Un des objectifs de la politique de la France était d’éviter une victoire militaire du FPR. C’est pourquoi elle entendait d’un côté faire sortir le FPR de cette logique de conquête territoriale, pour l’amener à la conclusion d’un cessez-le-feu et à la signature de négociations entérinant le principe du partage du pouvoir et du retour des exilés. La France venait par ailleurs au secours des forces armées rwandaises pour garantir l’intégrité territoriale, et en contrepartie, faire accepter au Président Habyarimana le partage du pouvoir tant avec les exilés qu’avec les démocrates, hutus ou tutsis. En conséquence, la recherche d’un cessez-le-feu et de négociations politiques imposait la rencontre et la discussion entre les deux parties.

L’inquiétude de la France de voir le FPR poursuivre son objectif de conquête du pays se retrouve exprimée à différentes reprises.

Par conséquent, dans les années 1990-1993, la maîtrise du territoire rwandais par les FAR constitue pour la France un préalable essentiel au bon déroulement des négociations en vue de la conclusion d’un cessez-le-feu. Le Colonel Gilles Chollet s’est d’ailleurs exprimé très nettement en ce sens, lors de son audition.

L’assistance militaire d’urgence apportée par la France en février-mars 1993 répond à cette même volonté de sauver la situation sur le terrain en permettant aux FAR de contenir le FPR dans les positions qu’il occupait avant son offensive du 8 février. L’obtention d’un cessez-le-feu le 9 mars à Dar Es-Salam exprime parfaitement par son contenu le principe de préservation de l’équilibre territorial FAR/FPR en même temps qu’il pose logiquement, en contrepartie, le principe du désengagement des forces françaises envoyées " spécifiquement " après l’offensive du 8 février. In extremis le processus des négociations d’Arusha est sauvé.

Signés le 4 août 1993, les accords d’Arusha consacrent les efforts engagés, entre autres, par la France et mettent en place une solution de partage du pouvoir et de fusion des deux armées. La France respectant ses engagements, retire la totalité des forces de Noroît ainsi que les effectifs du DAMI. Il ne reste au Rwanda que 24 assistants militaires techniques présents au titre de la coopération, qui retrouve ainsi le 15 décembre 1993 le niveau qui était le sien au 1er octobre 1990.

Les espoirs de paix s’effondrent avec l’assassinat du Président Habyarimana le 6 avril 1994. Les accords d’Arusha sont ipso facto suspendus mais la France ne les considère pas pour autant caducs même s’ils sont plus que sérieusement remis en cause. Toujours persuadée que la solution du conflit passe par la mise en application de ces accords, la France poursuit avec ténacité son activité diplomatique en vue d’obtenir la signature d’un cessez-le-feu et la rencontre entre les belligérants. Si l’objectif recherché par la France n’a pas varié -cessez-le-feu, négociations-, ses moyens d’intervention, en revanche, ne sont plus les mêmes. Le problème se pose d’une part de la légitimité des membres du Gouvernement intérimaire qui ont pris la succession du Président défunt Habyarimana, d’autre part, de la limitation de la marge de manœuvre de la France qui n’est plus présente militairement sur le terrain, alors que le génocide a débuté.

La France, en revanche, multiplie au cours de la période allant du 13 avril (départ d’Amaryllis) au 19 juin (présentation de l’opération Turquoise à l’ONU) les rencontres avec les différents acteurs et parmi eux les membres du Gouvernement intérimaire reçu le 27 avril à Paris par M. Bruno Delaye. Dans cet objectif, la France était effectivement la seule à être restée en contact avec toutes les parties, dont le Gouvernement intérimaire. Sur ce point, compte tenu du déroulement du génocide commandité par le Gouvernement intérimaire, la France a commis une erreur en considérant qu’elle pouvait accorder autant de crédit et autant de poids à tous les représentants des acteurs du conflit.

Progressivement cependant, la France reconnaît la fragilité de la légitimité du Gouvernement intérimaire. Elle décide, lors des premiers jours de l’opération Turquoise de n’avoir avec ses représentants que des contacts minimum réduits exhaustivement à la mise en place du dispositif puis elle s’adresse aux FAR.

C’est en partie en raison de son attitude par rapport au gouvernement intérimaire qu’il lui fut difficile de faire accepter le caractère strictement humanitaire de l’opération Turquoise, puisque certains y voyaient une intention cachée de soutien au régime qui organisait le génocide.

Toutefois, l’obsession du cessez-le-feu et de la recherche d’une solution politique n’a pas disparu de l’esprit des responsables du ministère des Affaires étrangères ou de ceux du ministère de la Défense.

Parmi les missions assignées aux soldats de l’opération Turquoise, dans l’ordre d’opération qui leur a été donné, figurait l’objectif suivant : " être prêt ultérieurement à contrôler progressivement l’étendue du pays hutu... ". Comme cela a été montré précédemment, cet ordre ne signifie pas que la France entend cette fois-ci contrer la victoire militaire du FPR puisqu’il est trop tard en juin 1994 pour éviter le déclenchement de la guerre civile et des massacres, la guerre civile durant depuis quatre ans et le génocide venant de se dérouler.

Cette mission répond néanmoins à l’idée d’une stabilisation de la ligne de front partageant à cette date le Rwanda en deux parties, pour préserver une fois encore les capacités de négociations de chacun. Cela signifie bien que la France admet encore à ce moment précis -le 20 juin 1994- la légitimité du Gouvernement intérimaire, soit ne prenant pas en compte la réalité du génocide, soit n’analysant pas les responsabilités du gouvernement intérimaire en ce domaine.

La recherche d’un cessez-le-feu à tout prix, qui ne viendra jamais officiellement, puisqu’il interviendra de fait lorsque le FPR décidera après la chute de Gisenyi le 17 juillet 1994 d’arrêter les combats, aura fini par placer la France dans une situation intenable. De ce fait, la France a été entraînée à accepter trop longtemps la présence du Gouvernement intérimaire jusqu’à la création le 4 juillet de la zone humanitaire sûre qui transforme la configuration de l’opération Turquoise.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr