Durant l’Antiquité, la colline de la Pnyx était le siège de l’Ecclésia, l’assemblée des citoyens, qui y votait à main levée les lois et le budget, désignait les membres de la Boulê, de l’Héliée et les magistrats

(Ouverture en grec) Je ne sais pas, Mesdames et Messieurs, si je dois prendre vos applaudissements comme un soulagement que je m’arrête de parler en grec, ou un remerciement de cet essai.

Merci en tout cas… Merci en tout cas, Monsieur le Premier Ministre, Cher Alexis, merci à vous, Mesdames et Messieurs, de m’accueillir en ce lieu, de m’accueillir aujourd’hui où je veux avoir, avant de m’exprimer devant vous, plus qu’une pensée, un partage avec l’ensemble de mes compatriotes qui, depuis hier, vivent l’angoisse, le dénuement, à quelques milliers de kilomètres d’ici, à Saint-Barthélémy et Saint-Martin, qui ont été touchés par un ouragan terrible. Nous avons des victimes, nous avons des vies bousculées, nous avons des dommages graves, et c’est ce soir pour eux que je veux aussi avoir une pensée.

Merci, Monsieur le Premier Ministre, de m’accueillir ici, et je vois, par notre présence, votre présence ce soir, la reconnaissance de l’amitié profonde et séculaire qui lie la Grèce et la France. Car peu de nations ont, comme les nôtres, transmis et hérité en quelque sorte des valeurs qui ont fait et qui font notre Europe. Peu de nations ont intégré si intimement leur propre culture et leur identité. Oui, ces liens qui nous unissent, ce sont ceux de la liberté, des Droits de l’homme, des valeurs qui ont fait notre Europe, et qu’aucune vicissitude de l’histoire n’a pu dénoncer.

Je ne saurais cependant me limiter à l’émotion, si vive soit-elle, que procurent ces lieux de mémoire. Et je veux plutôt me mettre à leur écoute. Parce que ces lieux nous obligent, puisque c’est ici que fut inventée la forme moderne de l’Etat, ici que cette cité d’Athènes construisit patiemment, par la souveraineté du peuple, la souveraineté de son destin, nous devons nous demander sans complaisance « qu’avons-nous fait, nous, Européens, de notre souveraineté ? ». Puisque c’est ici que fut pris le risque de cette démocratie qui confie au peuple le gouvernement du peuple, et considère que le plus grand nombre, c’est mieux que le petit nombre pour édicter une loi respectable, interrogeons-nous : qu’avons-nous fait, nous, de la démocratie ?

Et ces paroles que non loin d’ici, PERICLES prononça en l’honneur des guerriers morts au combat, écoutons-les résonner encore fortement. « La liberté », disait-il, « est notre règle dans le gouvernement de la République, et dans nos relations quotidiennes. La suspicion n’a aucune place. » Mais nous, Européens, nous faisons-nous encore confiance ?

Sur la Pnyx, prévalaient le goût de la parole libre, du débat, voire de la controverse. Aussi, je veux vous tenir ce soir un discours de vérité, un discours sans ambages : en Europe aujourd’hui, la souveraineté, la démocratie et la confiance sont en danger. Vous le savez mieux que personne car ce qu’on a appelé « la crise grecque » l’a révélé au grand jour.

Cette crise n’a pas été seulement une crise de la Grèce. Elle a été une crise de l’Europe, et en un sens, j’ose le dire, un échec de l’Europe. Faut-il se contenter d’en faire le constat amer et renoncer à l’idéal européen ? Parce que nous n’avons pas été à la hauteur de la promesse européenne, faut-il abandonner ce combat ? Ou faut-il – ce qui reviendrait au même – nous résigner aux sommets, crise après crise, péripéties après péripéties, de quelques-uns enfermés dans une salle qui ne parlent plus aux autres ? Ce serait une erreur profonde, une double erreur.

D’abord parce que l’Europe s’est toujours construite en triomphant des guerres et des échecs. La Grèce elle-même put rejoindre la Communauté européenne pour tourner la page des années de dictature militaire. Et l’Europe n’existe pas sans cet inlassable volontarisme ! L’Europe même n’a toujours été qu’une métamorphose ! Ceux qui voudraient fantasmer une identité figée ne savent donc pas quel est le mythe né sur ces rives : celle d’une métamorphose constante ! Ce n’est donc pas la même que nous devons reproduire, surtout lorsque nous nous sommes trompés. Lorsque l’Europe s’arrête, elle se trahit elle-même et elle court le risque de se démanteler.

