La présidente rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d’enquête et fait prêter serment à M. Setbon.

Mme Nelly OLIN, Présidente - Je pense que vous allez procéder à un exposé.

M. Michel SETBON - J’ai préparé une petite introduction, comme cela m’a été demandé.

Mme la Présidente - Je vous donne très volontiers la parole, après quoi M. le Rapporteur aura un certain nombre de questions à vous poser.

M. Michel SETBON - C’est en tant que président de la Commission d’évaluation du collège scientifique de l’OFDT que je suis ici et que j’étais responsable, avec d’autres membres de collèges scientifiques, de l’évaluation du plan triennal qui figure la politique de lutte contre la drogue entre 1999 et 2002.

Je vais essayer, en peu de temps parce qu’il est impossible de résumer un rapport qui fait 250 pages, de vous dire un certain nombre de points importants.

Tout d’abord, l’évaluation de la politique de lutte contre la drogue pendant cette période vient après 35 ans d’application de la loi de 1970 qui n’a jamais été évaluée. Une tentative a été faite en 1993 — j’en faisais partie —, mais elle n’a pas abouti.

C’était donc une exigence qui demandait beaucoup de courage et de conviction pour lancer une telle opération, dans un contexte national peu favorable au développement de l’évaluation des politiques publiques. Je le rappelle en tant que praticien de l’évaluation.

Evaluer, c’est essayer de rendre compte de l’atteinte des objectifs visés par une politique publique et de vérifier leur degré de contribution à avancer dans l’efficacité des objectifs supérieurs à ceux qui sont énoncés.

L’objet de l’évaluation, selon l’accord qui était passé dans le cadre du mandat d’évaluation, était l’ensemble du plan triennal. C’était une commande de la présidente de la MILDT entre 1999 et 2002, Nicole Maestracci, qui nous a donné un mandat d’évaluation avec l’appui de tout son conseil d’administration.

Nous avons mis en place un dispositif à la fois indépendant, puisqu’il était composé d’une commission de quatre chercheurs, dont moi-même, et d’un appui en termes techniques et logistiques et en termes de collecte de données du pôle d’évaluation de l’OFDT.

L’approche que nous avons préconisée était ce qu’on appelle une approche globale, mais elle s’adaptait aux différents niveaux de mise en oeuvre des objectifs du plan triennal. Cela signifie que, si on voulait embrasser l’ensemble de la politique publique, elle était figurée par un certain nombre d’objectifs, dont certains d’ordre stratégique et d’autres d’ordre opérationnel, qu’il n’était pas pensable d’évaluer un à un, d’autant plus que leur ordre de mise en oeuvre pouvait venir directement de 1999, à la suite du plan triennal, d’autres étant antérieurs et continuant sur la durée ou étant modifiés par rapport à une stratégie de départ.

En prenant en compte les référentiels que nous avons établis, nous avons vite compris qu’il était impossible de prendre comme référentiel d’évaluation l’efficacité de la politique publique de ces différents objectifs. Le plus souvent, nous nous sommes attachés à montrer la cohérence entre la mise en place des modes opérationnels, les axes stratégiques dans lesquels ils étaient inclus et, surtout, leur effectivité. Autrement dit, alors que le plan triennal énonçait un certain nombre d’objectifs à atteindre, nous nous sommes d’abord attachés à vérifier en quoi ils s’intégraient aux stratégies identifiées et en quoi ils avaient été réellement mis en oeuvre pendant cette durée.

Il nous a donc fallu identifier les axes stratégiques et les faire figurer sous la forme de ce qu’on appelle une chaîne d’objectifs qui, pour être simple, est une sorte de théorie causale qui permet de relier un objectif opérationnel à un objectif stratégique.

