Procès-verbal de la séance du mercredi 2 avril 2003

Présidence de M. Patrick Ollier, Président,
puis de M. Xavier de Roux, vice-président

Les témoins sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête leur ont été communiquées. A l’invitation de M. le Président, les témoins prêtent serment.

M. le Président : Monsieur le directeur, il serait opportun que vous puissiez nous exposer la gestion du dossier Air Lib par le ministère des Transports, depuis votre entrée en fonction, avant que nous en venions aux questions

M. Jean-Claude JOUFFROY : Comme vous m’y invitez, monsieur le Président, je vais vous présenter l’action du gouvernement depuis le mois de mai 2002 jusqu’au mois de février 2003, date à laquelle nous avons retiré la licence d’exploitation de la compagnie Air Lib. Je ferai un rappel plutôt chronologique qui vous permettra d’avoir une assez bonne vue, me semble t-il, du dossier.

Au préalable, je dois vous dire que toute l’affaire Air Lib a été extrêmement préoccupante pour Dominique Bussereau, son secrétariat d’Etat aux Transports et à la Mer et les collaborateurs qui s’en occupaient. Elle a beaucoup mobilisé nos énergies depuis pratiquement début juin jusqu’au mois de février. Le gouvernement a été animé par deux préoccupations et pas davantage.

Notre première préoccupation était de tout tenter pour assurer la survie d’Air Lib parce que, grosso modo, 3 000 emplois étaient en cause. Telle a été notre préoccupation constante depuis que nous sommes saisis du dossier.

Notre deuxième préoccupation était celle d’une bonne gestion des deniers publics.

Ces deux préoccupations parallèles étaient un peu divergentes et c’est ce qui a guidé précisément toutes les décisions que nous avons prises. Le gouvernement, dans toutes ses composantes, outre le secrétariat d’Etat aux Transports bien sûr, a poursuivi uniquement et strictement ces deux objectifs.

En étant assez synthétique mais aussi relativement précis sur des dates - les dates et les faits ont leur importance - je scinderai mon propos en plusieurs parties.

Premièrement, la société telle que nous l’avons trouvée à notre arrivée.

Deuxièmement, les décisions du gouvernement avant l’été.

Troisièmement, les décisions du gouvernement à l’automne.

Quatrièmement, les décisions du gouvernement après l’arrivée du seul investisseur potentiel, IMCA.

Cinquièmement, le final.

Qu’avons-nous trouvé à notre arrivée ?

Le gouvernement s’est constitué le 7 mai 2002 et, très rapidement, fin mai-début juin, nous avons été saisis du dossier Air Lib. Nous avons constaté ce que tout le monde sait, mais je le rappelle. Le jugement du tribunal de commerce du 27 juillet 2001 avait décidé la reprise d’Air Lib par Jean-Charles Corbet, mais aussi, je le rappelle car ce point avait été quelque peu oublié, le tribunal avait nommé un mandataire ad hoc pendant la période d’observation, Me Hubert Lafont.

Le tribunal de commerce était d’accord pour que la holding Holco - holding Corbet - participe majoritairement au capital de la société Air Lib avec un certain nombre de filiales. Je n’insiste pas sur ce point car les documents que vous avez le font certainement apparaître.

Nous avons trouvé une entreprise avec les caractéristiques suivantes : 2 576 personnes exactement au 31 de l’année 2001. Il est vrai que les chiffres ont été toujours assez difficiles à obtenir chez Air Lib, moins d’ailleurs sur les personnes que sur les aspects financiers. Disons que le groupe employait aux alentours de 3 200 personnes, mais notre préoccupation était la société Air Lib, de notre compétence directe. Il y avait 33 appareils, tous relativement âgés, affectés à trois domaines : les liaisons avec les DOM, les lignes intérieures et l’Algérie.

M. le Président : Les 33 appareils étaient la propriété d’Air Lib ou la propriété d’autres sociétés ?

M. Dominique DAVID : En fait, certains appareils étaient loués. Il y avait une répartition de ces appareils entre plusieurs propriétaires.

M. le Président : Combien appartenaient à Air Lib ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Je ne peux pas vous le dire exactement mais nous pourrons vous communiquer ce chiffre.

Le chiffre d’affaires était de l’ordre de 600 millions d’euros. Je dis bien " de l’ordre de " car nous n’avons jamais eu aucun chiffre précis de qui que ce soit, que ce soit de l’entreprise ou des audits qui ont été faits.

Il y avait aussi un résultat négatif également " de l’ordre de ... " car nous n’avons strictement jamais eu aucun chiffre fiable : une perte de l’ordre de 50 millions d’euros pour un an. Il faut dire en plus que je n’ai jamais très bien su quelles étaient les références du début et de la fin de l’année.

M. le Président : Vous voulez dire que vous les avez demandés et qu’on ne vous les a pas communiqués ou qu’il y a eu une impossibilité.

M. Jean-Claude JOUFFROY : Oui, on nous a beaucoup communiqué de chiffres, mais je dirai qu’on nous a surtout " noyés ". En fait, ce n’étaient jamais les bons chiffres.

Pourtant, un chiffre d’affaires ou un résultat d’exploitation est facile à calculer en partant du 1er janvier au 31 décembre. Je n’ai jamais vu en ce qui me concerne de tels chiffres.

M. le Président : Lorsque vous avez pris le dossier en charge, se posait le problème du prêt FDES. Je n’imagine pas qu’un gouvernement puisse engager des actions vis-à-vis d’un prêt aussi important sans avoir un dossier complet. Dans le dossier que vous avez trouvé, il n’y avait ni le chiffre d’affaires, ni les pièces comptables qui établissaient la situation réelle de l’entreprise ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Au niveau du cabinet, on n’a bien sûr retrouvé strictement aucun dossier sur Air Lib, mais c’est la coutume ...

Je ne sais pas quel dossier avait exactement la Direction générale de l’aviation civile (DGAC) sur Air Lib, mais elle était très profondément ignorante de la réalité d’Air Lib en tout cas. Quand on posait des questions très précises et simples, par exemple sur le chiffre d’affaires et sur les pertes, la DGAC ne pouvait pas non plus nous répondre.

M. Charles de COURSON, Rapporteur : Avez-vous vu des comptes ? L’exercice finissait en mars 2002. Trois mois après, à la fin juin, des comptes devaient être déposés, comme pour toute société, au greffe du tribunal de commerce du lieu du siège.

M. Jean-Claude JOUFFROY : Non, je n’en ai jamais vu. J’ai vu beaucoup de chiffres, beaucoup de rapports, mais je n’ai jamais vu de comptes et jamais de la manière dont vous le dites.

Cette entreprise avait une licence d’exploitation provisoire, puisqu’elle était en situation délicate, jusqu’au 31 octobre 2002. C’est ce que nous avons constaté à notre arrivée.

Enfin, nous avons constaté nous aussi ce que Swissair devait à Air Lib. Je l’ai su plutôt par la presse que par d’autres sources. Swissair a effectué un versement à Air Lib de l’ordre de 160 millions d’euros, mais aurait dû encore verser de l’ordre de 60 millions d’euros.

Telle était la situation que nous avons trouvée, en ce qui concerne l’entreprise.

M. le Président : A votre connaissance, ces 160 millions ont été versés à Air Lib en tant que société ? A qui ont-ils été versés ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Je ne peux pas répondre précisément car je ne le sais pas exactement.

M. Alain GOURIOU : Est-ce que vous aviez connaissance de l’ensemble des filiales que recouvrait le groupe ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Oui ! Mais pas dès le début.

M. Alain GOURIOU : A quel moment avez-vous eu la connaissance de l’ensemble des filiales ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Nous avons commandé deux audits : un audit au Cabinet KPMG et un audit au Cabinet Mazars. L’audit Mazars a été rendu le 16 juillet. La composition des filiales y figurait.

M. le Président : Vous l’avez donc découverte au moment où on vous a donné l’audit et pas avant ?

M. Alain GOURIOU : Y compris la filiale irlandaise et la filiale hollandaise ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Je ne sais plus si la filiale irlandaise y était. Nous avons eu une vue très complète des filiales dans le rapport du cabinet Mazars, en juillet.

M. le Rapporteur : Je vous rappelle, chers collègues, que vous avez tous reçu une lettre de M. Corbet qui affirme : " Holco a rationalisé l’activité en l’organisant autour de onze filiales directes et transparentes... ".

Nous en avons découvert encore une ce matin. Elle porte le nom de Air Lib Finances et elle n’est pas sur l’organigramme. Actuellement il y en a 6 et d’après M. Corbet il y en aurait 11. Il en manque 5. C’est donc l’une des questions que nous poserons à M. Corbet.

Quant à vous, monsieur le directeur, vous connaissiez l’existence de six filiales.

M. Jean-Claude JOUFFROY : Je connais celles citées par le rapport Mazars !

Je veux également dire ce que nous avons trouvé à notre arrivée, concernant ce qui avait été fait par l’Etat. C’est évidemment extrêmement important pour nous.

Nous avons constaté deux choses.

Première constatation : le gouvernement précédent avait accordé à Air Lib - je ne sais pas exactement à quelle date - un prêt du FDES de 30,5 millions d’euros. Sur le plan juridique, c’était une " aide au sauvetage ", selon la terminologie. C’était une aide temporaire. Ensuite, il fallait passer à une aide à la restructuration, point sur lequel nous reviendrons.

M. le Président : Temporaire pour six mois ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Renouvelable une fois ! Au-delà, on était obligé de passer à l’aide à la restructuration.

Nous avons donc constaté qu’il y avait un prêt à cette entreprise. Il devait être remboursable en deux fois. Le premier remboursement venait à échéance le 9 juillet 2002.

Deuxième constatation : un moratoire relatif aux dettes publiques avait été accordé également par l’ancien gouvernement. Un accord d’étalement des charges publiques, dont nous n’avons pas le détail, portait sur le dernier trimestre 2001 et le premier trimestre 2002.

Je n’ai pas cet accord d’étalement, mais le CIRI pourra vous donner plus de précisions sur cet accord.

M. le Rapporteur : A votre connaissance, y a-t-il eu un document écrit sur ce premier moratoire ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Je ne sais pas.

M. le Président : Dans les dossiers du ministère, vous n’avez pas trouvé de document écrit ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Non. Je n’en ai jamais vu. La DGAC ne nous a jamais rien transmis. Il y en avait peut-être !

M. le Président : Un moratoire est un acte officiel, une décision qui fait l’objet d’un document écrit. Il y a un deuxième moratoire pour lequel vous avez un document écrit.

M. Jean-Claude JOUFFROY : Oui, c’est le Comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI) qui a ce document.

M. le Président : Vous pourrez nous le communiquer ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Nous parlons du moratoire qui a été confirmé au 1er août par le CIRI. Nous vous l’enverrons, monsieur le Président.

M. Jean-Louis IDIART : Tout le monde nous dit qu’il n’y a pas de documents ! Mais je suppose que le cabinet du ministre, lorsqu’il a travaillé sur le dossier, a cherché à avoir tous ces éléments-là !

M. le Président : M. Jouffroy dit qu’il n’a pas trouvé le document.

M. Jean-Claude JOUFFROY : Dans tout gouvernement, il faut distinguer les cabinets et l’administration. En ce qui concerne le cabinet, à notre arrivée, nous n’avons trouvé aucun dossier, mais c’est normal. Par contre, ce qui m’a beaucoup plus surpris, c’est que les dossiers étaient à peu près inexistants à la direction générale de l’aviation civile.

M. le Rapporteur : Mes chers collègues, puisque monsieur le directeur nous dit qu’il n’a rien trouvé, il nous restera à éclaircir le champ du moratoire, le point de savoir qui en a pris la responsabilité et si l’autorité qui en a pris la responsabilité avait le pouvoir de le faire.

Il semble qu’il y ait des problèmes fiscaux et des problèmes de cotisations sociales ; ce sont autant de points qui restent à éclaircir.

M. le Président : Le champ d’application du moratoire porte sur les URSSAF, semble t-il, avec les ASSEDIC ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Pour ce qui concerne l’ancien gouvernement, je ne le sais pas exactement...

M. le Président : Je parle du premier moratoire. Je crois qu’il portait aussi sur la TVA ; à cet égard, qui a le pouvoir d’accorder un moratoire ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Vous me posez une " colle " !

M. le Rapporteur : D’après ce que vous savez, qui a le pouvoir d’accorder un moratoire sur la TVA ? Ce n’est pas le ministre des Transports ! Une procédure existe en la matière, en fonction des montants.

M. Jean-Claude JOUFFROY : D’après les notes que j’ai lues, cela m’étonnerait beaucoup qu’il n’y ait pas un acte écrit du CIRI. Mais tout est possible.

M. Jean-Louis IDIART : Il est un point que je ne comprends toujours pas. Pendant cette période durant laquelle le ministère des Transports a travaillé, il a bien été amené à se poser des questions sur les conditions dans lesquelles Air Lib avait traité avec le gouvernement précédent ou avec l’administration. Au moment de prendre les décisions, lorsque le gouvernement décidait de tel ou tel choix, ce dernier savait très bien quel devait être le moratoire sur la dette publique. Il devait avoir tous ces éléments. Je ne comprends pas que le ministère des Transports ne les ait pas.

M. Jean-Claude JOUFFROY : J’ai parfaitement le montant, mais je ne sais pas si il y avait eu des traces écrites.

M. le Président : Je pose donc une question précise : " Y a t-il un document écrit accordant ce moratoire ? ". La réponse est claire : c’est non.

M. Jean-Claude JOUFFROY : Je ne l’ai pas vu.

M. le Président : Nous demanderons à Monsieur Massignon, Secrétaire général du CIRI s’il a un document.

M. Jean-Louis IDIART : Avant de prendre une décision, il a bien fallu savoir s’il y avait un document.

M. le Président : Ce n’est pas Monsieur Bussereau qui a pris la décision. C’est un cabinet - celui de Monsieur Gayssot - qui n’existe plus au moment où les ministres prennent leurs fonctions.

