Présidence de M. Louis MERMAZ, Président

MM. Evry ARCHER, Philippe CARRIERE, Gérard LAURENCIN, sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête leur ont été communiquées. A l’invitation du Président, MM. Evry Archer, Philippe Carrière et Gérard Laurencin prêtent serment.

M. le Président : La parole est à M. Evry Archer.

M. Evry ARCHER : Je suis le président de l’Association des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire. Je suis responsable du service médico-psychologique régional de Loos et du secteur de psychiatrie en milieu pénitentiaire du Nord-Pas-de-Calais.

Je suis accompagné du docteur Philippe Carrière, responsable du service médico-psychologique régional de Châteauroux, qui est le secrétaire de notre association, et du docteur Gérard Laurencin, responsable du SMPR de Toulouse, qui est le trésorier de notre association.

Créée en 1995 et réunissant l’ensemble des psychiatres exerçant en milieu pénitentiaire, l’Association des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire - ASPMP -, membre du Comité consultatif national de santé mentale, _uvre pour que tous les détenus de tous les établissements pénitentiaires de France bénéficient de prestations psychiatriques de qualité en matière d’éducation pour la santé, de prévention, de traitement, de suivi, de continuité des soins.

Il s’agit, certes, de traiter les troubles et d’éviter l’aggravation de leurs conséquences pour le détenu et son entourage, mais aussi de prévenir l’exacerbation de la détresse et du désarroi, de prendre en charge non seulement la maladie mentale, mais aussi la souffrance psychique de ces personnes qui, avant l’écrou, étaient souvent confrontées à des difficultés personnelles et familiales majeures et qui se trouvent dans des conditions particulières de vulnérabilité.

La célèbre circulaire ministérielle du 15 mars 1960 avait réformé la psychiatrie publique française en adoptant les idéaux de la politique de santé mentale dite " de secteur ", préconisée par des psychiatres progressistes : une pratique professionnelle dans laquelle une équipe pluridisciplinaire met au service d’une même population territorialement définie ses compétences et ses moyens pour une prise en charge médico-psycho-éducative globale, concertée, intégrée, allant de la prévention, du dépistage, du diagnostic jusqu’au traitement de troubles aigus ou chroniques, au suivi et à la réinsertion socioprofessionnelle.

La loi du 25 juillet 1985 officialise l’organisation sectorielle de la psychiatrie publique. Le décret du 14 mars 1986 crée trois types de secteurs de psychiatrie : le secteur de psychiatrie générale - un secteur pour 60 000 à 70 000 habitants - ; le secteur de psychiatrie infanto-juvénile - un pour trois ou quatre secteurs de psychiatrie générale - et le secteur de psychiatrie en milieu pénitentiaire. Celui-ci comporte une structure de base : le service médico-psychologique régional - SMPR - et parfois un centre spécialisé de soins aux toxicomanes, une unité de préparation à la sortie, une antenne d’alcoologie, des structures extérieures destinées au suivi post-carcéral, lequel est parfois nécessaire, le temps de rendre possible le passage de relais aux équipes des secteurs de psychiatrie générale ou à des professionnels d’exercice libéral.

La réforme en 1994 de l’organisation des soins en milieu pénitentiaire s’inspire notamment des SMPR pour créer dans toutes les prisons, à l’exception de celles dites du programme 13 000, des unités de consultation et de soin ambulatoires - UCSA - chargées des soins somatiques proposés aux détenus.

Actuellement, dans les 186 établissements pénitentiaires français, on trouve l’un ou l’autre des quatre types d’organisation de soins psychiatriques suivants : les prestations psychiatriques intégrées dans les activités des services médicaux des établissements pénitentiaires du programme 13 000, c’est-à-dire les prisons dont l’aspect hôtelier, le travail pénal et la santé sont gérés par un opérateur privé, le SMPR, qui comporte une équipe médicale, paramédicale et psycho-socio-éducative, des lieux d’hospitalisation, des lieux de soins ambulatoires et d’activité thérapeutique qui assurent un accueil, des consultations et un suivi ; l’antenne du SMPR, unité fonctionnelle de ce service implantée dans un autre établissement pénitentiaire du secteur et, d’une façon générale, le dispositif de soins psychiatriques constitué grâce à des moyens spécifiques bien individualisés, par des professionnels de santé mentale émanant d’un secteur de psychiatrie générale rattaché à l’hôpital qui a passé convention avec la prison de proximité, en application du décret du 27 octobre 1994.

Les secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire ont acquis, en quatorze ans, une expérience irremplaçable puisqu’ils exercent à temps plein, ils sont indépendants de l’administration pénitentiaire et garantissent, de ce fait, une confidentialité qui est une condition nécessaire de l’exercice professionnel. Il ne peut y avoir de psychiatrie sans un échange interpersonnel fondé sur un corpus technique et des pratiques validées. Le travail au quotidien, la mission de coordination et de conseil technique que nous assumons au niveau régional, les concertations et les réunions au sein de l’association permettent de constater qu’il existe des similitudes incontestables et des différences notables selon les sites.

