Le 22 mai dernier, la résolution portée par la France pour autoriser la Cour pénale internationale à se saisir de la situation en Syrie s’est heurtée aux vetos de la Russie et de la Chine, en dépit du soutien public de 65 États, de 100 organisations non gouvernementales et du vote favorable des 13 autres membres du Conseil de sécurité des Nations unies.

Nous assistons pourtant en Syrie à la tragédie humanitaire la plus grave depuis le génocide au Rwanda en 1994.

Le ministre des affaires étrangères français, Laurent Fabius, l’a dit avec force : la paralysie du Conseil de sécurité face à la crise syrienne, avec ses conséquences humaines dramatiques, ne peut pas être acceptée par la conscience universelle. Elle nuit à la crédibilité de notre système de sécurité collective.

L’initiative française, portée par le président Hollande devant l’Assemblée Générale des Nations unies en septembre 2013, de l’adoption d’un code de conduite pour l’encadrement de l’usage du veto est ainsi plus que jamais d’actualité.

Le code de conduite consisterait en un accord des cinq membres permanents (P5) pour s’abstenir de recourir au veto dans les situations d’atrocités de masse. Il s’appliquerait lorsque sont commis des crimes de génocide, des crimes contre l’humanité ou des crimes de guerre sur une grande échelle. Pragmatiques, nous proposons que cet encadrement résulte d’une démarche volontaire et collective entre les membres permanents. Nous ne sommes pas les premiers à proposer une telle initiative, déjà suggérée en 2004 par le Groupe de personnalités de haut niveau sur les menaces, les défis et le changement dans ses recommandations sur la réforme du Conseil de sécurité.

Les critères permettant cet auto-encadrement restent à préciser par les membres permanents eux-mêmes. Par exemple, le code de conduite pourrait être activé dès lors qu’une situation serait portée à l’attention du Conseil de sécurité par le Secrétaire général, de sa propre initiative ou décidant de faire suite à une demande du Haut-Commissaire des Nations unies pour les droits de l’Homme ou de cinquante États-membres.

Beaucoup se sont étonnés de ce qu’ils interprétaient comme une sorte de « sabordage » du Conseil de sécurité. Soyons bien clairs. Pour la France, le veto n’est pas un privilège, ni même un droit. Il correspond au compromis trouvé pour que les membres permanents entrent dans le jeu de la sécurité collective. Cette prérogative implique des devoirs. A l’inverse, son abus mine les fondements du pacte de 1945 accepté par tous à travers la Charte des Nations unies.

Le premier Ministre britannique Clement Attlee le rappelait en revenant sur la rédaction de la Charte en 1945 : « À San Francisco, nous considérions tous le droit de veto comme quelque chose dont il ne serait fait usage en dernier ressort que dans des cas exceptionnels où les grandes puissances pourraient se trouver en conflit. Nous ne l’avons jamais conçu comme un expédient dont il serait fait constamment usage toutes les fois qu’une puissance déterminée ne serait pas complètement d’accord avec les autres ».

En proposant cette initiative, nous agissons dans l’esprit de la Charte, guidés par l’impératif de la responsabilité de protéger. C’est dans cette même logique que la France est, avec le Royaume-Uni, le membre permanent le plus clairement engagé en faveur d’un élargissement du Conseil.

Pour la France - mais aussi sûrement pour le Royaume-Uni - l’application du code de conduite ne ferait que traduire un état de fait. Ni le Royaume-Uni ni la France n’ont recouru au veto depuis 1989. Nous espérons ainsi rallier nos amis britanniques à notre initiative, car ils sont avec nous à l’origine de plus de la moitié des résolutions votées par le Conseil de sécurité et les premiers à s’élever contre ses blocages récurrents.

L’initiative française a d’ores et déjà reçu de nombreux soutiens. Nous organiserons une réunion ministérielle sur le sujet en marge de la prochaine Assemblée générale des Nations unies en septembre 2014 et poursuivrons notre travail en vue du 70e anniversaire des Nations unies en 2015.

La France continuera ainsi à en débattre avec les autres membres permanents et à tenir de larges consultations avec les autres membres des Nations unies et la société civile, dont le rôle est indispensable.

Nous ne sous-estimons pas la difficulté de la tâche. Mais comme le rappelait le président Kennedy qui rapportait une anecdote mettant en scène le maréchal français Lyautey : « The Marshal Lyautey once asked his gardener to plant a tree. The gardener objected that the tree was slow-growing and would not reach maturity for a hundred years. The Marshal replied, « In that case, there is no time to lose, plant it this afternoon. » [1].

[1Le maréchal Lyautey demanda à son jardinier de planter un arbre. Le jardinier objecta que l’arbre serait long à pousser et n’atteindrait pas sa maturité avant un siècle. Le maréchal lui répondit : "Dans ce cas, il n’y a pas de temps à perdre, plantons-le cet après-midi".