M. Jean-Louis IDIART : Certes, mais ensuite, dans l’élaboration de la décision, on est bien amené à connaître tous les éléments de ce qui s’est passé antérieurement.

M. le Président : Nous avons les sommes sur lesquelles portait le moratoire !

M. Jean-Louis IDIART : Je parle pour ce qui est de l’Etat, pas du reste.

M. le Président : Nous avons connaissance des sommes sur lesquelles portent les décisions. Or nous souhaitons avoir le document qui fait état de la décision gouvernementale accordant ce moratoire.

J’ai posé une question claire. Vous n’avez pas de document ? La réponse est claire : c’est non.

M. le Rapporteur : Monsieur le directeur, vous aviez le montant ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Je connaissais le montant exact, ce qui m’intéressait davantage que ce qui s’était passé avant.

M. le Rapporteur : Il était de combien ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : La dette relative aux charges publiques était de 31,3 millions d’euros au 1er juin 2002. Elle se répartissait ainsi : 17 millions d’euros pour l’URSSAF et les ASSEDIC ; 5 millions d’euros pour Aéroports de Paris (ADP) et 9,3 millions d’euros pour la DGAC.

M. le Rapporteur : Je fais simplement une réflexion de méthode, monsieur le directeur : ce sont des sommes de nature différente. Pour ADP ce sont les taxes aéroportuaires ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Non, ce sont les redevances aéroportuaires et pas les taxes. Pour la DGAC, ce sont les taxes aéroportuaires, les redevances.

M. le Rapporteur : Mais chacun de ces trois blocs relevait d’autorités différentes. Nous examinerons s’il y eu des décisions et des actes officiels sur ce plan.

M. Jean-Claude JOUFFROY : Je crois comprendre à travers les papiers qu’Air Lib avait obtenu un report de toutes ces échéances. C’est ce que l’on appelle le moratoire, précisément.

Mais je veux surtout dire qu’Air Lib, depuis le mois d’avril 2002, avait arrêté tout simplement le paiement de ces dettes qui avaient été échelonnées.

M. le Rapporteur : En plus du moratoire.

M. Jean-Claude JOUFFROY : Nous avons donc constaté cette situation : prêt d’Etat de 30,5 millions d’euros et dettes d’Air Lib de 31,3 millions d’euros.

Nous avons constaté une troisième chose. L’Etat avait donné un agrément pour le GIE fiscal. Là encore je ne sais pas à quelle date, mais la Direction générale des impôts ou le ministère des Finances pourrait vous le dire. Cette question du GIE fiscal a été largement répandue dans la presse par Air Lib et des choses très inexactes ont été dites.

Je n’ai jamais beaucoup compris dans tous les détails juridiques ce qu’était exactement ce GIE fiscal. Grosso modo, il consistait à permettre avec l’aide d’investisseurs.....

M. le Président : Quels investisseurs ? Avez-vous des noms ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Non ! C’est ce que j’allais vous dire. Le GIE n’a jamais été constitué.

M. le Président : Nous avons posé des questions aux syndicats. Dans le cadre du comité d’entreprise, ils auraient pu avoir des informations. Or, jusqu’à présent personne n’a pu nous citer le nom d’un seul investisseur depuis la reprise de 2001.

Si vous avez des noms, cela nous intéresse de les avoir aussi.

M. Jean-Claude JOUFFROY : Il faut vraiment être bon juriste pour connaître toutes les modalités juridiques du GIE. Le principe est par contre relativement simple. Un GIE permet une certaine défiscalisation, ce qui présente des intérêts pour les uns et pour les autres.

Au travers de ce GIE fiscal, Air Lib avait envisagé l’achat de deux avions, deux Airbus A340. Nous avions un long courrier de 300-350 places qui était destiné à l’époque à la desserte de La Réunion, nous avait dit Jean-Charles Corbet.

Ce GIE fiscal avait surtout pour objet, au travers des procédures que je connais mal, d’apporter 40 ou 45 millions d’euros de trésorerie à l’entreprise. En fait, là encore je n’ai jamais eu les chiffres exacts.

Pour que ce GIE fiscal puisse se réaliser, il fallait réunir plusieurs conditions. La première condition était que l’Etat soit d’accord sur ce GIE fiscal qui était dérogatoire. Là non plus je ne peux pas trop vous dire exactement pourquoi il fallait qu’il soit dérogatoire au droit commun des GIE fiscaux. Cette question a dû faire l’objet d’une discussion assez difficile avant que nous arrivions. Mais quand nous sommes arrivés ou peu de temps après, plutôt fin mai-début juin, la direction générale des impôts (DGI) avait donné son accord pour que l’agrément de l’Etat soit donné à ce type de GIE.

Le seul rôle de l’Etat en la matière était de donner son agrément pour que, juridiquement, ce GIE fiscal puisse être réalisé. Cela a dû être fait fin mai ou début juin : il n’y avait plus de problème de ce côté-là.

M. le Président : M. Corbet dit que le GIE n’avait pas pu être créé parce que l’Etat avait mis des obstacles.

M. Jean-Claude JOUFFROY : Je pense qu’il dit des choses qui ne sont pas vraies.

M. le Président : L’Etat avait donné son agrément au GIE. Pourquoi n’a-t-il donc pas été créé ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : J’ai parlé de la première condition.

La deuxième condition était de trouver des investisseurs.

C’est là où je réponds, très partiellement, monsieur le Président, à votre question. Le Président d’Air Lib a eu beaucoup de difficultés à trouver des investisseurs. Nous l’avons interrogé mille et une fois entre le mois de juin et le mois de juillet. Moi-même j’ai fait des réunions pour savoir exactement où on en était.

M. Corbet était conseillé par la banque ARJIL. A une de ces réunions, au mois de juillet me semble-t-il, j’avais demandé à la banque de venir parce que je préférais m’adresser directement à la banque pour savoir exactement les choses.

La banque ARJIL m’a confirmé à l’époque - courant juillet - que les investisseurs n’étaient pas tous trouvés mais qu’il y avait grosso modo 25 % du financement assuré par Crédit Agricole -Indosuez. Je n’ai pas de papier sur ce point, mais c’est ce que l’on m’a dit. Cela ne représentait qu’une partie du financement. Mais je n’ai aucune preuve et je n’en sais pas plus.

En tout cas, il n’a pas pu se faire parce qu’il n’y a pas eu les investisseurs nécessaires.

J’en viens à la troisième raison.

Ce GIE fiscal était en gestation depuis très longtemps, depuis le début de l’année. Il avait pour objet, en dehors du fait de donner de la trésorerie à Air Lib de l’ordre de 45 millions d’euros - c’était bien l’objectif majeur -, de permettre aussi d’acheter des avions à Airbus, deux Airbus 340.

Fin juillet, Airbus constatait que les choses tardaient et n’en finissaient pas. Il n’y avait pas d’investisseurs ! D’après ARJIL, je le répète, on n’avait peut-être trouvé que 25 % de financement auprès du Crédit Agricole-Indosuez ! Airbus a donc vendu ses avions fin août à Air Tahiti Nui. Air Tahiti Nui versait tout de suite l’acompte pour les avions qu’il achetait donc, ce qu’Air Lib n’a jamais pu faire bien sûr.

Airbus m’a dit téléphoniquement que depuis plusieurs mois le président d’Air Lib n’arrivait pas à conclure avec eux et n’avait pas d’investisseurs pour créer un GIE fiscal. Air Lib ne pouvait donc pas acheter les avions. Air Tahiti Nui étant demandeur de ces deux avions et donnant les acomptes en cash, Airbus m’a dit qu’ils ont arrêté les discussions avec Air Lib et ont vendu les deux avions à Air Tahiti.

Voilà exactement ce que je sais sur ce sujet.

Mme Odile SAUGUES : J’ai cru comprendre au travers de la presse qu’Airbus devait vendre à tempérament deux A340 à Air Lib, appareils réservés et prépayés à hauteur de 27 millions de dollars chacun, à titre de dépôt de garantie, par la société Flightlease, filiale de la Swissair. Cela devait se faire dans le cadre de l’opération de crédit-bail qui avait été prévue par la société Air Liberté-AOM. Ce montage était-il bien exact ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Je ne peux pas répondre très exactement à votre question. Le sujet est en effet assez compliqué.

Ce que je peux dire, c’est qu’Airbus affirme de la manière la plus expresse qu’il n’y a en ce qui le concerne aucun lien de quelque type que ce soit, aucun engagement de vendre des avions à la nouvelle compagnie Air Lib. Je peux vous donner la fiche correspondante.

M. le Président : Vous nous donnerez la fiche et, de toute manière, nous inviterons le directeur d’Airbus à venir nous expliquer les choses.

Mme Odile SAUGUES : Les appareils sont-ils bien devenus la propriété de Air Tahiti Nui ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Oui ! Maintenant ils sont payés.

Mme Odile SAUGUES : Ils ont été payés ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Oui, je le pense, mais je ne m’en suis pas préoccupé ensuite.

M. le Rapporteur : D’après ce que vous savez, monsieur le directeur, est-ce que la garantie avait été versée par l’ancienne société ?

En tant que rapporteur sur le transport aérien, je suis allé à Toulouse discuter du problème du plan de charges et de planning. Je crois me souvenir que le président d’Airbus, Noël Forgeard, m’avait parlé de plusieurs affaires : des compagnies avaient versé des dépôts de garantie, mais elles n’étaient pas allées plus loin. Dans cette hypothèse, le contrat prévoit qu’Airbus conserve le dépôt de garantie, mais doit retrouver un autre acquéreur. Parfois, il leur faut réinvestir parce qu’il faut adapter l’avion en fonction des besoins de l’autre compagnie. Mais dans cette hypothèse, par exemple, si le prix était 100 et qu’il y avait déjà eu 25 de versés, Airbus garde les 25.

M. Jean-Claude JOUFFROY : Je crois que c’est exactement de que vous venez de dire, mais je connais mal les procédures.

M. le Rapporteur : Il faudra que nous vérifions s’il y avait déjà eu un dépôt de garantie. Dès lors, Air Tahiti Nui aurait acheté ces appareils moins chers, mais c’est un point à vérifier. Autrement dit, ils ont bénéficié d’un dépôt de garantie de l’ancienne société d’exploitation et non pas d’Air Lib. Ce qui n’est pas la même chose, contrairement à ce que tout le monde croit. Juridiquement, ce n’est pas le même " être " juridique.

Mme Odile SAUGUES : J’avais parlé d’une somme de 27 millions de dollars par avion qui avait été avancée par la société Fligthlease, organisme financier, filiale de Swissair, dans le cadre d’une opération de crédit-bail prévue avec la société Air Liberté - AOM. Il y avait donc déjà eu un prépaiement.

M. le Rapporteur : Absolument et je crois qu’il a été conservé par Airbus qui, ensuite, a trouvé un autre acheteur.

M. le Président : Nous n’allons pas discuter de ce point maintenant et nous poserons la question au Président d’Airbus.

Madame Saugues, si vous avez des éléments à nous donner, ils sont les bienvenus.

Mme Odile SAUGUES : Je ne prétends pas apporter d’éléments. Je pose des questions à un représentant du gouvernement, directeur de cabinet de M. le Ministre, afin de vérifier si les assertions qui ont pu être avancées ici ou là sont exactes. Je ne prétends pas posséder la vérité, surtout pas dans cette affaire.

M. le Président : Si vous avez des articles de presse ou autres que nous n’avons pas, donnez-nous les ! Nous sommes preneurs.

M. Jean-Claude JOUFFROY : Le sujet est un peu compliqué. Mais une fois que vous aurez la fiche technique, Madame, vous serez complètement éclairée sur cette affaire-là.

Il faut savoir que le gouvernement s’interdit totalement d’intervenir dans les affaires d’Airbus. Juridiquement ce serait d’ailleurs contestable. En outre, n’oublions pas qu’Air Lib est une société privée et non pas une société d’Etat. Nous n’intervenons strictement pas et nous n’en avons d’ailleurs pas la possibilité juridique. D’ailleurs, Airbus est une société à capitaux français minoritaires et à capitaux étrangers majoritaires. Nous n’intervenons pas entre Airbus et ses clients.

D’ailleurs je dois dire que cela est également vrai même quand il s’agit d’Air France, même si c’est encore aujourd’hui une société à capitaux publics.

M. le Président : Contentons-nous d’apprendre ce que vous avez appris vous-même au ministère et la manière dont les choses se sont passées ensuite, notamment pour les fonds publics.

M. Marcel BONNOT : Je souhaite poser une simple question pour faciliter un peu le caractère rebelle de ma compréhension.

J’ai bien noté que l’Etat avait donné un agrément sur le GIE fiscal, mais qu’ensuite ce dernier n’avait pu se faire faute d’investisseurs. Or il est un point qui m’échappe dans la logique des procédures. Généralement, lorsqu’on obtient un agrément fiscal, on donne en amont la liste des investisseurs et le dossier est d’ailleurs imposant voire monumental pour obtenir un agrément. Or le fait qu’on puisse donner un agrément sans connaître en amont la liste des investisseurs ou les membres du GIE est de nature à m’interpeller.

M. le Rapporteur : L’agrément a-t-il été donné sous l’ancien ou le nouveau gouvernement ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : J’ai un petit doute. Etait-ce avant le 7 mai ou durant la deuxième quinzaine de mai ? J’avoue que je ne sais plus très bien.

En tout cas, même si cela a été fait dans la deuxième quinzaine de mai, ce qui n’est pas impossible, s’agissant d’une instruction très lourde et très longue, toute l’instruction a été faite avant. Je ne peux pas répondre à la question que vous posez parce que ce n’est pas de notre ressort.

Voilà en tout cas ce que nous avons constaté en ce qui concerne le prêt FDES, les dettes publiques et le GIE fiscal.