Ensuite, ce serait une erreur parce que tous, nous voyons l’Histoire s’accélérer, disloquer chaque jour un peu plus l’ordre qui s’était installé depuis trente ans sans que personne ne puisse dire quel ordre surgira des mutations en cours.

Alors oui, dans ce monde où les alliances d’hier, parfois, se fissurent, où des risques nouveaux apparaissent et bousculent des pays que nous pensions indéplaçables, font émerger des puissances nouvelles dans ce monde, où nos valeurs mêmes, ce qui nous tenait dans la certitude que l’ordre établi était le nôtre, sont profondément chahutées. L’Europe est un des derniers havres où nous continuons collectivement de nourrir une certaine idée de l’Humanité, du droit, de la liberté, de la justice. Plus que jamais aujourd’hui, nous avons besoin de l’Europe. Le monde a besoin de l’Europe. En programmer le démantèlement n’aurait à cet égard aucun sens. Ce serait une forme de suicide politique et historique.

Voilà pourquoi ce soir, je veux que collectivement nous retrouvions l’énergie première, la force de refonder notre Europe, non pas de poursuivre ce qui ne va pas ou d’essayer de l’ajuster, mais bien de commencer par l’examen critique, sans concession, de ces dernières années, d’en retrouver la force première, l’ambition première.

Vous l’avez dit, Monsieur le Premier Ministre, il y a eu la génération des fondateurs, ils ont construit un espace inédit de paix, de liberté et de prospérité. Il y a eu une génération qui a fait croître cette Europe, parfois l’a égarée, s’est trompée. La nôtre a un choix simple, une alternative unique : continuer à gérer l’Europe comme elle va, faire semblant de ne pas voir ce qui est sous nos yeux. Alors cette génération prendra la responsabilité de laisser l’Europe mourir. Elle mourra dans des chocs, des sorties brutales, ou elle se délitera progressivement, année après année.

Mais l’autre choix, celui que je veux vous proposer ce soir, c’est celui de la refonder, parce que notre génération peut choisir de refonder l’Europe aujourd’hui, maintenant, par une critique radicale car nous avons tort de laisser la critique de l’Europe à ceux qui la détestent ! Ceux qui aiment l’Europe doivent pouvoir la critiquer pour la refaire, pour la corriger, pour l’améliorer, pour la refonder ! Mais avec cette même énergie, cette même envie, pas celle des chiffres, pas celle de la technique, pas celle de la bureaucratie, non ! Nous devons retrouver la force première de l’espérance qui a fait qu’après-guerre, qu’en tous les divisés, quelques-uns en Europe ont voulu une histoire plus grande, plus belle qu’eux-mêmes.

Alors oui, c’est pour parler de ces espérances, de ces trois espérances, de souveraineté, de démocratie et de confiance que je suis là ce soir.

La reconquête de notre souveraineté, c’est une nécessité première. Parce que je ne laisserai pas ce terme à ceux qu’on appelle les « souverainistes ». Non, la souveraineté, c’est bien ce qui fait que nous décidons pour nous-mêmes, que nous nous fixons nos propres règles, que nous choisissons notre avenir, et ce qui fait notre monde. La souveraineté n’est pas la propriété de celles et ceux qui préfèrent le rétrécissement sur les frontières ! La souveraineté, ne la laissez pas à celles et ceux qui veulent le recroquevillement, à celles de ceux qui prétendent qu’on défend, qu’on protège, qu’on décide, quand on se replie sur soi, qu’on déteste l’autre, qu’on ferme la porte à ce qui vient de l’extérieur, qu’on renie des décennies d’histoire commune où nous avons cherché enfin à dépasser les nationalismes !

La souveraineté véritable, elle construit, elle doit se construire dans et par l’Europe ! Celle dans laquelle nous croyons ! La souveraineté que nous voulons, c’est celle qui consiste précisément à conjuguer nos forces pour bâtir ensemble une puissance européenne pour pouvoir décider ne pas subir ce que les superpuissances feront mieux que nous.

