Sujet : IVG

Audition de : Maya Surduts, Valérie Haudiquet, Danielle Abramovici et Marie-Caroline Guérin

En qualité de : secrétaire générale et membres de la Coordination nationale pour le droit

à l’avortement et à la contraception (CADAC),

Par : Délégation aux droits des femmes de l’Assemblée nationale (France)

Le : 19 septembre 2000

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Mes chers collègues, nous accueillons aujourd’hui Mme Maya Surduts, secrétaire générale, et Mmes Valérie Haudiquet, Danielle Abramovici et Marie-Caroline Guérin, membres de la Coordination nationale pour le droit à l’avortement et à la contraception (CADAC), association loi de 1901, créée en octobre 1990 pour lutter contre les actions commandos menées contre les CIVG. La CADAC s’est particulièrement préoccupée du statut des CIVG et du remboursement des pilules contraceptives. Ce n’est pas une association de praticiens ou de terrain, elle ne reçoit donc pas directement le public ; c’est une association regroupant plusieurs associations.

La Délégation aux droits des femmes ayant centré son rapport annuel sur le thème de l’IVG et de la contraception, nous avons souhaité vous rencontrer pour évoquer avec vous ces questions, dans la perspective du projet de loi annoncé par Mme Martine Aubry, qui doit être adopté en Conseil des ministres le 4 octobre prochain et qui porte sur la révision de la loi Veil et de la loi Neuwirth.

Mme Maya Surduts : En premier lieu, je souhaite vous transmettre divers documents concernant la CADAC, ainsi que deux pétitions récentes lancées par la CADAC, le Planning familial et l’ANCIC, avec lesquels nous travaillons en partenariat depuis des années. Ces deux pétitions, qui expriment nos positions en matière d’IVG, ont été élaborées au mois de juillet, l’une à destination des femmes et l’autre à destination des professionnels de santé.

Je voudrais appeler votre attention sur deux points. D’une part, nous siégeons au comité de pilotage du projet de loi sur l’IVG et la contraception et nous avons donc accompagné tout son processus d’élaboration. D’autre part, ayant été à un moment donné très préoccupées par la tournure prise par les événements, nous avons fait ce que nous pensions utile auprès des médias.

Nous sommes extrêmement satisfaites de voir, après vingt-cinq ans, que ce gouvernement a enfin créé les conditions favorables à l’adoption d’une réforme. Mme Martine Aubry avait demandé au Professeur Israël Nisand en 1998, un rapport faisant le point de l’application des lois sur l’avortement et la contraception. Je tiens néanmoins à souligner brièvement à quel point les trois organisations - Mouvement français pour le planning familial, Association nationale des centres IVG et contraception (ANCIC) et CADAC - ont été déçues par le comportement de M. Israël Nisand. Ces trois associations, qui ont travaillé sans relâche pendant un an avec lui, ont ressenti un véritable sentiment de trahison. Nous avions même craint, à un moment donné, que le gouvernement ne soit influencé par ses prises de position, mais nous sommes satisfaites de constater que tel n’est pas le cas. Nous savons également qu’un certain nombre d’entre vous ont beaucoup _uvré et se sont mobilisées afin de faire aboutir le processus de réforme.

Nous tenons à dire notre satisfaction sur les dispositions concernant l’allongement des délais. La CADAC, le Planning familial et l’ANCIC se sont prononcés en faveur de la dépénalisation et de l’absence de délai, mais nous n’ignorons pas que ce délai de douze semaines permettra à une majorité de femmes (80 %) de trouver une solution en France. Il est inadmissible que la quatrième puissance mondiale accepte aujourd’hui que cinq mille femmes partent à l’étranger pour avoir une IVG.

S’agissant des mineures, nous sommes favorables à la suppression de l’autorisation parentale. Néanmoins, nous prenons acte de l’avancée proposée qui permettra à une jeune femme, qui ne peut obtenir l’autorisation parentale, d’obtenir néanmoins une IVG ainsi qu’un accompagnement avant, pendant et après cet acte.

Quant à la question de l’IVG pour les femmes étrangères, elle a été réglée définitivement le 22 juin dernier.