Nous avons constaté aussi des perspectives et une réalité très sombres puisque j’ai indiqué que le résultat d’exploitation était négatif de 50 millions d’euros.

Si l’on écoutait le Président d’Air Lib, les perspectives étaient radieuses bien sûr. Ils étaient bénéficiaires à partir de l’année 2003 ! Mais pour ceux qui connaissaient un peu le transport aérien, les quelques personnes qui géraient le dossier étaient beaucoup moins encourageantes.

On nous annonçait un bénéfice sur le réseau moyen courrier, ce qui avait de quoi laisser quelque peu interrogatif. Il est vrai que sur l’Algérie les prix sont relativement élevés, mais nous n’avons jamais eu les instruments de mesure adaptés.

Surtout Air Lib Express n’était pas " un bas coût ", en revanche, c’était un " bas tarif ". Il faut dire que le président d’Air Lib reconnaissait au mois de juin qu’Air Lib Express était déficitaire. Dans nos perspectives, quand on essayait de faire des évaluations, nous pensions que l’exploitation resterait déficitaire et serait même de plus en plus déficitaire. Telle n’était pas du tout l’opinion de Jean-Charles Corbet. Au contraire, il pensait que l’année suivante l’exploitation serait bénéficiaire.

Quant à l’exploitation des lignes sur les DOM, des contraintes extrêmement fortes pesaient sur Air Lib. Je ne parle même pas de ce qui a été envisagé avec des prix de 90 ou 99 euros l’aller, tarifs quand même assez surréalistes.

Les tarifs qui étaient proposés à cette époque-là correspondaient à une recette moyenne pas très élevée, comme d’ailleurs les autres recettes moyennes sur les DOM. Il faut tenir compte aussi du fait qu’à l’époque Air Lib avait deux exploitations différentes, une à Orly, une à Roissy. Quelle compagnie peut se payer le luxe d’avoir deux exploitations différentes ?

En outre, les frais de commercialisation étaient extrêmement élevés puisqu’Internet représentait une faible partie de l’exploitation.

Nous avons constaté très rapidement que les choses allaient être extrêmement difficiles.

C’est dans ces conditions que nous avons eu officiellement un premier contact avec Jean-Charles Corbet. C’était la première entrevue entre Dominique Bussereau et Jean-Charles Corbet le mercredi 5 juin. Le président d’Air Lib est venu nous expliquer ce à quoi nous nous attendions, c’est-à-dire que la situation était extrêmement difficile.

Il demandait, sans le demander tout en le demandant... Il n’était pas nécessairement évident de comprendre ce qu’il voulait ! En tout cas, un élément paraissait clair : le GIE fiscal et un moratoire, sans employer le mot, du moins une prolongation du moratoire sur les dettes publiques.

Voilà à peu près la situation telle qu’on l’a constatée.

M. le Président : Un deuxième moratoire ou la poursuite du premier ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : La poursuite ou le non paiement !

M. Odile SAUGUES : Monsieur le directeur de cabinet, est-ce vous assistiez à cette rencontre ? La phrase mise dans la bouche de Dominique Bussereau et reprise par un certain nombre de journaux - " Le père Noël, c’est fini " est-elle exacte ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Je peux vous dire que je n’ai pas entendu cette phrase. C’est sûr et certain en ce qui me concerne ! Nous étions cinq ou six à ces réunions. La réunion précitée a été un peu forte, mais je n’ai pas entendu cette phrase.

Telle était donc la situation au début du mois de juin.

Compte tenu de cette situation, compte tenu de la demande du président d’Air Lib - GIE fiscal plus moratoire ou non-paiement - il fallait faire quelque chose en matière de dettes publiques. Le gouvernement ne s’y retrouvait pas vraiment dans toutes ces affaires. C’est là qu’avec le cabinet du ministère des Finances, avec l’approbation de Matignon, j’ai été d’accord pour lancer deux audits qui nous ont quand même un peu mieux informés sur l’entreprise : un audit de trésorerie, dont on a beaucoup entendu parler, et un audit de stratégie d’entreprise.

Pour nous, la question était relativement simple dans son énoncé : cette entreprise avait-elle malgré tout un potentiel de développement bénéficiaire ?

Il fallait se poser cette question, en dépit de ce que je viens de vous dire et ce que moi-même et ceux qui s’activaient autour du dossier pensaient. Il y avait quand même beaucoup d’interrogations sur les chances d’une entreprise comme Air Lib de pouvoir se développer.

Air Lib avait-il un potentiel de développement bénéficiaire ? Tel était le sujet de l’audit que nous avons confié au cabinet KPMG.

Deuxièmement, quelle était la situation réelle de trésorerie de l’entreprise ? C’est le cabinet Mazars qui a fait cet audit, cabinet dont j’ai compris qu’il était relativement habitué à travailler avec le CIRI.

Ces audits très complets ont été réalisés très rapidement. Pour ma part, je les ai trouvés extrêmement intéressants. L’audit KPMG nous a été rendu le 12 juillet et l’audit Mazars le 16 juillet.

A ma grande surprise, du moins dans une certaine mesure, la conclusion de l’audit KPMG était qu’Air Lib, à condition de faire un certain nombre de réformes de structures, avait un potentiel de développement !

M. le Président : Autrement dit, à condition de faire un plan de restructuration ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Oui. Il citait 350 licenciements, sur Air Lib Express en particulier ! A condition de faire cette restructuration, il disait qu’il y avait certainement un potentiel ! A condition également d’ailleurs de faire d’autres restructurations sur les DOM, de supprimer les deux escales Orly - Roissy - ce que le président d’Air Lib a fait par la suite - et d’adopter des tarifs qui se tiennent à peu près.

Telles étaient, résumées, les conclusions de l’audit de stratégie.

M. Jean-Jacques DESCAMPS : KPMG et Mazars avaient déjà travaillé un an avant sur le sujet. En effet, je lis dans un papier de M. Corbet : " Dès le mois de décembre 2001, l’Etat français, conforté par des audits réalisés à sa demande par les cabinets Mazars et KPMG, a décidé d’apporter son concours financier sans réserve au projet industriel mis en œuvre par Air Lib. "

Qui a raison ?

Si Mazars et KPMG avaient déjà travaillé dès le mois de décembre 2001 sur le sujet...

M. Jean-Claude JOUFFROY : Cela m’étonne beaucoup. A quelle date ?

M. Jean-Jacques DESCAMPS : Dès le mois de décembre 2001 ! Je lis le papier de Corbet-Holco : " Intervention de l’Etat dans le cadre du plan de restructuration : dès le mois de décembre, l’Etat français, conforté par des audits réalisés à sa demande par les cabinets Mazars et KPMG, a décidé d’apporter son concours financier sans réserve au projet industriel ... "

Nous lisons ensuite : " Les audits ont validé la viabilité économique du projet industriel ... "

Je ne comprends pas très bien ! Ou alors M. Corbet se trompe complètement sur la date.

M. le Rapporteur : Je vais poser la question autrement.

Monsieur le directeur, est-ce que vous avez eu une influence au ministère des Transports sur le choix de ces deux cabinets ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Je vais vous répondre aussi précisément.

En ce qui nous concerne, nous ne nous sommes pas occupés de l’audit financier. C’est comme cela qu’on fonctionne, comme vous le savez, dans le gouvernement. C’est le ministère des Finances qui a choisi Mazars. Ce n’est pas nous ! J’ai compris après que Mazars était conseiller du CIRI et il faut demander cela à M. Massignon du CIRI.

En ce qui concerne KPMG, c’est la DGAC qui l’a choisi. Le cabinet ne s’en est pas occupé et je suis incapable de vous dire comment elle l’a choisi.

M. le Président : M. Bussereau indiquait, le 18 mars 2003, lors du débat sur la proposition de résolution tendant à la création de notre commission d’enquête : " Pour des raisons d’objectivité et afin de disposer des mêmes bases de données, le gouvernement a choisi les mêmes cabinets d’audit que ceux qui avaient été retenus par le gouvernement précédent. "

M. le Président : Qu’avez-vous décidé à ce moment-là, alors que vous aviez les audits ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : KPMG nous dit que malgré tous les problèmes et, pour simplifier, avec un bon plan de restructuration, cette entreprise a un certain avenir.

L’audit Mazars, lui, nous a dit - et il ne s’est vraiment pas trompé - que sur le plan de la trésorerie, avec le prêt FDES, avec le non-paiement des dettes publiques, malgré tout cela, Air Lib aura un problème de trésorerie majeur à la fin de l’année. C’est exactement ce qui s’est passé, fin 2002.

A partir de là, qu’avons-nous décidé ? Ce fut la première décision du gouvernement.

M. le Président : Est-ce qu’à ce moment-là vous avez été informé des propos tenus par M. Corbet au cours du comité d’entreprise des 18 et 28 décembre 2001 ? Il avait déjà informé son comité d’entreprise de l’éventualité d’un dépôt de bilan. Est-ce que le gouvernement était informé de cela ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Je dois vous dire que les lettres de Jean-Charles Corbet sont toujours un peu sibyllines. Vous aurez sans doute l’occasion de les voir. Il n’écrit pas nécessairement : " Je vais déposer le bilan si vous ne faites pas ceci ou cela... ", mais il faut lire entre les lignes !

Je pense en particulier à une lettre qui était adressée à Gilles de Robien du 12 juillet et qui voulait dire cela.

M. le Président : Vous pourrez nous la donner ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Oui, nous vous la donnerons.

Elle voulait bien dire cela. J’ai relu la lettre et j’ai lu ses déclarations le 12 juillet. Il faut les interpréter, mais en tout cas il nous l’a dit oralement, même s’il ne le pas écrit.

Son problème, c’était essentiellement d’abord le GIE fiscal. Les dettes publiques ? C’était intéressant puisqu’il ne les payait pas ! Mais le GIE fiscal lui apportait 45 millions d’euros de trésorerie !

" Si je n’ai pas en particulier le GIE fiscal, je dépose le bilan le 31 juillet. " Il nous l’a dit, même s’il ne l’a pas écrit très clairement.

M. le Président : Il vous l’a dit ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Oui !

M. le Président : L’Etat a donné son accord, c’est-à-dire pour ce qui le concerne, l’autorisation de la DGI. Vous le confirmez bien ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Oui ! C’était clair !

M. le Président : Ainsi pour l’Etat, que ce soit votre gouvernement ou le précédent, la décision était prise favorablement.

M. Jean-Claude JOUFFROY : En effet.

M. le Président : Alors pourquoi M. Corbet n’a t-il pas fait son GIE fiscal ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : A mon sens, parce qu’il n’a pas trouvé d’investisseur et que les avions étaient vendus.

Il faut bien voir qu’avec Jean-Charles Corbet nous avons un interlocuteur qui n’est pas facile. Comme je l’ai dit au début de mon propos, nous avions quand même deux objectifs. Le premier était la survie et les emplois.

Encore une fois, le problème n’était pas celui de l’Etat. Dans sa compétence, l’Etat avait fait son travail et il n’avait plus rien à faire sur le GIE fiscal.

Mais quand même, quand j’ai vu que les choses ne marchaient pas, nous avons essayé de faire en sorte que cela marche. Ce n’était pas tout à fait notre rôle, mais au niveau de l’information j’ai quand même essayé de voir avec Airbus ce qui se passait et ce qui n’allait pas.

A ce moment-là, j’ai compris qu’il était extrêmement difficile de discuter avec Corbet sur ces sujets. Il était très " remonté " sur l’affaire de Air Tahiti. A un moment donné, je ne sais plus si c’est en juillet ou si c’est après, il a complètement changé ! Son argument pour obtenir le GIE fiscal était la trésorerie, certes, mais aussi qu’il lui fallait absolument deux avions long courrier pour développer son entreprise. Tout d’un coup il a complètement changé : ce n’était plus du tout des longs courriers mais cinq A319 ou A320 qu’il lui fallait.

Je veux dire par là que le GIE fiscal ne tenait quand même à pas grand chose, en dehors de ces questions de financement. Pour moi, cela a été la preuve que c’était uniquement un instrument qui lui permettait d’avoir de la trésorerie.

Mme Odile SAUGUES : Monsieur le directeur, vous pouvez donc me confirmer que le secrétaire d’Etat n’a en aucun cas empêché la constitution de ce GIE. L’impossibilité à mettre en place ce GIE ne vient ni d’une mauvaise volonté, ni d’une mauvaise organisation, ni de décisions qui auraient été prises par le secrétaire d’Etat aux Transports ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Je confirme ce que j’ai dit de la manière la plus ferme qui soit. C’était le contraire ! Ce qui était de la compétence de l’Etat a été fait, mais en plus nous avons mis de la bonne volonté.

Dominique David était là et constituait un lien assez précieux entre Air Lib et nous. Il faut dire qu’un certain nombre de personnes exercent leur activité dans les mêmes professions ; elles ont eu les mêmes carrières. Nous avons de bonnes relations les uns avec les autres et nous avons donc fait vraiment plus que ce qui était nécessaire sur le plan humain et au plan des bonnes relations entre les uns et les autres.

M. le Président : Nous en étions à juillet 2002 et je vous demandais quelle décision le ministre a prise à ce moment là.

M. Jean-Claude JOUFFROY : Au fur et à mesure des jours, le GIE fiscal n’était plus notre problème puisque nous avions fait ce qu’il fallait. Le problème de l’entreprise était de trouver des financiers.

Quelles décisions avons-nous prises ? C’est une décision interministérielle, avec un compte rendu de Matignon du 24 juillet...

M. le Président : Pourrons-nous avoir le bleu de Matignon ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Oui. Ce bleu de Matignon est très précis.

Premièrement, le gouvernement a reconduit pour une période de quatre mois le prêt FDES de 30,5 millions d’euros dans le cadre de l’aide au sauvetage. Comme vous l’avez dit, monsieur le Président, il était possible de la reconduire pour six mois au maximum.