La méthode consistait à collecter toutes les données accessibles en matière d’effectivité et d’efficacité des différentes opérations menées pendant cette période et de mener parallèlement un certain nombre évaluations ad hoc et spécifiques sur certains points. C’est ainsi qu’il a été fait notamment une évaluation sur la formation professionnelle des acteurs de la politique de lutte, une évaluation sur un objectif mis en place de façon expérimentale dans le 18e arrondissement de Paris et une évaluation des Contrats départementaux de prévention. En tout, cette opération a donné lieu à quatre ou cinq évaluations qui ont été jugées prioritaires et qui ont donné lieu à des recherches spécifiques avec des conclusions spécifiques.

Je répète qu’il est impossible d’en résumer le résultat, sachant que je pourrai répondre à vos questions parce que j’ai l’ensemble des résultats accessibles, mais nous avons abouti à un certain nombre de constats sous forme de tendances génériques qui ont entraîné des questions et des recommandations que nous avons énoncées dans notre rapport d’évaluation.

Je rappelle que le plan triennal est extrêmement ambitieux, tant en nombre d’objectifs visés qu’en termes d’innovations par rapport à un courant qui, depuis la loi de 1970, était assez étal en matière de politique de lutte contre la drogue. Les premiers infléchissements ont été mis en place au cours de l’épidémie de sida, au début des années 90, mais le plan triennal a innové et a fait preuve d’un volontarisme très fort.

Dans un contexte d’innovation en termes de champs et d’objectifs et dans un contexte de réaffirmation volontaire du rôle de la MILDT, nous limiterons nos conclusions à quatre points figurant les tendances marquantes du rapport d’évaluation et donc du plan triennal évalué.

Tout d’abord, nous sommes arrivés à ce constat au terme de notre travail : le champ d’action de la MILDT, qui est immense puisqu’elle essaie d’impulser, d’animer et même parfois d’agir directement sur des secteurs extrêmement différents et à cheval sur une quinzaine de ministères, peut à nos yeux être différencié selon trois cercles concentriques qui figurent trois niveaux d’engagement différenciés, et cela vaut pour l’ensemble des objectifs qui on ait été mis en oeuvre lors du plan triennal.

Le premier, c’est ce que nous avons appelé le pilotage en direct. La MILDT joue le rôle de maître d’ouvrage et l’acteur central d’un certain type d’action, de certains axes stratégiques ou de parties d’entre eux. Par exemple, nous avons pu voir qu’en matière d’information du grand public ou de mise en place des éléments d’une culture commune sur la politique de lutte contre la drogue et sur les données qui les fondent, elle a joué un rôle d’acteur moteur et central sans s’attacher directement à des ministères particuliers. Elle a répercuté cela sur le ministère de l’éducation nationale, sur celui de la recherche, etc.

Le deuxième cercle est un peu plus loin du centre : c’est celui que nous qualifions de pilotage contractuel. Il s’agit d’un espace d’activité ou d’action dans lequel sa présence, bien que réelle, est essentiellement traduite par des contrats d’objectifs avec des ministères, des institutions, associatives ou non, et des acteurs divers sous forme de contractualisation mais sur lesquels elle n’a pas d’action propre directe. C’est donc essentiellement à travers le financement qu’elle essaie de générer et d’impulser son action.

Le troisième cercle est ce qu’on appelle le pilotage par une coordination formelle. C’est le plus lâche, le plus lointain et le plus difficile à mettre en oeuvre. En l’occurrence, elle est sans pouvoir réel vis-à-vis d’administrations ou d’acteurs qui, pour être simples, n’ont pas réellement besoin d’elle. Il s’agit de la justice et de la police, qui ont leur logique d’action, leur financement, etc.

En fonction de l’identification de ces trois champs, nous avons pu constater que la MILDT a pu installer ou inscrire des priorités qui n’étaient pas identifiées au départ de la mise en place de son plan. Cela veut dire qu’elle a pu s’appuyer sur des terrains particuliers sur lesquels son action était la plus propre et la plus intense, et cela révèle que le rôle de la MILDT pour faire émerger des priorités est difficilement prévisible sans que cela se passe au sein de l’action elle-même.

