N° 2438

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 30 mai 2000.

PROPOSITION DE LOI

tendant à favoriser l’aide aux femmes enceintes en difficulté.

(Renvoyée à la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mme Christine BOUTIN, MM. Pierre-Christophe BAGUET, Renaud DUTREIL, Germain GENGENWIN, Christian MARTIN, Loïc BOUVARD, Jean BRIANE, Dominique CAILLAUD, Jean-François CHOSSY, Léonce DEPREZ, Jean-Pierre FOUCHER, Pierre HÉRIAUD, Patrick HERR, Henry JEAN-BAPTISTE, Édouard LANDRAIN, Maurice LEROY, Maurice LIGOT, Pierre MENJUCQ, Pierre MICAUX, Arthur PAECHT, Jean-Luc PRÉEL, Marc REYMANN, François ROCHEBLOINE et Michel VOISIN, Députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Vingt-cinq ans après l’adoption de la loi de 1975 sur l’interruption volontaire de grossesse, les divers rapports et bilans de l’application de cette loi tendent tous à constater la persistance d’un fort taux d’avortements, malgré la promotion et l’augmentation de la contraception (1) : 220 000 IVG par an ces dernières années, soit une IVG pour trois naissances et un indicateur conjoncturel de 0,55 avortement par femme (2). On peut ainsi considérer que presque une femme sur deux a subi un avortement, en tenant compte des femmes qui en ont subi plusieurs. En raison du nombre de personnes concernées par l’avortement et de ses conséquences psychologiques pour la femme qui le subit et son entourage, le politique est amené à prendre conscience de l’ampleur de cette pratique et à s’interroger sur l’efficacité des mesures en vigueur pour l’éviter. Ces chiffres sont la preuve d’un échec de la prévention de l’avortement dénoncé tant par le Gouvernement que par les médecins (3) et le monde associatif.

Jusqu’à présent, les politiques gouvernementales ont favorisé la promotion de la contraception comme méthode pour prévenir l’avortement. Or, " même s’il existait une politique encore plus volontariste de prévention des grossesses non désirées, il persisterait toujours des demandes d’IVG car les méthodes contraceptives ne sont ni parfaites ni parfaitement utilisées et il y a toujours une réelle différence entre le désir de grossesse et le désir d’enfant " (4). Une utilisation maximale de la contraception ne pourra donc jamais mettre un terme au recours à l’avortement. Les propositions les plus récentes, dont celles du rapport Nisand, ont plutôt tendance à faciliter l’accès à l’avortement, ce qui ne réduira pas le nombre d’IVG pratiquées en France. Une autre approche de ce problème est à envisager : prévenir l’interruption de la grossesse elle-même, en donnant à la femme enceinte la réelle possibilité et les moyens de garder son enfant.

Les lois de 1975 et de 1979 relatives à l’IVG avaient prévu un certain nombre de mesures destinées à informer la femme enceinte se posant la question de l’IVG sur les moyens de mener à terme sa grossesse. De nombreux entretiens et enquêtes font apparaître que l’entretien pré-IVG est de qualité variable (5), qu’il est très rapide et qu’il n’informe pas suffisamment la femme enceinte des conditions et conséquences de l’IVG. De manière générale, les femmes enceintes sont très peu informées du soutien qu’elles peuvent obtenir si elles sont en détresse. Le guide d’information qui devait être actualisé tous les ans ne l’est pas ; il est rarement distribué. Enfin, les commissions d’aide à la maternité prévues par la loi de 1979 n’ont pas été mises en place.

Avant même de formuler de nouvelles propositions pour prévenir efficacement le recours à l’avortement, il est important de prendre conscience des raisons incitant les femmes à avorter. L’avortement est trop souvent la seule issue envisageable par la femme enceinte qui peut subir de fortes pressions économiques ou psychologiques. Le professeur Nisand rapporte que " des grossesses trop rapprochées, un état de santé déficient, un logement trop exigu pour accueillir un enfant de plus, une instabilité du couple ou une instabilité financière (mari ou concubin ou femme elle-même en voie de licenciement, au chômage ou RMI comme seul revenu) sont les principales causes de la demande d’IVG ". On ne peut que regretter de constater que dans un pays développé comme la France un grand nombre des causes évoquées sont des causes économiques (chômage, peur du licenciement, logement, crainte de ne pas pouvoir subvenir à long terme aux besoins de l’enfant).