Pourquoi quatre mois ? La réponse est simple : la licence d’exploitation des entreprises venait à expiration le 31 octobre. Nous avons fait en sorte, y compris pour avoir des comptes ronds, que les deux choses coïncident à peu près. La reconduction pour quatre mois nous menait au 9 novembre. Nous n’étions pas loin du 31 octobre.

Nous avons donc reconduit le prêt FDES pour quatre mois, du 9 juillet au 9 novembre. Comme vous le voyez, nous étions déjà un peu en retard puisque nous avions laissé passer l’échéance du 9 juillet.

Deuxièmement, nous avons décidé de prolonger le moratoire, c’est-à-dire le non-paiement purement et simplement des dettes publiques de l’entreprise. C’était celles de l’entreprise jusqu’au 1er août 2002 et je suis très précis sur point car il faut l’être.

M. Jean-Yves LE BOUILLONNEC : C’était donc davantage que le premier moratoire. On avait une période plus importante et des dettes également plus importantes ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Exactement ! J’en viens à mon troisièmement, en rappelant qu’il fallait quand même gérer d’une manière raisonnable les finances publiques. Nous avions donc exigé la reprise des paiements de ces dettes publiques au 1er août.

Je me résume ! Nous reconduisons le prêt FDES de 30,5 millions d’euros jusqu’au 9 novembre et nous accordons à l’entreprise un non-paiement de ses dettes publiques qui prévalaient jusqu’au 1er août. Par contre, nous lui demandions la reprise des paiements courants.

Je rappelle ce que sont pour nous les dettes publiques : l’URSSAF, les ASSEDIC, Aéroports de Paris et la DGAC.

M. le Président : Il n’y a pas de plan de restructuration là ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Le quatrième point, c’était la demande d’un plan de restructuration et cela a été la première décision précise que le gouvernement a prise. C’était avant l’été.

Mme Odile SAUGUES : Je souhaite avoir une précision. L’aide au sauvetage devait être transformée en une aide à la restructuration. C’est le gouvernement qui a pris des engagements pour instruire un dossier. Est-ce que ce dossier a été transmis à la Commission européenne ? Comment cela s’est-il passé ? Jusqu’où est-on allé ?

M. Dominique DAVID : En fait, l’aide au sauvetage qui a été accordée à Air Lib devait être remboursée au bout de six mois. Le seul moyen d’échapper à ce remboursement, c’était de présenter un plan de restructuration approuvé par la Commission européenne puis que, sur la base de ce plan de restructuration, cette dette soit consolidée et étalée dans le temps, remboursable sur une période plus longue à définir dans le cadre de ce plan de restructuration.

C’est la raison pour laquelle ce plan a été demandé à l’entreprise à la fin du mois de juillet. Air Lib a commencé à travailler sur ce plan de restructuration mais il fallait pour qu’il soit recevable que ce plan soit financé. C’est ce qui a constitué une difficulté.

M. Jean-Claude JOUFFROY : Nous allons y venir.

Mme Odile SAUGUES : De quelle manière le gouvernement a-t-il servi d’intermédiaire ?

M. le Président - La Commission européenne a-t-elle été saisie officiellement ?

Mme Odile SAUGUES : Est-ce que le gouvernement a joué son rôle d’intermédiaire entre Air Lib et Bruxelles ?

M. le Président : La question est claire. Le gouvernement a-t-il pris contact d’une manière ou d’une autre avec la Commission pour l’informer qu’il y avait une possibilité de transformer l’aide au sauvetage en prêt de restructuration ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : C’est automatique !

M. Dominique DAVID : A partir du moment où il y a un prêt au sauvetage, il peut être consolidé.

M. le Président : La transformation en prêt à la restructuration est automatique dès lors qu’il y a un plan de restructuration approuvé par la Commission. Vous avez donc demandé un plan de restructuration à Air Lib et vous l’attendez toujours ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Oui ! D’une manière plus précise, l’aide au sauvetage qui correspondant au prêt du FDES de 30,5 millions d’euros a été notifiée à la Commission. Mais ensuite, cette aide au sauvetage doit être suivie d’un plan de restructuration. Au mois de juillet, nous n’avions pas à transmettre quoi que soit à la Commission.

M. Jean-Jacques DESCAMPS : Je reviens aux deux audits.

Premièrement, l’audit de trésorerie de Mazars, avez-vous dit, faisait ressortir que même avec le GIE fiscal et même avec une prorogation du prêt du FDES, ce ne serait pas suffisant. On était en cessation de paiement en fin d’année.

Deuxièmement, l’audit KPMG faisait ressortir que, sur le plan stratégique, il était possible de sauver l’entreprise. Dans ces conditions, si j’ai bien compris, le plan de restructuration devait être implicitement conforme à l’audit stratégique de KPMG et le plan financier, stratégiquement aussi, devait être conforme à l’audit de Mazars.

Or, ce que je ne comprends pas bien, c’est que l’on savait d’ores et déjà que l’audit de Mazars était alarmiste alors que s’agissant du plan de restructuration, c’est vous qui étiez plutôt sceptiques. J’ai du mal à comprendre !

Quand a-t-on eu les résultats de ces audits par rapport à ces décisions du mois de juillet 2002 ? J’ai un peu de mal à m’y retrouver.

M. le Président : Les 12 et 16 juillet.

M. Jean-Claude JOUFFROY : Je me suis peut-être mal exprimé.

Pour simplifier, disons que nous avons eu les audits le 15 juillet. Nous nous sommes rendus compte de ce que vous venez de dire, c’est-à-dire que l’entreprise avait un certain avenir à condition qu’il y ait un plan de restructuration extrêmement fort.

C’était bien notre problème à l’époque. Nous ne voulions pas prendre les mesures financières vis-à-vis d’une entreprise si celle-là n’avait aucun avenir. Si KPMG nous avait dit : " Air Lib est condamné ", il était fort probable qu’on aurait fait le nécessaire, encore que je ne sache pas ce que le gouvernement aurait fait.

M. Jean-Jacques DESCAMPS : Tout tenait au GIE fiscal, entre Air Lib et un investisseur. Mais il n’y avait pas d’investisseur...

M. Jean-Claude JOUFFROY : Non !

M. Jean-Jacques DESCAMPS : ... et donc il ne pouvait pas y avoir de plan de restructuration sans GIE fiscal.

M. Jean-Claude JOUFFROY : Ce n’est pas tout à fait cela !

M. Jean-Jacques DESCAMPS : C’est ce que je ne comprends pas bien.

M. le Président : Monsieur Descamps, on s’est rendu compte depuis nos auditions que les investisseurs prévus lors de la reprise au tribunal de Créteil ne sont pas arrivés et que par la suite les autres investisseurs prévus pour prendre le relais - la CIBC avait fait quelques promesses, moyennant 9 millions d’euros d’honoraires sans trouver qui que ce soit - ne sont pas venus.

On s’aperçoit qu’au moment du GIE on promet toujours des investisseurs, mais ces promesses ne sont jamais satisfaites. Il n’y a jamais eu d’investisseur.

M. Jean-Claude JOUFFROY : L’histoire d’Air Lib a toujours été celle-là, jusqu’à la fin.

M. le Président : C’est bien ce que je dis à M. Descamps.

M. Jean-Jacques DESCAMPS : En juillet 2002, on savait qu’au niveau de la trésorerie, les choses n’allaient pas marcher, que le plan de restructuration devait être " musclé " et qu’il fallait un investisseur, mais on ne l’avait pas.

M. Xavier de ROUX : Il faut être très précis sur ce point parce que sinon on s’y perd.

Nous sommes d’abord fin juin ou début juillet lorsque le gouvernement, si j’ai bien compris, accorde un moratoire sur les dettes publiques jusqu’au 1er août et prolonge le prêt FDES jusqu’au mois de novembre. Nous sommes bien là fin juin-début juillet.

M. Jean-Claude JOUFFROY : Nous sommes le 24 juillet, après les audits.

Pour répondre plus précisément à votre question, monsieur Descamps, autant l’audit Mazars est précis sur les dates que j’ai dites, autant il est assez imprécis sur le point de savoir, quand il prévoit la crise de trésorerie en fin d’année, s’il inclut le GIE fiscal ou pas. C’était toujours une inconnue et cela demeure d’ailleurs toujours une inconnue pour moi.

En tout cas, je pense que nous n’aurions pas pris les mêmes décisions si l’audit KPMG ne nous avait pas dit que cette entreprise " avait un certain avenir... " - je pèse mes mots - à condition qu’elle ait un plan de restructuration extrêmement ferme. C’est en fonction de cela que nous avons pris les décisions que je viens de dire.

M. Xavier de ROUX : Continuons à être précis !

A quelle date Swissair va verser son 1,3 milliard par rapport à la décision que vous avez prise. Avant ou après ?

M. le Président : Tout cela est déjà fait et déjà consommé.

La contribution de Swissair arrive entre juillet et octobre 2001 ! On se rend d’ailleurs compte que tout l’argent de Swissair n’est pas arrivé à la société Air Lib à laquelle il était dû.

Nous sommes en droit de nous poser la question de savoir pourquoi cet argent dû à Air Lib est parti vers une société distincte d’elle. Nous poserons la question aux responsables lorsqu’ils seront auditionnés.

M. Jean-Claude JOUFFROY : Nous étions donc le 24 juillet. Voilà les décisions que nous avons prises.

L’été passe. Nous avions demandé un plan de restructuration au président d’Air Lib avec bien sûr le financement qui convenait.

Or, lors d’une réunion du 18 septembre avec le CIRI et la DGAC, Air Lib annonce qu’il cessera ses paiements courants le 20. Il nous met devant le fait accompli. Cela veut dire qu’il n’honore plus les décisions que nous avons prises à son égard.

Air Lib nous dit cela sans annoncer de plan de restructuration.

Telle est la situation le 20 septembre et, malgré nos discussions au niveau technique, malgré nos rappels, les choses durent ainsi jusqu’au 21 octobre. Le plan de restructuration ne nous arrive que le 21 octobre.

Il arrive le 21 octobre parce qu’Air Lib sait très bien que le 31 octobre sa licence d’exploitation expire et que le gouvernement prendra de toute façon une décision majeure concernant son avenir à cette date.

Le 29 octobre, après que nous ayons étudié ce plan, Gilles de Robien et Dominique Bussereau rencontrent personnellement Jean-Charles Corbet. Ils lui disent un certain nombre de choses, en constatant que les dettes augmentent. En effet, chaque mois qui passait augmentait les dettes d’Air Lib vis-à-vis de l’Etat d’environ 8 à 9 millions d’euros, selon les mois.

Les ministres indiquent à Jean-Charles Corbet que son plan présente un certain nombre de lacunes ou du moins soulève des interrogations relatives à la rentabilité des nouvelles lignes. Il est en effet facile de faire des plans avec des prévisions de rentabilité aléatoires ; tout le monde peut le faire.

Ces interrogations portent aussi sur les nouveaux produits envisagés et je crois que dans ce plan-là il commençait à parler d’Air Lib Express Antilles. Il a d’ailleurs mis en vente ensuite des allers-simples à 90 ou 99 euros. Nous étions quand même très interrogatifs sur ce plan.

Surtout, il n’y avait aucune proposition de financement de ce plan.

M. le Président : Et toujours pas d’investisseur ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Non ! On n’en était pas encore à IMCA. Ce sera pour bientôt, dans les jours à venir.

M. le Président : Comment peut-on présenter un plan et restructurer sans qu’il n’y ait d’investisseur ? Quelle a été votre réaction à ce moment-là ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Jusqu’à l’été, les quelques personnes qui s’intéressaient à ce dossier considéraient Air Lib comme une compagnie sérieuse. Progressivement on a commencé à avoir des interrogations sur les documents qu’on nous donnait, sur la manière dont on nous les donnait, sur la compréhension que l’on pouvait en avoir.

Pour tout vous dire, je n’avais pas beaucoup vu de plans de restructuration de ce type : beaucoup de fouillis incompréhensible et très peu de choses qu’on arrivait à comprendre.

M. le Rapporteur : Lors de la décision du 24 juillet, à combien s’élevaient les dettes publiques d’Air Lib ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Je n’ai pas le chiffre à fin juillet. Au 1er juin, la dette publique d’Air Lib s’élevait à 61,8 millions d’euros. Au 9 janvier 2003, ces 61,8 étaient devenus 122 millions d’euros.

Cette dette se décomposait en 30,5 millions d’euros de prêt FDES - 32 millions d’euros avec les intérêts - et un moratoire de 90 millions d’euros sur les charges. On est donc passé en l’espace de sept mois de 62 à 122 millions d’euros au 9 janvier.

Pour répondre exactement à votre question, on devait être autour de 80 millions d’euros au 31 juillet.

Le temps de toutes nos discussions avec Air Lib, vous comprenez que les dettes de l’Etat sont passées de 60 à 120 millions d’euros.

M. le Président : C’était une spirale sans fin.

M. Jean-Claude JOUFFROY : Le mardi 29 octobre, voilà donc ce que nous disons à M. Corbet.

Je vous rappelle que toute entreprise aérienne en Europe doit avoir, aux termes de la réglementation européenne, deux documents pour pouvoir voler.

Le premier document est de caractère technique : c’est le certificat de transport aérien qui certifie que techniquement les avions peuvent voler. Le second, de caractère plus économique, est une licence d’exploitation qui fixe un certain nombre de règles financières en particulier pour que puisse être délivrée une telle licence à une entreprise ou que l’on puisse continuer à la renouveler.

M. le Président : Que lui dites-vous donc le 29 octobre ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Nous lui disons : " Revenez avec un plan de restructuration valable... ".

M. le Rapporteur : Il n’a plus que deux jours.

M. le Président : Et donc vous poursuivez ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Si on n’avait rien fait, le 31 octobre, il s’arrêtait. Mais il ne s’est pas arrêté parce que j’ai prolongé la licence de huit jours. Nous avons la possibilité juridique de le faire sur de très courtes durées. J’ai prolongé la licence de huit jours, avec l’accord de mon ministre bien sûr, c’est-à-dire jusqu’au 8 novembre. C’était donc une prolongation technique, si je puis dire, jusqu’à la réunion du Conseil supérieur de l’aviation marchande (CSAM) qui, lui, a ses propres règles de fonctionnement. Il ne pouvait pas se réunir avant le 31.

En fait, j’avais même prolongé de 15 jours, me semble-t-il, jusqu’au 15 novembre pour donner un peu de " mou ", si je puis dire, pour que le CSAM puisse émettre son avis le 8 novembre.

Le 8 novembre, le CSAM rend son avis sur deux points.

Le premier point portait sur les liaisons africaines.

M. le Président : Vous pourrez nous communiquer le premier plan de restructuration, s’il vous plaît.

M. Jean-Claude JOUFFROY : Oui !

Dans son plan de restructuration sont apparues progressivement les liaisons africaines, soit 11 pays qu’Air Lib a demandé à desservir. Parallèlement il a saisi le CSAM, pour avoir un avis sur ces liaisons africaines.

L’avis du CSAM sur ce point précis était : " Sursis à statuer ". Il ne donnait pas d’avis.

Sur le point qui nous importait le plus, la licence d’exploitation, le CSAM rend son avis le 8 novembre. Nous pourrons vous le remettre.

M. le Président : En effet, il sera intéressant que nous l’ayons.

M. Jean-Claude JOUFFROY : Le CSAM est d’accord pour prolonger la licence d’un mois, pour revoir ensuite les choses au fond. Autrement dit, il se déclare d’accord pour discuter et étudier un plan de restructuration convenable.

M. le Président : Soit un mois pour voir si c’est crédible ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : C’est alors qu’arrive IMCA.

A la suite d’un certain nombre bien sûr de va-et-vient et de réunions avec l’entreprise, Air Lib nous dit début novembre : " J’ai un investisseur... "

Nous proposons de le recevoir.

Je rappelle que les ministres eux-mêmes avaient reçu Air Lib le 29 octobre. Le 12 novembre, quinze jours après, ils reçoivent Jean-Charles Corbet accompagné de l’ensemble de ces conseils avec le nouvel investisseur qui se présente, c’est-à-dire Erik de Vlieger accompagné également de l’ensemble de ses conseils.

M. le Président : A quelle date ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : C’était le 12 novembre.

J’assistais personnellement à cette réunion où Erik de Vlieger, du groupe hollandais IMCA, était présent. Il nous explique qui il est et comment a débuté son groupe.

M. le Président : Nous avons le dossier de M. de Vlieger.

M. Jean-Claude JOUFFROY : Il nous semble un peu crédible parce qu’il a une petite activité en matière de transport aérien. Un petit aéroport à côté de Francfort lui appartient et il possède aussi deux petites compagnies.

C’était le 12 novembre, je le répète.

Jean-Charles Corbet semble comprendre ce que souhaite le gouvernement, c’est-à-dire un plan de restructuration avec surtout un investisseur. Pierre Graff et moi, sur instruction de nos ministres, indiquons à l’entreprise les décisions suivantes.

Premièrement, nous allons beaucoup plus loin que l’avis du CSAM qui nous propose de revoir les choses après un mois, comme je viens de vous le dire.

Nous prorogeons de notre fait la validité de la licence d’exploitation d’Air Lib jusqu’au 31 janvier 2003, soit deux mois et demi. Nous allons ainsi beaucoup plus loin que le CSAM dont je rappelle qu’il est un organisme souverain composé de nombreuses parties, notamment des compagnies aériennes et des personnalités qualifiées que, par définition, nous ne maîtrisons pas du tout.

En tout cas, nous allons beaucoup plus loin que ce nous a proposé le CSAM. C’est un point important sur lequel j’insiste un peu pour montrer que le gouvernement a manifesté une très bonne volonté, comme nous allons encore le voir.

M. Xavier de ROUX : Cela continue de coûter 10 millions d’euros par mois ? Est-ce bien cela ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Oui, la facture augmente tous les mois.

Nous prorogeons la validité de la licence d’exploitation d’Air Lib jusqu’au 31 janvier 2003. Nous sommes d’accord pour ne pas exiger le remboursement du prêt FDES au 9 novembre. Je vous rappelle qu’il avait été prolongé du 9 juillet au 9 novembre. Nous proposons de proroger l’échéance de ce prêt jusqu’au 9 janvier. Nous allons ainsi jusqu’à l’extrême limite à laquelle on peut aller dans le cadre du plan de sauvetage, c’est-à-dire deux mois de plus.

Pourquoi n’a-t-on pas mis les mêmes dates ? On aurait pu aussi proroger la licence d’exploitation d’Air Lib jusqu’au 9 janvier, mais nous avons voulu nous donner un peu de souplesse et je crois que nous avons correctement fait.

Troisièmement, nous reportons l’échéance de tout le passif exigible, c’est-à-dire celui exigible jusqu’au 1er août à propos duquel un accord avait été donné précédemment, mais aussi tout le passif qu’Air Lib n’avait pas payé depuis le 20 septembre. A cette époque, il s’agissait de 90 à 95 millions d’euros. Nous prorogeons l’échéance de ce passif exigible jusqu’au 9 janvier 2003.

En d’autres termes, licence d’exploitation jusqu’au 31 janvier et tout ce qui est dettes de l’Etat, prêt FDES et dettes publiques, jusqu’au 9 janvier 2003.

Nous avons cru à l’investisseur, à Erik de Vlieger.

M. le Président : Vous parlez toujours de la réunion du 12 novembre ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : C’est une lettre que Pierre Graff et moi avons écrite le 13 novembre.

M. le Président : Nous pourrons avoir la lettre aussi ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Oui !

C’est donc la deuxième décision majeure de l’Etat dans cette affaire. La première décision était celle du 24 juillet.

M. le Président : J’ai lu quelque part que M. de Vlieger a indiqué qu’il n’était pas au courant des engagements que M. Corbet aurait dit qu’il avait pris ? Est-ce exact ? Avez-vous les mêmes informations ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Nous avons eu des contacts, comme je vais vous le dire. Avec Pierre Graff, nous avons revu Erik de Vlieger sans que nous ayons pour autant des contacts aussi fréquents qu’avec Corbet.

Je ne peux pas répondre exactement à votre question.

Lors d’une des réunions qui vont suivre ces dates-là, j’ai eu fortement l’impression que le représentant du groupe IMCA - M. de Vlieger ou peut-être son avocat, je ne me souviens plus très bien - n’était pas très au courant du plan de restructuration qui avait été monté par M. Corbet. Mais c’est là un sentiment, je le souligne. Il n’était pas très au courant, m’a-t-il semblé, des engagements que ce dernier indiquait concernant IMCA dans ce plan de restructuration.

M. Xavier de ROUX : C’est important parce que la question que l’on se pose est celle de savoir si M. de Vlieger était réellement un investisseur ou si au contraire il cherchait une opportunité, connaissant la structure du groupe ?

Il est donc intéressant de savoir s’il connaissait ou pas le plan de restructuration.

Je vous lis simplement sa déclaration au Monde le 15 novembre 2002 : " Je tiens d’abord à dire que j’ai été incroyablement impressionné par la rapidité du gouvernement français dans ce dossier. Son comportement force le respect et ce qu’il a accompli serait inimaginable aux Pays-Bas. Par ailleurs, je connais les contraintes auxquelles il doit faire face. Je dis simplement que le montant de 30 millions d’euros en question est une épée de Damoclès au-dessus d’une compagnie en difficulté. Je poursuis l’examen... ".

Autrement dit, déjà le 15 novembre M. de Vlieger dit en quelque sorte : " C’est très bien mais 30 millions d’euros c’est quand même beaucoup... "

M. Dominique DAVID : Il faisait allusion au remboursement du prêt FDES.

M. Xavier de ROUX : Il le connaissait.

M. le Président : Ça n’est pas ce dont je voulais parler. Il semble que M. de Vlieger ait mis du temps à être informé de ce que M. Corbet disait que M. de Viegler lui-même allait faire. Est-ce vrai ou pas ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : C’est le sentiment que j’ai eu, et un certain nombre d’autres personnes aussi.

M. le Rapporteur : Le gouvernement prend le 24 juillet les quatre décisions que vous avez rappelées : puis à nouveau, le 13 novembre, on va toujours plus loin.

Etiez-vous conscient à l’époque que l’Etat français, avant même la décision du 24 juillet, était susceptible d’être poursuivi pour soutien abusif ? En effet, l’Etat avait un rapport disant qu’Air Lib ne pouvait pas passer la fin de l’année ; néanmoins il continuait à soutenir l’entreprise par le prêt du FDES puis sa prorogation de quatre mois, puis encore de deux mois et par la poursuite du non-paiement des taxes, redevances, URSSAF, etc ?

Est-ce que ce point a été, à votre connaissance, discuté au sein du cabinet de M. Bussereau ou de celui de M. de Robien ? Est-ce que cette question est remontée au cabinet du Premier ministre, voire au Premier ministre ? Ne prenait-on pas l’énorme risque que l’Etat français soit appelé en comblement de passif ?

Mme Odile SAUGUES : C’est dans cette optique que j’ai posé la question du passage de l’aide au sauvetage à l’aide à la restructuration. Je la pose à nouveau car je croyais savoir qu’il fallait que ce dossier soit transmis à l’Union européenne par le gouvernement français.

M. Jean-Claude JOUFFROY : Il y a deux choses complètement différentes.

La procédure que l’on appelle " aide au sauvetage " est une aide provisoire, temporaire par définition. La seule chose qu’un gouvernement a à faire quand il accorde une telle aide c’est la notification de l’aide. Ce n’était pas nous qui l’avons fait, mais le gouvernement précédent.

Si l’on veut que cette aide devienne permanente, il faut passer à un autre type d’aide qui s’appelle dans la terminologie européenne " l’aide à la restructuration ", assortie, comme son nom l’indique, d’un plan de restructuration.

C’était ce dossier là, c’est-à-dire la transformation de l’aide au sauvetage en plan de restructuration, que nous devions transmettre et que nous aurions transmis à Bruxelles, si le gouvernement français avait été d’accord avec le plan proposé.

Mme Odile SAUGUES : Autrement dit, le gouvernement n’était pas d’accord. C’est la précision que je souhaitais avoir.

M. le Président : Je voudrais que vous répondiez à un point soulevé par M. Corbet dans une lettre que je viens de recevoir. J’écrivais dans mon rapport relatif à la proposition de création de notre commission d’enquête : " La licence d’exploitation permettant à la compagnie de poursuivre ses activités avait expiré le 6 février 2003 ". Est-ce bien exact ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : La licence a expiré le 5 février.

M. le Président : Nous ne sommes pas à un jour près.

M. Corbet m’écrit : " Cette affirmation est inexacte. Bien au contraire, l’Etat a accordé sa licence définitive d’exploitation à Air Lib sous condition de la signature effective du protocole de conciliation lui permettant de restructurer sa dette avant le 5 février 2003 à minuit. Ce n’est qu’a contrario que l’Etat a supprimé -je ne sais pas ce qu’il entend par " a contrario " - à cette date la licence temporaire qui permettait à Air Lib de voler. Un certain nombre de procédures ont été introduites, tant devant les juridictions administratives que devant la Commission européenne. Par ailleurs, un recours en indemnité a été déposé entre les mains de M. le ministre des Transports par Air Lib face à ce détournement de pouvoir manifeste. "

Est-ce que la licence devait expirer le 5 février, oui ou non ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : La licence, monsieur le Président, pour répondre immédiatement à votre question, venait à expiration le 31 janvier. Les négociations n’arrivant pas à aboutir, nous l’avons donc prolongée à nouveau de notre propre fait jusqu’au 5 février.

M. le Président : J’aimerais bien pouvoir répondre à cette lettre. Aussi, je vais vous en saisir officiellement et je vais vous demander de répondre point par point car il est surprenant de se faire interpeller de cette manière-là.

M. le Rapporteur : La question était la suivante : les décisions qui ont été prises par le gouvernement - l’actuel mais aussi le précédent - ne peuvent-elles pas être qualifiées de soutien abusif et donc justifier un appel en comblement de passif ? Est-ce que le problème juridique a été examiné par le gouvernement avant de prendre les décisions ? Pouvez-vous répondre au moins pour le nouveau gouvernement, s’agissant de ses décisions du 24 juillet puis du 13 novembre ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Je vais répondre très directement à cette question : la réponse de fond est non !

On savait que cette question du soutien abusif pouvait se poser. Du moins, on s’en doutait juridiquement. Pour répondre précisément : cette question n’a jamais été discutée de manière formelle dans toutes les réunions auxquelles j’ai assisté. Et j’assistais à toutes les réunions, que ce soit à notre ministère, que ce soit aux Finances, que ce soit à Matignon. Mais " on ne sait jamais ", nous disions-nous. Notre priorité, c’était la survie de l’entreprise.

Voilà la réponse que je peux donner à cette question.

A partir de l’apparition d’IMCA, les choses ont commencé lentement à évoluer.

Un événement est intervenu du côté du tribunal de commerce et cela n’est pas neutre dans l’affaire, comme vous allez le voir. Chemin faisant, le président du tribunal de commerce, je crois à la demande de Jean-Charles Corbet, a transformé le statut de Me Lafont : de mandataire ad hoc il est passé au statut de conciliateur.

Cela s’est fait à partir d’une date que je n’ai pas réussi à retrouver. Disons qu’au début du mois de novembre, Me Lafont est devenu conciliateur et qu’il va jouer un rôle important, comme vous allez le voir maintenant.

Nous étions donc le 13 novembre. Air Lib et IMCA repartent après les réunions que j’ai citées pour faire un plan de restructuration, plan appelé par Jean-Charles Corbet " Plan Mermoz ", lequel nous est remis le 20 décembre très exactement de l’année dernière.