En 1975, il n’était pas possible d’obtenir plus, mais les problèmes rencontrés aujourd’hui sont liés aux insuffisances de la loi. A l’époque, nous n’étions pas d’accord avec le non-remboursement de l’IVG, la France étant alors le seul pays à avoir une loi autorisant l’IVG, mais ne prévoyant pas son remboursement. Nous aurions d’ailleurs souhaité que ce remboursement entre dans le cadre du budget de la sécurité sociale et non pas qu’il figure dans un budget spécifique.

S’agissant des mineures, il convient d’évoquer le problème des inégalités sociales, ainsi que de l’information permanente.

Les hôpitaux doivent disposer de moyens et les CIVG et centres de contraception doivent avoir un véritable statut unique, ainsi que le stipule une circulaire de 1982 qui n’a jamais été appliquée. Cette circulaire de 1982 a été adoptée à la suite de deux manifestations, organisées en 1979, en faveur de CIVG et de centres de planification familiale uniques.

Nous souhaitons le remboursement de tous les moyens de contraception et attendons avec impatience l’arrivée sur le marché de la pilule générique de troisième génération, car actuellement 1,6 million de femmes ne sont pas remboursées de leurs frais d’achat de cette pilule contraceptive.

Mme Danielle Abramovici : Je suis infirmière au CIVG de l’hôpital Saint-Louis. Mme Maya Surduts a insisté sur le fait que nous sommes favorables à des centres uniques qui allient à la fois la contraception et l’IVG, car nous pensons important pour les femmes d’avoir une structure particulière. C’est une situation très difficile pour une femme, lorsqu’elle vient pour une IVG, soit de se retrouver dans un service de maternité et de côtoyer des femmes qui ont des bébés, soit d’aller dans un service de gynécologie où les femmes sont venues consulter pour des problèmes d’infertilité. La femme ne doit pas être culpabilisée lors d’une IVG : c’est un moment particulier de sa vie ; il est important qu’elle soit bien reçue par un personnel motivé et formé et non par un personnel de remplacement qui travaille à certains moments dans d’autres structures.

Il faut des moyens et des médecins qui aient un statut spécifique, car les CIVG souffrent d’un problème de recrutement de médecins par manque d’attractivité de leur statut. Ils sont souvent composés de médecins vacataires, qui peuvent être remerciés du jour au lendemain.

De plus, dans le cadre de leurs études, les médecins devraient recevoir une formation particulière à l’IVG. Cela permettrait d’éviter les situations dramatiques rencontrées pendant l’été, lorsque les CIVG sont fermés et que les femmes, par manque de médecins compétents et de CIVG, dépassent le délai légal et sont obligées de partir à l’étranger.

Par ailleurs, la mise en place de structures de planning familial est nécessaire afin d’aider à la contraception et de permettre un suivi après l’IVG, de manière à ce que cette IVG ne soit qu’un passage dans la sexualité et la maternité des femmes.

Au CIVG de l’hôpital Saint-Louis, nous avons dû nous adjoindre les services d’une assistante sociale, car de plus en plus de femmes dans la précarité venaient consulter dans des situations dramatiques. Ces centres spécialisés spécifiques sont importants car, comme à Saint-Louis où cela commence à se mettre en place, ils permettent d’établir des liens avec les lycées voisins et d’éduquer les jeunes dans un lieu privilégié et non pas dans un service hospitalier, où ils ont du mal à se rendre. Dans un centre spécifique, avec du personnel formé à cet effet, un travail peut se mettre en place avec les jeunes.

En conclusion, il faut des moyens et des centres qui allient la contraception et l’interruption volontaire de grossesse et qui disposent du soutien de médecins motivés et informés.

Nous sommes satisfaites que des moyens soient régulièrement alloués pour les CIVG. Néanmoins, il conviendrait d’en faire un suivi et que leurs critères d’attribution soient mieux précisés. Une des raisons pour laquelle il est préférable d’avoir des centres spécifiques, c’est que, si le CIVG fait partie d’un service hospitalier, par exemple la maternité, il peut y avoir un risque que les fonds soient alloués plus particulièrement à la maternité qu’au CIVG.

