La tendance générale

Guerre régionale : anatomie d’une menace
La presse israélienne recommence à parler de préparatifs menés par le gouvernement de Benyamin Netanyahu pour lancer des frappes militaires contre l’Iran. Dans le même temps, de nombreux analystes assimilent le scénario hollywoodien de prétendue tentative d’assassinat iranienne de l’ambassadeur d’Arabie saoudite à Washington [1] à la préparation d’un climat propice à de telles frappes, en poussant à son paroxysme la tension entre Téhéran et Riyad. L’objectif étant de convaincre le royaume wahhabite de la gravité du « danger iranien », pour le pousser à ouvrir un couloir aérien aux chasseurs-bombardiers israéliens. D’autres analystes établissent un lien entre tous ces développements et le feu vert de la Turquie pour l’installation sur son territoire de radars et d’autres composants du bouclier anti-missiles de l’Otan. Car les États-Unis et leurs alliés savent pertinemment que la riposte iranienne à toute attaque contre ses installations nucléaires sera des tirs de missiles contre le territoire israélien. Des observateurs avertis pensent que les représailles de Téhéran seront beaucoup plus vastes et comporteront l’ouverture des fronts de Gaza et du Liban-Sud, ainsi que le bombardement des bases états-uniennes dans le Golfe.
Toujours dans la même logique, des analystes pensent que l’annonce par Barack Obama du retrait total des troupes US d’Irak à la fin de l’année s’inscrit dans le même cadre. En effet, les États-Unis veulent quitter le champ du Moyen-Orient, ou tout au moins y réduire au maximum leur présence, avant la grande guerre régionale qui pourrait éclater. Car en cas de conflit d’envergure, les GI’s déployés en Irak seraient des otages aux mains de l’Iran.
Il est clair qu’une grande partie de ces informations font partie de la guerre psychologique que livrent les États-uniens et leurs alliés contre l’axe de la Résistance. Certains des arguments avancés pour crédibiliser le scénario de la « guerre régionale totale » sont purement et simplement déconnectés des réalités sur le terrain.
Faire la liste des armes ultramodernes que possède Israël ne suffit pas pour sortir l’État hébreu de l’impasse dans laquelle il se trouve depuis la guerre de 2006. L’échange de 1 000 détenus palestiniens contre le soldat Gilad Shalit —dans lequel Tel-Aviv a accepté pratiquement toutes les conditions du Hamas qu’il rejetait par le passé— illustre les difficultés auxquelles est confronté Israël. Cette opération conforte la logique de la Résistance qui affirme que seule la force est susceptible d’arracher des concessions à l’État hébreu.
De plus, Israël craint qu’après le retrait US, l’Irak ne rejoigne l’axe de la Résistance qui regroupe aujourd’hui l’Iran, la Syrie, le Liban et la Palestine. Et il est inquiet des signaux qui montrent que la direction syrienne a repris l’initiative sur le plan interne et a réussi, jusqu’à présent, à contourner les pressions externes. Mais ce qui l’angoisse le plus, c’est l’inconnue égyptienne. Les développements en Égypte laissent croire que ce pays ne sera plus jamais le même après le renversement de Hosni Moubarak, qui protégeait fidèlement les intérêts israélo-américains dans la région. Le cauchemar pour Israël serait d’assister à un rapprochement entre l’Égypte, la Syrie et l’Iran, qui l’isolerait dangereusement sur la scène régionale.
Ceci dit, il ne faut pas exclure catégoriquement l’idée d’une aventure militaire israélo-américaine après le retrait d’Irak. Surtout que les États-Unis et leurs alliés occidentaux ont enregistré certains points dans le sillage du printemps arabe, comme c’est le cas en Libye. Mais une chose est certaine, n’importe qu’elle attaque contre l’un des membres de l’axe de la Résistance, notamment le Hezbollah et le Hamas, entrainera l’ensemble de la région dans une guerre généralisée qui mélangera les cartes d’une manière radicale… et certainement pas au profit d’Israël.