S’y ajoutent les raisons psychologiques (6), notamment pour les femmes seules qui souffrent du regard porté par la société sur leur grossesse, qui se retrouvent isolées à un moment où elles sont plus faibles et ont besoin d’être entourées. Les femmes craignent également de ne pouvoir offrir un avenir stable à leur enfant ou de ne pas être suffisamment disponibles et prêtes pour l’accueillir. Les difficultés qu’elles ont pour concilier leur vie familiale et leur vie professionnelle les rendent hésitantes à mener leur grossesse à terme ; toute initiative visant à harmoniser et mieux équilibrer les conditions de travail des femmes et à changer le regard des entreprises sur les femmes enceintes contribuera à développer une société plus accueillante à la femme enceinte. La pression sociale, conjugale ou familiale peut conduire les femmes à se résigner à l’avortement malgré elles. De plus en plus de femmes évoquent par ailleurs des pressions médicales ou de leur entourage en faveur d’une IVG pour motif thérapeutique en cas de risque de handicap pour l’enfant ; ces pressions s’avèrent particulièrement traumatisantes dans des circonstances déjà extrêmement douloureuses.

La loi doit réaffirmer avec force, par l’insertion d’un article de principe dans le livre préliminaire du code de la santé publique, qu’aucune pression ne doit être exercée sur la femme enceinte pour l’inciter à avoir recours à l’IVG (article 1er). L’avortement est rarement un choix libre et volontaire ; il apparaît le plus souvent comme la seule issue possible. " L’avortement reste bien l’expression d’une contradiction entre le désir des femmes et les réalités sociales, économiques et familiales " (7).Il existe d’ailleurs d’après les enquêtes un décalage entre le nombre d’enfants désirés (2,3) et le nombre d’enfants nés par femme (1,7).Ce décalage confirme qu’il subsiste dans notre pays des obstacles qui empêchent des femmes de mener leur grossesse à terme alors qu’elles le désirent.

Les médias commencent à se faire l’écho des conséquences psychologiques de l’avortement pour la femme et son entourage, conséquences jusqu’à présent trop souvent méconnues, ignorées et dissimulées. A l’image de l’ouvrage de Lorraine Thiboud (8) (préface par Benoîte Groult), la presse fait régulièrement état de nombreux témoignages poignants et douloureux de personnes subissant les conséquences d’une IVG. L’avortement se traduit souvent par une très grande souffrance qui peut se révéler de nombreuses années plus tard. Il peut être à l’origine de divers troubles ou conflits psychologiques, tels que le chagrin, l’anxiété, l’agressivité, la colère contre soi, le médecin ou les autres, la culpabilité, la peur, la perte de confiance en soi ou le désespoir. Cette souffrance demeure trop souvent un sujet tabou. Les femmes n’en sont pas prévenues et il n’existe aucun service pour les soutenir après leur avortement. Il est nécessaire que soit créé un service de consultation pour le suivi psychologique post-abortif (article 6) à proximité de chaque établissement pratiquant des IVG et que toute femme enceinte en situation de détresse reçoive une information complète sur l’IVG et ses conséquences psychologiques.

La mauvaise information des femmes enceintes sur leurs droits et l’aide qu’elles peuvent obtenir ne contribuent pas à modérer cette pression, à les tranquilliser et à leur faciliter la conduite d’une grossesse à terme. Une femme enceinte a besoin d’être rassurée sur les moyens financiers, matériels et psychologiques dont elles dispose pour mener à terme sa grossesse et créer un foyer accueillant pour son enfant. La loi doit remédier à cette absence d’information. Toute femme enceinte en situation de détresse doit recevoir une information complète sur l’IVG et ses conséquences (notamment psychologiques) ainsi que sur toutes les solutions proposées : aide matérielle, hébergement d’urgence, suivi psychologique, aide éducative à l’accueil de l’enfant, possibilité de confier son enfant à l’adoption, sans qu’aucune pression en faveur de l’adoption ne soit exercée pendant la grossesse) (article 1er). De même, toute femme enceinte en difficulté doit pouvoir être orientée vers des services d’aide, des lieux d’accueil et des centres d’hébergement d’urgence. Pour faciliter la bonne information des femmes, la présente proposition de loi suggère qu’un répertoire des aides économiques, des lieux d’accueil et d’hébergement, des associations et organismes dédiés à l’accompagnement des grossesses difficiles soit créé dans chaque département (article 2).