Mme Valérie Haudiquet : S’agissant des mineures, je voudrais dire notre satisfaction que figure, dans les dispositions du projet de loi, la possibilité d’une IVG pour les mineures qui se trouvent dans l’incapacité d’obtenir l’autorisation parentale. Par ailleurs, s’agissant du financement et du remboursement de cet acte, étant donné que la plupart des mineures sont, du point de vue de leur sécurité sociale, dépendantes de leurs parents et que, lorsqu’elles ne peuvent obtenir leur autorisation, un remboursement de l’IVG par la Sécurité sociale des parents est évidemment exclu, nous souhaitons que soit prévue la possibilité d’une aide médicale pour les mineures, ainsi que pour les jeunes majeures encore dépendantes de l’assurance-maladie de leurs parents.

Je souhaiterais également intervenir sur la question des commandos anti-avortement. Depuis 1995, nous avons dû nous mobiliser très fortement et très régulièrement contre des commandos qui mènent leurs actions devant des cliniques parisiennes.

Grâce à la mobilisation et au rôle qu’ont joué certains élus, nous avons obtenu une prise de conscience. Les préfectures se sont prononcées pour l’interdiction de ce type de rassemblement au motif de trouble à l’ordre public. Ce motif ne nous satisfait pas pleinement, mais cette décision a été pour nous un soulagement. Or, nous avons subi un revers ces derniers mois, puisque cette décision de la préfecture a été contestée en justice, au nom du droit d’expression et de manifestation. De ce fait, depuis quelques mois, les actions commandos, en particulier dans le XIIIe arrondissement devant la clinique Jeanne d’Arc, ont repris. Presque chaque mois, un rassemblement d’opposants à l’avortement s’organise à proximité d’une clinique qui pratique des avortements.

Nous avons pu constater que les opposants à l’avortement avaient de sérieux appuis juridiques et qu’ils ont su faire évoluer leur forme de manifestation.

Nous avons toujours indiqué que les termes de la loi Neiertz nous satisfaisaient pleinement dans la définition qu’elle donnait du délit d’entrave à l’avortement, mais cette loi n’est pas appliquée, puisque ses opposants trouvent toujours le moyen de se rassembler à proximité des cliniques. Malgré notre mobilisation et le relais pris par des comités de quartier qui se sont constitués, qui se renouvellent et s’élargissent, nous ne parvenons pas à venir à bout de ce problème.

Mme Marie-Caroline Guérin : Je voudrais revenir sur le problème des mineures qui connaissent un nombre de grossesses et d’avortements en augmentation. Pour nous, cette évolution est dramatique. Dès lors que des jeunes filles ou femmes ont des grossesses non désirées et avortent, c’est une situation d’échec. Il nous semble donc important de mener une vraie campagne d’information sur la contraception et non pas une campagne ponctuelle tous les dix ans. Il faut des campagnes d’information à répétition, chaque année, pour que quelque chose se mette réellement en place. Le phénomène du sida a généré des campagnes d’information sur le sida, mais le reste des problèmes est passé à la trappe. Nous souhaitons donc des informations différenciées, visibles et continues, sachant que les campagnes d’information touchent les jeunes de façon différente selon leur milieu social.

Même si, à l’Education nationale, il existe des textes, ils restent quelquefois lettre morte sur un certain nombre de problèmes. La première difficulté vient du fait que tous les personnels doivent s’imprégner du contenu du texte et les faire vivre. Les circulaires du 19 novembre 1998 "éducation à la sexualité et prévention du sida" et du 24 novembre 1998 "orientation pour l’éducation à la santé à l’école et au collège" ont remplacé les circulaires de 1996. Ces circulaires de 1998 ont des objectifs spécifiques en ce qui concerne la mise en _uvre des enseignements, la formation des personnels, les séquences d’éducation à la sexualité. Néanmoins, dans la réalité, l’information à la sexualité s’avère difficile à mettre en place. Nous demandons notamment que le Planning familial puisse venir sur les plages horaires de l’éducation à la sexualité. Dans l’établissement où je travaillais l’an dernier, le Planning familial est venu faire de l’information dans toutes les classes du collège. Cela a été possible, car nous avions un personnel mobilisé, une infirmière bien rodée, et ne rencontrions aucune opposition de la part du chef d’établissement, ni des parents d’élèves. Dans ce cas de figure, il existe des possibilités de faire circuler une information à la sexualité. Le Planning familial l’a fait dans mon établissement en refusant les adultes, afin de laisser les élèves du collège s’exprimer entre eux, ce qui est une formule intéressante. Cela dépend des équipes qui viennent dans les établissements. Nous souhaitons que ces circulaires ne restent pas lettre morte et que l’on puisse mener un vrai travail en équipe. Il convient d’ailleurs de souligner que tous les établissements scolaires de l’Education nationale ne disposent pas tous d’une infirmière.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Cette remarque est intéressante car, dans l’heure précédente, nous avons examiné la proposition de loi sur la contraception d’urgence. De fait, nous avons déjà évoqué et repris, dans nos recommandations, les points que vous soulignez.

Mme Marie-Caroline Guérin : S’agissant des inégalités de traitement, un établissement peut cumuler plusieurs handicaps. Un petit établissement en zone rurale n’aura ainsi ni infirmière, ni centre IVG à proximité. Sans même évoquer les zones rurales, j’ai une amie qui travaille dans un petit collège au Kremlin-Bicêtre qui vient d’obtenir, pour la première fois, une infirmière, une demi-journée par semaine.

L’information doit se faire non seulement dans les médias, mais aussi dans les lieux où les jeunes sont présents, la scolarité étant une phase importante de leur cursus ; néanmoins, il ne faut pas oublier tous ceux qui ont "décroché" du système scolaire.

De plus, nous tenons à ce que soit réintroduite la contraception d’urgence dans les établissements scolaires.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Sur ce dernier point, vous êtes dans le droit fil de ce que nous proposons en matière d’information à la contraception et à la sexualité dans les collèges. Outre la présence d’infirmières et le fait que l’enseignement dispensé en quatrième et troisième ne doive pas être uniquement théorique, nous proposons de faire des comités d’éducation à la santé et à la citoyenneté les pivots de la coordination des équipes internes et externes des établissements du secondaire.

Par ailleurs, lorsque nous avons reçu des représentants des lycéens, la semaine dernière, nous avons été frappées par le fait qu’un certain nombre d’entre eux sont tout à fait désireux de se former et de mener des groupes de parole de jeunes sur ces questions. Il y a donc là des dynamiques que l’on peut enclencher et qui peuvent dépasser le cadre académique.

Vous avez, dans votre introduction, insisté sur l’intérêt d’une structure unique pour les CIVG et les centres de planification. On sait aujourd’hui que les CIVG ne se présentent pas tous sous cette configuration, car certains sont rattachés à des maternités et d’autres sont autonomes. Selon votre analyse, l’autonomie des centres semble être un point essentiel. Or, jusqu’à ce jour, dans le cadre des débats que nous avons eus, lors du colloque qui s’est tenu fin mai ou des auditions ultérieures, ce point n’est pas apparu très fortement. Il serait intéressant d’y revenir car, pour ma part, je suis quelque peu surprise de cette revendication.

Nous avons noté vos remarques concernant les difficultés d’application de la loi Neiertz en ce qui concerne les commandos anti-IVG. C’est un point sur lequel nous devrons prochainement nous pencher.

Lors de sa conférence de presse, au mois de juillet dernier, Mme Martine Aubry, ministre de l’Emploi et de la solidarité, avait insisté sur le fait que des permanences téléphoniques seraient mises en place cet été. J’aurais souhaité savoir si elles ont fonctionné ou non, et le bilan que vous en faites. Je souhaiterais également connaître votre appréciation sur les commissions régionales de la naissance qui doivent prendre en compte la dimension IVG et contraception. Les associations sont-elles informées du fonctionnement et de la mise en place de ces différents outils ?

Quelle est votre position sur l’entretien préalable obligatoire en matière d’IVG ? Enfin, sur un sujet qui me tient personnellement à coeur, j’aurais souhaité savoir si vous avez travaillé sur la stérilisation volontaire comme moyen de contraception.

Mme Muguette Jacquaint : Nous avons déjà mené une réflexion approfondie sur certaines des questions posées. Nous avions ainsi reçu les conseillères conjugales avec lesquelles nous avions discuté du problème de l’entretien préalable.

Je partage les avis exprimés sur la contraception et son remboursement. Dans une ville comme la mienne, j’ai fait le constat que les jeunes filles continuent de prendre la pilule de la troisième génération, car on leur dit qu’elle est mieux dosée. Quand une jeune fille ou femme se trouve face à un médecin ou un gynécologue, comment pourrait-elle contester cette prescription, même si son remboursement lui pose de sérieux problèmes ? Depuis des années, on attend un rapport sur la pilule de la troisième génération. Au regard du nombre de jeunes filles et femmes qui utilisent cette pilule de la troisième génération comme moyen de contraception, il conviendrait peut-être d’insister sur son remboursement.