Ce plan nous a paru à nouveau très bizarre. Contrairement à ce que l’on commençait à penser d’abord, c’était une réplique du premier plan de restructuration sur lequel nous n’étions pas d’accord. Quand vous verrez les documents, vous comprendrez tout de suite ce que je veux dire !

Deuxièmement, IMCA qui, soi-disant - et maintenant je peux dire " soi-disant " - était le nouvel investisseur n’était strictement pas cité. C’était quand même bizarre !

Troisièmement, c’était l’Etat qui était proposé pour financer le plan de restructuration avec deux conditions.

La première condition était un abandon total de créances de la part de l’Etat, ce qui à cette époque-là devait correspondre à 100 millions environ. D’autre part, il était prévu " un subside non remboursable " de l’Etat, expression quelque peu bizarre, de 172 millions d’euros. Nous avons compris que c’était encore l’Etat qui devait apporter ce financement.

Ainsi, alors qu’on demandait un financeur et un vrai plan de restructuration ; c’était l’Etat qui devait payer à hauteur non plus cette fois de 110 millions d’euros mais de 292 millions d’euros.

On était le 20 décembre et la première échéance était le 9 janvier.

M. Marcel BONNOT : Je souhaiterais poser une question à propos du soutien abusif, lequel obéit à des exigences qui ne me paraissent pas réunies, ce qui serait plutôt rassurant pour l’Etat.

Pendant tout ce temps où l’Etat a continué son soutien et alors qu’on attendait un plan de restructuration, Air Lib était sous quel régime ? Est-ce qu’un conciliateur avait été nommé ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Oui, depuis début novembre, il y avait un conciliateur : Me Lafont. Je n’en parlais pas encore parce qu’il a commencé à vraiment intervenir au mois de janvier, parce que c’est nous qui l’avons demandé.

Reprenons les dates. Le 20 décembre, à l’approche de Noël, beaucoup de gens n’étaient pas là. A la Commission européenne, le 20 décembre, il n’y avait plus personne.

Malgré tout, " Corbet-Air Lib " nous envoie un plan amendé le 8 janvier. Ce plan continue à ne pas beaucoup nous convenir parce que les questions restent les mêmes. Il n’y a pas de financement. J’observe que cette fois-ci on ne voit plus apparaître " subsides non remboursables " ; il a supprimé la phrase. Mais, il n’y a de toute façon pas de financement, pas de trésorerie, pas de reprise des paiements courants, bref rien de ce que nous avions demandé.

J’ajoute qu’IMCA n’apparaît toujours pas dans les affaires. A l’occasion de toutes ces relations, c’était toujours Air Lib, c’est-à-dire Jean-Charles Corbet ou ses collaborateurs. Sur les documents, sur les différentes propositions sur le financement, IMCA n’apparaissait jamais ! J’insiste bien sur ce point, malgré toutes les lettres de bonnes intentions qu’IMCA nous envoyait. Vous les verrez sans doute.

M. le Président : Vous dites qu’Air Lib vous fait des propositions et dépose un gros document dans lequel IMCA n’apparaît pas. Mais en même temps, vous restez en relation avec IMCA qui continue à vous écrire.

M. Jean-Claude JOUFFROY : Ce n’était pas une affaire facile à gérer, compte tenu de la personnalité des uns et des autres. Notre position a un peu évolué au fil des jours.

Au départ, c’est-à-dire début novembre, nous ne nous posions pas beaucoup de questions ; Corbet arrivait avec un investisseur et on discutait avec les deux. Puis, progressivement, on s’est aperçu que seul Corbet discutait avec nous. Cela nous a paru un peu bizarre.

Pierre Graff, le directeur de cabinet de Gilles de Robien, et moi-même, nous avons demandé à Corbet de nous revoir. Nous nous sommes revus une fois, peut-être deux fois, avec IMCA.

Après, nous avons compris que Corbet ne disait pas nécessairement les mêmes choses à IMCA que ce qu’il nous disait à nous. Nous avons voulu voir IMCA dans un premier temps et, au début, IMCA ne l’a pas voulu.

Les discussions devenant difficiles, nous avons pris progressivement le parti de discuter avec le conciliateur.

M. le Président : Avec Me Lafont !

M. Jean-Claude JOUFFROY : Voilà !

M. le Président : Au 20 décembre lorsque vous recevez le plan, vous n’avez pas de contact avec IMCA ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : On l’a vu une ou deux fois. Mais pour le plan, nous discutions avec Air Lib !

M. Marcel BONNOT : Quelle était la mission du conciliateur ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Quand moi-même je lui ai posé cette question, il s’est fâché. (Sourires.)

M. le Président : Nous l’entendrons.

M. Marcel BONNOT : Il y avait bien une ordonnance du président du tribunal de commerce.

M. Jean-Claude JOUFFROY : Absolument.

La mission du conciliateur était d’examiner les possibilités de développement, le plan de restructuration de l’entreprise et les financements.

M. le Président : Il avait combien de temps pour le faire ?

M. Dominique DAVID : En principe, il avait deux mois, délai prolongeable d’un mois.

M. Jean-Claude JOUFFROY : Les deux premiers mois venaient à échéance le 14 février.

M. le Président : Après l’expiration éventuelle de la licence ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Oui.

Il faut dire qu’en France nous avons des procédures parallèles. Le gouvernement a ses procédures, le tribunal de commerce a les siennes et d’autres ont encore les leurs.

M. le Président : Qui demande la nomination de Me Lafont comme conciliateur ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Il me semble que c’est Corbet qui l’a demandé. Vous lui poserez la question mais je crois que c’est lui qui l’a demandée parce qu’il sentait...

M. le Président : ... que ça lui échappait !

M. Jean-Claude JOUFFROY : Voilà ! En tout cas, le président du tribunal de commerce l’avait nommé.

Nous sommes donc le 8 janvier et à nouveau avec un plan qui ne convient pas beaucoup.

Nous avions fixé le 9 janvier comme échéance. Disons autour du 10 janvier.

Le 14 janvier - on était un petit peu en retard par rapport à notre échéance du 9 janvier - le CIRI a demandé formellement à Me Hubert Lafont de commencer son travail de conciliation entre l’Etat, Air Lib et IMCA. Le conciliateur a fait un très bon travail : tout le monde s’est retrouvé autour de la table et un protocole de conciliation a été mis en place au fur et à mesure. Il est vrai que les choses ont quand même un peu duré parce qu’il n’était pas facile dans une telle affaire d’élaborer un projet de protocole de conciliation.

Cette mise en place s’est faite à peu près dans les dix jours qui ont suivi. En effet, le 23 janvier, IMCA nous a dit qu’il était bien d’accord pour signer. Nous en avons une trace. Mais, de toute façon, c’est ce qu’il disait depuis le début. Toutefois, il y avait encore des petites choses à régler sur lesquelles je reviendrai.

Nous sommes donc juste avant le 31 janvier. N’oublions pas que nous étions, une fois de plus, comme au 31 octobre, sous l’épée de Damoclès de notre propre décision : la fin de la licence d’exploitation venait à échéance au 31 janvier.

M. Jean-Yves LE BOUILLONNEC : Le CSAM, quant à lui, ne s’était pas réuni et il n’avait pas eu à évoquer la prolongation de la licence ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Non.

M. le Président : J’ai sous les yeux un communiqué d’Air Lib du 9 janvier. Il dit ceci : " Air Lib, qui compte 3 500 salariés, a amendé son plan pour tenir compte des remarques formulées par le ministère sur les documents présentés en décembre ".

Par ailleurs, Le Monde ajoute : " Jean-Charles Corbet et Erik de Vlieger ont annoncé avoir signé le 9 janvier un accord pour l’entrée d’IMCA à hauteur de 50% du capital de la compagnie ".

M. Jean-Claude JOUFFROY : Oui, c’est vrai !

Mme Odile SAUGUES : Vous avez dit que le 8 janvier IMCA n’apparaissait toujours pas dans le plan amendé.

M. Jean-Claude JOUFFROY : Non.

Mme Odile SAUGUES : Le 9 janvier, ils ont annoncé leur accord, c’est-à-dire le lendemain ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Oui !

M. Odile SAUGUES : D’accord !

M. Jean-Claude JOUFFROY : Ils nous l’ont transmis. Mais il n’apparaissait pas dans le plan de restructuration que l’on a.

M. le Rapporteur : Qu’est-ce qu’il disait cet accord du 9 janvier ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Pour nous, c’était relativement annexe parce que ce n’était pas le vrai problème.

M. le Rapporteur : Que disait cet accord ? Avait-il une portée juridique ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Je ne sais pas !

M. Dominique DAVID : Nous avons cet accord. Il dit simplement qu’IMCA pourrait prendre une participation dans Air Lib...

M Jean-Claude JOUFFROY : Il " pourrait " prendre une participation. Ce n’est pas un vrai accord !

M. Dominique DAVID : Tout était sous des formes conditionnelles.

M. Jean-Claude JOUFFROY : Dans toute cette affaire, il faut interpréter les écrits !

M. le Rapporteur : En tout cas, ce n’était pas clairement : " Je m’engage à... "

M. Jean-Claude JOUFFROY : Je ne pense pas. Je ne sais plus parce que ce n’était pas notre préoccupation précise.

En tout cas, IMCA nous assure de ses bonnes intentions. Il va bien sûr signer le protocole, mais je vais y revenir.

Il nous dit toutefois qu’il reste quand même deux petits problèmes à régler : l’accord avec les syndicats puisqu’il prévoyait une réduction des salaires du personnel d’Air Lib de l’ordre de 30 % et un problème de financement des avions.

Je n’en ai pas fait état depuis le début et j’aurais dû peut-être insister un peu sur ce point. En effet, une partie du plan de restructuration consistait pour sauver Air Lib à trouver un investisseur pour acheter des avions neufs. Il n’était pas possible de continuer avec les avions actuels.

IMCA nous dit : " Je n’ai pas encore fini mes discussions avec Airbus ". Or, nous avons quand même des liens téléphoniques avec Airbus et je savais que les discussions n’avaient même pas commencé.

" Je n’ai pas fini mes discussions avec Airbus - c’est ce que nous dit IMCA ...- et tant qu’il y a ces deux problèmes, nous ne pouvons pas signer le protocole ".

Le gouvernement était quand même assez allant à cause des 3 000 emplois. Nous indiquons donc à Me Lafont que lorsque le projet de protocole de conciliation sera prêt, le gouvernement est décidé à le signer aux conditions suivantes.

Nous avons écrit une lettre à Me Lafont le 27 janvier.

La première condition porte sur le remboursement des dettes antérieures au 9 janvier, c’est-à-dire antérieures à la date à laquelle on avait initialement fixé l’échéance. Nous disons donc à Me Lafont : " Le gouvernement confirme son accord pour un étalement du remboursement des dettes antérieures au 9 janvier sur une durée pouvant aller jusqu’à sept ans, la date du premier paiement de ces dettes pouvant même intervenir à une date postérieure au 1er juillet. "

Je parle bien des dettes antérieures au 9 janvier, c’est-à-dire les 90 millions de dettes publiques.

Nous étions d’accord également sur un point important que vous avez pu lire dans la presse à l’époque, à savoir de donner les droits de trafic sur l’Afrique. Corbet ne manquait pas de mobiliser la presse sur cette question alors que, pour notre part, nous n’avons jamais eu aucun problème de quelque ordre que ce soit pour donner les droits de trafic sur l’Afrique. Nous l’avons signifié par lettre également.

En compensation de ces deux avancées importantes, nous exigions, de la même manière qu’on avait exigé la reprise des paiements courants le 1er août, la reprise des paiements courants à compter du 9 janvier. Nous étions le 27 et donc un peu retard.

" Le Gouvernement note la volonté de régler les paiements courants à compter du 9 janvier... " Nous allions plus loin : nous acceptions même la proposition d’IMCA de reporter au 30 juin 2003 le paiement de la partie de la dette du 9 janvier au 14 mars.

Il nous avait expliqué qu’il s’était fixé le 14 mars, c’est-à-dire la fin de la conciliation au 14 février qui pouvait être prolongée d’un mois. Bref, il s’était mis en tête cette date du 14 mars. Nous acceptions donc même pour ce laps de temps un report de ces dettes et on considérait cela quand même malgré tout comme une reprise des paiements courants.

Il y avait d’autres conditions que vous pourrez lire dans cette lettre, mais elles sont accessoires.

Bref, nous avons fait le maximum de ce qu’il était possible de faire. C’est dans ces conditions que le 30 janvier un protocole d’accord était prêt à être signé par toutes les parties, c’est-à-dire par les trois principales parties : IMCA, Holco et nous.

Mme Odile SAUGUES : Je souhaite poser une question avant que nous n’arrivions à la fin de l’histoire, si tant est que ce soit possible tant vous ménagez le suspens. (Sourires.)

Vous avez parlé des vols en direction de l’Afrique. Pour ma part, je voudrais parler un peu des DOM et vous poser des questions avec précision.

Avez-vous connaissance du rapport " Dexair Airlines - compagnie charter passagers et fret - monde entier - Roissy/Orly aéroport " ? C’est sa dénomination dans son intégralité.

Ce rapport a-t-il été remis à Dominique Bussereau ?

Etait-il vraiment ultra confidentiel, comme cela a été dit ?

Prévoyait-il la création d’une compagnie dont l’activité serait centrée sur les DOM ?

Il aurait été indiqué en toutes lettres dans ce rapport : " Cet engagement est indispensable pour le gouvernement qui ne peut engager des actions financières à l’encontre d’Air Lib que si une ou plusieurs compagnies peuvent se substituer à l’instant T au transporteur défaillant. " Autrement dit, si l’un n’avait plus les passages sur les DOM, c’est l’autre qui les avait.

M. le Président : Vous allez un peu vite ! Vous faites les questions et les réponses.

Mme Odile SAUGUES : Je le traduis à ma façon, peut-être, mais à d’autres moments j’ai entendu de telles choses. Je ne vois pas pourquoi je ne les reprendrais pas.

