Hassan Nasrallah à la tribune lors de la manifestation unitaire du 7 mars 2005

Mesdames et Messieurs

Je m’adresse à vous aujourd’hui qui patientez depuis de longues heures, vous qui venez de loin et qui supportez beaucoup de difficultés. Je vous remercie infiniment pour votre présence et votre soutien aux appels de vos frères, les secrétaires généraux et les présidents des partis et forces politiques libanaises. Et je vous remercie d’exprimer vos opinions sur ce qui se passe dans ce pays et dans cette communauté.

Nous, représentants des forces et partis politiques, quand nous vous avons envoyé l’appel pour participer à cette manifestation, n’avions aucun doute sur le fait que vous y répondriez, parce que vous étiez, et cela pendant plusieurs années, sur les champs du sacrifice et de la lutte. Il y a parmi vous des familles de martyrs, il y a d’anciens prisonniers et leurs familles, il y a aussi parmi vous des familles des soldats de l’armée qui ont donné ce qu’ils avaient de plus cher sur les champs de bataille pour la dignité du Liban, son unité, sa liberté, sa souveraineté, son indépendance et son identité arabe.

Vous, qui avez répondu à cet appel en venant de toutes les régions du Liban, de toutes les communautés et de toutes les catégories sociales. C’est vous qui décidez aujourd’hui du destin de votre pays. Votre foule immense représente la preuve de la clarté, face au doute inutile. Votre présence est un salut pour le monde entier qui vous regarde. Et moi, qui fait partie de ce monde-là, je commence d’abord en posant la question à nos partenaires dans ce pays et à ceux qui nous regardent de l’extérieur : Ces centaines de milliers de personnes sont-elles toutes des marionnettes ? Cette foule, est-t-elle un groupe d’agents des services secrets syriens et libanais ? C’est honteux de parler ainsi de son peuple et de ses partenaires, en utilisant un langage d’accusation et d’humiliation.

Hommage à la Syrie

J’appelle chacun à dépasser ce langage et cette terminologie d’humiliation à l’égard de qui que ce soit dans ce pays. Nous vivons dans un pays libre et démocratique, et chacun de nous peut s’exprimer, mais dans les limites de la politesse et du savoir-vivre. Ce qui a été dit dans les rues en utilisant des insultes est inacceptable. Je tiens à dire à tous ceux qui nous regardent à la télévision et je le dis également au peuple syrien et à ses gouvernants : « Nous, le peuple libanais, nous sommes des gens de fidélité et de politesse, et nous vous demandons de nous excuser pour ces insultes ».

Nous nous rencontrons aujourd’hui ici avec les objectifs qui ont été annoncés pendant la conférence de presse, et dont le premier est de remercier la Syrie d’Hafez Al-Assad, la Syrie de Bachar Al-Assad, la Syrie de son peuple courageux et solide, la Syrie de l’armée arabe résistante qui était toujours avec nous pendant les années de défense et de lutte. Nous nous rassemblons aujourd’hui pour rappeler au monde et rappeler aussi à nos partenaires réunis sur la place des martyrs, que cette place où nous sommes assemblés et la place où vous êtes assemblés ont été détruites par Israël et par les guerres antérieures, et que c’est la Syrie qui a rendu la sécurité à ces lieux et qui les a unifiés de nouveau, grâce à ses soldats.

C’est Sharon qui a détruit Beyrouth, et c’est Hafez Al-Assad qui l’a protégée. Nous sommes un peuple reconnaissant, et s’il y a quelqu’un qui ne reconnaît pas le Bien, alors nous le considérons comme se plaçant hors de l’attitude commune aux Libanais.

À la Syrie, nous disons ce qu’a dit son président, Bachar Al-Assad : « Au Liban, ta présence n’est pas que matérielle, militaire, tu es présente dans les esprits, dans les cœurs, au présent et au futur », et je proclame devant vous que personne ne pourra retirer la Syrie ni du Liban, ni de son esprit, ni de son cœur et ni de son avenir.

Respect des accords de Taëf

Ici, nous sommes d’accords avec toutes les décisions du Conseil supérieur syro-libanais réuni hier, et nous confirmons que toute planification du redéploiement ou du retrait syrien du Liban doivent être faits uniquement dans le cadre de l’Accord de Taëf. Nous sommes venus aujourd’hui pour dire au monde que nous refusons la résolution 1559. Celui qui accepte la position que le redéploiement ou le retrait syrien soient effectués selon les termes de l’Accord de Taëf, nous sommes d’accord avec lui. Mais celui qui insiste sur la résolution 1559, nous considérons qu’il rejette par le fait même l’Accord de Taëf, il rejette le consensus national, il piétine le sang du martyr Rafic Hariri, ses conseils et il rejette en fin de compte les bases sur lesquelles le Liban s’est sorti de sa catastrophique guerre civile.

