Après un exposé introductif sur le rôle de la Direction d’Afrique et de l’Océan indien et sur ses rapports réguliers avec les entreprises françaises intervenant en Afrique, M. Jean-Didier Roisin a tout d’abord précisé qu’il n’avait pas, en tant que directeur d’Afrique et de l’Océan indien, avec les dirigeants des entreprises pétrolières françaises, de contacts d’une autre nature que ceux noués avec des sociétés d’autres secteurs, par exemple les travaux publics, les transports ou les télécommunications. Il a évoqué deux dossiers où il avait été amené à intervenir, dans le cadre de ses fonctions, sur des problèmes pétroliers.

Le premier concerne l’Angola. En 1996, les autorités de Luanda reprochaient à la France une trop grande proximité de vues avec l’Unita et avaient en guise de "représailles", multiplié les entraves à l’égard des entreprises françaises. Elf avait alors saisi le Quai d’Orsay des difficultés croissantes qu’elle rencontrait dans son activité quotidienne. Le ministère des Affaires étrangères avait alors intensifié son action diplomatique à l’égard de l’Angola et cette politique avait porté ses fruits puisque Elf s’était finalement vu attribuer un périmètre de prospection qu’elle convoitait.

Le second concerne un différend entre le Nigeria et la Guinée équatoriale. Elf avait effectué des forages offshore dans des zones où il existait des contestations de frontières maritimes entre ces deux pays. Saisi par la Guinée équatoriale, le Quai d’Orsay s’était refusé à intervenir, estimant que le contentieux concernait une entreprise privée et un Etat souverain. Il avait préconisé le recours à un arbitrage international, comme prévu dans la convention sur le droit de la mer.

M. Jean-Didier Roisin a fait état également d’autres exemples appartenant à l’histoire, concernant par exemple l’affaire Elf et Occidental Petroleum au Congo, sur lesquels il a déclaré ne pas disposer d’informations spécifiques.

M. Roland Blum a demandé si l’attitude du ministère des Affaires étrangères avait varié depuis que Elf était devenue une entreprise privée, et si d’une manière générale celui-ci intervenait en cas de non-respect des principes de bonne conduite de la part des sociétés pétrolières françaises. Il a souhaité obtenir des informations complémentaires sur le rôle de Elf dans la crise récente du Congo.

Mme Marie-Hélène Aubert s’est interrogée sur le comportement des dirigeants d’Elf qui ont très vite pris des contacts avec le nouveau pouvoir congolais alors même que celui-ci avait acquis la victoire par les armes. Elle a estimé que la visite de M. Philippe Jaffré avait pu être interprétée comme une reconnaissance par la France du nouveau gouvernement congolais.

Elle a souhaité savoir s’il y avait une ligne de conduite du ministère des Affaires étrangères à l’égard des grands groupes pétroliers et quel était le lien que ce ministère faisait entre entreprise et droits de l’Homme.

M. Jean-Didier Roisin a donné les indications suivantes.

N’ayant pris ses fonctions qu’après la privatisation d’Elf, il lui était difficile de se prononcer sur les rapports entre le ministère des Affaires étrangères et cette société, lorsqu’elle relevait de l’Etat. Au Congo, il a rappelé qu’Elf avait été accusé par l’un et l’autre camp de soutenir son adversaire. En tout état de cause, l’action diplomatique de la France n’avait jamais été déterminée par les activités d’Elf dans ce pays. Il a rappelé notamment que la France avait demandé la création et l’envoi d’une force des Nations Unies au Congo dès le début de la crise de 1997.

La France n’a pas vocation à être l’avocat des entreprises pétrolières françaises en cas de violation avérée du droit commercial international par celles-ci. Elle doit en revanche rappeler aux entreprises françaises qu’elles se doivent de respecter les sanctions décidées par la communauté internationale.

La présentation de M. Sassou N’Guesso comme un putschiste renversant un gouvernement légitime était caricaturale. Il n’était pas étonnant de voir le président-directeur général d’une entreprise qui extrait les trois-quarts du pétrole d’un pays, chercher à nouer des relations aussi confiantes que possible avec les autorités de cet Etat. En outre, M. Philippe Jaffré n’a pas pour habitude de demander au ministère des Affaires étrangères "l’autorisation" de se rendre dans les pays africains.

Il a rappelé que la France ne reconnaissait pas les gouvernements mais les Etats, et qu’à sa connaissance, l’ONU n’avait frappé d’aucune sanction le gouvernement de M. Sassou N’Guesso. Que le Président Jaffré ait souhaité clarifier la situation avec les nouvelles autorités congolaises en se rendant rapidement à Brazzaville est une attitude compréhensible.

