1. D’Ypres (Belgique, 1915) au métro de Tokyo 2 (1995), des expérimentations de l’unité 731 de l’armée japonaise pendant la Seconde guerre mondiale au jugement du Dr. Wouter Basson, en Afrique du Sud, le développement et l’utilisation de substances chimiques et d’agents biologiques à des fins militaires et politiques (visant spécifiquement les populations civiles dans les cas d’actes terroristes ou criminels) ont constamment marqué le XXe siècle. Pour l’opinion publique, dans nos sociétés, les armes biologiques et chimiques (BC) font l’objet d’un rejet presque immédiat, tant leurs effets suscitent une terreur inégalée, qui dépasse celle de l’arme nucléaire. Alors que celle-ci a fini par être acceptée par la majorité des populations des pays détenteurs (en passant par la médiatisation des essais et un effort permanent d’information envers l’opinion publique), les armes BC sont presque toujours perçues de manière négative, si bien que la recherche dans ce domaine, dans les démocraties européennes, reste marquée par le secret et la discrétion, et présentée le plus souvent comme une activité à vocation défensive.

2. Le domaine des armes BC est celui qui présente la plus grande convergence de technologies militaires et civiles. L’industrie chimique et l’industrie pharmaceutique comportent un aspect dual très important, plus prononcé que dans les autres secteurs technologiques et industriels. Un char de combat, un avion de combat, un missile conventionnel sont construits avec des apports " civils " mais n’ont qu’une finalité militaire, et leur déploiement et leur utilisation sont assez visibles. Les propriétés létales d’un grand nombre d’agents et de substances BC, y compris en dehors d’un usage militaire, les rendent plus dangereux, également pour ceux qui les manient. La tragédie de Bhopal, en Inde, où un nuage toxique, libéré par une usine de pesticides durant la nuit du 2 au 3 décembre 1984, a tué des milliers de personnes, ou la crise actuelle autour de l’ESB et de l’épidémie de fièvre aphteuse qui a frappé l’Europe à partir du Royaume-Uni sont des exemples assez éloquents.

3. Le recours à l’arme chimique pendant la Première guerre mondiale a provoqué un choc émotionnel, proportionnel à ses effets au combat. Dès le conflit terminé, les Etats qui constituaient la communauté internationale de l’époque ont cherché à limiter l’usage des armes chimiques en cas de conflit. Ces efforts ont abouti à l’adoption, en 1925, du Protocole de Genève sur la prohibition d’emploi à la guerre de gaz asphyxiants, toxiques ou similaires. Dans les faits, la production d’armes chimiques n’a pas cessé, mais pour les signataires du Protocole, celui-ci a établi une règle de " non-usage en premier " qui a été suivie durant la Seconde guerre mondiale, alors que les principaux belligérants disposaient de stocks supérieurs en nombre et en qualité à ceux du conflit précédent. Cette situation a perduré pendant la guerre froide, jusqu’à la signature le 13 janvier 1993, à Paris, de la Convention sur les armes chimiques (CAC) qui en interdit non seulement l’usage, mais aussi la production et comporte des mécanismes destinés à empêcher la prolifération de ces armes.

4. Les armes biologiques modernes ont fait leur apparition dès la fin de la Première guerre mondiale et leur développement s’est intensifié avant et pendant la Seconde guerre mondiale. La guerre froide a intensifié la compétition entre les Etats-Unis et l’URSS dans ce domaine, jusqu’à ce que le Président américain Richard Nixon déclare unilatéralement, le 25 novembre 1969, que les Etats-Unis abandonnaient la " course " à l’arme biologique. A travers le Comité du désarmement des Nations unies, les Etats-Unis sont arrivés à un accord avec l’URSS pour mettre un terme au développement des armes biologiques. Le 10 avril 1972, la Convention sur les armes biologiques était signée par les Etats-Unis, l’URSS et le Royaume-Uni, et ouverte à la signature d’autres Etats.

5. Aujourd’hui, ces deux documents, la Convention sur les armes chimiques et la Convention sur les armes biologiques, sont les pierres angulaires du régime de contrôle et de non-prolifération des armes BC. Les progrès accomplis dans la voie de la diminution de la menace posée par ces armes sont considérables, surtout si l’on considère que les grands Etats qui disposent d’un potentiel industriel chimique et pharmaceutique important sont liés par ces conventions et les appliquent. Le risque d’une agression avec des armes BC n’a pas disparu mais il est, de plus en plus, associé à des actes de terrorisme émanant d’entités non étatiques. C’est une réalité qui mobilise l’attention des experts dans ce domaine, depuis les attentats au sarin commis au Japon par une secte religieuse, en 1994 et 1995, et, plus récemment, à la suite des cas de contamination à l’anthrax enregistrés aux Etats-Unis en octobre 2001.

6. La " prolifération du savoir-faire " est aussi une faille dans le système actuel. La circulation des hommes, des biens et de l’information facilite la dissémination des techniques de production d’agents chimiques et biologiques, même si cela est essentiellement confiné à un nombre plutôt restreint de techniciens. Par leur caractère dual, civil et militaire, les produits et les structures de production peuvent échapper aux contrôles internationaux. Il importe donc d’établir des régimes de vérification efficaces et souples pour tenir compte du besoin de protection d’intérêts économiques et industriels légitimes. Le problème se pose plus particulièrement pour les agents biologiques, dont le développement est favorisé par l’émergence de nouvelles biotechnologies et par les progrès de la génétique, dont les implications et les applications peuvent conduire au meilleur ou au pire des mondes, y compris en termes militaires.


NOTES

2 Du gaz neurotoxique sarin a été libéré dans des trains de banlieue de trois lignes différentes du métro de Tokyo. Il était dissimulé dans des boîtes contenant des repas et dans des canettes de boissons non alcoolisées placés à même le sol dans ces trains. Le sarin a été libéré lorsque les terroristes ont éventré les canettes avec des parapluies avant de quitter les trains. L’incident était programmé pour coïncider avec l’heure de pointe, lorsque les trains sont pleins à craquer de banlieusards. On a décompté 11 morts et plus de 5 500 blessés ; " Sarin Poisoning on Tokyo Subway ", Southern Medical Journal (Etats-Unis), juin 1997, http://www.sma.org .


Source : Assemblée parlementaire de l’Union de l’Europe Occidentale (UEO) http://www.assemblee-ueo.org/