La tendance en Syrie

Que se passe-t-il dans la Syrie réelle ?
L’État syrien multiplie les efforts pour traquer les groupes terroristes et démanteler les milices opposantes, notamment celles qui relèvent du Conseil d’Istanbul, qui a une nouvelle fois rejeté les appels au dialogue, pariant sur une intervention militaire étrangère qui l’installerait au pouvoir.
Vendredi 21 octobre, les oppositions syriennes ont une nouvelle fois échoué dans la mobilisation populaire, alors que les crimes perpétrés par les groupes extrémistes se poursuivaient, particulièrement dans la région de Homs. Il est clair que nous assistons à un essoufflement des manifestants, selon les courbes de comparaison établies par les services concernés en Syrie et par des observateurs occidentaux indépendants. Ils n’étaient pas plus de 26 000 contestataires, ce qui est peu au regard des 23 millions de Syriens mais, surtout, si l’on connait les moyens financiers et médiatiques colossaux déployés pour mobiliser les foules. Le pari des manifestations géantes est perdu, mais les tentatives d’isolement régionales et internationales de la Syrie se poursuivent, sans plus de succès non plus. En effet, toute la fortune de l’émir du Qatar n’a pas suffit pour pousser les représentants des pays membres de la Ligue arabe à accepter de suspendre la participation de Damas à cette institution. La Syrie a encore de nombreux alliés et appuis qui ne conçoivent pas une Ligue arabe sans elle. Et en acceptant de recevoir le comité de médiation présidé par le Qatar, Damas a torpillé les tentatives visant à l’embarrasser pour le pousser à rejeter l’initiative arabe, ce qui justifierait une plus grande internationalisation de la crise.
L’Occident est convaincu que la déstabilisation de la Syrie est sa dernière carte contre l’axe de la Résistance qu’il n’a pas été possible de briser ni avec l’assassinat de l’ancien Premier ministre libanais Rafic Hariri en 2005, ni au Liban toujours, en 2006, avec la guerre israélienne, ni à Gaza pendant l’hiver 2008-2009. Sept mois après le début des troubles en Syrie, il n’a pas encore réussi à renverser le régime ni à affaiblir ses institutions militaires et sécuritaires. Alors l’Occident croit pouvoir utiliser pour l’isoler et l’affaiblir tantôt la Ligue arabe, tantôt la Turquie. Mais ce plan sera un échec cuisant, d’une part parce que la Syrie est un bastion de la Ligue arabe, et, d’autre part, parce que le régime résiste à toutes les pressions externes et internes. Sa priorité pour les semaines à venir est de démanteler les groupes terroristes, grâce à des opérations spéciales menées par des troupes délites pour éviter le maximum de pertes civiles, et la poursuite des réformes politiques du système dont le premier grand rendez-vous est en décembre, avec les élections locales.

Événements

Arabie saoudite
• Le prince Sultan ben Abdel Aziz Al Saoud, héritier du trône wahhabite et ministre saoudien de la Défense et de l’Aviation, est mort samedi à New York où il était soigné. Sa disparition devrait permettre au ministre de l’Intérieur, le prince Nayef, d’accéder au titre de prince héritier du royaume.
Le prince Sultan, âgé de 86 ans, se trouvait depuis le mois de juin aux États-Unis pour suivre un traitement médical.
Le roi Abdallah, qui serait âgé de 87 ou 88 ans, souffre lui aussi de problèmes de santé. Il a été à nouveau opéré du dos lundi derniers après deux précédentes interventions fin 2010 aux États-Unis.
Le prince Nayef, nommé en 2009 au poste de second vice-Premier ministre, devrait devenir le nouveau prince héritier du trône. Septuagénaire, il a la réputation d’être plus conservateur que le roi et feu le prince héritier.
Contrairement aux monarchies européennes, les règles de succession au trône des Saoud ne prévoient pas une transmission au fils aîné, mais passent de frère en frère parmi les enfants du roi Abdel Aziz, mort en 1953.
On s’attend à ce que le souverain wahhabite convoque le Conseil d’allégeance des Saoud pour ratifier le choix du futur prince héritier.
« La succession se déroulera dans l’ordre », prédit Assad Al Chamlan, professeur de sciences politiques à Ryad. « Tout dépendra de la décision que prendre le Conseil d’allégeance et il semble que le poste ira au prince Nayef. S’il devient prince héritier, je n’anticipe pas de profonds changements dans l’immédiat ».