Je crois dans la souveraineté, les souverainetés nationales qui sont les nôtres, mais je crois dans cette souveraineté européenne. Pourquoi ? Parce que nos défis ne sont plus à l’échelle de nos nations. Regardez le changement climatique et les cataclysmes qu’il produit ! Regardez le défi des migrations que votre pays a eu à affronter, il y a un peu plus de deux ans et dont il connaît encore aujourd’hui les conséquences, la crainte qu’il fait naître, les belles histoires qui en surgissent. Regardez le terrorisme qui, dans chacune de nos sociétés que nous pensions à l’abri de l’histoire, est revenu fracasser des vies et nous faire douter. Regardez les puissances nucléaires qui émergent là où nous pensions avoir des puissances secondaires.

Face à ce monde-là et chacun de ces risques nouveaux, face au risque des crises économiques et financières que nous avons subies, que vous avez subies il y a maintenant près de dix ans en votre cœur, quelle est la bonne protection ? Les Nations seules ? Allons, ces gens-là sont-ils raisonnables ? Veulent-ils encore mentir au peuple ? Non, les nations ont un poids ! Elles décident démocratiquement ! Mais oui ! La bonne échelle est l’échelle européenne ! Notre souveraineté européenne est ce qui nous permettra d’avoir des champions du numérique, de construire une économie forte, et faire une puissance économique dans ce monde qui change. Et non pas subir la loi des plus grands qui sont américains et demain chinois, mais qui ne sont pas les nôtres.

C’est par l’Europe que nous construirons les moyens de nous protéger de cette grande bascule du monde, des nouvelles migrations, mais surtout de les prévenir. C’est par l’Europe que nous construirons une ambition de développement avec l’Afrique, le Proche et Moyen-Orient, pour pouvoir y exister, les aider à se développer et construire un avenir.

C’est par l’Europe des coopérations nouvelles et plus fortes que nous préviendrons le terrorisme et que nous arriverons à l’éradiquer. Et parce qu’il ne faut jamais oublier que les terroristes, justement, n’attendent qu’une chose de nous : ce rétrécissement, ce rapetissement, cette peur de l’autre. C’est cela, leur plus grande arme. Alors n’y cédons rien.

Face à tous ces risques, je crois, avec vous, dans une souveraineté européenne qui nous permettra de nous défendre et d’exister, de nous défendre en y apportant nos règles, nos préférences. Qui protègera le respect de vos vies, les données de vos entreprises dans ce monde numérique ? L’Europe, et nul autre espace. Qui nous protègera, face au changement climatique ? Une Europe qui veut une autre forme de production de l’énergie, une Europe qui nous protégera de la dépendance à l’égard de puissances autoritaires qui nous tiennent parfois dans leurs mains. C’est cela, cette souveraineté dans laquelle nous devons croire, avec laquelle nous devons renouer, parce que nous avons nos propres préférences européennes, et nous ne devons jamais l’oublier. Ne pas être souverain, c’est décider que d’autres choisiront pour nous.

Mais sommes-nous comme eux ? Y a-t-il un autre continent avec un tel attachement pour la liberté, la démocratie, les équilibres sociaux qui nous tiennent ensemble, cette réconciliation de la justice et de la liberté, enfin réunies ? Je connais des espaces où on aime l’économie, le développement, mais où l’autorité politique prévaut sur la liberté, en Asie. Je connais des grandes puissances qui aiment la liberté, qui ont réussi dans le capitalisme, mais qui n’ont pas le même attachement que nous à l’égalité et à la justice sociale, de l’autre côté de l’Atlantique.

Mais nulle part ailleurs, il n’y a un tel espace politique, social où les préférences collectives qui sont les nôtres sont ainsi défendues. C’est cela, la souveraineté européenne ! Si nous y renonçons, c’est simple : nous subirons les règles ou de l’un, ou de l’autre.

Oui, le choix qui est le nôtre, c’est bien de refonder celle-ci, sans répliquer les erreurs d’hier.

Nous avons, pendant les premières années de la zone euro, commis des erreurs multiples, qui ont reposé sur des mensonges, parfois, il faut bien le dire ici aussi avec humilité et détermination. On a parfois menti et on a menti au peuple en faisant croire que, sans rien réformer, on pouvait vivre à Athènes comme à Berlin, et ce n’était pas vrai. Mais qui a-t-on fait payer ? Les responsables politiques qui avaient menti ? Non, le peuple qui avait cru des mensonges.