Il a précisé que la politique africaine de la France, notamment à l’égard d’éventuelles violations des droits de l’Homme, n’était pas déterminée par les intérêts des sociétés pétrolières françaises. Les messages que le Quai d’Orsay pensait devoir adresser à certains pays sur ce thème l’étaient clairement, en accord avec ses partenaires européens.

M. Pierre Brana a demandé si certains Etats s’adressaient au Quai d’Orsay lorsqu’ils rencontraient des difficultés avec Elf ou Total.

Il s’est interrogé sur l’importance accordée au respect des droits de l’Homme et de l’environnement dans la détermination de la politique africaine de la France.

Par ailleurs, il s’est fait l’écho de rumeurs selon lesquelles certains ambassadeurs français seraient plus liés à Elf qu’au ministère des Affaires étrangères. Il a demandé quelle était l’attitude du Quai d’Orsay quand des ambassadeurs de France devenaient conseillers du Président du pays dans lequel ils avaient exercé leurs fonctions.

Sur ce point, M. Jean-Didier Roisin a répondu que le seul cas qui avait été porté à sa connaissance concernait l’exemple déjà cité de la Guinée équatoriale dont la demande avait fait l’objet d’un échange de notes verbales entre le Gouvernement de Malabo et notre Ambassade.

Il était faux de penser que la France soutenait aveuglément des régimes qui ne le méritent pas. Notre pays prend toujours en compte le critère de respect des droits de l’Homme dans la détermination de son aide. C’est l’objet même de la doctrine de La Baule.

Il a qualifié de gratuites et d’injustifiées les accusations portées sur certains ambassadeurs. Il n’a eu connaissance d’aucun cas où l’honnêteté d’un ambassadeur ait été mise en cause. Le rôle d’un ambassadeur est de défendre les intérêts de son pays, et à ce titre il peut être amené à intervenir en faveur de certaines entreprises nationales. M. Jean-Didier Roisin a évoqué à titre d’exemple son expérience d’ambassadeur de France à Madagascar, où il a été amené à intercéder à plusieurs reprises auprès du gouvernement malgache dans le cadre d’un contentieux qui opposait ce gouvernement aux entreprises françaises nationalisées, en particulier deux sociétés pétrolières françaises. Mais c’était là le travail normal d’un représentant de la France.

Les cas où des ambassadeurs de France sont devenus conseillers du Président de l’Etat dans lequel ils avaient représenté la France étaient très peu nombreux et relevaient d’un choix personnel qui n’était pas sans inconvénient. C’était la raison pour laquelle, contrairement à ce qui avait pu se dérouler dans le passé, les ambassadeurs de France ne restaient généralement pas plus de trois ou quatre ans en poste dans un même pays.

Mme Marie-Hélène Aubert a souhaité savoir si le Quai d’Orsay se préoccupait de la distribution de la manne pétrolière procurée par l’activité des entreprises françaises et de l’utilisation de l’aide au développement.

M. Jean-Didier Roisin a estimé que le problème de l’utilisation des ressources pétrolières par les gouvernements africains posait d’abord le problème de l’éducation des élites dirigeantes. Les ressources budgétaires devaient être utilisées pour le bien commun, pour le renforcement de l’Etat de droit et de la démocratisation. Cette conception n’était pas toujours partagée, mais il n’existait pas de fatalité d’un continent africain qui s’enfoncerait inexorablement dans la pauvreté et la corruption. L’argent que procuraient les activités pétrolières rendait d’autant plus insupportables les injustices observées dans la répartition du PNB. Il existait des possibilités pour les institutions financières internationales, dans le cadre des accords d’ajustement structurel, de peser sur certains choix budgétaires. Certains pays, comme le Tchad, avaient par ailleurs décidé de constituer un fonds pour les générations futures.

Le problème de la démocratisation en Afrique n’était pas seulement une question de pouvoir, mais également d’opposition. La possibilité d’une alternance démocratique exigeait en effet, l’existence d’une opposition dynamique et structurée, susceptible de remporter des élections et d’exercer le pouvoir, mais ce n’était pas toujours le cas. Depuis le début des années quatre-vingt dix, les progrès de la démocratisation étaient sensibles dans la plupart des pays africains. En témoignaient l’existence d’une presse libre - parfois excessive - la tenue d’élections, la création de nombreuses associations... Il faut être conscient que les efforts demandés aux pays africains sont considérables et éviter de les juger à l’aune de critères strictement occidentaux. Au regard de cet objectif de démocratisation, les questions pétrolières demeurent marginales puisqu’elles ne concernent directement qu’une poignée de pays : le Nigeria, le Cameroun, le Gabon, l’Angola, le Niger, le Tchad, le Soudan, le Congo-Brazzaville et la Guinée équatoriale.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr