J’ai l’honneur d’appeler votre attention sur une question extrêmement préoccupante pour le Myanmar, à savoir le fait que certains membres du Conseil de sécurité auraient tenté d’inviter la mission d’établissement des faits sur le Myanmar, créée par le Conseil des droits de l’homme, à présenter son rapport au Conseil de sécurité pendant la soixante-treizième session de l’Assemblée générale.

Le Myanmar s’oppose fermement à cette invitation pour les motifs suivants :

1. Le Gouvernement du Myanmar s’interroge sérieusement et sincèrement sur le bien-fondé, la composition et le mandat de la mission d’établissement des faits. Nous craignons par ailleurs que la publication de ce rapport, qui s’appuie sur des on dit et non sur des preuves tangibles, ne fasse qu’exacerber encore les tensions et entrave les efforts consentis par le Gouvernement pour assurer la cohésion sociale qui fait cruellement défaut dans l’État rakhine. Force est de constater que nos inquiétudes sont justifiées : ce rapport, dépourvu d’objectivité, nuit clairement à la cohésion sociale dans l’État rakhine et sape les efforts inlassables déployés par le Gouvernement pour y instaurer la paix et y encourager la réconciliation nationale et le développement.

2. Nous avons des raisons de douter de la sincérité, de l’indépendance et des motifs de la mission. Le 27 août 2018, veille du débat public du Conseil de sécurité sur la situation au Myanmar, elle s’est dépêchée de publier son rapport alors qu’il n’était pas attendu avant le 18 septembre. Nous nous interrogeons sur la raison de cette publication hâtive.

3. Du point de vue de la procédure, il convient de noter que la décision d’inviter la mission d’établissement des faits créée par le Conseil des droits de l’homme, organe subsidiaire de l’Assemblée générale, à faire rapport au Conseil de sécurité est contraire à la règle et que ce faisant, le Conseil outrepasserait son mandat. Accéder à cette requête créerait un fâcheux précédent pour le Conseil et aurait de graves conséquences.

S’agissant de veiller à ce que les crimes commis dans l’État rakhine ne restent pas impunis, le Gouvernement du Myanmar a créé une commission d’enquête indépendante dirigée par l’Ambassadrice des Philippines, Rosario Manalo, éminente diplomate dotée d’une grande expérience dans le domaine des droits de l’homme. La Commission compte également un autre éminent diplomate, l’Ambassadeur du Japon Kenzo Oshima, et deux personnalités influentes du Myanmar. Elle sera chargée d’enquêter sur les allégations de violations des droits de l’homme et sur les problèmes connexes qui ont fait suite aux attentats terroristes perpétrés le 9 octobre 2016 et le 25 août 2017 par l’Armée du salut des Rohingya de l’Arakan dans l’État rakhine, le but étant d’obliger les responsables à rendre des comptes et d’œuvrer à la réconciliation. La Commission s’acquittera de son mandat dans le respect des principes d’indépendance, d’impartialité et d’objectivité, et présentera son rapport dans un délai d’un an. Nous sommes déterminés à traiter tous les cas d’allégations de violations des droits de l’homme pour lesquels il existe des preuves suffisantes. Il faut donner à la Commission d’enquête le temps et la marge de manœuvre dont elle a besoin.

Le Gouvernement du Myanmar s’emploie désormais, à titre prioritaire, à mettre en place les conditions nécessaires au rapatriement volontaire, dans la sécurité et dans la dignité, des personnes ayant fui au Bangladesh. Conformément aux dispositions et aux accords bilatéraux négociés avec ce dernier, le Myanmar est prêt, depuis janvier, à accueillir le premier groupe de rapatriés dont l’identité a été vérifiée. Nous nous félicitons de la récente déclaration de M. Ali, Ministre des affaires étrangères du Bangladesh, qui a dit que le rapatriement du premier groupe de 6 000 déplacés pourrait bientôt commencer.

Pendant la semaine de haut niveau de la soixante-treizième session de l’Assemblée générale, la Chine, le Myanmar et le Bangladesh ont tenu une réunion informelle, en présence du Secrétaire général, qui y avait été convié. Dans une ambiance amicale, les participants ont dégagé rapidement un consensus sur trois points concernant le règlement de la question des personnes déplacées. Un terrain d’entente ayant pu être trouvé, le groupe de travail mixte se réunira pour la troisième fois les 29 et 30 octobre 2018 à Dacca pour arrêter les modalités d’un premier rapatriement à brève échéance.

Nous nous sommes par ailleurs tournés vers nos partenaires régionaux de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN) pour obtenir une aide supplémentaire concernant la situation dans l’État rakhine. Ainsi, nous avons récemment invité les membres de la Troïka de l’ASEAN, à savoir les Ministres des affaires étrangères de Singapour (président actuel), des Philippines (président précédent) et de la Thaïlande (futur président), et le Secrétaire général de l’Association, à venir au Myanmar la première semaine de novembre pour discuter de l’aide que l’ASEAN pourrait apporter à notre pays pour régler les problèmes complexes touchant l’État rakhine.

Nous remercions également d’autres pays voisins, notamment la Chine, l’Inde et le Japon, de leur aide et de leur coopération concernant la réinstallation et la réinsertion des rapatriés.

Dans le même temps, nous continuons de coopérer étroitement avec l’ONU. Nous avons signé un mémorandum d’accord avec le Programme des Nations Unies pour le développement et le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés pour qu’ils contribuent à la réinstallation et à la réinsertion rapides et efficaces des rapatriés. Une équipe des Nations Unies a achevé la première phase d’une mission d’évaluation sur le terrain dans 23 villages du nord de l’État rakhine et mène actuellement la deuxième phase dans 26 villages supplémentaires.

Nous maintenons également un dialogue constructif avec le Secrétaire général et, en particulier, avec son Envoyée spéciale, qui se trouve actuellement au Myanmar. Le Gouvernement a déjà approuvé l’ouverture du Bureau de l’Envoyée spéciale lors de sa première visite à Nay Pyi Taw.

Nous souhaitons par ailleurs continuer de coopérer avec le Conseil de sécurité dans un esprit constructif et dans un climat de respect mutuel en vue d’œuvrer à la résolution des problèmes complexes, humanitaires notamment, qui touchent l’État rakhine. En effet, la compréhension mutuelle et la coopération sont le seul moyen de réaliser notre ambition partagée : trouver une solution durable à cette situation.

Faire passer l’obligation de rendre des comptes avant tout, sans prendre en considération les progrès réalisés dans d’autres domaines, est une manœuvre périlleuse qui conduira à l’échec. L’adoption de mesures de contrainte unilatérales ne tenant pas compte de la situation au Myanmar et le maintien de pressions politiques extérieures porteront atteinte à la volonté témoignée par le Gouvernement du Myanmar de coopérer de bonne foi avec la communauté internationale. La présentation, par la mission d’établissement des faits, de son rapport au Conseil de sécurité ne contribuera pas à instaurer la paix et l’harmonie dans l’État rakhine ni à y promouvoir la réconciliation nationale et le développement. Elle ne fera qu’exacerber la méfiance et la polarisation des différentes communautés qui s’y trouvent et affaiblira le dialogue constructif engagé par l’ONU et le Myanmar.

Le Myanmar continue de s’attendre à ce que, sur une question aussi complexe et sensible que celle de l’État rakhine, l’ONU se montre constructive et aide le Gouvernement à trouver une solution durable.

Je vous serais reconnaissant de bien vouloir faire distribuer le texte de la présente lettre comme document du Conseil de sécurité.

Source : Onu S/2018/929