Je reviens en arrière par rapport au timing que vous nous avez donné dans la préparation du protocole. Comment expliquez-vous que lors d’un déplacement en Guadeloupe, l’été dernier, Mme Girardin, ministre de l’Outre-mer, ait repris, alors que ce rapport n’était pas rendu public, les propositions concrètes qu’il contenait sur la continuité territoriale et sur le passeport mobilité pour les jeunes ?

J’aimerais savoir ce qu’il en est de ce rapport. Quelles étaient ses conditions de divulgation ? Que contenait-il exactement par rapport aux compagnies qui travaillent sur les DOM ? Quid de cette allusion qui a été faite à Air Lib ?

Je vous remercie de me donner quelques éclaircissements sur ces points.

M. Jean-Claude JOUFFROY : Je ne connais pas ce rapport ; je ne l’ai jamais lu. Je ne peux donc pas vous répondre.

S’agissant de la compagnie que vous avez citée, Dexair, nous avons vu très souvent ses représentants. Cela étant, n’importe qui peut écrire n’importe quoi sur ce que fait le gouvernement et sur ce qu’il va faire !

Je veux dire un mot sur le problème important de la desserte des DOM. Pendant toute cette affaire Air Lib, beaucoup de projets émanant de beaucoup d’entreprises nous ont été soumis. Beaucoup d’entre eux, pour ne pas dire tous, étaient très souvent assez inintéressants. En fait, ce n’était même pas de vrais projets car je n’en jamais vu qui soit fini. C’était davantage des idées avancées sur les DOM. 

En tout cas, nous avons reçu tous ces gens. En particulier, le représentant d’une compagnie du nom de Dexair est venu nous voir et nous revoir. Des papiers ont été remis à Dominique David.

Nous avons également beaucoup vu à l’époque M. Rabut qui avait un projet, lequel est maintenant tombé à l’eau pour la raison que je vais dire.

M. Dominique DAVID : Il n’est pas tout à fait tombé à l’eau.

M. Jean-Claude JOUFFROY : Ce projet consistait à monter une compagnie propre aux DOM que certains ont appelé Air DOM. Jusqu’à maintenant, il n’avait pas trouvé encore le financement et je croyais qu’il était tombé à l’eau. Apparemment ce n’est pas le cas.

En effet, une des conditions de ce projet, c’était de desservir à la fois La Réunion et les Antilles. Mais, comme vous le savez, pour La Réunion, il va y avoir Air Austral.

Nous avons vu beaucoup-beaucoup de choses, y compris des projets complètement farfelus. Nous n’avons jamais refusé de voir quelque projet ou qui que ce soit, et en particulier cette compagnie.

En tout cas, je le répète, je ne connais pas ce rapport.

Je vous ai déjà indiqué quelles étaient nos deux lignes directrices dans cette affaire. Nous avions une troisième contrainte : la desserte des DOM. 

M. le Président : Nous en étions au protocole.

M. Dominique DAVID : Pour répondre à la question de M. de Courson, nous avons reçu une lettre d’IMCA adressée à nos deux ministres, et signée du président de Vlieger, le 7 janvier.

Je vous en lis un paragraphe : " A ce stade de nos négociations avec l’actuel actionnaire de cette entreprise - il parle d’Air Lib - je peux vous indiquer que nous sommes prêts à nous engager à faire en sorte que l’entreprise dispose des fonds nécessaires à sa restructuration et au renouvellement de sa flotte, la contrepartie de cet engagement étant la cession d’une participation de 50%. "

" Notre entreprise est parfaitement à même d’assumer un investissement au niveau des sommes nécessaires. "

C’est un peu ce signal encourageant qui nous a amenés à provoquer la conciliation.

M. Jean-Claude JOUFFROY : Nous avons vu qu’il était intéressé. Enfin, nous le croyions...

M. le Président : C’était quand même une lettre ferme.

M. Dominique DAVID : Vous aurez copie de tous ces documents.

M. Jean-Claude JOUFFROY : C’est une lettre ferme, mais elle emploie des termes comme " envisagés ", etc.

Mme Arlette GROSSKOST : C’est une lettre d’intention.

M. Jean-Claude JOUFFROY : Le protocole de conciliation est prêt le 30 janvier.

IMCA a réglé plus ou moins certains points mais je ne sais pas comment parce que nous ne sommes pas intervenus dans l’affaire. Vous avez tous vu les allers-retours d’Erik de Vlieger en Hollande, ses contacts avec les personnels, avec des actes assez théâtraux.

Il lui restait à signer lorsqu’il nous dit : " Attendez ! Je ne peux pas signer tant que je n’ai pas obtenu satisfaction avec Airbus. "

Me Lafont nous dit : " Erik de Vlieger nous dit qu’il demande encore quelques jours en supplément... S’il a obtenu satisfaction d’Airbus, il signera... "

Bien sûr, nous suivons très attentivement tout ce qui se passe entre le 30 janvier et le 4 février. On prolonge la licence d’exploitation de quelques jours, jusqu’au 5 février. Comme le CSAM ne s’était pas réuni, on ne voulait pas être dans le vide juridique.

Le 3 février Me Lafont, voyant que les choses ne vont pas très bien, enjoint à IMCA de lui dire si véritablement il était bien toujours d’accord pour signer. Me Lafont m’a raconté au téléphone qu’il n’arrivait plus à mettre la main sur les gens d’IMCA !

Je dois vous dire que nous avions mis des conditions financières, point sur lequel je suis passé un peu rapidement.

Nous demandions un apport immédiat en trésorerie de l’ordre de 25 à 30 millions d’euros et une garantie par un établissement financier sérieux, en particulier concernant le plan de restructuration et l’achat des avions. Bref, il y avait des clauses financières extrêmement strictes.

Nous étions donc le 3 février et IMCA nous dit : " Je ne signerai pas si je ne m’entends pas avec Airbus. "

C’est dans ces conditions que la licence que nous avions fixée jusqu’au 5 février expirait. L’Etat est allé vraiment très loin, vraiment au maximum maximorum de ce qu’il pouvait faire et je ne crois pas qu’il pouvait faire quelque chose de plus.

Sans intervenir et sans que nous soyons présents - j’insiste bien sur ce point parce que sur le plan juridique nous faisions extrêmement attention - le mercredi nous avons fait venir à l’Hôtel de Roquelaure les représentants d’IMCA. D’ailleurs, ce n’est pas le président qui s’est déplacé lui-même, c’est son avocat.

Je donne quelques détails car ils ont leur importance. Nous les avons fait venir dans une pièce de l’Hôtel de Roquelaure et nous les avons mis en relation téléphonique avec Airbus. L’entretien a dû commencer dans la soirée - ils étaient en retard - et ils ont discuté toute la nuit. Gilles de Robien et Dominique Bussereau étaient à côté. A quatre heures du matin, quel était le résultat ? Pas d’entente, pas de signature du protocole.

Nous avons immédiatement arrêté les vols d’Air Lib et le tribunal de commerce, le 19 février, a prononcé la liquidation.

Je voudrais dire un mot sur le pourquoi des choses. Il faut bien rétablir la vérité aussi là-dessus car un certain nombre de choses ont été dites un peu dans tous les sens.

Premièrement, le nombre d’avions a évolué au fur et à mesure de la soirée. C’était 20, 10, 12...

Un Airbus 320 vaut à peu près 50 millions d’euros. IMCA avait obtenu sur le prix des conditions assez intéressantes. Il est vrai qu’il est toujours assez difficile de savoir le prix des avions car cela fait quand même partie du secret commercial, toujours très dur à pénétrer.

D’après nos informations, ils avaient quand même obtenu des prix assez bons, pas très éloignés de ceux qu’avait obtenus EasyJet pour 120 Airbus.

M. le Rapporteur : On a parlé de 25 % de remise.

M. Jean-Claude JOUFFROY : Mais le problème n’était pas celui-là. En effet, IMCA n’avait pas d’argent pour financer ses avions et surtout pour apporter les 25 millions d’euros dont j’ai parlé tout à l’heure.

Je simplifie un peu cette présentation, mais au fond c’était cela.

M. le Président : En fait, il disait à Airbus de leur avancer les fonds pour acheter les avions.

Avec un mois de plus, la plaisanterie de Vlieger a coûté combien ? 10 millions, 15 millions ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Oui !

M. le Rapporteur : Merci, monsieur le directeur, pour cet exposé sur ce que vous avez vécu à partir du mois de juin 2002 jusqu’à la fin, en février 2003.

Nous avons quand même quelques questions à vous poser et d’abord une question que, je le précise, nous avons posée à tous nos interlocuteurs.

A partir de quand avez-vous commencé à avoir des doutes sur la viabilité d’Air Lib et sur les qualités de gestionnaire du président d’Holco ?

Avant que vous ne répondiez, je vous mets très à l’aise. En effet, la CFTC nous a dit très clairement : " Nous n’y avons jamais cru et nous avons voté contre le plan. "

La CGT nous a dit : " Nous y avons cru mais à partir de fin 2002, nous nous sommes rendus compte qu’il ne tenait pas la route. "

Le syndicat du personnel commercial nous a dit : " Nous nous sommes rendus compte à peu près aussi dans les mêmes délais de son incapacité de gérer ! "

Les pilotes nous ont dit que très rapidement, eux, au bout de deux, trois mois, ils se sont rendus compte d’une incapacité totale à gérer.

Vous étiez à partir de juin aux affaires. A partir de quand avez-vous commencé à douter ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Pour répondre très clairement à votre question, j’ai commencé à douter en septembre 2002. Toutefois, j’ai eu un " sursaut ", comme je vous l’ai dit tout à l’heure, avec l’arrivée de l’investisseur.

Pourquoi en septembre ? Parce qu’avant l’été, quand on est arrivé au gouvernement, nous avions vraiment comme objectif - et cela a toujours été le cas, bien sûr - la survie d’Air Lib et des emplois. C’était vraiment une priorité fondamentale. J’étais complètement dans cette ligne-là.

Progressivement, j’ai quand même vu le comportement du président d’Air Lib qui m’a paru quelquefois un peu bizarre. En discutant avec les uns ou les autres, progressivement, aux alentours de septembre, je me suis rendu compte de certaines choses.

Il y avait des interrogations fortes sur le président d’Air Lib lui-même. Surtout, j’ai commencé à me dire que les choses devenaient vraiment très problématiques car il n’y avait pas de management derrière lui.

Ce point m’a été confirmé dans des discussions à bâtons rompus avec les uns et les autres. Pourquoi ? C’était simple et c’est toujours simple à comprendre. Tout le bon management d’Air Lib, tel et tel directeur, tous sont progressivement partis. Corbet s’est retrouvé avec un management qui n’était pas, à mon sens, de bonne qualité.

Je me suis fait confirmer d’ailleurs ce point, malgré ce que j’ai dit tout à l’heure du rapport KPMG. J’ai posé la question aux représentants de ce cabinet et j’ai bien vu qu’ils étaient un peu sur ma ligne.

Comme je vous l’avais dit, dès le départ, j’étais interrogatif sur la nature de l’activité de l’entreprise et sur son réseau. Ce que m’avait dit KPMG m’avait un peu ébranlé.

Ensuite, j’ai eu de nouvelles informations sur le management et j’ai commencé à me dire que les choses allaient quand même être très difficiles.

J’ai eu un sursaut, comme d’ailleurs sans doute l’ensemble de ceux qui traitaient le dossier, avec l’arrivée d’IMCA.

En outre, fin décembre-début janvier, nous avons commencé à comprendre qu’IMCA voulait changer le management. Ensuite, nous avons continué à avoir des interrogations.

M. le Rapporteur : Est-ce que vous connaissiez ou à partir de quand avez-vous commencé à connaître l’organisation juridique du groupe Holco ?

Est-ce que vous vous êtes posé des questions sur ce qu’étaient devenus les 160 millions d’euros versés par Swissair à la holding ? Je vous pose la même question s’agissant de l’argent public, c’est-à-dire les 30,5 millions d’euros du prêt du FDES et s’agissant encore des autres créances qui sont passées de 9 millions d’euros à près de 90 millions d’euros ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Que sont devenus les 160 millions d’euros versés par Swissair ?

Sur une partie de ceux-ci, on pouvait avoir des interrogations. Mais en ce qui nous concernait, ce n’était pas notre problème direct pour deux raisons. D’une part, à notre arrivée, nous avons constaté les choses et nous n’avons pas traité ce qui avait été fait avant. D’autre part, Air Lib est une entreprise privée et les rapports d’une entreprise privée avec une autre entreprise privée n’étaient pas nécessairement de notre compétence.

Notre sujet, c’était la compagnie Air Lib et non pas les filiales.

M. le Rapporteur : Oui, mais vous saviez combien devait verser Swissair : 198,18 millions d’euros. Ils en ont versé 160,07 millions.

Vous n’avez pas demandé l’état de la trésorerie des autres filiales ? Des trésoreries n’ont-elles pas été dissimulées ?

Vous n’étiez pas au courant ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Le rapport Mazars avait deux objets : premièrement la trésorerie d’Air Lib et deuxièmement le groupe Holco. Nous avions les informations du rapport Mazars !

M. le Rapporteur : Quid du document qui a été remis au comité d’entreprise, s’agissant de la répartition des 160,07 millions d’euros versés par Swissair à la holding Holco ? Vous ne vous y êtes jamais intéressé ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Ce n’est pas que nous ne nous y soyons pas intéressé...

M. le Rapporteur : Etiez-vous par exemple au courant des faits suivants sur lesquels les syndicats ont attiré notre attention.

Au 13 février 2003 les administrateurs se sont versés 16,3 millions d’euros. Le saviez-vous ? Depuis, ils se sont peut-être versés d’autres choses !

Saviez-vous que les banques d’affaires ont touché 9,1 millions d’euros ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Non, je ne le savais pas.

M. le Rapporteur : Les avocats ont touché 4,2 millions d’euros !

M. Jean-Claude JOUFFROY : Cela, je ne le savais pas.

Ce que nous savions, c’est ce qui est dans le rapport Mazars. Trois chiffres m’ont toujours surpris : le salaire du président d’Air Lib, le salaire d’un certain nombre de ses collaborateurs, les commissions versées à CIBC - 8,5 millions d’euros - les honoraires de Me Léonzi, 3 millions d’euros.

M. le Rapporteur : Il y en avait quelques autres.

M. Jean-Claude JOUFFROY : Voilà ce que je sais. Je ne connais pas tous les chiffres et nous ne sommes pas allés plus loin.

M. le Rapporteur : A partir de février 2003, la question de l’argent de la Swissair est quasiment publique puisque le comité d’entreprise en est saisi, suite à des demandes qui remontent à sept mois avant, de la part des responsables du comité d’entreprise de l’époque.

Vous ne saviez pas et vous ne vous êtes pas posé la question de savoir où était passé l’argent de la Swissair ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Ce n’était pas notre préoccupation !

M. le Rapporteur : S’agissant du prêt du FDES, c’est-à-dire des fonds d’Etat, y a-t-il eu un suivi de l’utilisation des 30,5 millions d’euros. ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Je ne peux pas vous répondre exactement. Je pense qu’il ne doit pas y avoir sur ce point précis beaucoup d’obscurité, mais je pense que le CIRI pourra vous répondre.

D’ailleurs, à notre arrivée, ces 30,5 millions d’euros avaient été versés. Ils ont été versés non pas à Holco mais à Air Lib, je suppose.

M. le Rapporteur : Absolument !

M. Jean-Claude JOUFFROY : Est-ce qu’ils n’ont pas servi à donner des salaires plus élevés que la norme ? C’est peut-être la question que l’on peut se poser.

M. le Rapporteur : Ou à ne pas rapatrier ce qui restait ?

Au 13 février, il y avait quand même un différentiel. Il restait encore une vingtaine de millions d’euros au sein de la holding Holco. Mais nous interrogerons M. Corbet sur ce point.

M. Jean-Claude JOUFFROY : On ne s’est pas posé la question. Le CIRI se l’est peut-être posée ? Je ne le ne pense pas.

M. le Rapporteur : Ma dernière question porte sur ce qui s’est passé entre IMCA et l’une des filiales du groupe, c’est-à-dire la filiale hollandaise dans laquelle étaient les avions. Est-ce que vous savez des choses là-dessus ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Rien ! Nous l’avons appris par la presse comme tout le monde.

M. le Rapporteur : Mais vous pouvez à tout moment demander les certificats d’immatriculation des avions qui, avant cette opération, étaient immatriculés en France. Par un simple coup de téléphone, vous pouviez savoir si les avions - on a parlé d’une dizaine d’avions - avaient changé de propriétaire. C’est ce que l’on nous a dit et nous allons le vérifier. Vous, vous n’étiez pas au courant ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Il faut bien voir le domaine des compétences de l’Etat dans cette affaire. J’insiste bien une fois encore sur le fait qu’Air Lib était une entreprise privée. L’Etat a un certain nombre de moyens juridiques pour intervenir dans la vie des entreprises privées. Ces moyens sont limités et il n’en a pas d’autres.

Quelles étaient les responsabilités de l’Etat, en tout cas en tant que ministère des Transports, vis-à-vis d’Air Lib ? Il s’agissait premièrement de s’assurer de l’équilibre financier de l’entreprise pour que nous puissions renouveler ou non la licence d’exploitation d’Air Lib. Voilà notre responsabilité !

Nous avons d’autres responsabilités dont celle de l’immatriculation des avions. C’est nous qui immatriculons les avions et c’est nous qui avons le registre d’immatriculation. C’est clair !

Je ne sais pas répondre à la question que vous posez sur la propriété des avions. D’après la presse, ils sont passés, ils ont dû passer ou ils sont peut-être passés de la propriété de je ne sais qui à la propriété d’IMCA. Est-ce que ces avions étaient immatriculés français ? Ce n’est pas sûr, mais je n’ai pas la réponse.

M. le Président : Je souhaite revenir de façon précise sur cette question.

Quand on accorde une licence d’exploitation à une compagnie aérienne, un dossier doit être établi et il doit avoir trait à la flotte que cette compagnie exploite. Je pense qu’un certain nombre d’informations sont demandées par l’autorité administrative sur ces avions. Il doit bien être fait état de leur immatriculation. On doit bien savoir s’ils sont la propriété de la société ou s’ils sont affrétés ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Je ne peux pas vous répondre précisément. D’ailleurs, je ne sais pas si on va dans ces détails dans la composition du dossier.

M. le Rapporteur : C’est une question importante pour nous.

Si vous ne pouvez pas nous répondre parce que vous n’avez pas les éléments entre les mains, pourriez-vous nous faire une note partant de juillet 2002 ?

J’ai noté ce que nous a dit votre collaborateur, M. David : il y avait 33 appareils qui étaient de natures diverses : des pleines propriétés, des locations, des leasings, etc. Pourriez-vous nous dire si initialement, au tout début, ils étaient dans la société d’exploitation ?

Une décision de justice du tribunal de commerce a autorisé à rapartir les actifs et à les mettre dans une structure " Mermoz ", dite " Coopérative Mermoz ", de droit hollandais. Il semble qu’après, selon ce que l’on dit, une partie aurait été vendue à IMCA.

Puisque vous avez les certificats d’immatriculation, pourriez-vous nous dire ce que vous savez de ce qui s’est passé entre juillet 2002 et le dépôt de bilan de février 2003 ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Tout à fait ! Je vais faire le point exact sur cette question.

M. le Rapporteur : Vous pourrez ensuite transmettre à la commission les éléments à la disposition des autorités publiques.

M. Jean-Claude JOUFFROY : Tout à fait.

M. Jean-Yves LE BOUILLONNEC : Je souhaite poser une question qui, à mon avis, est sous-jacente à l’intervention des syndicats, hier.

Au niveau du cabinet ministériel, est-ce qu’il y avait dans le règlement de la problématique d’Air Lib une contradiction avec les problèmes liés à Air France ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Non !

M. Jean-Yves LE BOUILLONNEC : Est-ce qu’il y avait une contradiction ? Est-ce que, à votre connaissance, il y a eu des interventions, à la demande du personnel d’Air France, dans l’activité d’Air Lib pendant cette période-là ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Je ne comprends pas la deuxième partie de votre question.

M. Jean-Yves LE BOUILLONNEC : Est-ce que des hauts cadres d’Air France ont pu éventuellement participer aux activités ou à l’orientation des activités d’Air Lib pendant ces derniers mois ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Je peux vous répondre : non. Je n’étais au courant de rien !

M. le Président : Pour être plus clair, on nous a indiqué que l’un des administrateurs d’Air France, M. Paris, président des fonds Concorde, avait joué un rôle important soit de conseiller, soit d’associé de M. Corbet.

M. Jean-Claude JOUFFROY : Ce que je peux vous dire de la manière la plus précise c’est qu’il est clair que M. Paris et M. Corbet sont très amis. Pour ma part, je sais ce que tout le monde sait ou dit : M. Paris continuait probablement à donner des conseils. Il paraît raisonnable de dire que c’est la réalité car ils sont très liés. En tout cas, il avait des discussions avec Jean-Charles Corbet concernant Air Lib. Au-delà des relations personnelles, y avait-il des liens financiers ? Je ne suis strictement au courant de rien.

J’en viens à la première partie de la question, concernant les relations Air France et Air Lib. On ne pouvait pas empêcher Jean-Charles Corbet - ou qui que ce soit - de dire ce qu’il voulait, même quand c’était pour avancer des contrevérités. De même, on ne peut empêcher quiconque de croire quoi que ce soit et de dire ce qu’il a envie de dire.

Pour ma part, je l’affirme de la manière la plus nette et avec la plus grande fermeté possible, dans l’affaire Air Lib nous n’avons jamais mis en balance les emplois et la protection d’Air France. En d’autres termes, pour être encore plus clair, nous n’avons jamais cherché, de quelque manière que ce soit, à protéger Air France.

On nous a fait le procès de protéger Air France sur l’Afrique. Nous avons dit et redit au président d’Air Lib et au groupe IMCA que les droits sur l’Afrique seraient toujours accordés sans aucun problème. Mais notre position était toute simple et même un peu naïve. Elle était de dire - et c’était en particulier ma position - que nous ne donnerions les droits sur l’Afrique que lorsqu’on nous aurions un accord global avec eux.

Cette position me paraissait raisonnable. Or, vous savez tout ce qui a été dit dans la presse, en particulier sur cette affaire-là. A partir d’un moment, nous avons pris la décision fin décembre ou début janvier - bien que l’on n’ait pas conclu un accord global - de donner les droits sur l’Afrique.

Je peux affirmer de la manière la plus nette possible que notre préoccupation n’a pas été la protection d’Air France.

M. le Rapporteur : Quelle est la stratégie du gouvernement à l’égard de ce que certains ont appelé le deuxième pôle ?

Pensez-vous que c’était une bonne chose ? Avez-vous fait ce que vous avez pu pour essayer de le maintenir ? Ou est-ce que, a posteriori, vous pensez que tel n’est pas le cas ?

Enfin, Air France a-t-il essayé de vous influencer dans cette affaire ? Si oui, dans quel sens ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Je dois dire qu’Air France ne nous a jamais influencés en quoi que ce soit sur l’affaire Air Lib. Je suis le plus net possible !

M. le Rapporteur : Vous n’avez jamais appelé M. Spinetta pour lui demander, par exemple, ce qu’il pensait de cette affaire ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Jamais ! Je suis formel. Non, jamais ! Je le connais par ailleurs.

M. le Rapporteur : Jamais, ni vous, ni lui, ne serait-ce que pour demander un avis ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : La question est précise. Je réponds : jamais ! Je le répète encore une fois.

M. le Président : C’est clair.

M. le Rapporteur : En effet, c’est clair.

M. Jean-Claude JOUFFROY : Je connais bien par ailleurs Jean-Cyril Spinetta. Je l’ai au téléphone deux fois par semaine parce qu’il nous informe quand même sur la marche d’Air France. Jamais je ne l’ai appelé sur l’affaire Air Lib !

M. le Rapporteur : Ne serait-ce que pour lui demander un avis ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Je n’ai jamais appelé Jean-Cyril Spinetta sur l’affaire Air Lib.

M. le Président : Merci ! C’est clair !

Mme Odile SAUGUES : Toujours sur ces voyages en direction de l’Afrique ou des Antilles et surtout sur la stratégie commerciale d’Air Lib, j’aimerais que vous éclairiez un petit peu certains jugements qui ont été portés.

Estimez-vous que la commercialisation par les sociétés Air Lib et Air Lib Express à prix très bas sur l’Italie et les Antilles a constitué des actes de concurrence déloyale ?

Les prix qui étaient pratiqués étaient-ils, à votre connaissance, inférieurs au prix de revient des billets ? Pouvions-nous les considérer comme des prix anormalement bas ?

Alors que ces offres tarifaires ont été contestées par d’autres compagnies, ces offres ont été lancées en septembre 2002, à l’occasion du salon professionnel à Deauville.

Le CSAM a donné son feu vert à Air Lib pour ouvrir de nouvelles lignes vers le Maghreb et l’Afrique. Comment expliquez-vous cette décision ? Que répondez-vous à ceux qui estiment que les pouvoirs publics ont couvert une politique de prix abusivement bas, sachant que Corsair a déposé plainte contre Air Lib pour concurrence déloyale ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Je peux déjà vous faire une réponse nette. A partir de décembre, les tarifs qu’Air Lib proposait sur les Antilles - à 99 euros - ne correspondaient strictement pas aux coûts. C’était des prix anormalement bas. Tout le monde vous le dira. L’aller-retour faisait donc 1 300 francs. Le point mort sur les Antilles se situe plutôt à 2 300 francs.

En revanche, je serais un peu moins affirmatif sur les bas tarifs, sur Toulouse ou sur Nice. Nous n’avons jamais bien pu le vérifier. Il aurait fallu se livrer à des calculs très compliqués et mettre en cause la comptabilité analytique d’Air Lib. Tout dépend de la manière dont on répartit les coûts sur une ligne ou sur une autre. On ne l’a pas fait.

Ce que vous dites, madame Saugues, est probablement vrai.

M. le Rapporteur : L’estimation du passif que laisse Air Lib est de quel ordre ? A-t-on une idée de l’ensemble des créances. Quel en est l’ordre de grandeur ?

M. Jean-Claude JOUFFROY : Je ne peux pas vous le dire.

M. le Rapporteur : Il y a les 120 à 130 millions pour la partie publique.

M. Jean-Claude JOUFFROY : Il y a tous les salaires, le coût du reclassement pour lequel l’Etat paye des sommes importantes. Je vous ferai une fiche.

M. le Président : Ce serait intéressant en effet.

M. le Rapporteur : Y compris pour les créances privées.

M. Jean-Claude JOUFFROY : Il semble qu’il n’y en ait pas. Par définition, Air Lib n’avait pas de banquier.

M. le Rapporteur : Le banquier d’Air Lib, c’était l’Etat et c’est bien le problème. Vous augmentiez vos lignes de crédit de 9 millions d’euros par mois. Telle est la réalité, avec le risque que des créanciers privés non payés se retournent vers l’Etat en comblement de passif pour soutien abusif et pour lui demander de payer la totalité des dettes.

C’est dire que ma question n’est pas anodine.

Mme Odile SAUGUES : On a parlé de la vente des 120 Airbus A319 à moins de 25 % de leur prix, d’après une estimation. Nous n’avons pas le chiffre exact.

Avez-vous connaissance d’éventuelles compensations qui auraient été liées à cette commande ? Cette question a été beaucoup reprise par la presse.

M. Jean-Claude JOUFFROY : Non, je n’en ai pas connaissance.

M. le Président : Je vous remercie.


Source : Assemblée nationale (France)