C’est le peuple grec qui, après toutes ces années, lorsque la crise est survenue, cette crise financière devenue une crise des dettes souveraines, c’est le peuple grec qui a payé, des années durant lesquelles on a voulu corriger tout cela par des politiques qui, mues par la défiance, ont d’un seul coup créé, il faut bien le dire, des injustices et des incompréhensions. Nous avons perdu le sel de ce goût pour la cohésion sociale, ce qui nous tenait. Nous l’avons perdu parce que nous, nous sommes perdus dans une guerre civile, au sein de l’Europe, entre des puissances qui ne se faisaient plus confiance.

C’est cela, l’histoire de la décennie qui s’achève : une forme de guerre civile interne où on a voulu regarder nos différences, nos petites trahisons et où nous avons en quelque sorte oublié le monde dans lequel nous étions ; où nous avons préféré corriger ces petites différences et ces petites trahisons en oubliant que face à nous, il y avait des puissances radicalement différentes, et que la seule question qui nous était posée, c’est : comment faire de la zone euro une puissance économique qui puisse tenir, face à la Chine et face aux Etats-Unis ? Comment faire de notre Europe une puissance diplomatique et militaire qui puisse défendre nos valeurs et nos intérêts, face à des régimes autoritaires qui émergent des crises profondes qui peuvent nous bousculer. C’est cela notre seul défi, et pas un autre.

Alors oui, je veux que nous retrouvions, par la réconciliation d’une Europe qui sait conjuguer à nouveau la responsabilité et la solidarité, la force d’une souveraineté qui ne soit pas que nationale mais bien européenne.

Cela passera par des objectifs communs : une volonté de défendre ce qui nous a fait par des réformes institutionnelles indispensables. Dans les prochaines semaines, j’y reviendrai en détail avec une feuille de route que je proposerai à l’ensemble de nos partenaires européens. Mais oui, il faudra une Europe dans laquelle nous osons à nouveau défendre la convergence sociale, fiscale, parce que c’est ce qui nous tient réunis, et évite les divergences qui nous éclatent. Il faudra retrouver le sel de cette zone euro et inventer une gouvernance forte qui nous fera souverain, avec un budget de la zone euro, avec un véritable responsable exécutif de cette zone euro, et un parlement de la zone euro devant lequel il devra rendre compte.

Il nous faudra, par des propositions concrètes que je veux rapides, refonder cette souveraineté pour que notre Europe sorte de ses petites divisions et puisse construire, d’ici à dix ans, les termes de sa souveraineté. Pas pour ceux d’hier ; pour vous, les plus jeunes.

Nous ne pouvons, nous qui dirigeons aujourd’hui l’Europe, faire comme si de rien n’était. Nous avons encore ce luxe. Mais dans dix ans, quinze ans, vingt ans, quelle Europe nous vous laisserons ?

Je ne veux pas vous écrire votre avenir, mais je veux simplement que vous ayez la possibilité de choisir, que vous ayez ce luxe que nous avons eu, de faire des choix, difficiles parfois, certes, mais de choisir. C’est cela, la souveraineté européenne. C’est ce qui vous permettra, à vous, jeunesse d’Europe, d’écrire votre avenir. C’est ce qui fait que, en aucun cas, ce que nous avons vécu ces dix dernières années, n’est à la hauteur de notre Histoire ! Parce que qu’est ce que nous avons promis à la jeunesse grecque ? Nous lui avons donné quoi depuis dix ans ? L’austérité et le chômage pour la moitié d’entre elle ! Nous lui avons proposé quoi ? Un avenir radieux, si elle voulait bien aller à Berlin, à Paris ou ailleurs. Ce n’était pas la promesse initiale. La promesse initiale était bien celle d’une Europe souveraine où on pouvait aussi réussir chez soi, dans un espace plus grand et plus fort que nos simples nations. Alors, c’est cela ce que nous devons retrouver, c’est cela le cœur d’une souveraineté européenne, celle qui vous permettra à vous, les plus jeunes, de choisir !

