Faut-il dissoudre le DPS ? La question se pose immanquablement au vu de l’ensemble des éléments rassemblés par la Commission sur ce service d’ordre pas comme les autres, véritable garde prétorienne au sein du Front National. L’arme de la loi du 10 janvier 1936 sur les groupes de combat et milices privées a souvent été évoquée au cours des travaux de la Commission. Il s’agit donc de savoir si elle peut et si elle doit s’appliquer au cas du DPS.

A) LA DISSOLUTION DU DPS : UNE OCCASION MANQUEE

 Une dissolution juridiquement possible

Il a semblé à la Commission que la dissolution du DPS était juridiquement possible. Contrairement à ce qu’ont pu affirmer tous les responsables du ministère de l’intérieur auditionnés, et au premier chef son directeur des libertés publiques et des affaires juridiques, elle estime qu’un décret de dissolution du DPS n’encourait pas inéluctablement la censure du Conseil d’Etat s’il avait été attaqué - et il n’aurait sans doute pas manqué de l’être.

L’exigence de quatre critères cumulatifs tenant à l’organisation du groupement de fait, à sa discipline interne assortie de sanctions, à l’entraînement régulier et périodique de ses membres et aux intentions belliqueuses de ses responsables n’est pas requise par la jurisprudence administrative, qui utilise la technique du faisceau d’indices pour qualifier un groupe de combat. Au regard des intentions belliqueuses du DPS, c’est-à-dire en fait de ses activités, votre rapporteur tient à rappeler que le passage à l’acte n’est pas indispensable et que l’affirmation constante du caractère défensif du DPS par ses responsables ne fait pas obstacle à la reconnaissance de son aptitude aux coups de main ainsi que l’ont amplement prouvé d’ailleurs les événements de Montceau-les-Mines.

Quant au problème de savoir si, " dans une association constituée [le Front National], on peut distinguer un groupe de personnes physiques qui s’appellent ou assurent fonctionnellement un rôle de service d’ordre [le DPS] " soulevé par M. Jean-Marie Delarue, directeur des libertés publiques et des affaires juridiques au ministère de l’intérieur, la Commission l’estime soluble sans difficulté puisque la loi du 10 janvier 1936 vise expressément les groupements de fait qui ne sont pas des associations. Ainsi que l’a indiqué M. Bertrand Mathieu, professeur de droit public à l’université de Paris I Panthéon Sorbonne, " même si ce groupement n’a pas d’existence juridique, il peut être dissous sans que l’on touche au parti politique. Mais si les membres de ce groupement dissous font partie à nouveau du service d’ordre, une forte suspicion pèsera sur eux de reconstituer un groupement dissous. Il est donc certain que le service d’ordre ne pourra pas se reconstituer dans les conditions dans lesquelles il existait, c’est-à-dire avec la même structure, les mêmes personnes et responsables et le même schéma. Je ne dis pas que cela empêchera le Front National de reconstituer son service d’ordre, mais cela lui posera un véritable problème ". Tel est justement le but que viserait une dissolution du DPS.

 Une dissolution politiquement justifiée

La Commission estime que la dissolution s’imposait en 1996 ou en 1997, après les événements de Montceau-les-Mines ou de Strasbourg. Les conditions juridiques de la dissolution étaient alors réunies. En outre, il y avait à cette époque une légitime émotion dans l’opinion publique et de nombreuses prises de positions syndicales (au sein de la police) et politiques réclamant la dissolution qui constituaient un contexte propice pour mettre en cause le service d’ordre du Front National.

En effet, même si en droit un acte violent ou criminel n’est pas requis pour mettre en oeuvre l’arme de la dissolution, un tel acte facilite la prise de décision politique. Ainsi que l’a rappelé M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l’intérieur, " la dissolution [d’Ordre nouveau] faisait suite à des événements extrêmement violents devant le Palais des sports où il y a eu une sorte d’attaque, d’assaut lancé avec des cocktails molotov : naturellement quand il y a des faits de violence extrême, la dissolution est une décision qui s’impose plus facilement ". Il en fut de même pour le SAC suite à la tuerie d’Auriol en 1982 et pour les ligues en 1936 déjà.