Au niveau national, la situation est connue. La population pénale a doublé en vingt ans. Il y a beaucoup de malades mentaux dans les prisons. 40 % du flux des entrants présentent des troubles psychiatriques ou des maladies psychiatriques avérées. 20 % des détenus ont une pathologie mentale, dont 10 % une pathologie sévère ou plus de 50 % si l’on raisonne en terme de troubles de la personnalité. Un tiers des détenus sont toxicomanes, 10 %des détenus sont mis en examen ou condamnés pour des infractions à caractère sexuel, et leur nombre ne cesse d’augmenter. Les mineurs incarcérés sont de plus en plus nombreux et requièrent une attention toute particulière.

Cette augmentation du nombre des malades mentaux en prison s’explique de différentes manières, notamment par l’évolution de la pratique expertale et pénale qui tend à les considérer de plus en plus comme responsables, mais aussi par celle de la pratique psychiatrique : diminution de 32 % en dix ans des capacités d’hospitalisation psychiatrique, baisse du nombre des psychiatres qui va en s’aggravant, recours plus fréquent à la prison pour des sujets qui ne devraient pas y être, voire incarcération des personnes pour sanctionner une transgression avec le souci qu’elle soit traitée.

Il s’agit là d’une régression, d’un retour à une confusion des institutions et des fonctions sociales : placement dans un même lieu de malades mentaux et de délinquants, comme cela se faisait à La Bastille, par exemple, avant la distinction entre la prison républicaine et la psychiatrie moderne. Il ne faudrait pas que la présence des dispositifs de soins psychiatriques dans les établissements pénitentiaires en vienne à cautionner le retour à une fonction asilaire de la prison.

De façon symétrique, l’ouverture de la psychiatrie permettant l’accès aux soins du plus grand nombre de malades dans de meilleures conditions, le discrédit contemporain sur les structures fermées, mettent les équipes hospitalières en difficulté devant les malades mentaux présentant des troubles du comportement.

A fortiori, il est difficile pour eux d’accueillir les détenus que leur adressent les dispositifs de soins psychiatriques des prisons en application de l’article D.398 du code de procédure pénale. En effet, outre les malades mentaux déclarés responsables, certains patients détenus peuvent être amenés à décompenser en milieu pénitentiaire sur un mode sévère.

Ces patients très perturbés, rencontrés en maison d’arrêt ou en établissement pour peine, sont en grande difficulté mais posent aussi d’énormes difficultés du point de vue carcéral pour le personnel de surveillance et en ce qui concerne la mise en _uvre des soins psychiatriques. Le projet des psychiatres intervenant en milieu carcéral est bien sûr de soigner en prison, mais lorsque les symptômes de la maladie mentale l’exigent, les détenus doivent être hospitalisés sans leur consentement sous le régime de l’hospitalisation d’office. Ces hospitalisations se révèlent malheureusement toujours trop brèves et ont lieu dans des conditions de séjour souvent pires que celles de la détention. Pourtant, le maintien en prison de ces malades mentaux avérés ne cesse de poser de graves problèmes éthiques et techniques aux psychiatres exerçant en milieu carcéral.

L’une des solutions pourrait être d’insérer rapidement dans la réalité des unités hospitalières sectorielles ou intersectorielles sécurisées, fermées, accueillant sur le critère de la maladie mentale et du soin, dans des conditions matérielles et humaines satisfaisantes, des malades mentaux dont l’état mental le nécessite, sans que les critères pénaux priment sur l’indication thérapeutique.

La création ou le maintien d’établissements pénitentiaires à caractère sanitaire poserait la question du sens de la peine et de la fonction sociale de la prison sans résoudre, bien au contraire, ni le problème des conditions de la prise en charge psychiatrique pendant la détention, ni celui de la prise en charge après la libération, ce dont témoignent les mesures d’hospitalisation décidées rapidement à la libération de ces personnes.

J’évoquerai rapidement quelques autres questions importantes : les conduites de consommation de substances psychoactives, les auteurs d’agressions à caractère sexuel, les mineurs, les effets psychiques de certaines conditions de détention - détention ordinaire mais surtout quartier disciplinaire ou isolement -, les longues peines.

A ce propos, nous remarquons que l’application de l’article 122-1, alinéa 2, du code pénal, qui précise que lorsque le crime ou le délit a été commis par une personne dont le discernement était altéré ou le contrôle des actes entravé, le tribunal doit en tenir compte pour fixer la peine et en indiquer le régime, conduit paradoxalement, de fait, le plus souvent, à une aggravation des peines et à l’allongement de la durée de détention.