Nous confirmons aussi que seuls l’Accord de Taëf, la volonté des deux gouvernements libanais et syrien ainsi que leurs intérêts, constituent la plateforme qui doit encadrer la présence militaire syrienne, et non pas toutes sortes de pressions internationales ou de diktat étrangers visant à donner des avantages à Israël.

Manifestation du 7 mars 2005 à Beyrouth

Hommage à Rafic Hariri

(...) Nous, qui nous rassemblons aujourd’hui, réaffirmons notre condamnation du crime catastrophique que fut l’assassinat du président Rafic Hariri et de ses amis et concitoyens. Nous présentons nos condoléances à sa famille en disant que nous tous, voulons connaître la vérité, car la vérité, si elle s’affiche, va protéger le Liban et la Syrie. Et nous éviterons ainsi la discorde qui nous menace. La vérité sur l’assassinat contribuera également à rassurer les esprits de tous. Aujourd’hui, de cette place, nous appelons chacun à cesser d’exploiter cette affaire à des fins politiciennes, car c’est une affaire nationale qui concerne tous les Libanais, et nous pensons que la famille Hariri est plus qu’une simple famille ou un simple courant. Aujourd’hui, la famille Hariri vit dans les cœurs de tous les Libanais, car cette famille a donné son sang, et nous connaissons la valeur de sang. Donc sortons cette famille et ce sang du terrain des enjeux politiciens. Nous voulons tous connaître la vérité, sans aucun doute, absolument (...).

Propositions

Pour sortir de cette crise, nous proposons les points suivants :

Des consultations entre les députés doivent commencer dès demain dans un esprit de responsabilité, et nous appelons à donner à une des principales personnalités politiques la tâche de former le nouveau gouvernement.
Nous appelons le président chargé de former le gouvernement au nom de tous les partis politiques libanais, à former un gouvernement d’unité nationale, et, si l’opposition s’y oppose, nous leur disons qu’un gouvernement neutre n’a pas de sens au Liban.
Le pays passe en ce moment par une période critique, et il a besoin d’un gouvernement responsable qui gère le pays en prenant en compte tous ses intérêts, politiques, sécuritaires, financiers et économiques. Le pays s’attend à des élections et nous ne pouvons en aucun cas vivre dans une situation de vide juridique.
Le pays a besoin d’un gouvernement qui mène l’enquête sur l’assassinat de notre martyre Rafic Hariri.
Si l’opposition refuse la formation d’un gouvernement d’unité nationale, alors allons à la table des négociations, mais personne ne peut parler de dialogue tant qu’on se cantonne aux salons du « Bristol », d’« Aïn Tina » et de la « troisième force ». Quand est-ce qu’on réunira tous les Libanais autour de la même table de négociations ?
Après le discours du président Bachar Al-Assad et après ce rassemblement, j’appelle chacun à la raison et à revoir sa tactique et sa stratégie. Je dis également à l’opposition : si vous rentrez au gouvernement, participez aux discussions avec toutes les forces, et sinon, venez sur une autre proposition de rencontre et de dialogue pour que nous examinions ensemble nos problèmes et nos difficultés.
Les sujets qui nous semblent très importants à aborder après la rencontre du Conseil supérieur libano-syrien sont ceux qui consistent à vérifier l’application exacte de tous les articles de l’Accord de Taëf, et il ne doit y avoir aucun recul sur aucun article, avec la création des comités visant à poursuivre et à discuter chaque article et leur mise en application.

Chers frères, si nous arrivons ensemble à des conclusions communes, je vous assure que la Syrie respectera notre choix.

Solidarité avec les réfugiés palestiniens

Chers frères, chères sœurs, je répète notre refus de la résolution 1559. Protégeons la Résistance, le choix de la Résistance, le fonctionnement de la Résistance et l’arme de la Résistance. Refusons la domiciliation sur la base d’un principe raciste, car nos frères palestiniens qui résident au Liban sont nos familles et nos cœurs. Opposons à ce projet une bonne alternative : le retour des Palestiniens dans leur pays, dans leurs maisons et leurs fermes. La domiciliation ne servirait qu’Israël, la domiciliation est une offre faite en faveur d’Israël.