Mme Hélène Mignon : Les centres uniques me semblent être un élément très important. Quand une jeune femme se retrouve dans une maternité pour subir une IVG, psychologiquement, ce n’est bon ni pour la femme, ni pour les soignants. Sur ce point, je suis catégorique. Ensuite, dans le cadre d’une pédagogie de la contraception, il vaut mieux avoir un centre spécifique où la femme reviendra et où le moment difficile qu’elle y a passé restera peut-être moins douloureux dans sa mémoire, car il aura été accompagné.

Pour les médecins et les soignants, c’est une situation difficile que de voir se côtoyer des femmes qui viennent pour des raisons totalement opposées. Entre celles qui viennent dans le souhait d’une maternité et celles qui viennent pour une IVG, il y a forcément, à un moment donné, culpabilité des deux côtés.

Mme Marie-Françoise Clergeau : Les centres uniques me semblent un point intéressant à approfondir.

Mme Danielle Bousquet : Quand on parle de lieu unique et spécifique, je m’interroge sur sa signification. Dans la maternité de l’hôpital public de ma ville, il y a effectivement des locaux spécifiques, mais ils sont néanmoins situés dans le même immeuble. La maternité est au premier étage et le CIVG au rez-de-chaussée. En fait, quand on parle de lieu unique spécifique, il s’agit de ne pas faire se côtoyer dans la même salle d’attente des femmes enceintes ou venant pour une maternité et des femmes venant subir une IVG.

En revanche, il est bon que des femmes, qui ont eu une grossesse et qui ensuite souhaitent une contraception, puissent également venir dans ce lieu. Ce lieu doit être ouvert à toutes les femmes souhaitant une contraception. On ne peut mettre à part celles qui ont avorté et leur donner un accès particulier à la contraception. En fait, c’est un lieu spécifique à certains moments et commun à d’autres. Il ne faut jamais créer de ghetto ou de culpabilisation.

Mme Maya Surduts : Lors de votre colloque, il semble que ce sujet ait été peu débattu. Ces centres sont pourtant une revendication de longue date du Planning, de la CADAC et de l’ANCIC. Un des obstacles à leur mise en place vient d’un problème budgétaire, car ils dépendent, d’une part, du budget global de l’hôpital et, d’autre part, de la DDASS. Mais on peut passer outre à ce problème, si une volonté politique est réellement affirmée. Dans son rapport, le professeur Israël Nisand n’a pas évoqué les CIVG, car il est favorable à des unités fonctionnelles. Nous sommes en désaccord sur ce point. Pour le professeur Nisand, qui a tendance à théoriser son vécu, tout part de l’hôpital ; c’est ce qu’il a fait à Poissy, c’est ce qu’il fait à Strasbourg.

Il a cependant été dans l’obligation d’évoquer les CIVG de la région parisienne où la situation est particulièrement mauvaise. En effet, les deux tiers des IVG sont pratiqués dans le secteur privé, le tiers restant étant effectué dans des centres précaires, localisés dans des hôpitaux, comme le Kremlin-Bicêtre, Béclère, Beaujon, Saint-Antoine, Broussais, Colombes, etc... En revanche, les hôpitaux les plus prestigieux de Paris -Cochin, l’Hôtel-Dieu, La Pitié-Salpétrière- ne pratiquent qu’un nombre totalement dérisoire d’IVG. C’est pourquoi il est nécessaire d’exercer un contrôle sur les financements, notamment sur les 12 millions de francs débloqués par Mme Martine Aubry pour le statut de médecin praticien hospitalier mi-temps, qui doivent être reconduits chaque année. Nous voulons avoir la certitude que ces fonds parviennent au bon endroit pour la pratique des IVG.

L’hôpital Béclère a fait une grève en juin-juillet dernier en faveur de sept de ses médecins, qui ont tous finalement obtenu leur statut. Néanmoins, les personnels ont poursuivi leur grève, car le problème des conseillères conjugales et la revalorisation de leur salaire n’a pas été réglé. Cela fait partie de nos revendications.

Mme Marie-Caroline Guérin : S’agissant des permanences téléphoniques pendant l’été, la région parisienne, notamment le département de Seine-Saint-Denis, a connu une situation très difficile, avec des avortements qui ont fini par coûter très cher, car pratiqués en Angleterre, pour des raisons de délai.

Mme Maya Surduts : Nous avons assisté à des situations terribles. Il y avait tellement de demandes que des femmes ont été renvoyées des Pays-Bas. Par ailleurs, l’autre grand problème était celui du taux de change de la livre anglaise, qui a beaucoup augmenté. De ce fait, en se rendant en Grande-Bretagne, des femmes ont dû débourser des sommes de l’ordre de 5 ou 6 000 francs pour une IVG.

S’agissant de l’entretien préalable, le Planning, la CADAC et l’ANCIC sont contre l’obligation de cet entretien. S’agissant des comités régionaux de la naissance, nous n’y participons pas, car nous sommes une structure militante et non pas une structure de terrain. Nous n’avons donc que des remontées fragmentaires ; il conviendrait de vous adresser au Planning et à l’ANCIC qui participent, dans certaines régions, à ces structures, pour avoir des éléments plus précis.

S’agissant de la pilule générique que Mme Martine Aubry nous avait annoncée, nous l’attendons. Le brevet devait en principe tomber dans le domaine public au milieu de l’année 2000 et à la fin de cette année, une pilule générique aurait dû être disponible. Or, lors du dernier comité de pilotage "avortement et contraception", nous avons été informées que ce serait plutôt au début de l’année prochaine. Ce sujet a été une de nos préoccupations majeures lors de ce comité de pilotage. Il fallait non seulement mener une campagne d’information sur la contraception, mais également créer les conditions matérielles pour que toutes les femmes puissent accéder à la contraception. Les moyens dont disposent les laboratoires sont phénoménaux. Ce sont eux qui financent les revues médicales et nombre de médecins généralistes sont informés par les laboratoires. C’est ce qui explique cette diffusion massive.

Un de nos principes en matière de contraception et d’avortement est que ce sont les femmes elles-mêmes qui décident et non pas les médecins. Ce sont les rares actes médicaux où la femme ne demande pas un diagnostic au médecin, mais lui indique ce qu’elle veut. Ce point heurte les médecins ; ils n’aiment pas que les femmes viennent leur indiquer ce qu’elles veulent, car ils considèrent que, par leur formation, ils sont les seuls à même de dire aux patientes ce dont elles ont besoin. De plus, être enceinte ou veiller au choix de sa fécondation n’est pas une maladie.

On sent un problème central de pouvoir ou un enjeu autre que nous avons du mal à saisir. Existe-t-il une contradiction entre la bioéthique et l’IVG ? C’est ainsi que l’on pourrait expliquer la montée au créneau de MM. Frydman, Nisand et Cohen. Nous avons eu connaissance de la philosophie de leur lettre envoyée à Mme Martine Aubry, dans laquelle ils faisaient part de leur crainte d’une hécatombe si les femmes décidaient d’une IVG après des tests prénataux. Il me semble que des enjeux politiques très importants, dans le domaine de la bioéthique, jouent contre les femmes. Il faut également accepter l’évolution des mentalités et de la réalité, par exemple le fait que les femmes ont des relations sexuelles plus précoces. Les lois doivent être en harmonie avec la réalité.

Mme Valérie Haudiquet : S’agissant de l’entretien préalable, nous sommes opposées à son caractère obligatoire. Pour autant nous ne voulons pas que les conseillères et les autres personnels, qui sont là pour assurer l’accueil des femmes, disparaissent. Nous sommes pour que des entretiens soient proposés, mais sans leur donner un caractère obligatoire, car cela dénature leur objet. On pourrait imaginer, dans certains cas, que l’entretien ait lieu après l’IVG ou au moment souhaité par la femme.

Certaines organisations d’opposants à l’avortement obtiennent encore actuellement l’agrément leur permettant de recevoir les femmes lors de ces entretiens. Les coordonnées de ces associations sont contenues dans le dossier que reçoivent les femmes qui veulent avorter. Quand elles se retrouvent, par méconnaissance, dans un lieu où on leur parle du bébé et des possibilités de le faire adopter, on peut imaginer les réactions que cela peut provoquer.