Cette souveraineté qui est la capacité des nations à décider de leur destin, qu’est-elle si ce n’est pas le peuple qui décide du cap qu’ensemble nous poursuivrons ? Et comment ne pas voir que la défaite de l’Europe depuis tant d’années est aussi une défaite de la démocratie ?

Par l’ampleur qu’il a prise, l’élargissement qu’il a connu, la diversité qu’il a adoptée, le projet européen s’est soudain heurté voilà un peu plus de dix ans à un refus du peuple, des peuples. Ce qui s’est passé en 2005 en Europe, en France, aux Pays-Bas, ce sont des peuples parmi les Etats fondateurs qui ont d’un seul coup décidé que ce projet n’était plus pour eux. Les avons-nous entendus ? Non. Ceux qui dirigeaient l’Europe ont décidé de ne pas respecter ce choix ; ils ont fait comme si de rien n’était, ont cherché des accommodements à côté du peuple comme pour continuer une méthode qui pendant des décennies avait si bien réussi, celle de faire l’Europe un peu à part et d’expliquer ensuite.

Ce qui s’est passé en 2005, c’est qu’une page s’est tournée et nous ne l’avons pas vu tout de suite, c’est que l’Europe ne peut plus avancer à part des peuples ; elle ne peut continuer son destin que si elle est choisie, voulue et donc expliquée, portée par l’ensemble des peuples d’Europe et ce qui s’est passé il y a quelques mois au Royaume-Uni, ce n’est pas une autre histoire, c’est soudain le peuple de cette île qui s’est réveillé contre des choix bien souvent portés par ses propres gouvernants et qui a dit « cette Europe-là n’est pas faite pour moi, je ne m’y retrouve pas, je ne la comprends plus. Ces règles sont devenues absurdes, regardez cette Europe où je perds mes propres droits, où on me demande toujours plus d’efforts pour vivre moins bien. » C’est cela ce qui a été dit par le peuple britannique l’année dernière.

Alors oui, ces votes ont marqué l’arrêt d’une aventure qui faisait que l’Europe avait toujours avancé comme à l’abri de la volonté de nos peuples. Et lorsque je combats les dérives parfois bureaucratiques qui font que l’Europe voudrait avancer par des règles que nos citoyens ne comprennent plus, qui voudraient faire que l’Europe avance en s’occupant de chaque détail du quotidien parce qu’elle a perdu son grand dessein, c’est pour retrouver le sel de cette démocratie européenne, lorsque que je me bats pour que nous puissions réviser la directive des travailleurs détachés, je me bats contre cette Europe qui a fini par produire des règles absurdes où nos peuples ne parviennent même plus à comprendre les sociétés dans lesquelles nous voulons les faire vivre.

Tout ce qui nous a tenus pendant des décennies se disloque parce que ces fonctionnements deviennent absurdes. De cela, nous devons prendre notre part ; c’est nous qui croyons en l’Europe, qui avons permis que sa démocratie se fissure, qu’elle s’éloigne des peuples et les rende hostiles et de même que nous devons avoir le courage de retrouver le chemin de la souveraineté, nous devons avoir l’autre courage de retrouver la voie de la démocratie.

Cela passera d’abord par une autre méthode pour refonder l’Europe, voilà pourquoi je souhaite que cette feuille de route que je veux proposer à l’ensemble des États membres de l’Union européenne, cette feuille de route pour construire l’avenir de notre Europe sur les dix années qui viennent, je ne propose pas que ce soit un traité négocié en catimini, que ce soit un texte discuté derrière des portes dans une salle obscure à Paris, Bruxelles ou Berlin, non je propose que nous essayons une méthode nouvelle, que d’ici la fin de l’année, nous puissions construire les grands principes de la démarche, ce vers où nous voulons emmener notre Europe, de définir nos objectifs de manière claire et que nous puissions à partir du début de l’année prochaine les soumettre aux peuples européens. Que partout où les dirigeants choisiront de suivre cette voie, et je le souhaite avec ardeur, dans chacun des Etats membres, nous puissions pendant six mois organiser des consultations, des conventions démocratiques qui seront le temps durant lequel partout dans nos pays nos peuples discuteront de l’Europe dont ils veulent.

Enfin, je veux que nous sortions de cet espèce de dilemme infantile dans lequel l’Europe est aujourd’hui plongée ou d’un côté les uns veulent aller chercher le peuple pour lui faire dire un « oui » ou un « non » qu’ils manipuleront pendant des mois, où le référendum devient l’arme seule des populistes, des anti-européens et ou de l’autre côté, ceux qui croient dans l’Europe vraiment finissent par avoir peur de leurs peuples et se cachent derrière leurs propres doutes et se disent « avançons mais ne changeons jamais les traités de peur d’aller faire à nouveau un référendum, avançons mais faisons-le à petits pas entre nous, le peuple ne comprendra pas cela. »

Choisissons une autre voie, une troisième, la voie inventée ici, la voie inventée à l’endroit même où nous nous trouvons, qui n’était pas celle de la démagogie : c’était celle de la démocratie, de la controverse, du débat de la construction par l’esprit critique et le dialogue, celle qui consiste en rentrant dans l’intimité de chacune des questions et de leur complexité, à savoir ce que nous voulons pour la cité commune. C’est cela ce que je veux durant le premier semestre de l’année 2018 dans tous les pays de notre continent, de notre Europe, retrouver le sel de ce qui a été inventé à l’endroit où nous nous trouvons, ce qui a fait nos démocraties. Alors oui par ces conventions démocratiques durant six mois, débattons de cette feuille de route que les gouvernements auront construite dans ses principes et retrouvons-nous six mois plus tard pour en faire la synthèse et sur cette base, débattue, partagée par des débats sur le terrain, par des débats numériques partout en Europe, construisons ce qui sera le fondement d’une réinvention de notre Europe pour les dix ans, les quinze ans, qui viennent, construisons les termes de ce que nous voulons vraiment ensemble. C’est cette ambition que je veux en méthode pour les mois qui viennent !

Remonter l’histoire grecque, c’est rencontrer la force de cette démocratie, la force de ce débat et c’est cela ce que je veux qu’ensemble nous puissions retrouver pour notre Europe. Mais je veux, au-delà, que le fonctionnement quotidien de l’Europe de demain soit plus démocratique à nouveau, que nous sortions des règles inventées par quelques-uns pour le plus grand nombre et que nous retrouvions plus de démocratie dans notre fonctionnement quotidien.

C’est pour cela que je veux défendre pour les prochaines élections européennes des listes transnationales. Nos amis britanniques décident de nous quitter, n’essayons pas de nous réattribuer nation par nation les quelques places qu’ils libèrent au Parlement européen, non ! Considérons qu’enfin nous pouvons avoir un débat européen, des listes européennes, une vraie démocratie européenne qui vivra à travers les pays et demain si nous voulons une zone euro plus intégrée, un cœur d’Europe à l’avant-garde, donnons plus de forces démocratiques, mettons en place un Parlement de la zone euro qui permettra de construire les règles d’une responsabilité démocratique de celles et ceux qui prendront des décisions, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui

C’est tout cela, ce que je veux qu’ensemble nous puissions retrouver parce que l’aliment véritable de l’Europe, ce n’est pas la fascination pour la norme, c’est la vitalité démocratique. Renouer avec la promesse initiale de l’Europe, c’est possible si nous assumons notre désir de souveraineté et notre besoin de démocratie. Pour citer de nouveau PERICLES, nous ne ferons rien dans la défiance et la trahison. Depuis plusieurs années, cette défiance a rongé l’adhésion que requiert le projet européen, elle a corrodé la confiance et celle-ci doit cependant trouver à se rebâtir et pour cela, retourner au sens même de l’aventure européenne, à la conviction profonde qui l’étaye est indispensable.

Nous, Européens, nous partageons une histoire et un destin, c’est parce que nous retrouverons le fil de ce chemin que nous pourrons rebâtir la confiance. Voyez l’endroit où nous sommes ; apercevez encore dans la nuit qui arrive la colline derrière moi l’Acropole. Qui que vous soyez, quel que soit votre âge, votre nationalité, votre origine, dites-moi citoyens européens si le miracle de cette colline, ces colonnes du Parthénon, cette silhouette de l’Erechthéion et de ses cariatides n’éveille pas en vous le sentiment que quelque chose est né là qui vous concerne, qui vous appartient qui vous parle !

Oui l’Acropole d’Athènes est un miroir tendu à notre identité européenne, nous nous y reconnaissons, nous y lisons notre destin commun et ce temple fut celui des dieux antiques, mais aujourd’hui les croyances qui l’ont fait naître ont disparu et pourtant nous pensons encore à cette force. Nous sentons encore sa part sacrée.

Il y a comme le disait MALRAUX, il y a près de soixante ans ici même, il y a une Grèce secrète qui repose dans le cœur de tous les hommes d’Occident. Cette Grèce secrète, c’est ce qui nous dépasse, ce qui fait que si nous acceptons de nous prendre dans nos petits débats européens et ces guerres civiles que j’évoquais tout à l’heure, il suffit que nous soyons plongés à quelques milliers de kilomètres pour reconnaître un Européen, une image qui nous rappelle l’Europe, un sentiment qui nous unit, une odeur, une couleur, une lecture qui fait que nous nous sentons à nouveau européens.

Cette Europe de la littérature, des cafés, de la discussion publique, d’une convivialité et d’une civilité qui n’existe nulle part ailleurs, c’est celle dont le ciment profond est la culture, notre culture.

Nous ne nous battrons jamais assez pour que les Européens prennent conscience au plus vif d’eux-mêmes de ce socle commun qui depuis des siècles trouve à s’exprimer de mille manières, l’Europe des cénacles, des revues, des voyageurs, des bibliothèques et des idées, l’Europe des capitales lumineuses et des marges fascinantes, cette Europe qui a existé par tant et tant de voies qui ne nous disait même pas parfois son nom, qui n’a pas attendu nos institutions, nos traités, nos refondations, nos controverses. L’Europe de madame de STAËL et de Benjamin CONSTANT parlait presque toutes les langues, elle était là, cette Europe depuis tant de siècles qui nous unit, c’est celle de la culture. Et pour que vive cet esprit de reconnaissance et de connaissance mutuelle, pour que nous refondions enfin la confiance européenne, c’est bien par la culture que nous devons repartir !

Les échanges étudiants sont une clé essentielle, la circulation de notre jeunesse doit se faire plus vive encore, les échanges académiques, l’apprentissage de nos langues réciproque, bien au-delà de mes tentatives poussives en début de discours, c’est cela ce qui doit rendre notre Europe vive ; ce ne sont pas des règlementations, des décisions obscures. C’est d’être plus ambitieux encore dans cette Europe de la culture, des échanges universitaires et académiques !

Je veux que dans les propositions que nous ferons, dans cette feuille de route à dix ans, nous retrouvions de l’audace, de l’ambition profonde pour que cette Europe de la culture, de la connaissance, du partage des langues soit profondément refondée.

Il nous faut aussi une Europe du patrimoine. Je parlais de l’Acropole dont la restauration et le nouveau musée ont eu un prix élevé. Tout ce qui incarne notre passé commun – art grec, art romain, art médiéval, baroque au classique – tous ces édifices, toutes ces œuvres sont la substance même de notre mémoire et de notre être.

Les protéger et les faire vivre doit être une préoccupation de tous les Européens. Lorsque la civilisation est attaquée, elle est attaquée dans la culture, dans son patrimoine. Regardez partout au Proche-Orient, au Moyen-Orient ou en Afrique ! Et donc ce patrimoine, nous devons le défendre, le porter, le réinventer, nous le réapproprier parce qu’il est notre identité et notre avenir !

Les quelques concours de l’Union européenne ne suffisent pas aujourd’hui à aider ou la Grèce ou l’Italie quand elles sont face à des défis immenses sur ce sujet de même encore dans tant de pays, et la France ne fait pas exception, où ce qui témoigne de notre histoire sombre parfois dans l’indifférence, voire la négligence.

Je souhaite donc que nous puissions rapidement lancer des Assises du patrimoine au niveau européen afin d’adopter une approche coordonnée de ces sujets, afin de retrouver une ambition véritable du patrimoine et de la culture. Recommençons aussi par la culture et afin que l’Europe protège le patrimoine et réinvente son avenir. Je suggère que ces assises se réunissent à Athènes où tout a commencé et nous verrons que par la culture, nous retrouverons ce qui nous unit, que par la culture et le patrimoine, nous retrouverons cette force de l’échange et de sites qui nous dépasse, de ce qui fait que, au-delà de nos divisions, à chaque moment important de notre Europe, nous avons décidé d’avancer ensemble, de construire quelque chose de plus fort que nous.