Ce constat nous incite à réfléchir au contenu de la fonction interministérielle, qui est une vraie question, à ses possibilités actuelles, à son évolution et aux conséquences qu’il y aurait à renforcer ou à affaiblir ses pouvoirs selon les différents cercles. A notre avis, c’est une question qui demande réflexion. Il s’agit vraiment de se demander ce que peut ou ce que doit faire la MILDT et ce qui peut sortir de son champ.

Les trois points suivants figurent les constats transversaux aux huit axes stratégiques. Je ne vous les cite pas, mais, si vous les voulez, je pourrai vous en donner la liste...

M. Bernard PLASAIT, Rapporteur - Je préférerais qu’ils soient mis en annexe, si vous le voulez bien.

Mme la Présidente - Vous pourrez peut-être nous les laisser en tant que documentation.

M. Michel SETBON - Bien sûr.

Je vous rappelle que la fonction essentielle de l’évaluation d’une politique publique aussi complexe et difficile est d’identifier essentiellement les difficultés qui freinent la mise en oeuvre et la réussite des objectifs qui sont visés. Nous allons donc nous attacher à cela. Cela ne veut pas dire qu’à côté, des choses n’ont pas été faites ou qu’elles ont eu des impacts difficiles à mesurer, mais ces trois obstacles nous paraissent extrêmement importants et innervent les huit axes stratégiques.

Le premier concerne la définition des objectifs visés. Trop souvent, la définition opérationnelle des objectifs est insuffisamment précisée, ce qui aboutit à deux conséquences majeures.

Première conséquence : des objectifs multiples qui sont désignés au sein d’un programme donné et qui s’avèrent contradictoires lors de leur mise en oeuvre. Je citerai un exemple sur lequel j’ai travaillé particulièrement : l’expérimentation du 18e arrondissement de Paris qui visait deux objectifs : le renforcement de la prise en charge par les équipes de proximité, c’est-à-dire dans la rue, d’usagers de drogue problématiques et très marginalisés ; la médiation sociale, qui consiste à nouer un dialogue avec les riverains pour favoriser l’acceptabilité de la présence et de l’action des acteurs de terrain pour que cette intégration soit possible. Bien entendu (faute de temps, je n’entre pas dans les détails), ces objectifs, dans leur mise en oeuvre, se sont avérés incompatibles pour les mêmes acteurs.

Deuxième conséquence : l’insuffisance de définitions qui aboutit à des objectifs généraux ou flous, sans lien réel avec l’action sur le terrain et rarement quantifiés, sauf en termes de dispositifs. Quand il s’agit par exemple de déterminer le nombre d’équipes de proximité ou de distributeurs de seringues, cela a été quantifié au départ, mais en ce qui concerne l’effet de l’action, le public que l’on veut atteindre ou le type d’action que l’on veut impulser, ces objectifs manquent de quantification.

Le deuxième obstacle générique, c’est l’opacité des moyens nécessaires pour atteindre les objectifs fixés ou, du moins, affichés.

Les moyens doivent s’entendre en termes généraux, c’est-à-dire que ce ne sont pas simplement des moyens financiers. Il s’agit de toute la partie qui permet de faire l’adéquation entre ce qu’on veut atteindre et la manière dont on va l’atteindre : avec quelles forces et quels acteurs, en leur donnant quel type de formation, en mettant combien de personnes là où il faut, etc. ? Cette définition des moyens nécessaires à l’action manque souvent.

Cela a une double conséquence. D’un côté, cela sert souvent de justification aux acteurs de la mise en oeuvre pour dire que celle-ci n’est pas possible faute de moyens (c’est bien connu dans l’action publique) ; d’un autre côté, par rapport à l’acteur public interministériel, cela entraîne une multiplication inconsidérée d’objectifs non quantifiés qui lui permet de satisfaire toutes les demandes, mais sans induire véritablement une réalisation de ses objectifs.

Je vous donnerai un exemple cité dans notre rapport. Dans le cadre de l’élargissement au tabac et à l’alcool de la politique de lutte contre les produits psychoactifs, on a fixé une mission d’élargissement à l’Institut qui s’appelait "Drogues info-service", qui est devenu "Drogues, tabac, alcool info-service" et qui a pour fonction, je vous le rappelle, de répondre à la demande téléphonique individualisée de conseil et d’orientation. Or l’explosion d’appels qui a suivi cette promotion ou cet élargissement ne s’est pas accompagnée de la mise en place des structures nécessaires pour répondre. Alors qu’on s’est retrouvé avec un nombre d’appels qui a quintuplé, la réponse aux appels est restée quasiment stable.

Voilà un exemple.

Mme la Présidente - N’y voyez pas de ma part de la discourtoisie, monsieur Setbon, mais nous sommes limités par un délai et une chaîne d’auditions. Nous allons donc vous demander de nous laisser un maximum de documents et peut-être rebondir tout de suite sur vos premiers propos, si vous le voulez bien.

M. Michel SETBON - Je vous donne mon troisième point et je termine, car avec cela, vous aurez l’essentiel.

Le troisième obstacle, c’est l’insuffisance des systèmes d’information. C’est un mal chronique du système public français, qui n’est ni de la responsabilité directe de la MILDT, ni propre à cette politique publique que j’ai pu vérifier par ailleurs dans bien des champs, mais dont les conséquences directes sur le pilotage de l’action publique et sur l’évaluation sont extrêmement importantes. La solution — je le sais — n’est pas aisée parce qu’elle s’inscrit dans la longue durée, mais la MILDT — nous avons insisté sur ce point —dispose d’un levier d’action, en tout cas dans son premier champ d’action, dans lequel elle travaille en direct, mais aussi dans son deuxième champ, dans lequel elle est en contrat avec des institutions et des organismes, pour mettre en place de vrais contrats qui imposent la relation entre le financement et le système d’information. C’est un point extrêmement important.

Mme la Présidente - Merci infiniment. Je donne la parole à M. le Rapporteur.

M. le Rapporteur - Merci, monsieur. Je ne vais pas du tout rebondir sur vos propos parce que, comme nous sommes limités par le temps, je voudrais vous poser d’autres questions.

J’avais des questions générales sur le plan sociologique et je vous les poserai si nous avons une minute, mais je souhaite tout de suite vous interroger sur la sociologie du travail.

Pouvez-vous nous parler de l’usage de drogue au travail ? Avez-vous observé un développement important de la consommation de produits sur les lieux de travail, notamment de produits stimulants, induits par la nécessité de la performance, et les cadres, notamment, ne sont-ils pas particulièrement frappés par ce syndrome ?

De même, les médecins du travail vous semblent-ils suffisamment informés et formés pour répondre à ce problème important qu’est la consommation de drogue sur les lieux de travail en milieu professionnel ?

M. Michel SETBON - Sur le premier point, il n’y a pas, à ma connaissance de travaux réellement qualifiables de conséquents sur cette question et ce point n’a pas été abordé dans notre rapport d’évaluation parce que nous ne disposons pas de données sur la question.

Maintenant, j’ai une certaine expérience dans les risques au travail et non pas dans la médecine du travail.

M. le Rapporteur - C’est à cela que je fais appel. Je ne parle pas du tout de vos travaux sur l’évaluation mais de votre expérience de sociologue.

M. Michel SETBON - A ma connaissance, ce n’est pas une préoccupation prioritaire des médecins du travail et cela ne donne lieu à aucun relevé quelconque ou à des publications conséquentes sur la question. Cela n’a pas fait partie des priorités ni même des définitions du champ ou des objectifs du plan triennal et, à ma connaissance, ce n’est pas une préoccupation sur laquelle on relève des traces en termes de produits et de publications.

M. le Rapporteur - Cela veut-il dire qu’en fonction de vos différentes recherches et de votre expérience, vous n’avez pas au moins un sentiment sur la façon dont se pose le problème de la consommation de stupéfiants en milieu professionnel ?

Vous en savez quand même sans doute davantage dans ce domaine que bien d’autres puisque, dans vos études, vous avez en particulier travaillé sur la sociologie du travail et que les informations que vous pourriez nous donner là-dessus sont précieuses.

