3. Les attentats terroristes du 11 septembre se sont produits pendant la présidence belge de l’UEO et de l’UE, alors que l’UEO avait définitivement abandonné ses fonctions et ses structures opérationnelles, et que l’Union européenne n’était pas encore prête à reprendre l’éventail complet des responsabilités dans le domaine de la gestion civile et militaire des crises. La force de réaction rapide de l’UE, qui comptera environ 60 000 hommes, ne devrait pas être opérationnelle avant 2003.

4. Selon le plan d’action contre le terrorisme approuvé par le Conseil européen lors d’une réunion extraordinaire tenue le 21 septembre 2001, les chefs d’Etat et de gouvernement ont décidé que l’UE devait avant tout concentrer ses efforts sur des mesures générales visant à renforcer la coopération policière et judiciaire, et sur une action coordonnée afin de mettre fin au financement du terrorisme. Le Conseil européen a également déclaré que " la politique étrangère et de sécurité commune devra davantage intégrer la lutte contre le terrorisme ".

5. Les déclarations de l’Union concernant le rôle que la PESD pourrait et devrait jouer dans cette lutte sont assez vagues. L’Union insiste sur l’importance d’engager un dialogue politique approfondi avec les pays et régions du monde d’où provient le terrorisme. En ce qui concerne la PESD, le Conseil européen estime simplement que c’est en rendant cette politique opérationnelle " au plus vite " que l’Union sera le plus efficace.

6. Mais aucun plan d’action spécial n’a été décidé ou annoncé pour accélérer ce processus, que ce soit lors de la réunion extraordinaire du Conseil Affaires générales du 17 octobre ou à l’occasion du sommet du Conseil européen de Gand le 19 octobre 2001.

7. Cette attitude a de quoi surprendre pour deux raisons : premièrement, Nicole Gnesotto, Directeur de l’Institut d’études de sécurité de l’UEO, a souligné à juste titre qu’il était très probable que les Américains, totalement investis dans la lutte antiterroriste, exigent des Européens qu’ils assument seuls la tâche de stabilisation dans les Balkans. Pour les Quinze, l’accélération des efforts de défense européenne va donc devenir impérieuse. Deuxièmement, les gouvernements européens devront examiner rapidement les incidences que la lutte contre le terrorisme international, sous cette nouvelle forme, devrait avoir sur le concept même de PESD et sur l’effort de défense collective.

8. En ce qui concerne ce dernier aspect, le Conseil de sécurité des Nations unies a considéré d’emblée, dans ses Résolutions 1368 et 1373 adoptées les 12 et 28 septembre, les actes commis le 11 septembre comme une menace contre la paix et la sécurité internationales et il a réaffirmé à cet égard le droit naturel de légitime défense, individuelle ou collective, conformément à la Charte des Nations unies avant même qu’il y ait des preuves tangibles que ces actes émanaient de l’étranger. Le Conseil de l’Atlantique nord a commencé par adopter une position assez prudente en convenant, le 12 septembre, que, s’il était prouvé que les attaques du 11 septembre contre les Etats-Unis avaient été commanditées de l’étranger, elles devaient être considérées comme relevant de l’article 5 du Traité de Washington, qui stipule qu’une attaque armée contre l’un ou plusieurs des alliés survenant en Europe ou en Amérique du Nord sera considérée comme une attaque dirigée contre eux tous.

9. A la suite d’une réunion entre des représentants de haut niveau des Etats-Unis et le Conseil de l’Atlantique nord le 2 octobre 2001, le Secrétaire général de l’OTAN a annoncé qu’il était établi que les attaques lancées contre les Etats-Unis avaient été dirigées de l’étranger et que, par conséquent, l’article 5 était activé pour la première fois dans l’histoire de l’OTAN.

10. Une telle décision aura d’amples conséquences, qu’il est difficile de prévoir. Certains observateurs estiment que la décision a été prise trop vite, et qu’il aurait fallu consulter des experts juridiques. Si des actes tels que ceux qui ont été commis le 11 septembre sont interprétés comme étant une " attaque armée " au sens de l’article 5 du Traité de Washington, le rôle de l’OTAN doit fondamentalement changer. Pour certains experts, l’OTAN serait ainsi devenue une organisation de lutte contre le terrorisme sans disposer des ressources appropriées. Lorsque l’Alliance a révisé son concept stratégique lors de son sommet de Washington en 1999, les Etats-Unis voulaient élargir la portée de l’article 5 de manière à y inclure la lutte contre le terrorisme, le sabotage et le crime organisé, quelles qu’en soient les origines3.