M. le Président : Comment lutter contre le suicide en prison ?

M. Philippe CARRIÈRE : Tout d’abord, en connaissant mieux le phénomène, car il n’a retenu l’attention qu’assez récemment. En 1996, a été mise en place une mission nationale sur la prévention des suicides en milieu carcéral, dont je faisais partie. Il y a sept fois plus de suicides en milieu pénitentiaire que dans la population générale et ils se produisent généralement à des moments particuliers. J’ai d’ailleurs pris connaissance récemment des résultats d’une étude réalisée aux Etats-Unis, qui identifie les mêmes moments, c’est-à-dire : l’entrée et le choc de l’incarcération, certains motifs d’incarcération - les crimes qui touchent les proches et les m_urs -, l’arrivée de nouvelles affaires pendant une incarcération - la personne pense qu’elle va sortir dans trois semaines et une autre affaire resurgit ou est jugée tardivement et ajoute deux ans de prison -, le sentiment d’une dégradation sociale importante et de la chute du niveau social à l’entrée en prison, le placement en quartier disciplinaire dans les conditions où il a lieu actuellement. Les conditions matérielles de certains quartiers disciplinaires ont été reconnues par la première enquête de 1996 ainsi que par l’évaluation sur la prévention du suicide en prison réalisée en 1998 comme particulièrement sordides. Vous avez visité un certain nombre de lieux. Je n’y insisterai pas car vous avez sans doute vu la même chose.

Les conditions de placement au quartier disciplinaire jouent aussi un rôle important. Des suicides se produisent lors de mises en prévention dans le quartier disciplinaire, c’est-à-dire avant même le prétoire, la commission de discipline intérieure. C’est un moment très difficile qui peut durer deux ou trois jours s’il y a un week-end. Il en résulte un très fort sentiment d’injustice chez le détenu qui est mis à l’isolement en quartier disciplinaire par les personnes avec lesquelles il vient d’avoir une altercation. Il a l’impression que l’administration pénitentiaire est là juge et partie et qu’il n’y a pas de tiers pour médiatiser et entendre ce qu’il avait à dire sur les raisons de sa colère. Lorsqu’elle ne peut plus s’exprimer autrement, la personne n’a plus qu’à s’auto-agresser.

Le rapport d’évaluation sur la prévention du suicide en prison avait formulé des recommandations en 1998 mais ce rapport n’a pas été publié. Les directives proposées en mars 1999 n’ont encore donné lieu à aucune suite précise, mais il était notamment indiqué qu’il fallait maintenir les parloirs pendant la détention en quartier disciplinaire, qu’il importait de maintenir les liens avec l’extérieur, d’au moins pouvoir parler avec sa famille, que celle-ci ne soit pas aussi punie, d’une certaine manière, par le quartier disciplinaire.

De plus, beaucoup d’illettrés se retrouvent dans cette situation. Il convient aussi de maintenir des repères dans le temps et dans l’espace. Le maintien de récepteurs de radio en quartier disciplinaire semblerait aujourd’hui une adaptation moderne. Ne tolérer, comme c’est actuellement le cas, que quelques lectures, provoque chez les illettrés un isolement sensoriel beaucoup trop important. Quelques mesures relativement simples permettraient d’humaniser le quartier disciplinaire. Bien entendu, il ne devrait pas y avoir de mise au quartier disciplinaire sans, l’intervention d’un tiers très rapidement. Je pense que l’intervention d’un avocat serait certainement une mesure très importante.

M. le Rapporteur : Pourquoi le rapport établi en 1998 n’a-t-il pas été publié ?

M. Philippe CARRIÈRE : La question doit être posée à Mme Viallet.

M. le Président : Quelles sont les modalités de fonctionnement des services médico-psychologiques régionaux et quelle est leur articulation avec les unités de malades difficiles ?

M. Evry ARCHER : Un service médico-psychologique régional est un service hospitalier relevant de l’hôpital qui a signé une convention avec une prison et où l’on ne peut pas traiter des personnes contre leur consentement. Les unités pour malades difficiles sont, comme les autres centres ou services spécialisés, des établissements publics de santé mentale mais qui accueillent des personnes nécessitant une surveillance constante en milieu hospitalier et qui ne sont pas en mesure de donner leur consentement. Dans les SMPR, le consentement de la personne traitée est requis, alors que dans les unités pour malades difficiles, les personnes sont admises contre leur consentement, qu’elles aient commis ou non une infraction pénale.

M. le Rapporteur : Nous avons écouté avec grand intérêt votre intervention liminaire et la réponse que vous venez de faire. Ce que vous nous avez dit montre qu’il existe manifestement aujourd’hui un débat sur le rôle joué par les expertises psychiatriques réalisées avant procès. Leurs résultats sont étonnants puisque, en quelques années, le nombre de gens déclarés responsables a augmenté considérablement. Comment l’expliquez-vous ?

M. Evry ARCHER : Cette évolution est à mettre en parallèle avec l’augmentation considérable de la sévérité des tribunaux et de l’allongement des peines.

M. le Rapporteur : Avant la condamnation, il y a visite et expertise psychiatrique. Pourquoi vos collègues experts déclarent-ils les gens plus souvent responsables qu’il y a quelques années ?

M. Evry ARCHER : D’une part, une évolution idéologique consiste à dire que malade mental ou non, la personne doit répondre de ses actes. On considère que c’est, malgré tout, prendre en considération le respect de la dignité humaine que de permettre à la personne de répondre de ses actes.

D’autre part, les experts sont des psychiatres exerçant en psychiatrie générale dans les hôpitaux qui ne souhaitent pas forcément avoir dans leurs services des patients qui vont rester longtemps à l’hôpital et qui nécessitent une mobilisation importante. L’évolution de l’hôpital psychiatrique rend très difficile le séjour en milieu hospitalier des personnes qui présentent des troubles du comportement.