Je veux aussi revoir largement les conditions de diffusion des œuvres de l’esprit en Europe, littérature, philosophie, poésie, histoire, géographie, cinéma, spectacle vivant, sciences, sont notre terreau commun. Nous avons donc besoin là aussi de créer des programmes européens d’œuvres prioritaires qu’elles soient issues du patrimoine culturel de chaque pays ou de la création contemporaine. La connaissance des uns par les autres tient à tout cela, à ces rencontres de hasard. Aujourd’hui chacun, éditeur, écrivain, traducteur, créateur s’arrange pour se faire connaître et pour traduire ce qui doit l’être, mais le résultat n’est pas suffisant : nous avons besoin d’organiser ce domaine essentiel de notre culture, de reformer une Europe des traducteurs, des passeurs, de cette ambition culturelle qui nous unit. Ce sont les langues, les inventions, notre imaginaire commun qui ont forgé l’Europe au-delà des différences. Nous sommes nous, Européens, les habitants de cet improbable Babel que la diversité des langues et de traditions ne cesse d’enrichir et d’enthousiasmer.

Alors, oui, ayons à nouveau cette ambition de la culture, par laquelle notre confiance sera refondée. Souveraineté, démocratie, culture, ce sont les trois espérances que je veux offrir à la jeunesse d’Europe, qu’elle s’en empare, qu’elle se les approprie. Leur avenir est là, leur responsabilité, notre responsabilité, la responsabilité de notre génération dont je parlais tout à l’heure est de faire que les plus jeunes retrouvent le sens d’une Europe forte et légitime. Alors oui, peut-être à certains, cette entreprise apparaîtra comme vouée à l’échec. Je sais bien, certains diront : parlons de la technique, des détails, des textes, voulez-vous changer de traité ou pas ? Que modifions-nous et quels articles ? Nous y viendrons mais parce que nous sommes perdus dans les labyrinthes de ces discussions, devenues confuses, nous avons perdu le cap, la volonté profonde et l’ambition. Mais devons-nous pour autant avoir peur de cette ambition extrême ? Devons-nous pour autant avoir peur de ce que les générations qui nous ont précédés n’ont pas craint ?

Imagine-t-on encore la secrète anxiété des fondateurs de l’Europe lorsqu’ils tendirent la main à leurs ennemis de la veille sur un continent encore rempli de ses victimes ? Imagine-t-on la folle ambition qu’on décrivait chez certains lorsqu’ils allaient raconter que nous allions avoir une monnaie commune ? C’était il y a trente ans !

N’avons non plus le droit d’avoir une ambition, nous ? Je pense tout le contraire. Alors le défi que je veux vous lancer ce soir, quelques semaines avant de proposer à l’ensemble des pays européens, ce que la France pense, veut, préfère, à soumettre au débat : avez-vous peur de l’ambition européenne qui vous fera retrouver le sens de la souveraineté, de la démocratie, de la culture ?

Regardez l’heure que nous partageons, c’est ce moment dont HEGEL parlait, ce moment où la chouette de Minerve s’envole. Il est délicieux ce moment parce qu’il a quelque chose de confortable et de rassurant. La chouette de Minerve porte la sagesse mais elle regarde toujours derrière, c’est aussi ce que nous dit HEGEL avec humilité en parlant du philosophe, elle regarde derrière parce qu’il est toujours si facile et si agréable de regarder ce que nous avons, l’espace déterminé de ce que nous connaissons !

Ne vous arrêtez pas à la chouette de Minerve, ayez cette ambition folle à nouveau de vouloir une Europe plus forte, plus démocratique, refondée par sa culture et ce qui nous unit ! Je vous demande vous et en particulier vous, jeunesse d’Europe, d’avoir cette ambition extrême peut-être un peu folle !

Ce que nous espérons est entre nos mains ; désirons-le ensemble pour nous et pour nos enfants ! Alors je vous le promets, nous réussirons ! Suivons-en cela les paroles du poète Georges SEFERIS et je le cite : « Et quand on cherche le miracle, il faut semer son sang aux quatre coins du vent car le miracle n’est pas ailleurs mais circule dans les veines de l’homme. »

Alors donnons une chance à ce miracle ensemble pour notre Europe !

Je vous remercie.