Cette situation présente un caractère pour le moins paradoxal : de l’aveu de la plupart des personnes entendues par votre commission, la gendarmerie s’est distinguée en Corse par la qualité de ses hommes, la volonté d’adaptation aux traits propres de la délinquance en Corse, la fiabilité de ses services. L’institution apparaît comme l’un des rares services de sécurité à ne pas encourir le soupçon permanent de " porosité ". Comment dès lors en est-on arrivé à une mise en accusation qui laissera sans doute des stigmates profonds au sein de l’Arme ?

Sans vouloir manier le paradoxe, il n’est pas excessif de reconnaître, dans les qualités mêmes de la gendarmerie en Corse, l’origine de ses infortunes.

En effet, la défiance du préfet Bonnet à l’égard de la police l’a conduit à se reposer principalement sur la gendarmerie pour assurer en Corse le retour à l’Etat de droit.

Le choix privilégié de la gendarmerie par le préfet de région ne paraissait pas illégitime. Il reposait d’abord sur des considérations de fait : la compétence de la gendarmerie couvre la quasi-totalité de l’île, l’Arme présente une moins grande porosité par rapport au milieu environnant. Il s’inscrit aussi dans la logique de la restauration de l’autorité de l’Etat poursuivie par le préfet : en effet, quel meilleur symbole de l’autorité de l’Etat que cette institution militaire ? D’Aléria à Pietrosella, les indépendantistes ne s’y sont pas trompés en désignant la gendarmerie comme cible récurrente de leurs attentats.

Toutefois, ce choix privilégié va bien au-delà de l’usage normal de la force. Or les dérives reprochées à la gendarmerie se produisent chaque fois que l’Arme est appelée à sortir de ses prérogatives normales.

Qu’on en juge. Les investigations conduites par la gendarmerie sur l’assassinat du préfet Erignac ? Elles sont pour partie liées aux informations communiquées par le préfet à l’Arme plutôt qu’à la police pourtant saisie de l’enquête.

L’atmosphère conflictuelle au sein de la légion de gendarmerie ? Les tensions découlent du recours inhabituel du préfet à un lieutenant-colonel de gendarmerie pour l’assister au sein de son cabinet. Quant au recours au GPS pour la destruction des paillotes dans les conditions rocambolesques que l’on sait, il constitue un détournement si manifeste d’une structure par ailleurs utile, qu’il n’est sans doute pas nécessaire, à ce stade, d’insister.

Les dévoiements se sont produits chaque fois que la gendarmerie a été utilisée en marge des procédures classiques en usage dans l’institution. Les avantages d’une institution ne se manifestent que dans le cadre d’emploi qui lui est assigné. Sans doute cette leçon mérite-t-elle d’être méditée à l’avenir.

Certes, la responsabilité d’avoir privilégié la gendarmerie incombe au préfet. Mais ce choix, incontestablement, a été entériné par la direction générale de la gendarmerie nationale avec l’aval du gouvernement.

La direction générale a principalement péché par excès de passivité : d’une part, elle a laissé s’installer un climat délétère au sein de la légion de gendarmerie départementale, d’autre part, elle n’est pas intervenue à temps auprès du commandant de la légion de Corse, malgré les avertissements reçus, pour empêcher un emploi du GPS manifestement excessif par rapport aux moyens dont il disposait.


Source : Sénat. http://www.senat.fr