Mais je crois surtout que les gens ont peur. On le constate notamment dans les tribunaux à propos de l’application de l’article 122-1, alinéa 2 du code pénal. Dans les cours d’assises, après le jugement, on entend des personnes dire que même les psychiatres ne veulent pas de ces personnes, ce qui explique l’aggravation des peines.

M. Philippe CARRIERE : L’expertise est un point essentiel qui ressortit aussi bien au culturel qu’au technique. Culturellement, vous savez aussi comme élus que l’on cherche toujours un responsable : il n’y a pas de délit sans victime. On porte aujourd’hui un intérêt plus grand aux victimes, et tant mieux. Plutôt que de dire que nos collègues experts responsabilisent plus de gens, on doit dire qu’ils irresponsabilisent moins de gens. Cette situation s’explique donc par l’intérêt plus grand pour les victimes et par le fait qu’on ne sait pas toujours quoi faire de l’auteur de l’infraction si son irresponsabilité est reconnue.

Il faudrait sans doute qu’il puisse y avoir tout de même procès, tout de même reconnaissance de la souffrance de la victime. On ne peut pas dire qu’il n’y a eu ni crime ni délit, comme on le considérait autrefois, il y a bien eu un crime ou un délit, une victime, mais cela ne devrait pas entraîner une incarcération. Il devrait y avoir condamnation mais dispense de peine, aménagement de peine, alternative aux peines, etc. Or aujourd’hui, s’il y a procès, il y a peine, et peine plus lourde encore pour les malades mentaux que pour les autres, parce que le sentiment de dangerosité est donné en particulier aux jurés. C’est une très mauvaise chose.

Notre corps psychiatrique doit aussi s’interroger sur la qualité des expertises. N’importe quel psychiatre peut s’inscrire sur les listes de la cour d’appel et être expert sans une formation particulière, sans encadrement particulier. C’est une source de revenus complémentaires pour un certain nombre d’entre nous. La qualité des expertises n’est pas forcément à la hauteur de ce que l’on pourrait en attendre. Des expertises rapides de quelques dizaines de minutes existent malheureusement, mais il existe aussi des expertises très fouillées qui prennent plusieurs jours de travail pour une somme dérisoire. Une expertise est payée 1 250 francs, qu’elle ait demandé plusieurs jours de travail ou une demi-heure.

Toutefois, de son côté, la justice devrait s’interroger sur le point de savoir quelles questions elle pose aux experts. Certaines, un peu toutes faites, ne sont pas nécessairement adaptées aux procès. Une de celles posées systématiquement est : " Le prévenu est-il accessible à une sanction pénale ? " Mais de quelle sanction s’agit-il ? Peut-on dire qu’une personne est accessible à une sanction pénale alors qu’il est possible qu’elle ne puisse pas supporter une réclusion criminelle à perpétuité ? D’autant que souvent, l’expert, qui n’a pas mis les pieds en prison ailleurs qu’au parloir, ignore ce qu’est la vie en milieu carcéral.

Mme Nicole FEIDT : Quels résultats obtenez-vous dans le cadre de vos antennes alcoologiques ? Sont-ils probants ? Sinon, qu’est-ce qui vous en empêche ?

M. Evry ARCHER : Il y a très peu d’antennes d’alcoologie en milieu pénitentiaire, ce qui peut paraître paradoxal, puisque 30 % de la population pénale ont des problèmes d’alcool. C’est étonnant quand on connaît le rôle joué par l’alcool dans ce que l’on appelait naguère " les crimes de sexe et de sang ". Il y a très peu d’intervenants en alcoologie en milieu pénitentiaire mais l’orientation actuelle de la MILDT semble devoir modifier les choses.

Dans ces conditions, les résultats sont très difficiles à apprécier, mais nous savons que lorsque le travail est effectué très sérieusement, les critères d’évaluation indiquent des résultats tout à fait satisfaisants. Je prendrai l’exemple de l’action réalisée par l’Association pour l’étude des conduites d’alcoolisation des populations pénales. Cette association avait reçu une subvention pour organiser en Ile-de-France la prise en charge en milieu pénitentiaire des détenus ayant des problèmes d’alcool, avec l’intention de préparer leur sortie et leur accueil dans un centre d’hygiène alimentaire et d’alcoologie ou les structures qui les ont remplacés, généralement par les mêmes équipes que celles qui interviennent dans les prisons. L’un des critères est de savoir combien de personnes libérées s’adressent effectivement à ces cures et de comparer les résultats de cette action avec ceux obtenus lorsqu’il y avait la simple communication d’une liste d’adresses. Les résultats sont extrêmement satisfaisants et nous pensons qu’il y a lieu de généraliser cette expérience.

M. le Rapporteur : Il est certain que le sevrage brutal pose des problèmes mais certains reconnaissent qu’ils sont sortis de l’alcool parce qu’ils ont été en prison. Pourrait-on tenir un discours comparable à propos des gens qui consomment des drogues ?

M. Philippe CARRIÈRE : Les drogues incluent l’alcool. Les parcours sont très divers. Des gens peuvent sortir de la toxicomanie en passant par la prison, de même que des gens en sont sortis en passant par une secte dont ils sont aussi sortis.

