Tant en ce qui concerne les autorités judiciaires que les services de police et de renseignement, la commission a constaté que la connaissance qu’ils avaient du phénomène sectaire était particulièrement fragmentaire, si bien qu’ils en sous-estiment trop souvent l’importance. Le besoin d’une formation spécifique se fait sentir à tous les niveaux.

De plus, il existe également un manque de coordination manifeste entre les différents services et autorités, aussi bien sur le plan de la collecte et de l’échange d’informations que sur le plan opérationnel.

LES PARQUETS

Au moment de la mise en place de la commission, aucune section du parquet n’était directement en charge des délits liés aux activités d’organisations sectaires, si bien qu’il était très rarement établi un lien entre l’infraction constatée (enlèvement d’enfants, affaires de moeurs, délits financiers, captation doleuse d’héritage, escroquerie, ...) et les agissements de l’un ou l’autre de ces groupes.

Au parquet de Bruxelles, les délits commis dans le cadre d’activités sectaires répréhensibles sont depuis peu répertoriés sous la rubrique " dossier 57 ". Toutefois, il n’est pas garanti qu’il en soit systématiquement ainsi, dans la mesure où les dossiers sont répertoriés en fonction de l’importance accordée au délit. Ainsi, si une quelconque infraction est constatée en matière de stupéfiants, ce dossier risque d’être automatiquement classé dans cette dernière catégorie, même s’il a un rapport direct ou indirect avec une activité sectaire, étant donné que la lutte contre la drogue est une des priorités définies au niveau de la politique criminelle dans notre pays.

Les seuls dossiers ayant abouti à une condamnation en Belgique (Ecoovie, Trois Saints Coeurs) se rapportent soit à des délits financiers et fiscaux, soit à un enlèvement de mineur, dossiers pour lesquels le phénomène sectaire n’a été abordé qu’en marge de l’instruction, et ce, grâce à la perspicacité et à la ténacité du magistrat instructeur.

Par voie de conséquence, il semble n’exister aucun échange d’informations entre les différentes sections d’un même parquet.

Il y a également lieu de souligner les handicaps de la territorialité du droit pénal face à une criminalité parfaitement organisée au niveau international.

Par ailleurs, il semble que peu de plaintes aient été déposées ou prises en compte à ce jour. En outre, un nombre appréciable de dénonciations se révèlent anonymes, peu précises et peu circonstanciées. Cette constatation tend cependant à masquer artificiellement l’ampleur du phénomène.

Il convient également à ce propos de mettre l’accent sur le problème de l’administration de la preuve. Il est difficile de pénétrer et d’infiltrer une organisation sectaire, compte tenu du cloisonnement interne de ces groupes, de l’existence de structures de protection vis-à-vis de l’extérieur, de pratiques d’intimidation et de diverses épreuves initiatiques. Le danger d’embrigadement de l’enquêteur a en outre été signalé, lors des auditions, par des représentants des services de police. Les exigences financières des organisations sectaires peuvent aussi poser un problème au niveau des fonds secrets.

Les informations doivent donc venir de l’intérieur mais pour de nombreuses raisons (inféodation, crainte de représailles, participation à des activités illégales, ...), les adeptes sont rarement disposés à déposer. Quant aux plaintes d’anciens adeptes, elles peuvent ne pas être toujours objectives et sont souvent difficilement vérifiables. Le dépôt de plaintes longtemps après les faits incriminés rend encore plus difficile la vérification des faits.

A cela s’ajoute encore le fait que souvent les personnes sorties d’un mouvement sectaire ne sont pas disposées à témoigner par crainte de représailles ou suite aux séquelles psychiques graves résultant du séjour, parfois prolongé, dans le groupe ou encore parce qu’elles ont elles-mêmes été amenées à participer à des faits répréhensibles. La plupart des ex-adeptes et membres de la famille d’adeptes actuels ont d’ailleurs souhaité témoigner à huis clos devant la commission tant ils craignaient les suites néfastes, voire des représailles à l’issue d’une audition publique.

La crainte d’un classement sans suite des plaintes est également une cause de l’abstention de témoigner de certains anciens adeptes. Le sentiment de honte, le dégoût à l’égard de son propre égarement, la volonté de rompre définitivement avec le passé sont autant de raisons supplémentaires qui expliquent le nombre limité de plaintes.

LES SERVICES DE POLICE ET DE RENSEIGNEMENT

C’est depuis peu que ces services s’intéressent réellement au phénomène, et encore n’est-ce valable que pour la Sûreté de l’Etat et la gendarmerie.

Plusieurs témoignages font apparaître le manque flagrant de coordination entre les différents services et la commission a dû constater que les échanges d’informations entre certains d’entre eux sont inexistants.

Il faut, par ailleurs, noter que les différents services disposent de critères d’approche et d’identification différents.

Quant au SGR, il ne s’est préoccupé que très sporadiquement du phénomène sectaire, soit dans le cadre des certificats de sécurité, soit à la demande ponctuelle des autorités militaires. Ce service semble cependant s’être intéressé de près aux derniers développements du dossier OTS sans qu’on puisse en déceler les véritables raisons (voir, à ce propos, les auditions du juge Bulthé, partie III du présent rapport).

On peut en outre se demander si l’arsenal d’instruments disponibles sur le plan opérationnel ne doit pas être adapté. Les services de police ne disposent en effet pas des outils de sélection, d’identification et d’information nécessaires pour, lorsqu’il y a lieu, être en mesure de réagir en temps utile.

A ce propos, il n’est pas sans intérêt de se référer à l’article 39 de la loi du 5 aôut 1992 sur la fonction de police, aux termes duquel les services de police peuvent, dans l’exercice des missions qui leur sont confiées, recueillir des informations, traiter des données à caractère personnel et tenir à jour une documentation relative à des événements, à des groupements et à des personnes présentant un intérêt concret pour l’exécution de leurs missions de police administrative ou judiciaire.

Il semble également qu’un réexamen et une clarification des tâches attribuées aux différents acteurs présents sur le terrain s’impose sur ce plan.

Les représentants de la plupart des services, entendus par la commission, insistent également sur le manque de moyens matériels et humains disponibles, qui les oblige à définir certaines priorités au détriment d’autres, et ce en fonction des options définies par le ministre de la Jusitice et le Collège des procureurs généraux. Par ailleurs, la commission constate qu’il s’impose de redéfinir les outils à mettre en place pour pallier les carences relevées.

A l’occasion de l’exécution de la commission rogatoire confiée au juge d’instruction Bulthé, celui-ci a créé une cellule d’enquête spécifique, transversale à divers services de police et de renseignements, qui a montré une incontestable efficacité dans l’analyse et l’identification du phénomène sectaire.


Source : Chambre des Représentants de Belgique http://www.lachambre.be