Vous avez répondu sur les médecins du travail et c’est une indication intéressante, mais ce sujet, par exemple, est-il encore tabou dans les entreprises ? N’en parle-t-on pas ? Ne veut-on pas en parler ou bien, au contraire, commence-t-on à se dire que c’est un problème qu’il faut commencer à étudier parce que, du fait des conduites à risques dans les endroits où il y a des machines dangereuses ou des actions dangereuses de la part des professionnels, il faut se demander dans quelles conditions ils peuvent exercer leur métier ?

M. Michel SETBON - En dehors de quelques traces de lutte contre l’alcoolisme en entreprise, les produits illicites, à ma connaissance, ne font pas partie des recherches systématiques ou mêmes sporadiques à l’intérieur du monde du travail pour une raison assez simple : en dehors de la médecine du travail, qui pourrait tomber par hasard sur un cas d’utilisation de produits psychoactifs chez des gens qui sont dans des postes dangereux, exposés ou mêmes normaux, c’est la police qui détecte les usagers de drogue. Or la police n’est pas dans les entreprises.

Par conséquent, il n’y a pas grand-chose, en dehors d’une mobilisation du corps des médecins et des inspecteurs du travail qui pense, d’après ce que j’en sais, que les priorités sont ailleurs et en dehors de la part, débutante mais encore petite, de la lutte contre l’alcool ou du dépistage de conduites à risques à l’origine d’une alcoolisation excessive.

M. le Rapporteur - Selon vous, ne faudrait-il pas une modification de la législation ou l’introduction dans la législation de dispositifs qui permettraient de se pencher sérieusement sur ce problème ? Quand on sait, d’une part, que certaines professions font courir aux autres des dangers (je pense aux conducteurs d’autobus de ramassage scolaire, aux pilotes, aux contrôleurs aériens ou à ceux qui, dans les centrales nucléaires sont devant des cadrans et des leviers dont la manipulation peut être extrêmement dangereuse) et que, d’autre part, la prise de médicaments le matin avant d’aller au travail ou le fait d’avoir fumé du cannabis peut entraîner des modifications dans le comportement et dans l’appréciation du temps et de l’espace, il est évident que la puissance publique ne peut pas se désintéresser de ce qui se passe dans un certain nombre de métiers à risques. Quel est votre avis sur ce point ?

M. Michel SETBON - Cela pose un problème de dépistage extrêmement complexe à installer de façon ciblée et spécifique en fonction des produits que l’on recherche et de la dangerosité sur les comportements que cela induit, et je pense que l’on aurait probablement des surprises si on mettait en oeuvre un dispositif pareil.

Dans la sphère du système de santé, que je connais un peu, j’ai eu connaissance du fait, par exemple, que les anesthésistes utilisaient pour eux-mêmes certains produits euphorisants.

M. le Rapporteur - Voilà qui est inquiétant.

M. Michel SETBON - Pour autant, il n’y a aucune enquête sérieuse sur ce point. Vous pouvez imaginer la difficulté que représenterait un travail quasi scientifique, c’est-à-dire lié à des observations ou à des déclaration qui feraient foi. A part un dépistage biologique en situation réelle, aucune donnée ne serait fiable.

M. le Rapporteur - Alors qu’on se préoccupe de considérer le comportement de sportifs en se disant qu’il faut que leurs performances soient limpides, il me semble qu’à tout le moins, on devrait avoir la même préoccupation pour des gens qui exercent un métier faisant courir aux autres un risque important, quelles que soient par ailleurs les difficultés du dépistage.

M. Michel SETBON - C’est un vrai problème. Vous connaissez le problème pour la conduite automobile, qui est toujours controversée dans son effectivité et sa capacité à répondre à la question de savoir si quelqu’un qui a utilisé du cannabis la veille et qui prend sa voiture le lendemain augmente le risque d’atteinte à autrui ou à soi-même de façon objectivement démontrable selon la latence des produits, les effets et le type d’usage, qui varient énormément et ont des impacts différents selon la susceptibilité des individus.

A mon avis, c’est une question extrêmement sérieuse que vous posez mais dont la réalisation en termes de recherche me paraît complexe.

M. le Rapporteur - Merci, monsieur.

Mme la Présidente - Avez-vous d’autres questions, mes chers collègues ?

Mme Monique PAPON - Ce que vous venez de nous dire m’inquiète un peu, monsieur. En effet, si j’ai bien compris, aucune étude n’aurait, d’après vous, quantifié la responsabilité exacte de l’excès de drogue dans l’origine, par exemple, des accidents du travail dans l’entreprise.

M. Michel SETBON - Pas à ma connaissance.

Mme PAPON - Merci.

M. Serge LAGAUCHE - Je reste sur cette question. Quand il se produit un accident du travail, un rapport et des analyses sont effectués et on peut faire des recherches, par exemple, concernant l’alcool ou des pratiques habituelles, notamment alimentaires. Des choses sont donc faites à cet égard. Maintenant, le fait est qu’on ne dispose sans doute pas d’une compilation suffisamment connue des résultats de ces analyses au niveau de la médecine du travail.

Par ailleurs, vous avez parlé des anesthésistes qui prennent des produits euphorisants, mais ils ne les prennent pas quand ils sont en train de faire des anesthésies ; ils les prennent en dehors. La pratique, en particulier chez les personnels hospitaliers, de l’utilisation de certains produits qu’ils connaissent est faite dans des conditions qui ne sont pas, à part quelques exceptions, régulières. Je parle bien du milieu hospitalier, puisque ce sont des produits hospitaliers dont il est effectué un contrôle de la consommation. Il s’agit donc forcément, en principe, de faibles quantités, même si, au travers des laboratoires, il peut y avoir parfois un certain laisser-aller dans les périodes expérimentales, mais cela reste faible.

M. Michel SETBON - De toute façon, ce que vous évoquez dans un sens ou un autre revient à dire la même chose : ce qu’on peut révéler par un événement qui démontre l’utilisation de produits psychoactifs lors du travail ne peut en rien nous donner l’échelle, c’est-à-dire que ce qui est possible ne nous indiquera jamais la probabilité et sa fréquence. C’est le vrai sujet.

A mon avis, si des gens prennent des produits qui modifient leur comportement dans de nombreuses sphères de travail, je suis prêt à faire le pari que cela existe. Le problème est de déterminer à quelle fréquence. Pour un accident révélé sous prise de produit, combien de pratiques à risques sont-elles susceptibles de produire un accident ? Voilà la vraie question.

Là-dessus, on est incapable, pour des raisons à la fois sociales, déontologiques, politiques, scientifiques ou méthodologiques, de mettre en place des protocoles capables de dire, avant que l’accident se produise, quelle est la taille de la population relative susceptible de générer un accident. C’est un vrai défi, mais je comprends votre souci. A ma connaissance, en France en tout cas, aucune étude n’a été programmée dans ce sens.

M. le Rapporteur - Savez-vous justement si, à l’étranger, il y a des pratiques ou des législations différentes ?

M. Michel SETBON - Non, mais votre question me poussera à aller chercher si des travaux ont été publiés dans ce sens, mais je pense que les freins éthico-politiques sont moindres dans certains pays dans lesquels la recherche de produits psychoactifs peut être plus systématiquement mise en oeuvre que dans notre pays. Je rechercherai.

M. le Rapporteur - Si vous pouvez nous donner quelques indications sur ce point, cela nous sera précieux. Je n’ai plus de questions et je vous remercie.

Mme la Présidente - Nous vous remercions beaucoup. Pourrez-vous nous laisser des documents ?

M. Michel SETBON - J’ai pratiquement dit l’essentiel, mais je peux vous laisser le document de base qui comporte les huit axes que je n’ai pas pu citer.

Mme la Présidente - Nous vous remercions.


Source : Sénat français