Mme Christine BOUTIN : Ils ont eu beaucoup de chance !

M. Philippe CARRIÈRE : Vous voyez peut-être à quelle secte et à quelle toxicomanie je fais allusion. Mais la grande majorité des gens ne sortent pas de la drogue par la prison. En sortir vraiment nécessite une prise en mains de sa vie sur d’autres bases qui supposent une réinsertion sociale, un changement d’identité, un travail, un logement, etc. La prison est une parenthèse que certains toxicomanes supportent très bien car ils troquent leur dépendance à la drogue contre une dépendance à la prison. Ils sont contenus par cette " matriarche " qu’est la prison, alors que sortir de la drogue, c’est se confronter à un père-loi. La prison ne se présente pas du tout comme cela. On est mis en prison par la loi mais on y subit des règles, lesquelles changent d’ailleurs d’une prison à l’autre, ce qui montre leur relative indifférence au regard de la structuration psychique. En cela, la prison n’est pas un lieu thérapeutique. C’est un lieu où l’on ne survit que si l’on ment, si l’on cache une partie de soi-même pour pouvoir être soi-même dans son intimité, alors qu’il n’y a justement pas d’intimité.

On ne sort donc pas de la drogue de cette façon-là. On se drogue quelques heures après être sorti de prison rien que pour éprouver que c’est toujours possible et que cela vous est toujours accessible. Ce sont parfois les dernières prises de drogue avant de changer de vie, mais je n’ai jamais vu sortir quelqu’un de prison guéri de la drogue. Le risque, c’est surtout de reprendre de la drogue en sortant de prison aux doses que l’on prenait avant et de faire une overdose. Cela se produit régulièrement. D’où l’importance de poursuivre les traitements de substitution en prison. Il y a encore un effort à faire puisque seul un toxicomane sur sept obtient un traitement de substitution en prison, contre un sur trois en ville.

Bien entendu, parallèlement aux traitements de substitution, tout le dispositif psychologique et social doit être mis en _uvre. Il y a, là aussi, beaucoup de lacunes, notamment pour la réinsertion sociale, puisque l’on sort trop souvent de prison sans relais à l’extérieur, surtout si l’on est interdit de séjour dans son département. Dans certains tribunaux, c’est quasiment systématique, alors que toutes les bases sociales se trouvent dans le département d’origine. Il faut donc aller squatter ailleurs, le temps de se refaire des bases, et c’est naturellement dans la communauté des toxicomanes que l’on retrouve une place dans le département voisin.

Il importe de comprendre que la prison n’est pas un lieu thérapeutique pour les toxicomanes. Cela peut éventuellement être une sanction du trafic de drogues, mais la grande majorité des toxicomanes n’a pas sa place en prison.

M. Evry ARCHER : Comme pour d’autres patients en milieu libre, apparaissent souvent au cours de la prise en charge de certains détenus ayant eu des conduites de consommation de substances psychoactives, des troubles psychiatriques avérés qui semblent avoir fait l’objet d’automédication, qui étaient dissimulés par l’effet des produits, par la dépendance ou par le mode de vie marginal.

Par ailleurs, je voudrais évoquer brièvement le maintien en maison d’arrêt des détenus après leur condamnation. C’est un problème important qui avait justifié des démarches de l’Association auprès de la direction de l’administration pénitentiaire et nous nous en voudrions de quitter cette salle sans y faire allusion.

L’application des textes permettrait que des détenus condamnés restent moins longtemps en maison d’arrêt après la condamnation. Vous le savez, le régime de la maison d’arrêt est paradoxalement plus sévère que celui des centres de détention et il est très difficile d’élaborer un projet de vie ou même un projet de soins lorsque la personne ignore ce qui va lui advenir dans les semaines ou les mois à venir. L’application de l’article D.77 du code de procédure pénale me semble tout à fait justifiée. Or certains parquets prennent plus d’un an pour adresser le dossier à l’administration pénitentiaire, alors que cet article fixe un délai d’un mois à partir de la condamnation ou de l’incarcération. Or chacun d’entre nous dans les SMPR peut témoigner que des détenus restent deux ans, trois ans, voire plus en maison d’arrêt après leur condamnation, ce qui montre la nécessité d’une réforme de l’observation en vue de l’orientation, notamment du Centre national d’observation.

M. le Président : Nous l’avons constaté lors de nos visites.

M. Philippe CARRIÈRE : Je travaille dans le SMPR de Châteauroux où il y a, d’une part, un centre de détention et une maison d’arrêt, et, d’autre part, la centrale de Saint-Maur. C’est pourquoi je voudrais appeler votre attention sur les longues peines et sur leur effet déstructurant. Pour les services sociaux qui doivent prévoir des projets de sortie à trente ans ou peut-être jamais, il est très difficile de travailler. On voit la déstructuration psychique profonde qui peut exister chez des gens qui savent que leur perpétuité est réelle, puisque l’on n’a plus vu, depuis plusieurs années, de commutation de peine. Il est dramatique de voir des gens devenus complètement différents quinze ans après leur crime et qui ne peuvent pas envisager de sortie.

Dans ces maisons-là, se pose aussi le problème de l’isolement prolongé. On voit de plus en plus des gens rester très longtemps - plusieurs mois, voire plusieurs années - à l’isolement, avec une raréfaction des sensations, des perceptions, des stimulations, qui suppose pour survivre des capacités internes que seuls possèdent quelques détenus, qui finissent par être connus parce qu’ils deviennent professeur d’histoire. Pour la plupart des autres détenus, l’isolement prolongé rend complètement fou. La mort psychique qui en résulte est un phénomène très inquiétant. D’autant que, comme ils se comportent très mal, ils passent du quartier d’isolement au quartier disciplinaire et ainsi de suite. Il est terrifiant de voir ainsi abandonnés entre le quartier d’isolement et le quartier disciplinaire des gens qui n’ont plus d’avocat - en maison centrale, la plupart du temps, l’avocat commis d’office disparaît -, qui viennent des confetti de l’empire, de Tahiti ou de la Guadeloupe, à six mille ou vingt mille kilomètres de leur famille ! Il conviendrait de prévoir des règles plus précises afin que ce qui se passe dans le quartier d’isolement soit connu de l’extérieur et contrôlé, de même que les hôpitaux psychiatriques sont contrôlés depuis longtemps, notamment depuis la loi de 1990, par des commissions qui viennent voir les gens et les entendre. Les certificats médicaux que nous établissons à ce sujet sont des avis qui ne sont pas toujours suivis.

Mme Nicole BRICQ : Au cours des visites que j’ai effectuées, j’ai rencontré des détenus à l’isolement. Il est très difficile de se faire une opinion, parce qu’ils disent eux-mêmes souvent qu’ils ont choisi l’isolement. C’est notamment le cas de détenus condamnés pour agressions sexuelles. Est-ce l’administration qui préfère les mettre là pour être tranquille ou est-ce le choix du détenu ? Vos propos sont intéressants car je me suis posé la question mais je n’ai pas la réponse. J’ai vu un étranger très éloigné de chez lui placé à l’isolement volontaire, qui souffrait d’une grande fragilité psychologique mais qui n’avait pas vu de personnel médical depuis plusieurs mois. Mais il voulait être à l’isolement.

M. Philippe CARRIÈRE : Vous mesurez l’ampleur de la difficulté. Parfois, ils préfèrent encore cette mort psychique plutôt que la violence qu’ils subiraient en détention ordinaire. C’est le cas des délinquants sexuels. Pour d’autres, c’est un moyen de protestation. Cela signifie : " Je refuse d’être dans cette prison et je refuse donc de participer à l’organisation habituelle ". L’isolement prolongé est souvent pour eux un choix pas défaut ou par dépit.

Mme Christine BOUTIN : Comment vous, psychiatres, pouvez-vous donner de l’espérance à quelqu’un qui a été condamné à perpétuité ? Comment peut-on faire ?

M. Gérard LAURENCIN : Je travaille au centre de détention national de Muret où environ 10 % des gens sont condamnés à perpétuité. Nous en suivons au moins la moitié, ce qui est, d’une certaine manière, anormal et souligne la souffrance réelle de ces gens.

A un moment donné, on a l’impression qu’il n’y a plus aucun support pour tout travail psychique. Au fil du temps, l’entourage de la personne disparaît. On voit des gens qui sont là depuis une vingtaine d’années, dont la famille et les amis se sont éloignés ou ont disparu. Des personnes se fixent une date et se disent : " Je pense qu’à cette période-là, dans deux ou trois ans, les choses vont changer ". La date arrive et les choses ne changent pas. On constate alors, soit une dérivation de l’ordre de la révolte, soit un repli sur soi avec fixation d’une autre date. On est dans la gestion au quotidien de la désespérance sans rien qui puisse soutenir un travail. Même au plan éthique, nous nous demandons à quoi nous servons. Je me dis parfois qu’une partie de mon travail consiste à faire en sorte de soutenir quelque chose d’insoutenable.

S’agissant de l’isolement volontaire, il s’agit d’une situation de choix par défaut. On n’a pas le choix comme à l’extérieur d’aller à droite ou à gauche, mais d’un choix par défaut. La difficulté du travail en prison est de savoir, quand une personne parle, ce qu’elle dit. Quand une personne dit qu’elle choisit telle chose, on ne sait pas finalement pourquoi elle dit cela ni dans quel but.

Vous l’avez sans doute observé lors de vos visites, la prison est un lieu où règnent non seulement la violence, mais aussi le mensonge. Personne ne sait vraiment ce que l’autre dit ni pourquoi il le dit, qu’il s’agisse des détenus entre eux ou des détenus par rapport à l’administration pénitentiaire. Les détenus, notamment les auteurs d’infractions à caractère sexuel, n’osent pas se plaindre du racket, de la violence, des brimades ou des pressions diverses qu’ils subissent, sachant que s’ils se rapprochent trop des surveillants, ils seront considérés comme des " balances " et leurs parcours pénitentiaire sera encore plus grave. En revanche, s’ils se taisent, ils doivent tout garder pour eux-mêmes au prix d’une très grande souffrance. Il y a un paradoxe pour les auteurs d’infractions à caractère sexuel : d’un côté, on leur dit qu’ils doivent parler de leur crime pour se traiter, et de l’autre, l’économie générale du fonctionnement de la prison fait qu’ils ne doivent surtout rien en dire. Cela est valable pour toute la population pénale. On ne doit rien dire, de sorte que les détenus regardent leurs pieds, piétinent, jusqu’à leur sortie.