D’ailleurs, M. Jean-Louis Debré, ancien ministre de l’intérieur, a bien indiqué à la Commission que " Montceau-les-Mines avait été le seul moment où [il s’était] posé la question de savoir si les conditions exigées par la loi de 1936 étaient réunies " et pouvaient lui permettre de proposer au Gouvernement la dissolution administrative du DPS. " Il [lui] est finalement apparu que les conditions [...] n’étaient pas réunies et que la dissolution risquait d’être annulée par le Conseil d’Etat. " On peut s’interroger sur une telle prudence fondée sur des motifs juridiques. Certes l’annulation d’une dissolution aboutirait à l’effet inverse de ce qui est recherché en légitimant le DPS. Mais justement la Commission estime que les conditions de la dissolution étaient alors bien réunies. Elle tient à rappeler qu’à la même époque le ministère de l’intérieur s’était opposé, pour des motifs juridiques également, à l’interdiction du syndicat Front National de la Police (FNP). Or la Cour de cassation a donné raison aux syndicats de police qui déniaient au FNP le caractère de syndicat professionnel en se fondant notamment sur l’article L. 411-1 du code du travail64. Celui-ci n’a dès lors pas été autorisé à présenter des candidats aux élections professionnelles de 1998. Un excès de prudence aboutit parfois à cautionner des pratiques en fait illégales.

B) LA QUESTION DE LA DISSOLUTION RESTE POSEE POUR L’AVENIR

L’utilisation de la loi du 10 janvier 1936 contre le DPS ne semble cependant pas opportune à la Commission à la date de publication de son rapport. La scission du Front National a entraîné une recomposition du service d’ordre de chaque organisation qui est en cours. Même si les structures restent inchangées, votre rapporteur estime raisonnablement que le DPS, actuellement affaibli et désorganisé, n’est plus complètement opérationnel.

Comme l’a fait observer un membre de la Commission, M. Jacky Darne, " nous enquêtons sur le groupement de fait dit "Département protection et sécurité" qui est rattaché à un parti politique, le Front National. Or ce dernier a éclaté et nous avons affaire aujourd’hui à deux partis. Peut-on considérer que ce département existe toujours ? La dissolution du département d’un parti antérieur serait-elle applicable aux services d’ordre des deux partis naissants ? En fait, nous travaillons sur un groupement qui connaît des modifications sensibles, même pour la partie historique du Front National, car les responsables et les modes d’organisation ont changé. Nous ne pouvons pas démontrer que les pratiques de ces deux nouveaux groupes sont de même nature que ce qui existait antérieurement ".

La réponse donnée aux questions ainsi posées par M. Bertrand Mathieu est très claire : " Il est évident que le décret de dissolution devra porter sur la situation qui existe au moment où il interviendra. Il n’est pas question de dissoudre un groupement qui n’existe plus, ou de dissoudre un groupement pour des motivations qui ne correspondent pas à la réalité qui est celle du jour de la dissolution. Le problème est le suivant. Soit le groupement n’existe plus, et l’on ne dissout rien. Soit le groupement s’est scindé en deux, et l’un d’eux - ou les deux - présentent les critères d’une dissolution et l’on peut dissoudre. On ne pourra utiliser des caractéristiques antérieures qu’à partir du moment où l’on démontrera qu’elles continuent à exister ".

La Commission souhaite ardemment que la frilosité des pouvoirs publics dans le passé ne soit plus de mise à l’avenir. Le Gouvernement ne devra pas hésiter à proposer la dissolution du DPS ou du DPA au Président de la République dès que des événements graves se produiront. Les conditions juridiques d’une dissolution étant réunies, la décision politique devra intervenir au moindre impair du DPS ou du DPA qui est composé en grande partie de transfuges du DPS. Les pouvoirs publics doivent donc demeurer très vigilants vis-à-vis des activités de cette simili-milice, aujourd’hui scindée en deux, DPS et DPA.

La situation actuelle, issue de la scission du Front National n’est pas moins dangereuse que par le passé comme l’ont souligné MM. Yves Bertrand et Jean-Pierre Pochon, respectivement directeur central des renseignements généraux et directeur des renseignements généraux de la préfecture de police.