Mme Danielle Abramovici : Je voudrais revenir sur l’IVG à l’hôpital. Au départ, la loi prévoyait qu’un certain pourcentage d’IVG serait pratiqué, dans tous les services de chirurgie, mais cela n’a jamais été appliqué. Une des raisons en est la clause de conscience des médecins. Sous prétexte de cette clause, certains médecins n’autorisent pas, dans leur service, la pratique des IVG. Sans l’exprimer officiellement, ils refusent les médecins volontaires pour pratiquer des IVG qui se présentent.

Le choix de sa sexualité, de sa maternité et de sa contraception revient à la femme, qui ne doit subir aucune pression. C’est pourquoi, il est nécessaire d’avoir des structures spécifiques ayant du personnel volontaire, motivé et en mesure d’aider la femme. Même si la contraception ne doit pas uniquement se faire dans ce cadre, un centre spécifique peut être un moyen de déculpabiliser la femme, en lui montrant que ce n’est pas seulement un centre IVG, mais que c’est également un centre où elle peut parler de sa sexualité, de ses problèmes de contraception, voire de maternité, d’infertilité, des relations avec son mari. C’est la raison pour laquelle il y faut des personnels du Planning familial, des psychologues et des moyens qu’on ne peut avoir dans un service de maternité ou de gynécologie.

C’est une structure à laquelle les soignants tiennent. Avant de travailler à l’hôpital Saint-Louis, je travaillais à l’hôpital de la Pitié-Salpétrière. Je voyais que mes collègues du service gynécologique vivaient mal leurs relations avec les femmes qui venaient et revenaient pour une IVG, car, en fait, on ne leur avait proposé aucune contraception. Un lieu spécifique ne signifie pas cependant un lieu caché dans l’hôpital.

Par ailleurs, il devrait être possible de choisir sa méthode d’IVG et pouvoir utiliser le RU486 dans des centres, pour des grossesses très précoces. De tels centres n’ont pas besoin d’être très sophistiqués ni de proposer des soins.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Le projet de loi devrait permettre de pratiquer l’IVG médicamenteuse hors de l’hôpital. Ce point me paraît très important, car, dans un hôpital, on effectue un acte chirurgical, mais dès lors qu’on effectue un acte médicamenteux, on change la nature de l’acte ; il n’est alors plus nécessaire d’être à l’hôpital.

Mme Danielle Bousquet : Vous avez évoqué tout à l’heure un centre spécifique, ce sur quoi nous sommes d’accord, avec du personnel formé et motivé. C’est mon souhait, mais comment des gens peuvent-ils être formés et motivés, dès lors que l’on sait que les IVG sont souvent pratiquées par des militants de la génération précédente, qu’il n’y a pas de relève et qu’on a le plus grand mal à trouver des remplaçants ? Par exemple, à l’hôpital central de mon département, il a fallu trouver un remplaçant à l’un des médecins qui pratiquait les IVG. Nous avons écrit aux six cents médecins du département en leur proposant d’être vacataires. Quatre ont répondu. Voilà la réalité. Comment mobiliser les médecins ? Peut-on le faire au travers d’une augmentation de leur rémunération ? Avez-vous mené une réflexion sur ce point ?

Mme Danielle Abramovici : En premier lieu, il faudrait donner une autre idée de l’IVG, car les médecins la considèrent encore comme un acte militant. Il faudrait que l’IVG soit présentée, dans la formation médicale, comme un acte médical normal.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : En écoutant différents témoignages, lors du colloque ou d’auditions ultérieures, j’ai été frappée par le fait que, dans l’esprit des gens, vingt-cinq plus tard, l’IVG est toujours considérée comme un échec et, de ce fait, n’est pas un droit.

Mme Maya Surduts : C’est tabou.

Mme Danielle Bousquet : C’est toléré, mais on ne fait pas changer les mentalités par la loi.

Mme Danielle Abramovici : Le statut des médecins est une composante importante de ce problème.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Il est inacceptable qu’une demi-journée de vacation soit payée 250 francs.

Mme Maya Surduts : C’est pourquoi nous insistons pour qu’il existe des centres où l’on ne pratique pas uniquement les IVG à la chaîne, comme c’est parfois le cas. Afin de donner une autre image de ces centres, il leur faudrait intégrer l’ensemble de la réalité de la vie des femmes en matière de sexualité, que ce soit la contraception, les MST ou la ménopause. La fonction des médecins prendrait alors un autre sens.