Concernant les malades mentaux, on assiste, surtout dans les établissements pour peine, à cette situation à la fois légitime et scandaleuse qu’après quinze ans d’emprisonnement, par exemple, des gens, des malades graves, qui ont été condamnés, sont internés le jour de leur sortie, parce qu’ils peuvent porter atteinte à l’ordre public et à la sûreté des personnes. Une telle difficulté nous pose des problèmes éthiques et techniques graves, que l’on peut peut-être aussi se poser d’une façon plus large dans la société.

M. le Rapporteur : Quel type de relations avez-vous avec le personnel de surveillance ? Est-il également sensible à ce genre de maladies ? Ceux que nous avons vus dans les établissements que nous avons visités, qui passent dix ans, quinze ans ou vingt ans en prison, même s’ils sont du bon côté des barreaux, subissent des traumatismes. Avez-vous des rencontres avec eux à ce sujet ?

M. Evry ARCHER : Nous avons avec eux des conversations qui ne sont pas comparables aux entretiens à caractère psychiatrique ou psychologique. Comme nous travaillons dans le même lieu, il nous arrive d’avoir des échanges. Sachant que nous sommes psychiatres, certains d’entre eux viennent volontiers nous parler de leurs difficultés, qui peuvent être multiples.

En tant que thérapeutes, nous savons que nous pouvons être mis personnellement en difficulté devant tel type de malade, en référence à notre propre vécu ; Quelqu’un qui a un enfant de cinq ans et qui doit prendre en charge une personne qui a agressé un enfant de cinq ans risque de ne pas dominer certaines choses. Le sachant et en parlant entre nous, nous savons comment éviter les dérives ou d’être simplement inefficaces. On peut comprendre que ces personnes puissent être parfois troublées par la gravité de certaines infractions. On leur demande amicalement de rester professionnelles, même si cela soulève parfois quelques difficultés.

Il existe une culture carcérale. Dans ce domaine, il y a lieu, me semble-t-il, de mener une action déterminée, qui sera de longue haleine et délicate en vue d’un changement de mentalité. C’est possible, à l’instar de ce qui s’est passé pour les personnes alcooliques. On ne parlait d’eux qu’en terme d’ivrognes. La naissance de la discipline médicale dénommée alcoologie et le fait de poser autrement le problème pendant un certain temps ont fini pratiquement par chasser cette conception, ce qui a rendu le soin possible. De même, il doit être possible de réaliser en milieu pénitentiaire une action pédagogique qui, si elle est bien coordonnée et menée correctement, peut aboutir à changer le regard que le détenu et l’administration pénitentiaire posent sur l’auteur de l’agression sexuelle.

M. le Rapporteur : Et vous, comment supportez-vous cela ?

M. Evry ARCHER : Comme je viens de vous le dire, il nous arrive de devoir faire un effort sur nous-mêmes pour rester professionnels. Le psychiatre est aussi l’outil de la thérapeutique. Nous n’utilisons pas d’outils sophistiqués. Il y a des moments où nous pouvons être mis en question par les personnes que nous prenons en charge. C’est peut-être la raison pour laquelle la pratique psychiatrique en milieu pénitentiaire est plus difficile, compte tenu des personnes que nous voyons au quotidien, qu’en exercice libéral ou dans un service de psychiatrie générale en milieu hospitalier.

Mme Nicole FEIDT : Avez-vous constaté dans le comportement des hommes et des femmes une attitude différente ? Je suis allée dans une prison où l’on accueillait des détenus coupables de crimes de sang condamnés à de longues peines. Le comportement des femmes m’a semblé normal alors que celui des hommes me semblait beaucoup plus douloureux. Pensez-vous que, psychologiquement, les femmes sont moins dégradées ?

J’ai vu des enfants dans une prison de femmes. Est-il bon qu’un enfant soit dans la prison avec sa mère ? Pour la mère, cela doit être bien, mais pour l’enfant, je me pose des questions.

M. Gérard LAURENCIN : S’agissant de la différence de comportement des femmes incarcérées en comparaison à celui des hommes, parlez-vous d’établissements pour peine ou de maisons d’arrêt ?

Mme Nicole FEIDT : Les deux. C’était à Rennes.

M. Gérard LAURENCIN : Je ne suis pas sûr que les femmes supportent mieux l’incarcération que les hommes, elles le supportent de façon assez différente, peut-être au prix d’une plus grande médicalisation. Sur le site où je travaille, on passe plus de temps à offrir des soins psychiatriques aux femmes qu’aux hommes. C’est peut-être une réponse que nous donnons. Je ne sais donc pas si l’on peut faire une grande différence.