Refus de l’ingérence états-unienne

Nous sommes là aujourd’hui pour protéger le projet de l’État et la paix civile, et pour arrêter toute forme de désordre dans ce pays. Quelque-uns ont compté sur le désordre dans le pays, et je dois rappeler : la paix au Liban est de notre responsabilité à tous et correspond à notre intérêt à tous, elle représente la ligne rouge que nous ne devons pas dépasser.

Je dois dire rapidement aussi quelques mots à nos partenaires dans ce pays : Venez au dialogue. Je dis en direction de l’intérieur et de l’extérieur : le Liban constitue un cas unique, le Liban n’est pas la Somalie, et, si vous pensez à une intervention étrangère, le Liban n’est pas l’Ukraine, le Liban n’est la Géorgie non plus. Le Liban constitue un cas unique dans le monde, et celui qui pense qu’il est possible de placer le Liban dans la liste de ses objectifs, par le biais de manifestations, de paroles et en exhibant des châles autour du cou, il se trompe.

Adresse au président Jacques Chirac

Le Liban ne peut pas se construire sans la participation de tous ses citoyens, sans leur accord et leur dialogue, et là je me dois franchement de dire ceci : personne n’a le droit d’imposer son choix à l’autre, ni verbalement ni par les armes. Ce pays, s’il perd sa capacité au dialogue, se détruira, voilà le premier mot destiné à nos partenaires. Et voilà un deuxième mot, destiné à la France, en la personne de son président, Monsieur Chirac : Vous aimez le Liban et vous défendez le Liban, et au cours des années précédentes, vous avez visité le Liban à plusieurs reprises. Nous savons l’importance que vous accordez au Liban. Donc si, Excellence, vous êtes vraiment inquiet pour la liberté au Liban et pour la démocratie au Liban, alors vous devez regarder avec vos propres yeux : ces gens présents ici aujourd’hui, ne sont-ils pas des citoyens du Liban que vous aimez ? Ces Libanais vous disent que nous voulons préserver nos excellentes relations historiques avec la Syrie, ils vous disent que nous sommes attachés à la résistance et au droit de retour des réfugiés palestiniens sur leurs terres, ils vous disent : nous refusons la résolution 1559. Ils vous invitent donc à partir d’une position démocratique et par le biais de ces manifestations, à renoncer à votre soutien à une résolution qui ne rencontre aucune popularité au Liban. N’est-ce pas là la démocratie, telle qu’elle est soutenue en Occident ? Si la démocratie veut dire le gouvernement de la majorité, alors si la majorité refuse la résolution 1559, et si la démocratie veut dire l’accord de la majorité, alors où se trouve l’accord en faveur de cette résolution ? J’appelle la France et son président à réviser sa position à partir de son attachement pour le Liban.

Adresse au général Ariel Sharon

(...) [Général Sharon], cessez de cultiver vos espoirs et rejetez vos rêves au Liban. Il n’y a pas de place pour vous ici. En 1982, vous étiez au sommet et nous, nous sortions de l’horreur. Nous avons résisté et nous avons donné du sang malgré tout, et nous vous avons vaincu. Et aujourd’hui, en tant que Libanais unifiés et remplis de la volonté et de l’esprit de notre résistance, nous sommes plus forts que jamais. Vous les Israéliens, vous serez abattus par nos frères palestiniens qui luttent avec des mains nues. Ce que vous n’avez pas pu avoir par la guerre, vous ne l’aurez jamais par la politique.

Vive le Liban uni !

(...) Le dernier mot est à vous chers frères. Nous nous sommes rencontrés venus de toutes les régions du Liban, de tous les partis et confessions pour dire clairement : nous refusons la division du Liban, nous luttons pour un Liban uni et solide et nous crions ensemble : « Vive le Liban uni ! ».

(...) Nous arrêtons là, pour laisser les gens vivre leur quotidien, mais notre mobilisation ne se terminera pas, car nous nous rencontrerons tous les deux ou trois jours, dans différentes villes libanaises, pour manifester notre position en faveur de la coopération de toutes les forces libanaises.
Je vous renouvelle mes remerciements infinis, chers amis fidèles.
Vive le Liban ! Vive la résistance ! Et Vive la Syrie !
Et la paix de Dieu sur vous tous !