La vague de protestations actuelle en Russie est le signe d’un changement de pouvoir, même si ce n’est pas pour tout de suite. Il y a peu, on pensait que le règne de Vladimir Poutine durerait un siècle. Tant que les cours du pétrole sont hauts il ne craint rien, mais la corruption du pouvoir et son manque d’efficacité ont réussi à lui faire perdre sa popularité. L’absence de talent est aussi un talent. La corruption est devenue une règle sous Poutine, et même le fruit de sa politique. Cela pousse les gens dans la rue.
Le comité 2008 n’a pas beaucoup avancé, nous avons passé une année à recoller les morceaux de l’alliance Iabloko-SPS (le parti de Grigori Iavlinski et l’Union des forces de droite). Nous devons créer un parti qui se bat non pas pour un retour au parlement, mais pour le retour de la Russie sur le chemin de la démocratie. Les distinctions entre droite et gauche n’ont plus d’importance. Pour ce qui est des communistes, ils forment un bon parti d’opposition, mais leur place n’est pas au pouvoir, on a déjà donné. Nous sommes prêts à faire la course avec eux, mais il faut d’abord nettoyer le stade. Quand nous aurons chassé les bandits, alors le peuple décidera comment il veut vivre.
Dans la forme, la Russie est une démocratie, mais en réalité, il n’y a pas de séparation des pouvoirs. Le Parlement est entièrement sous contrôle et la justice presque totalement. Parmi les médias fédéraux, il n’y a que les journaux papier d’opposition. La faculté qu’a l’Occident de ne pas remarquer cela est époustouflante. Je voudrais juste rappeler le flirt des politiciens occidentaux avec Hitler et Staline, on ne s’allie avec des bandits que pendant le temps où ils ont besoin de vous. Ces bandits, Poutine et son administration, seraient déjà sur le banc des accusés dans un pays où la justice est indépendante. Nous le constatons en province où notre auditoire grandit. Le nez de la nomenklatura et des banquiers est l’instrument le plus sensible du monde. Ils sentent la pourriture du régime.
La Russie a une expérience millénaire de l’esclavage et du totalitarisme, c’est son modèle de gouvernance. L’Union Soviétique n’en était que l’une des formes. Le retard sur l’Europe est grand, mais la révolution de l’information porte ses fruits. Il n’y a rien de plus durable que le caractère provisoire dont parle Poutine au sujet de ses restrictions des libertés. Nous avons quelques figures potentiellement intéressantes pour prendre la relève, Vladimir Ryjkov ou Gary Kasparov. Nous avons été l’objet de pressions des services secrets dès le lancement de notre mouvement. On essaye de nous discréditer, en racontant par exemple que je vis en Allemagne et que je perçois 35 000 $ par mois de Vladimir Goussinsky pour écrire du mal sur Poutine.

Source
Die Welt (Allemagne)

« In Rußland wird das Parlament unterdrückt », par Viktor Shenderovitch, Die Welt, 26 Février 2005. Ce texte est adapté d’une interview. Ce texte est également disponible en russe ici.