La présence des enfants ouvre un débat extrêmement difficile. Un moyen de socialisation des enfants consiste à leur permettre, comme cela se fait sur certains sites, de bénéficier de prises en charge extérieures à la prison pendant la journée. Certains sites pénitentiaires de France ont conclu des conventions avec les services sociaux pour permettre la fréquentation d’une crèche par des enfants. Les enfants ne pouvant pas rester en prison au-delà de dix-huit mois, se pose à un moment donné la question de la préparation de la séparation et celle de la possibilité de rencontre avec leurs parents s’ils sont condamnés à de longues peines. Tels qu’ils sont organisés actuellement, les parloirs rendent très difficile le maintien de liens familiaux de façon ordinaire. La poursuite des liens familiaux concerne non seulement les enfants mais aussi le conjoint. La recherche de temps et de zones d’intimité dans les parloirs serait plus opportune si des lieux particuliers étaient prévus à cet effet.

Mme Nicole FEIDT : Dans le cadre de réhabilitations, je suis surprise de constater que l’on aménage des parloirs identiques à ceux d’il y a vingt ans. Etes-vous consultés à ce sujet ?

M. Emile BLESSIG : Personne ne se parle !

Mme Nicole FEIDT : On peut tout de même poser la question.

M. Gérard LAURENCIN : Je vais vous donner un exemple. Des prisons " 4 000 " vont être construites dans lesquelles des services médicaux vont être faits. Je peux comprendre que les plans soient relativement secrets, mais la consultation des médecins a été des plus discrètes.

Mme Nicole FEIDT : Dans la centrale d’Ensisheim où l’on va faire de nouveaux parloirs, le personnel a été consulté. Bien entendu, les gardiens veulent conserver l’existant. Il n’y a pas que ces partenaires-là dans la prison. C’est pourquoi je vous posais la question.

M. Evry ARCHER : A la maison d’arrêt de Loos, où je suis depuis plus de douze ans, nous avons toujours entretenu de bonne relations avec l’administration pénitentiaire, sauf au début où il fallait prendre le temps de se connaître. Cependant, il existe un déficit considérable en matière de communication pour la création de la future maison d’arrêt de Sequedin. J’avais toujours pensé que le service médico-psychologique régional serait transféré à la maison d’arrêt de Sequedin puisque ses locaux actuels sont totalement inadaptés ! Il est impossible d’y placer des lits médicalisés, il est même difficile d’effectuer correctement une perfusion. On y travaille dans des conditions qui ont été dénoncées à plusieurs reprises par la DDASS comme étant à la limite de la légalité. Puisque l’on va créer une prison à côté, il était pour nous évident que le SMPR allait y être transféré. Ce n’est que très récemment que nous avons appris que l’on n’y a pas prévu de place pour le SMPR de Loos, ce qui a d’ailleurs étonné le directeur de l’établissement, qui me l’a dit, ainsi que le directeur régional. Il existe donc un déficit de communication en ce qui concerne les projets pour les établissements nouveaux et je le déplore.

Mme Frédérique BREDIN : J’ai été rapporteur de la loi sur les infractions sexuelles sur mineurs et je souhaiterais vous interroger sur les auteurs d’infractions sexuelles. En visitant quelques établissements, j’ai été frappée d’une sorte de culture des détenus qui instaure une hiérarchie très forte des crimes et des délits. Je savais que les auteurs d’infractions sexuelles étaient mal vus, qu’ils étaient appelés les " pointeurs ", mais j’ai été étonnée par la force et la généralisation de leur rejet, au point que le milieu carcéral s’organise en fonction de ce rejet en prévoyant par exemple des cours de promenade différentes. Comment expliquez-vous la force de ce rejet ?

M. Evry ARCHER : On peut l’expliquer de différentes manières. La première est un phénomène auto-entretenu. L’une des façons de s’intégrer dans un milieu, c’est d’adhérer à ses valeurs. Dans un livre écrit par une personne illustre qui a fait l’expérience de la prison, l’auteur rapporte qu’il a lui-même été très surpris de se voir en train de devenir un agresseur d’auteur d’agressions sexuelles, alors qu’avant d’être incarcéré, l’idée ne lui en serait jamais venue.

De plus, cette adhésion à certaines valeurs permet de supporter des personnes qui ont des choses graves à se reprocher. La haine commune de l’auteur d’agressions sexuelles rapproche ceux qui ont commis des " casses " ou d’autres infractions.

Une autre raison est la situation ambiguë et complexe de la sexualité en milieu carcéral. L’auteur d’agressions sexuelles est celui qui s’est permis des actes tabous qui, en tout cas en milieu carcéral, ne sont pas possibles. Or comme il existe parmi le public un fantasme de sursatisfaction de l’auteur d’agressions sexuelles, avec l’idée qu’il s’agit d’un hypersexuel au comportement génital exacerbé, alors qu’en réalité, il s’agit de personnes presque impuissantes, il suscite une haine teintée de jalousie.

Il existe peut-être d’autres explications, mais ces trois-là sont utiles à considérer. Je le répète, on peut aller à contre-courant, réaliser une action d’éducation, afin de rendre le séjour de ces personnes et leur traitement possibles, car toutes les mesures dérogatoires dont vous parlez ne facilitent pas du tout la prise en charge.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr