid » sont des termes qui me paraissent mériter la même retenue et la même prudence.
En écrivant cela dans mon rapport remis au ministère de l’Intérieur, mon intention n’était pas de limiter le droit de débattre. Critiquer le gouvernement des autres États, y compris celui d’Israël, soutenir la lutte des Palestiniens sont des opinions que tous les citoyens ont le droit absolu d’exprimer, et nul ne peut le remettre en cause. L’objectif de mon rapport est simplement de m’interroger sur les moyens de pacifier le débat sur le racisme et l’antisémitisme en France. En France, aujourd’hui, il existe un nombre important de personnes, la plupart du temps jeunes, voire très jeunes, souvent issues de l’immigration - pas nécessairement maghrébine -, que la perte de repères, la frustration sociale et de nombreuses discriminations rendent vulnérables à des idéologies dangereuses qui les mènent vers la violence. Dans ce contexte, il convient d’être prudents car les mots peuvent tuer. Ceux qui ont l’oreille des jeunes, parce qu’ils traitent de questions qui les passionnent, telles que l’écologie, l’avenir du tiers-monde et de la mondialisation, me paraissent avoir un devoir de vigilance dans leurs propos.
J’ai peut-être présenté ces idées de manière un peu abrupte ou maladroite dans mon rapport. Le fait d’évoquer la possibilité de créer de nouveaux outils juridiques était probablement maladroit. La présentation simplifiée de cette proposition a pu laisser croire, à tort, qu’il s’agissait d’attenter à la liberté d’opinion. Si je fais ce rectificatif, c’est que l’arbre de cette controverse cache mes autres propositions qui constituent les bases d’un plan, nécessaire, pour lutter contre le racisme et l’antisémitisme. L’une de ces mesures me tient particulièrement à cœur : l’ouverture d’un deuxième guichet pour les migrants, permettant de traiter dignement la question de la migration économique afin de décriminaliser l’immigration et de changer le regard porté sur les étrangers.
« Pacifier le débat sur le racisme et l’antisémitisme », par Jean-Christophe Rufin, Le Monde, 3 novembre 2004
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