11. A l’époque, les alliés européens n’étaient pas prêts à accepter un tel élargissement ; à titre de compromis, l’article 24 du nouveau concept stratégique de l’OTAN soulignait donc que les intérêts de sécurité de l’Alliance peuvent être mis en cause par d’autres risques à caractère plus général, notamment des actes relevant du terrorisme, du sabotage et du crime organisé. Désormais, tout acte semblable à ceux commis le 11 septembre peut conduire à l’invocation de l’article 5 s’il émane de l’étranger. La très large interprétation du concept d’" attaque armée " ne fait pas la distinction entre des actions commises par des individus, des groupes et organismes privés ou des Etats. Ainsi, pour certains commentateurs, le contenu de l’article 24 du nouveau concept stratégique est passé dans l’article 54.

12. La décision de l’OTAN soulève d’autres questions. Selon l’article 5 du Traité de Washington, il incombe à chaque allié de décider des mesures qu’il juge appropriées pour rétablir ou maintenir la sécurité dans la zone de l’Atlantique nord, y compris militaires. Le traité dit simplement que ces actions seront prises " d’accord avec les autres parties ". Dans le cas présent, les alliés sont convenus, à la demande des Etats-Unis, de prendre huit mesures précises, telles que :
 partager davantage le renseignement ;
 accorder des autorisations de survol générales pour les avions des Etats-Unis et d’autres alliés ;
 assurer aux Etats-Unis et à d’autres pays alliés l’accès aux ports et aux aérodromes ;
 redéployer des éléments des forces navales permanentes dans la Méditerranée orientale, et
 déployer des éléments de la force aéroportée de détection lointaine de l’OTAN pour appuyer des opérations de lutte contre le terrorisme.

13. Néanmoins, l’OTAN en tant que telle n’est pas directement associée aux opérations militaires lancées le 7 octobre 2001 par les Etats-Unis contre le régime des talibans en Afghanistan. Ainsi, l’invocation de l’article 5 du Traité de Washington, qui devait à l’origine s’appliquer dans le cas où les pays d’Europe occidentale seraient confrontés à la menace d’une attaque de grande envergure émanant du Pacte de Varsovie, n’a plus aujourd’hui qu’une portée essentiellement politique et symbolique, son objet étant de démontrer la solidarité des alliés avec les Etats-Unis.

14. Quelles seront les conséquences probables pour l’Alliance, et notamment pour la sécurité future des alliés européens ? Dans son discours prononcé le 9 octobre 2001 devant l’Assemblée parlementaire de l’OTAN réunie à Ottawa, le Secrétaire général de l’OTAN, Lord Robertson, a rappelé que " depuis des décennies, des experts argumentent sur le sens et la valeur véritables de l’article 5 et sur la question de savoir s’il a perdu toute signification avec la disparition de la menace soviétique ". Il a ainsi poursuivi : " aux yeux des Russes, l’article 5 résumait à lui seul l’orientation prise par l’OTAN pendant la guerre froide. Nous avons maintenant invoqué l’article 5 - mais dans un contexte entièrement différent, que la Russie peut comprendre. Nous devons nous appuyer sur cette dynamique ".

15. Quels seront le sens et la valeur véritables de l’article 5 si une action similaire se produit en Europe (par exemple contre des biens américains dans un pays membre) ? L’article 5 se transformera-t-il en engagement purement politique sans réelles implications militaires ? L’OTAN est responsable de la garantie militaire non seulement en vertu du Traité de Washington, mais aussi de l’article V du Traité de Bruxelles modifié.

16. Si ce dernier parle d’" agression armée ", il diffère toutefois de l’article 5 du Traité de Washington par deux aspects : sa portée se limite à l’Europe, mais il fait obligation aux autres parties d’apporter à la partie attaquée aide et assistance par tous les moyens en leur pouvoir, militaires et autres.

17. Il est vrai que les actes commis le 11 septembre l’ont été en Amérique du Nord et non en Europe. Toutefois, comme le soulignait la Recommandation n° 694 de l’Assemblée sur la sécurité européenne face au terrorisme international, si les pays alliés conviennent qu’ils sont tous confrontés à une agression armée (comme l’ont fait les partenaires de l’Alliance atlantique le 2 octobre 2001), cela entraîne du même coup l’activation de l’article V du Traité de Bruxelles modifié. Jusqu’ici, il était communément admis que la sécurité européenne et la sécurité transatlantique étaient indivisibles, et que les engagements de défense liaient tout autant les Européens que leurs alliés d’outre-Atlantique. Cela était vrai au moins en cas d’agression armée contre un membre de l’UEO. Il a été réaffirmé pendant des décennies qu’une telle agression impliquerait ipso facto l’activation du Traité de Washington et l’entrée en jeu de la puissance militaire américaine. Cette vue commune a servi aussi d’argument pour ne pas inviter un pays européen non membre de l’OTAN qui serait intéressé à adhérer au Traité de Bruxelles modifié afin d’éviter d’engager indirectement l’Alliance, et notamment les Etats-Unis, vis-à-vis d’un tel pays.

