A la mi-décembre, les agences de presse internationales ont annoncé une très importante opération de l’armée birmane lancée contre la Mong Tai Army (MTA) du "Roi de l’opium" et seigneur de la guerre de l’Etat shan, Khun Sa, opération qui avait pour objectif proclamé de lutter contre la production de drogue. Les dépêches faisaient état de l’engagement de plusieurs divisions d’élite, les fameuses Light Infantry Divisions. L’offensive était censée avoir pour objectif la quasi totalité des poches tenues par la MTA le long de la frontière thaïlandaise, en faisant porter son effort principal sur le secteur de Ho Mong où se trouve situé le quartier général de Khun Sa (La Dépêche Internationale des Drogues n 6). Il était question de "combats extrêmement violents" et du déploiement de l’une des divisions birmanes le long des rives de la Salween, afin de neutraliser les ferries et d’interdire toute la contrebande venue du nord à destination de Ho Mong. Commencée le l0 décembre, l’avancée des forces birmanes a été aussitôt marquée par quelques succès, comme la prise de deux camps de la MTA à Mong Hta et Mong Htiaw. Dès le 11 décembre, un piton stratégique, le Loi Htiaw, qui culmine à 1824 mètres et domine directement un imposant camp militaire de la MTA, juste au nord de la ville thaïlandaise de Piang Luang, était conquis. Cette offensive a coïncidé avec la visite privée à Rangoon d’une délégation de quinze membres du Sénat des États-Unis, dont quelques uns furent amenés sur les lieux des opérations, à Mong Ton. Le sénateur Larry Pressler aurait même visité une raffinerie de Khun Sa, découverte à proximité de Mong Htiaw. On peut légitimement s’interroger sur la réalité et les motifs d’une telle démonstration de force. En effet, le brigadier général Kyaw Thain, responsable des opérations, a bien engagé les 55ème et 66ème divisions. Mais leurs 28 bataillons qui totalisent 10 000 hommes, n’ont, pourtant aligné guère plus de 4 000 soldats sur la ligne de front. Cela semble bien dérisoire lorsque l’on sait que, dans son principal périmètre d’influence, la MTA dispose de 8 000 hommes aguerris. En outre, grâce au réseau de routes qu’il a fait percer sur son territoire et du parc de véhicules dont il dispose, Khun Sa peut déplacer en quelques heures plusieurs de ses bataillons vers n’importe quel point menacé de son territoire. L’armée de l’air birmane qui possède maintenant des avions et des hélicoptères d’assaut, n’est pas intervenue pour attaquer des fortifications, ou bombarder la ville de Ho Mong où se trouve le centre névralgique de l’organisation shan. Le fait que Khun Sa ait acquis plusieurs dizaines de missiles sol-air Sam 7 ne paraît pas suffisant pour expliquer cette passivité. De surcroît, les combats ont cessé aussitôt après que la délégation ait quitté la Birmanie même si le dispositif militaire est resté en place. Depuis plus de deux mois maintenant aucun mouvement de troupe n’a été signalé et la police des frontières thaïlandaise n’a pas rapporté de tirs d’artillerie ou de bombardements. Les témoignages recueillis auprès des différentes organisations politico-militaires des minorités ethniques de Birmanie, en particulier celle de Wa de l’UWSA (United Wa State Army), sont unanimes pour qualifier l’action menée par les militaires birmans de "show destiné aux Américains en visite à Rangoon et à la Drug Enforcement Administration (DEA)". Dans l’entourage de la MTA, on affirme même que l’offensive a été déclenchée à l’instigation de l’ex-membre du Congrès américain, Lester Wolf, qui a persuadé le chef des services secrets birmans et homme fort du pays, Khin Nyunt, de l’opportunité de faire impression sur la délégation des parlementaires américains. Lester Wolf, qui a été lui-même à l’origine de leur visite, est un ancien représentant du Parti démocrate. Président de la sous-commission du Congrès chargé des affaires de drogues dans les années soixante-dix, il avait, dès cette époque, développé des relations personnelles avec de nombreux militaires birmans. Afin d’améliorer son image aux États-Unis, la dictature militaire (SLORC) a acheté ses services (on parle de versements mensuels qui iraient de 10 000 à 20 000 dollars). Le but du lobby animé par Lester Wolf est d’amener le Département d’Etat à modifier son attitude vis à vis du régime de Rangoon et surtout d’obtenir le rétablissement de l’aide financière destinée à lutter contre le trafic de drogue, supprimée après la répression sanglante du mouvement démocratique en l988. Mais Khun Sa a aussi tiré un profit politique du "show" de ses adversaires au moment où il tient à renforcer son image de leader nationaliste. En effet, le 11 décembre, il proclamait unilatéralement l’indépendance de l’Etat shan. Malgré les barrages établis par l’armée birmane sur la Salween et les pistes de contrebande, il n’a pas été affecté non plus sur le plan économique. Le jade et l’opium, principales sources de financement de la MTA, n’ont jamais cessé de passer à travers le dispositif militaire birman (correspondant de l’OGD en Birmanie).

(c) La Dépêche Internationale des Drogues n° 29