L’article 3 a pour objectif d’apporter quelques précisions à l’article L. 162-3 du code de la santé publique sur les informations qui doivent être comprises dans le dossier-guide remis par le médecin à la femme qui vient le consulter en vue d’une IVG. Ces précisions concernent notamment la liste des associations susceptibles de la soutenir, la remise du répertoire départemental mentionné à l’article 2 ainsi qu’un tableau lui permettant de calculer facilement le montant des aides financières dont la femme enceinte pourra bénéficier.

Afin de rendre cette politique de prévention de l’IVG réaliste et de l’ancrer dans les besoins concrets des femmes enceintes, il serait nécessaire de créer un Fonds de prévention de l’IVG destiné à subvenir aux besoins des associations et organismes d’accompagnement des femmes enceintes en difficulté afin de les aider à mener leur grossesse à terme et après la naissance de l’enfant (article 4). Les pertes de recettes engendrées par l’instauration de ce fonds seront financées par une fraction de la taxe générale sur les activités polluantes en application de l’article 5 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2000.

La création d’un Observatoire public sur la prévention de l’IVG (article 5) permettrait de faire un bilan annuel sur l’évolution du nombre d’IVG, sur les raisons qui ont conduit les femmes à avorter, sur le suivi psychologique post-abortif, sur les conséquences psychologiques de l’avortement, d’évaluer les ressources publiques accordées aux associations et organismes d’aide aux femmes enceintes et de vérifier le contenu des publications faisant référence à l’IVG.

Cette proposition de loi aborde le problème de l’avortement sans aucun a priori ou jugement sur les femmes qui ont avorté ou qui veulent avorter mais en considérant le drame personnel et collectif que constitue chaque IVG. Elle exprime le souci d’adopter une approche nouvelle pour développer une réelle politique de prévention de l’IVG.


(1) Cf. Israël Nisand : L’IVG en France. Propositions pour diminuer les difficultés que rencontrent les femmes. Février 1999. Israël Nisand, p. 10 : " la diffusion large d’une contraception médicalisée et efficace n’a pas fait diminuer aussi rapidement qu’on aurait pu l’espérer le nombre d’avortements ".

(2) Vingt-huitième rapport sur la situation démographique de la France. 1999. Ministère de l’Emploi et de la Solidarité, p. 8 : " Bien que cet indicateur soit conjoncturel, sa stabilité sur une longue période donne une indication sur la fréquence des avortements dans les générations, qui serait donc voisine de 55 avortements pour 100 femmes. Il ne signifie pas cependant que 55 % des femmes subissent un avortement au cours de leur vie, puisque certaines peuvent y recourir plusieurs fois. "

(3) Notamment par le Collège national des gynécologues obstétriciens français et la Fédération nationale des Collèges de gynécologie médicale. Conférence de presse d’avril 1997 : Comment diminuer le nombre d’IVG en France en 1997 ?

(4) Rapport Nisand, p. 3.

(5) Rapport Nisand, p. 17.

(6) Rapport Nisand, p. 10 : " L’IVG peut résulter d’une pression de l’entourage à laquelle la femme a finalement cédé ".

(7) Rapport Nisand, p. 3.

(8) L’avortement vingt ans après, des hommes et des femmes témoignent, Albin Michel, 1995.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

Il est inséré, dans le livre préliminaire du code de la santé publique, un titre II ainsi rédigé :

" TITRE II

" DROITS DE LA FEMME ENCEINTE

" Art. L. 1er D. - Le droit de toute femme enceinte à mener à terme sa grossesse doit être respecté.

" Aucune femme ne doit avoir à recourir à une interruption volontaire de grossesse pour des raisons économiques ou professionnelles.

" Aucune pression psychologique ou financière ne doit être exercée sur une femme enceinte pour l’inciter à recourir à une interruption volontaire de grossesse, y compris en cas d’une forte probabilité de maladie grave et incurable pour l’enfant à naître. "

" Art. L. 1er E. - Toute femme enceinte en situation de détresse doit recevoir une information complète sur l’interruption volontaire de grossesse et ses conséquences médicales et psychologiques, ainsi que sur toutes les solutions proposées concernant :

" - les aides matérielles précises auxquelles elle aura droit compte tenu de sa situation ;

" - l’hébergement d’urgence ;

" - la possibilité d’un suivi psychologique pendant la grossesse, après un avortement ou après la naissance ;

" - la possibilité de confier son enfant à l’adoption, sans toutefois qu’aucune pression en faveur de l’adoption ne soit exercée pendant la grossesse. "

Article 2

Après l’article L. 162-3 du code de la santé publique, il est inséré un article L. 162-3 bis ainsi rédigé :

" Art.L. 162-3 bis. - Un répertoire départemental des aides économiques, des lieux d’accueil et d’hébergement, des associations et organismes dédiés à l’accompagnement des grossesses difficiles est créé dans chaque département à l’initiative du service d’aide sociale du conseil général. Il doit être disponible dans tous les établissements dans lesquels sont pratiquées les interruptions volontaires de grossesse, dans les centres de consultation ou de conseil familial et dans les centres de planification ou d’éducation familiale. "

Article 3

I. - Le sixième alinéa (c) de l’article L. 162-3 du code de la santé publique est ainsi rédigé :

" La liste et les adresses des organismes visés à l’article L. 162 4, ainsi que des lieux d’accueil et des centres d’hébergement d’urgence, des associations et organismes d’accompagnement des femmes enceintes en difficulté afin de les aider à mener leur grossesse à terme et après la naissance de l’enfant. "

II. - Le cinquième alinéa (b) de l’article L. 162-3 du code de la santé publique est complété par les mots : " ainsi qu’un tableau lui permettant de calculer le montant des aides financières dont elle pourra bénéficier ".

III. - L’article L. 162-3 du code de la santé publique est complété par un alinéa ainsi rédigé :

" 3° Lui remettre le répertoire départemental des aides économiques, des lieux d’accueil et d’hébergement, des associations et organismes dédiés à l’accompagnement des grossesses difficiles. "

Article 4

" Il est créé un Fonds de prévention de l’interruption volontaire de grossesse destiné à subvenir aux besoins des associations et organismes agréés d’accompagnement des femmes enceintes en difficulté pour mener leur grossesse à terme et pour les aider à la naissance de l’enfant. Les conditions d’agrément de ces associations et organismes seront précisées par décret.

" Pour l’exercice de ses missions, le Fonds de prévention de l’interruption volontaire de grossesse peut recruter des agents non titulaires sur des contrats à durée indéterminée.

" Le Fonds est doté de la personnalité civile.

" Il est financé par une fraction du produit de la TGAP visée aux articles 266 sexies à 266 terdecies du code des douanes, calculée annuellement compte tenu du nombre de femmes bénéficiant des services des associations mentionnées à l’aliéna 1er. "

Article 5

" Sous l’égide du Premier ministre, il est créé un Observatoire public sur la prévention de l’interruption volontaire de grossesse composé de membres d’associations et organismes d’accompagnement des femmes enceintes en difficulté pour mener leur grossesse à terme et pour les aider après la naissance de l’enfant.

" Ses objectifs seront :

" - de faire un bilan annuel sur l’évolution du nombre d’interruptions volontaires de grossesse, sur les raisons qui ont conduit les femmes à avorter, sur le suivi psychologique post-abortif et sur les conséquences psychologiques de l’avortement ;

" - d’évaluer les ressources publiques accordées aux associations et organismes d’aide aux femmes enceintes ;

" - de veiller à ce que le dossier guide d’information prévu à l’article L. 162-3 2° du code de la santé publique soit actualisé annuellement et effectivement remis par les médecins aux femmes les sollicitant en vue d’une interruption volontaire de grossesse ;

" - de vérifier le contenu des publications faisant référence à l’interruption volontaire de grossesse.

" Les conditions de la création et de la composition de cet observatoire seront précisées par décret ".

Article 6

Après l’article L. 162-9 du code de la santé publique, il est inséré un article L. 162-9 bis ainsi rédigé :

" Art. L. 162-9 bis. - A proximité de chaque établissement pratiquant des interruptions volontaires de grossesse, il est créé un service de consultations pour le suivi psychologique post-abortif ".

Article 7

Les pertes de recettes subies par les régimes sociaux et les charges leur incombant sont compensées, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux tarifs visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.