18. Cette position a constitué également l’un des arguments majeurs justifiant la thèse selon laquelle l’UEO n’avait pas besoin de structures militaires propres pour mettre en œuvre l’article V, mais pouvait s’appuyer entièrement sur l’OTAN à cet égard. Toutefois, ces arguments ne sont-ils valables que dans un sens ? Le Conseil de l’UEO n’a même pas publié de déclaration de solidarité vis-à-vis de l’OTAN pour sa décision sur l’article 5, sans parler de solidarité avec les Etats-Unis. Le 9 octobre 2001, le gouvernement allemand a donné la réponse suivante à une question posée par M. Bühler au Bundestag :
" Pour le gouvernement allemand, la décision prise par le Conseil de l’OTAN le 12 septembre 2001 n’a pas d’incidence sur l’article V du Traité de Bruxelles modifié. "

19. Le caractère superficiel de cette déclaration et le mutisme du Conseil de l’UEO peuvent être interprétés de plusieurs manières. Les gouvernements européens viennent de décider de mettre fin aux activités opérationnelles de l’UEO et de son Conseil. Nombre d’entre eux souhaitent vivement donner à l’opinion publique l’impression que l’UEO en tant que telle a d’ores et déjà disparu et que le Traité de Bruxelles modifié ne présente plus d’intérêt pratique. Rappeler publiquement l’existence de ce Traité et de son article V irait à l’encontre d’une telle approche.

20. Il serait encore plus inquiétant d’en déduire que l’obligation d’assistance mutuelle transatlantique peut désormais être dissociée de l’engagement européen correspondant. Un telle interprétation aurait de graves conséquences si une crise majeure affectait l’Europe. Enfin, la réponse du gouvernement allemand et le silence du Conseil de l’UEO pourraient être interprétés comme signifiant que les signataires du Traité de Bruxelles modifié n’attribuent pas aux termes d’" agression armée ", utilisés dans le Traité en question, la même signification qu’à ceux du Traité de Washington.

21. Si le Traité de Bruxelles modifié n’est pas pertinent et que l’invocation de l’article 5 du Traité de Washington n’est qu’un symbole de solidarité politique, quel est alors le rôle concret des alliances et des organisations militaires dans la lutte contre le terrorisme ? Le ministre néerlandais de la défense, M. De Grave, a proposé la création d’une unité spéciale de l’OTAN pour lutter contre le terrorisme 5, mais pour l’heure, aucune décision précise n’a été prise à cet égard.

22. Comment distinguer entre le terrorisme et la lutte menée par un mouvement de libération déterminé à se battre pour le droit à l’autodétermination ? Tant qu’on ne se sera pas mis d’accord sur la définition du " terrorisme ", il sera très difficile de dissocier précisément, dans la lutte contre ce fléau, le recours à des moyens civils et juridiques, associant des actions de police d’une part, de l’usage de moyens politiques et militaires d’autre part. Mais nous n’avons pas le temps d’attendre qu’une définition commune du terrorisme soit approuvée. Il sera donc nécessaire d’élaborer une stratégie globale, s’appuyant sur une combinaison appropriée de moyens civils et militaires.

23. L’Assemblée souligne, dans sa Recommandation n° 694, que les actes terroristes tels que ceux qui ont été commis aux Etats-Unis sont avant tout des crimes internationaux. Le recours aux moyens militaires contre les terroristes et leurs partisans ne doit en aucun cas consacrer l’assimilation d’actes criminels à des actes de guerre. La difficulté est alors de faire la distinction entre les événements aux Etats-Unis et les conflits en Tchétchénie, au Moyen-Orient ou en Irlande du Nord et les actions menées à l’instigation de l’ETA en Espagne ou du PKK en Turquie.

24. Les événements du 11 septembre 2001 et l’utilisation de substances biologiques et chimiques qui mettent en danger en premier lieu la vie de civils n’ont pas seulement gommé la distinction entre sécurité " interne " et sécurité " externe ", mais ils ont aussi servi à démontrer que les instruments traditionnels élaborés depuis la fin de la Seconde guerre mondiale pour faire face aux menaces pesant sur la sécurité sont devenus en grande partie obsolètes. Dans la situation où nous nous trouvons, le réexamen global des risques et menaces pour la sécurité, déjà demandé dans la Recommandation n° 685 de l’Assemblée en juin 2001, n’en est que plus urgent.


NOTES

3 Financial Times, 19 septembre 2001.

4 Ibid.

5 Frankfurter Allgemeine Zeitung, 27 septembre 2001.


Source : Assemblée parlementaire de l’Union de l’Europe Occidentale (UEO) http://www.assemblee-ueo.org/