Libye
• Le Conseil national de transition (CNT) libyen a proclamé dimanche la « libération » du pays, trois jours après l’exécution du colonel Mouammar Kadhafi [2]. Moustapha Abdel Jalil le président de l’organe politique des ex-rebelles a commencé son discours par un rituel musulman et promis aux dizaines de milliers de personnes rassemblées à Benghazi (Est) de faire appliquer la charia (loi coranique).
« Tous les martyrs, les civils et l’armée attendaient ce moment. Mais ils sont désormais dans le meilleur des endroits, le paradis éternel », a dit Abdel Jalil. « Nous disons au monde entier que nous avons libéré notre pays bien-aimé, ses villes, ses villages, ses collines, ses montagnes, ses déserts et son ciel », a dit un responsable de l’armée en ouvrant la cérémonie. « Levez la tête, vous êtes un Libyen libre », a renchéri Abdel Aziz Ghoga, vice-président du CNT.
Abdel Jalil, dont le manque de poigne inquiète, a appelé à la réconciliation nationale et à « l’oubli ». « Nous devons débarrasser nos âmes de la haine et de la jalousie. C’est nécessaire au succès de la révolution et de la Libye future. »
Le CNT a également promis que tous les traités et accords internationaux seraient respectés.
• L’annonce de la « libération » ouvre la voie à la formation d’un gouvernement intérimaire et à l’organisation, dans un délai de quelques mois, d’un scrutin pour élire une assemblée constituante. L’objectif est d’instaurer de nouvelles institutions démocratiques en 2013.
Les nouveaux dirigeants libyens ont une « opportunité très courte » de mettre de côté leurs différences pour lancer la période de transition sur de bonnes bases, a prévenu samedi le Premier ministre par intérim, Mahmoud Jibril, en annonçant sa démission.
La révolution a été accomplie par des brigades disparates et peu disciplinées représentant chacune une ville différente. Elles réclament désormais leur place au sein du futur pouvoir, notamment celles de Misrata et de Benghazi qui pensent avoir payé un lourd tribut pour le renversement de Mouammar Kadhafi. « Il y aura des querelles entre les régions. Il y a Zentane et Misrata d’un côté et Benghazi et l’Est de l’autre », a dit à Reuters un commandant de Misrata.
• Le sort à réserver au cadavre de Mouammar Kadhafi est lui-même un sujet de tensions entre les différents mouvements de la nouvelle Libye. Contrairement aux principes de l’islam, la dépouille du "guide" est exposée depuis vendredi à Misrata, dont les combattants se prévalent de la capture de l’ancien dirigeant jeudi aux abords de Syrte.
Le corps a commencé à se décomposer. Ceux qui venaient le voir samedi à Misrata étaient obligés de se couvrir le visage avec un masque.
La famille en exil de Mouammar Kadhafi a réclamé la restitution de son cadavre et de celui de son fils Mouatassim. Des responsables du CNT souhaitent en revanche les enterrer dans un lieu tenu secret afin d’éviter de créer un lieu de pèlerinage.
Le corps a été autopsié samedi dans une morgue de Misrata. Une source médicale a dit à Reuters que Mouammar Kadhafi avait succombé à une blessure par balle et qu’il avait été touché d’une balle dans la tête et d’une autre dans l’abdomen.

Déclarations et prises de positions

Ali Abdel Karim Ali, ambassadeur de Syrie au Liban
« Les informations faisant état d’une tiédeur dans les relations officielles libano-syriennes, à cause des prétendues incursions syriennes en territoire libanais, ne son pas appropriées. D’ailleurs, il n’y a pas d’incursions. L’armée syrienne a mené ses opérations à l’intérieur du territoire syrien. Ces informations s’inscrivent dans le cadre des tentatives de porter atteinte à la structure nationale et à la sécurité syriennes. Les fauteurs de troubles ont été arrêtés en Syrie. Le dialogue et les concertations se poursuivent entre les présidents Michel Sleiman et Bachar al-Assad. Il faut que l’État libanais, avec toutes ses composantes de sécurité, soit coopératif parce que la stabilité aux frontières représente un intérêt commun. »

Denis Pietton, ambassadeur de France au Liban
« Les opposants syriens présents au Liban ne devraient pas être rapatriés contre leur gré. C’est un point très important. Le Liban a toujours été un pays d’accueil et hospitalier. C’est une tradition libanaise. Dans les moments difficiles que traverse la région et surtout pour ce qui est des événements en Syrie, il est essentiel que cette tradition soit perpétuée. Concernant les informations à propos d’incursions syriennes, je réaffirme l’attachement de la France à la souveraineté et l’indépendance du Liban. Je souligné la nécessité de réaliser des progrès dans la question de la délimitation de la frontière libano-syrienne. Hélas, il n’y a eu aucun progrès en dépit des efforts déployés par le gouvernement précédent. Ce dossier doit rester ouvert. »

Revue de presse

As Safir (Quotidien libanais proche de la majorité, 18 octobre 2011)
Imad Marmal
Il existe des divergences entre le Courant patriotique libre (CPL) de Michel Aoun PL et le Hezbollah, non pas au niveau des objectifs, mais de la tactique. Une source haut placée du CPL évoque la différence d’approche entre les deux partis : le Hezbollah opte pour le pragmatisme alors que le CPL insiste sur les principes. Cette différence s’est reflétée notamment dans les dossiers de l’électricité et de l’augmentation des salaires. Le général Aoun estime —et il a communiqué cette position au Hezbollah— que la Résistance ne peut être en sécurité sur les lignes de front si l’intérieur est rongé par la corruption. La source espère que le Hezbollah retrouve un certain radicalisme dans la réforme, comme son radicalisme dans la Résistance. Elle signale enfin que lors de la dernière réunion entre le ministre Gebran Bassil et le secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah, les deux parties se sont accordées à faire plus d’efforts pour pousser le gouvernement à avancer sur la voie des réformes

An Nahar (Quotidien libanais proche du 14-Mars)
18 octobre 2011
Le directeur général des Forces de sécurité intérieure, lé général Achraf Rifi, a indiqué que les opposants syriens, les frères Jassem, ont été enlevés par des agents libanais et conduits dans des voitures appartenant à l’ambassade de Syrie. Des dépositions de témoins indiquent que les frères Jassem ont été enlevés devant le poste de police de Baabda par le chef de la division chargée de la garde de l’ambassade de Syrie, le lieutenant Salah Ali Hajj, avec l’aide de quatre autres agents. Deux voitures portant des plaques des FSI, qui avaient été mises à la disposition de l’ambassade de Syrie, ont été utilisées dans l’opération. Une mise sur écoute des appels téléphoniques ont dévoilé la remise des frères Jassem à un militant du FPLP-commandement général, dans la région de Yanta à la frontière syro-libanaise.

Al Akhbar (Quotidien libanais proche de la majorité, 21 octobre 2011)
Ibrahim El-Amine
Il qu’il existe un véritable problème relationnel au sein de la coalition fragile de la majorité au pouvoir. Problème dû à l’absence d’un programme clair concernant l’après-Hariri. Certes, une entente préliminaire a permis la désignation de Najib Mikati à la tête du gouvernement, mais elle se limitait sur le plan politique à la position vis-à-vis de la Résistance, du TSL et des relations libano-syriennes. S’agissant du TSL, Saad Hariri avait accepté un compromis qui torpillait le tribunal et non seulement son financement, en contrepartie de son maintien au pouvoir et du maintien en place de son équipe sécuritaire et judiciaire. Mais le renversement de Hariri n’a pas permis d’obtenir les résultats inverses. En effet, le président Mikati refuse qu’on s’en prenne au TSL et en souhaite même le financement. Sur la relation avec la Syrie, on note l’absence de toute amélioration, d’autant plus que le président Mikati n’a pas visité Damas depuis la formation de son gouvernement, et que la position du Liban vis-à-vis de la crise syrienne dans les enceintes internationales ne donne pas de lui l’image d’un grand allié de la Syrie.
Un sérieux problème entache la relation entre Mikati et ses alliés de la nouvelle majorité. Ni le chef du gouvernement ni les composantes de la majorité ne souhaitent torpiller le Cabinet à l’heure actuelle. Ce qui signifie que les tiraillements politiques se poursuivront jusqu’à nouvel ordre.

Al Akhbar (20 octobre 2011)
Jean Aziz
Dès le mois de juin dernier, en raison des développements que Paris insiste à appeler printemps arabe, le Premier ministre français François Fillon a décidé de charger le Sénateur Adrien Gouteyron d’une mission destinée à s’enquérir de la situation des chrétiens d’Orient. Mission de six mois renouvelables, portant sur l’Égypte, l’Iran, Israël, le Liban, la Syrie, les territoires palestiniens, la Turquie et l’Irak. Il a été dit par la suite que d’autres pays sont venus allonger la liste (Pakistan et Éthiopie). Le Sénateur Gouteyron préside le groupe d’amitié France-Liban au Sénat et est en même temps maire de Rosières. Il a entamé sa mission par une visite au Vatican pour des concertations avec les responsables. Notons toutefois qu’il s’est contenté par la suite de visiter la Turquie et l’Irak, bien que plus de la moitié de son mandat se soit déjà écoulée —son entourage évoque des visites ultérieures en Israël et en Jordanie—. Mais tous les responsables, les experts et les parties concernées savent pertinemment que c’est en Syrie et au Liban qu’est actuellement évoquée la question des chrétiens d’Orient, même s’il va falloir désormais y ajouter l’Égypte après la victoire de la « révolution » d’Obama et de Sarkozy.
Un premier signal inquiétant surgit déjà de la mission de Gouteyron, considéré par certains comme un amateur en matière de politique étrangère : il s’agit d’une expression qu’il a prononcée il y a quelque temps, en s’exprimant sur la nature de la mission pour laquelle il a été mandaté. En effet, après avoir répété le discours d’usage sur la « protection des minorités », la « liberté de culte » et la « dignité de l’être humain », le Sénateur français a reconnu que la question dont il traite est « très vaste et épineuse », avant d’inclure dans son propos une expression qui résume à elle seule toute l’inquiétude dans ce dossier : « Tous les responsables politiques et religieux soulignent la nécessité d’éviter un exode collectif de ces régions. »
La crainte et la suspicion se seraient arrêtées là si le ministre Alain Juppé n’avait pas éclairé les propos de Gouteyron de façon encore plus dangereuse. Le 11 octobre, ce ministre chiraquien chevronné s’est présenté devant l’Assemblée nationale dans le cadre d’une séance de discussion des politiques de son gouvernement. Dans le droit fil du massacre commis à l’encontre des coptes au Caire, une question parlementaire lui a été posée, portant sur les chrétiens de la région et l’attitude de Paris à cet égard. Selon le même langage diplomatique, ce disciple du chiraquisme a répété le même refrain-langue de bois : « Vous le savez, la France n’a cessé de condamner avec la plus grande fermeté les violences dirigées contre les chrétiens dans la région, notamment en Irak ou en Égypte où, hier encore, nous avons condamné les incidents au Caire ». Et le ministre d’ajouter : « Nous ne nous sommes pas contentés de mots : nous avons accueilli, sur notre sol, les personnes menacées et celles qui ont été victimes d’actes de violence et de terrorisme. Ainsi, en Irak, avec un programme d’accueil, nous avons fait venir en France près de 1 300 chrétiens. » Ayant pris conscience de son lapsus, ou ayant lu la grande surprise sur les visages des députés présents après ces dangereux aveux, Juppé a indiqué que son gouvernement misait sur le printemps arabe, qui constitue selon lui une opportunité historique pour ces minorités dans la mesure où il doit leur permettre de prendre toute leur part à la construction de la démocratie.
Qu’obtient-on en mettant bout à bout les propos des deux responsables français ? Gouteyron parle de la nécessité d’éviter un exode massif, et Juppé assure qu’il existe un « programme d’accueil » pour les chrétiens menacés. Les deux hommes ont-ils commis une erreur en divulguant inconsciemment une décision secrète déjà prise ? Les chiraquiens ne le feraient pas ? Si, ils le feraient. Ils l’ont déjà fait par le passé, d’une manière plus claire et directe, en convoquant à Rome les patriarches d’Orient en 2006 et en dépêchant auprès d’eux un diplomate pour leur dire sans détour : la solution pour les chaldéens d’Irak est de quitter leur pays, et nous sommes prêts à les accueillir.
Là-bas, l’enjeu, comme on dit en français, était le pétrole. En Syrie, et probablement au Liban par la suite, le gaz sera-t-il le prix des chrétiens ?

L’Orient-Le Jour (Quotidien libanais francophone proche de la Coaltion du 14-Mars, Édition datée du 20 octobre 2011)
Scarlett Haddad
De retour de Syrie, les visiteurs rapportent que le régime tient parfaitement la situation dans les grandes villes, notamment à Alep et à Damas. Dans les régions éloignées, la situation est plus confuse. Les petites localités sont souvent livrées aux brigands et autres fauteurs de troubles qui ne sont pas forcément avec l’opposition, mais profitent du fait que les forces de l’ordre sont occupées ailleurs. À l’heure actuelle, le véritable problème pour les autorités syriennes est concentré à Homs où le chaos sécuritaire semble régner. Dans cette ville au tissu social diversifié, les forces de l’ordre n’ont aucun contrôle sur des quartiers entiers, qui sont entre les mains de l’opposition. Mais les autorités restent globalement confiantes, préférant laisser l’opposition s’épuiser ou sombrer dans la violence, ce qui à leurs yeux ne pourrait que la discréditer auprès de la population. D’ailleurs, tout le monde reconnaît désormais que la violence est le fait des deux camps. Selon de nombreuses personnalités libanaises qui se sont rendues récemment en Syrie, le régime de Bachar al-Assad est plutôt serein, convaincu que la situation ne peut qu’évoluer en sa faveur. Il se considère protégé des interventions étrangères et des sanctions du Conseil de sécurité de l’Onu par le veto chinois et russe, qui s’inscrit dans une stratégie de longue haleine pour ces deux États et n’est donc pas une position ponctuelle sujette à des changements. De même, il se considère protégé sur le plan interne par la solidité de ses institutions, notamment l’armée et les forces sécuritaires, qui n’ont pas connu, sept mois après le début de l’insurrection, des défections significatives. La Turquie, qui représentait une menace réelle pour le régime syrien avec son plan de créer une zone tampon à la frontière et de donner ainsi un bastion à l’opposition en Syrie même, est actuellement plongée dans ses propres problèmes avec les Kurdes mais aussi avec les différentes composantes de son tissu social. Fer de lance du plan américano-européen de déstabilisation de la Syrie, la Turquie est pratiquement paralysée aujourd’hui, et les déclarations virulentes contre le régime syrien de ses responsables ainsi que leur appui considérable à l’opposition syrienne ne constitueraient donc pas une véritable menace pour Assad. Par contre, le véritable problème du régime syrien résiderait dans l’approfondissement du clivage communautaire entre les composantes de la société.

Al Balad (Quotidien libanais francophone indépendant, 21 octobre 2011)
Elie Wehbé
Les États-Unis ont été le pays le plus concerné par les mouvements de contestation arabes depuis leur début en janvier dernier. Face à cette influence croissante, la France s’est retrouvée isolée d’autant plus que son rôle en Afrique du Nord, région historiquement liée à Paris a nettement reculé au profit de Washington. C’est pour cette raison que la France a pris des décisions diplomatiques fermes. Elle a été le premier pays à reconnaître le Conseil National de Transition (CNT) libyen et a soutenu toutes les sanctions imposées par le Conseil de sécurité de l’ONU sur ce pays.
Il en est de même pour le Moyen-Orient, notamment au Liban et en Syrie. Selon une source proche de l’administration Obama, les États-Unis interfèrent dans les affaires internes de la Syrie depuis 2003 au grand dam de Paris. Une source bien informée sur le dossier a confié à Al Balad que l’ancien président Georges W. Bush avait entamé en 2008 des contacts avec le président syrien Bachar al-Assad afin d’exploiter le pétrole syrien. « Les avances états-uniennes concernant le pétrole syrien n’ont pas plu au géant pétrolier français Total, ni au gouvernement français qui a tout de suite exprimé des réserves », a révélé la source.
Gary Barnard, politologue US spécialisé dans les relations franco-américaines, a indiqué que Paris a réactivé sa présence au Moyen-Orient avant la chute du gouvernement de Saad Hariri. « Il s’agit actuellement d’une sorte de guerre froide entre les pays occidentaux en terme d’influence au Moyen-Orient. Les régimes sont en train de chuter les uns après les autres, les puissances mondiales se préparent à une concurrence féroce pour prendre en main la reconstruction des pays nouvellement libres. C’est une sorte de colonisation moderne si vous voulez », a souligné M. Barnard. « Cette stratégie se fera notamment à travers des accords militaires, diplomatiques, politiques ou autres. D’ailleurs la visite à Paris du ministre de l’Intérieur libanais s’inscrit probablement dans ce cadre », a-t-il conclu.

Al Hayat (Quotidien saoudien-21 octobre 2011)
Paris, Randa Takieddine
Selon des sources haut placées à Paris, les relations politiques à haut niveau entre le Liban et la France sont gelées, en raison du fait que le président français Nicolas Sarkozy ne souhaite pas inviter le Premier ministre Najib Mikati à Paris tant que son gouvernement n’aura pas honoré ses engagements internationaux, dont fait partie le financement du TSL. Paris, ajoutent-elles, est irrité par les atteintes aux opposants syriens au Liban, qui sont enlevés sur le territoire libanais sans que les autorités libanaises ne l’empêchent.
En recevant le patriarche maronite Béchara Raï, le président français l’avait entendu parler d’une bonne atmosphère de coexistence entre les chrétiens et le Hezbollah. Sarkozy l’a alors chargé d’un message très fort adressé au Hezbollah : toute agression contre le contingent français de la Finul entraînera une riposte ferme de la part de la France. D’ailleurs, Paris garde en tête la question de la Finul dans le cadre de ses relations avec Beyrouth, d’autant plus que les responsables militaires maintiennent la pression sur les autorités politiques françaises pour qu’elles retirent le contingent français du Liban-Sud.
Les relations franco-libanaises ont rarement connu un froid tel que celui qui s’est abattu sur ces liens après la formation de l’actuel gouvernement libanais. Le fait que Juppé ne se soit toujours pas rendu au Liban depuis sa nomination au Quai d’Orsay constitue un autre indice sur le gel des relations politiques à haut niveau.

Al Hayat (Quotidien saoudien, 20 octobre 2011)
Mohammad Choucair
Les dirigeants de l’opposition mènent discrètement des discussions sur l’étape qui suivra la chute ou la démission du gouvernement Mikati, suite à l’incapacité d’approuver le versement par le Liban de sa contribution au financement du Tribunal spécial pour le Liban (TSL). Des sources de l’opposition n’écartent pas la possibilité d’une démission de Najib Mikati. Le leader druze Walid Joumblatt appelle à adopter une attitude positive vis-à-vis du Premier ministre, loin de tout esprit de vengeance. La démission du gouvernement ouvrirait une nouvelle étape politique au Liban et il ne faudrait pas en profiter pour punir Najib Mikati. Les mêmes sources estiment que le retour de Saad Hariri à la présidence du Conseil est impossible avant les élections législatives de 2013. Dans le même temps, elles doutent que le gouvernement actuel puisse tenir jusqu’aux élections. Il faudrait donc, selon elles, former un gouvernement neutre, composé de technocrates, pour superviser l’organisation des élections et préparer une loi électorale. Les sources indiquent que le gouvernement opterait très probablement pour la loi électorale de 1960, malgré les surenchères qui fusent actuellement en faveur de la proportionnelle.

Magazine (Hebdomadaire libanais francophone indépendant, 21 octobre 2011)
Paul Khalifeh
Petit à petit, sans que l’on ne s’en rende compte ou que l’on n’en mesure les conséquences, le Liban est entraîné dans la crise syrienne. Depuis près de deux mois, celle-ci prend plus la forme d’une insurrection armée que d’une révolution pacifique. Les régions frontalières du Liban, de Deir el-Achaër, à l’Est, à Akroum, au Nord, se transforment en lignes de démarcation entre le régime syrien et ses opposants. Beaucoup plus rapidement que l’on ne peut l’imaginer, le trafic d’armes, d’argent et d’hommes en direction de la Syrie, auquel répondent des incursions de plus en plus fréquentes des troupes régulières syriennes, et une traque des opposants au Liban, cèderont la place à des opérations militaires d’envergure. Les affrontements commenceront aux armes légères puis moyennes, avant que n’apparaissent les lance-roquettes et l’artillerie.
Ce scénario, très réaliste, est d’autant plus grave que ses implications seront désastreuses. Les Libanais sont en effet profondément divisés sur la question syrienne. Certains sont des alliés indéfectibles de Bachar el-Assad, d’autres en sont de farouches ennemis. Les premiers prendront fait et cause pour le régime et les seconds se rangeront du côté des insurgés. Malgré toute la bonne volonté du monde, rien n’empêchera, alors, que les deux camps libanais ne se précipitent dans le chaudron, la tête en avant. S’il y a une vérité que les Libanais ont réussi à démontrer depuis l’indépendance, c’est qu’ils sont toujours prompts à mener les batailles des autres sur leur propre terre, et à leurs dépens.
Ceux qui réclament que le Liban soutienne les opposants syriens n’ont rien compris des leçons de l’histoire. Parmi eux, certains ont mené le combat de toute une vie contre d’autres Libanais, qui estimaient que soutenir la révolution palestinienne était « un devoir politique et humain ». D’autres, au contraire, étaient des professionnels des « guerres des autres au Liban. » Pour ceux-là, rien n’a changé. Ils sont toujours prêts, aujourd’hui plus qu’hier, à engager le Liban sur des chemins périlleux pour défendre des causes qui prennent leurs sources en dehors des frontières nationales, en nous abreuvant de slogans pompeux sur la « fraternité humaine » et les « valeurs universelles » de la démocratie, des droits de l’Homme et de la liberté. Comment trouvent-ils le temps et l’énergie nécessaires pour militer ailleurs, alors qu’il y a tant à faire chez nous pour défendre, répandre, et renforcer ces mêmes valeurs ?
Les responsables américains ont changé de tactique en Syrie. Après avoir désespéré de pouvoir renverser le régime en quelques semaines, ils ont mis en place des stratégies de longue haleine qui, pensent-ils, pourraient donner leurs fruits dans six ou dix-huit mois, comme ils l’ont eux-mêmes affirmé. Encore une fois, les États-Unis ont placé le fragile Liban au centre de leur dispositif. Ils souhaitent que le secteur bancaire libanais s’implique dans le processus d’isolement économique de la Syrie, et que l’Armée libanaise assure la protection des opposants syriens, comme l’a officiellement réclamé l’ambassadeur Maura Connelly. Oseraient-ils exiger la même chose de la Jordanie et de la Turquie ? Pourquoi ces deux pays, pourtant proches alliés des Américains, n’autorisent-ils pas les insurgés syriens à opérer à partir de leur territoire ? Les Libanais accepteraient-ils, encore une fois, de servir de chair à canon et de sacs de sable pour que tel ou tel pays renforce ses positions régionales ?

The Independent (Quotidien britannique, 17 octobre 2011)
Robert Fisk
Des incursions de l’armée syrienne et le kidnapping de quatre opposants syriens d’un côté, l’interception d’un camion rempli de munitions destiné à l’opposition au régime et la manifestation massive de soutien à Bachar al-Assad de l’autre qui a regroupé un million de personnes [3], dont de nombreux Syriens vivant au Liban, de l’autre. Les drapeaux de la Chine et de la Russie qui flottaient rendent la pareille à ceux qui inventent de fausses femmes torturées. Déroutant ? De la bouche même des opposants, on apprend que les « bandes armées » que le régime dit combattre existent.
Lorsque les chars traversent la si poreuse frontière libano-syrienne, les adversaires du Hezbollah crient à la violation de la souveraineté libanaise. Mais lorsque des camions d’armement pour les opposants au régime violent la souveraineté de la Syrie, les journaux de l’opposition libanaise s’en soucient moins.

Source
New Orient News

[1« Le "complot iranien" est-il états-unien ? », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 18 octobre 2011.

[2« Le lynchage de Mouammar Kadhafi », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 20 octobre 2011.

[3« Un million de manifestants à Damas », Réseau Voltaire, 14 octobre 2011.