La pratique de l’IVG doit être incluse dans le cursus de formation et valorisée en termes financiers. Quand les militants, qui sont là depuis vingt ans vont partir, il n’y aura pas de relève. C’est une autre conception de cet acte qu’il faut avoir. Quand on entend certains dramatiser l’acte, dire que c’est le dernier recours, il faut aussi insister sur le fait que c’est une des grandes conquêtes de ce siècle. Non seulement cela a mis fin à la fatalité des grossesses non désirées et aux décès des femmes, mais cela reconnaît également une autre place aux femmes dans la société que celle d’être sur terre pour faire des enfants. Si ces points sont à mettre en évidence, il ne faut pas non plus occulter le fait que l’IVG fait partie du parcours de la vie d’une femme. La moitié des femmes avortent au moins une fois dans leur vie. L’avortement cristallise les rapports de domination homme/femme.

Par ailleurs, le traitement que les télévisions ont fait des actions commandos a été dramatique. On montrait du sang, c’était le spectacle. On a dit qu’avorter c’est tuer, que la loi Veil est un génocide, pire que l’holocauste. Nos amis du Planning familial constatent que les femmes arrivent de plus en plus culpabilisées. Au sein de la CADAC, nous avons même eu des discussions où certaines disaient ne connaître personne dans leur entourage qui ait avorté. Ce n’est pas vrai. L’IVG ne concerne pas que des femmes jeunes ; il y a des femmes de tous les âges et de toutes les catégories sociales.

Mme Marie-Françoise Clergeau : Les commandos anti-IVG mènent des actions à Paris, Nantes, et commencent à Strasbourg et Lyon. Par ailleurs, je voudrais savoir la façon dont vous avez ressenti la campagne sur la contraception qui a eu lieu il y a quelques mois.

Mme Marie-Caroline Guérin : Elle a été invisible.

Mme Maya Surduts : Insuffisante.

Mme Marie-Caroline Guérin : Dans l’établissement où j’étais l’an dernier, l’infirmière a mis en évidence les dépliants envoyés dans les établissements scolaires, mais il n’est pas certain que cela soit le cas dans tous les établissements de France.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Y a-t-il d’autres points que vous souhaitiez soulever ?

Mme Maya Surduts : Le projet de loi doit à tout prix être adopté cette année.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : La première lecture devrait intervenir fin novembre ou début décembre.

Mme Maya Surduts : Mme Martine Aubry déposera le projet lors du Conseil des ministres du 4 octobre. Ce qui est très positif, c’est qu’il n’y aura désormais qu’une seule loi relative à l’IVG et à la contraception. C’est une avancée considérable au niveau des mentalités qui permet de déculpabiliser les femmes. Plus la législation est libérale et moins on rencontre de problèmes.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : En ce qui concerne le délit d’entrave des commandos anti-IVG, nous avions pensé proposer un amendement. Dans le code de la santé publique, la sanction appliquée aux commandos anti-IVG est de 30 000 francs d’amende ou deux ans de prison. Doit-on augmenter ou non les sanctions ?

Mme Maya Surduts : Les actions ne se font plus à l’intérieur des centres, mais dans l’enceinte de l’hôpital, comme ce fut le cas à Saint-Louis, ou dans des hôpitaux de province et quelques cliniques.

Mme Marie-Caroline Guérin : Mais la justice ne l’interprète plus comme un délit d’entrave à l’IVG.

Mme Muguette Jacquaint : Car il existe un droit de manifestation.

Mme Maya Surduts : Quand la police encadre l’entrée et la sortie d’une rue où se trouve un centre faisant l’objet d’actions commandos, le riverain doit montrer patte blanche pour accéder à la rue elle-même, ce qui n’est pas une situation normale et dont on peut dire qu’elle perturbe l’ordre public.

Mme Maya Surduts : Nous nous sommes constituées partie civile devant le tribunal administratif de Paris. Mais, dans un jugement du 17 mars 1999, rendu à l’occasion de la relaxe du Docteur Dor, la Cour d’Appel de Paris a considéré que la loi Neiertz réprimant les manifestations perturbant les centres d’IVG ne pouvait être appliquée sans atteinte à la liberté de manifester.