Procès-verbal de la séance du mardi 29 avril 2003
Présidence de M. Xavier de Roux, Président
Les témoins sont introduits.
M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête leur ont été communiquées. A l’invitation du Président, les témoins prêtent serment.
M. le Président : La commission d’enquête a souhaité vous entendre car il lui est apparu nécessaire d’éclairer les relations que la société que vous présidez et la compagnie Air Lib ont pu nouer. En effet, certains des cadres dirigeants de la compagnie Air Lib étaient issus de la compagnie Air France et l’on a pu s’interroger sur le rôle d’Air France dans le projet de reprise d’AOM Air Liberté par M. Jean-Charles Corbet.
Plus généralement, on peut s’interroger sur le degré et la nature de la concurrence qui existait entre vos deux compagnies. Etaient-elles concurrentes, compte tenu des offres commerciales d’Air Lib, ou complémentaires dans la mesure où Air Lib occupait un créneau et protégeait Air France de la concurrence possible de compagnies à bas coûts ?
Je vous donne la parole pour un exposé introductif d’une dizaine de minutes, puis votre audition se poursuivra par un échange de questions et réponses.
M. Jean-Cyril SPINETTA : Si l’on veut comprendre la situation créée en janvier-février de l’année 2001, il convient de se remémorer les relations entre Air France et les entreprises AOM, Air Littoral et Air Liberté dans cette période donnée jusqu’à la décision du tribunal de commerce fin juillet 2001 concernant la cession d’Air Liberté.
Je n’évoquerai que la période que j’ai personnellement connue en tant que président de la compagnie Air France. Au printemps 1998, le consortium de réalisation, le CDR, qui gère les actifs contestés ou contestables du Crédit Lyonnais et qui a reçu, parmi ces actifs, les participations détenues par Altus au sein de la compagnie AOM, décide de réaliser ces actifs. Air France est candidat et inscrit sur la " short list ". Nous allons jusqu’à la " dataroom ", puis décidons de ne pas donner suite et ne pas faire d’offre de reprise dans la compagnie Air Outre-mer, laquelle est vendue par le consortium de réalisation à la compagnie Swissair.
M. le Président : Pourquoi n’allez-vous pas plus loin ?
M. Jean-Cyril SPINETTA : Nous n’allons pas plus loin pour deux raisons. La première est qu’allant jusqu’à la " dataroom ", nous avons une vue assez exacte de ce qu’est la situation économique et financière d’AOM : elle est pire que mauvaise, elle est catastrophique. C’est une situation nette négative de l’ordre de 500 millions de francs.
La deuxième raison est que je considère qu’à l’époque, Air France a d’autres priorités, après une fusion avec Air Inter qui n’est pas achevée, que celle de se lancer dans une seconde opération avec AOM.
M. le Président : Il nous a été rapporté que vous auriez renoncé à l’achat d’AOM sur intervention de la DGCCRF qui vous aurait fait savoir que cela aurait porté atteinte à la concurrence.
M. Jean-Cyril SPINETTA : C’est vrai s’agissant d’Air Liberté, mais pas pour AOM.
Nous sommes au printemps 1998. Swissair a racheté successivement AOM, puis Air Littoral et puis Air Liberté. En ce qui concerne AOM, nous allons jusqu’à la " dataroom " puis décidons de ne pas faire d’offre. A ma connaissance, seule la compagnie Swissair fait une offre et se voit attribuer AOM pour un prix de cession dont j’ai oublié le montant.
Le deuxième élément est la cession d’Air Littoral par son actionnaire majoritaire, Michel Seydoux, à l’automne 1998. A l’époque, est candidate au rachat d’Air Littoral la compagnie Brit Air, laquelle est une société indépendante dont la chambre de commerce et d’industrie de Morlaix, avec d’autres investisseurs, est l’actionnaire de référence. A l’époque, Brit Air, qui travaille en franchise avec Air France mais qui est indépendante au point de vue capitalistique, décide de se porter candidate à l’acquisition d’Air Littoral.
J’ai moi-même rencontré M. Michel Seydoux pour l’informer que, dans le cadre du contrat de franchise que nous avions avec Brit Air, nous souhaitions continuer à développer et Brit Air et Air Littoral, si l’actionnaire, M. Seydoux, faisait le choix de Brit Air.
En septembre 1998, l’affaire parait conclue entre Brit Air et Air Littoral. Puis une offre de Swissair, plus attractive sans doute, est formulée et, en une après-midi, la société Swissair rachète Air Littoral.
Le troisième élément est la compagnie Air Liberté, détenue pour l’essentiel par la société British Airways. Après avoir enregistré des pertes considérables sur TAT, puis sur Air Liberté, M. Rob Ayling, directeur général de British Airways à l’époque, décide de vendre Air Liberté. M. Rod Eddington succédera à M. Rob Ayling.
S’agissant de cette vente d’Air Liberté, nous savons que Swissair sera à nouveau candidat. Air France décide d’être également candidat. Une première orientation est donnée dans un comité stratégique qui a lieu le 3 mars 2000. Le comité stratégique, qui dépend du conseil d’administration, réunit un certain nombre des membres du conseil et donne un accord de principe. Le conseil d’administration, qui prend la décision de faire une offre, se tient le 15 mars 2000.
Je plaide personnellement pour qu’une offre soit faite à British Airways, mais qu’elle soit assortie d’une clause conditionnelle concernant la position qui serait prise par les autorités de la concurrence. Nous savons déjà à l’époque, après une étude juridique, que les autorités de la concurrence sont françaises et non pas européennes, en application des règles européennes en matière de partage des compétences entre les Etats, les gouvernements, et Bruxelles.
Comme nous ne savons pas quelle peut être cette position des autorités de la concurrence, nous intégrons dans notre offre, formulée après ce conseil d’administration du 15 mars, une clause de conditionnalité sous réserve de la décision des autorités de concurrence et des contreparties qu’elles pourraient demander. Les Anglais nous font savoir que, dans l’autre offre qu’ils ont reçue et que nous savons venir de Swissair, il n’y a pas de clause de conditionnalité. Par conséquent, indépendamment même des problèmes de prix offerts par les uns et les autres, notre offre sera forcément moins attractive pour le conseil d’administration de British Airways puisque pas totalement certaine.
Nous décidons d’interroger, à titre officieux, les autorités de la concurrence française, la DGCCRF. Ayant eu des éléments de réponse officieux, je réunis un conseil d’administration extraordinaire, le 23 mars 2000. Nous avions même fait l’hypothèse, lorsque nous avions formulé cette offre de reprise d’Air Liberté, d’une restitution de 25 % des " slots " (autorisations d’atterrissage et de décollage à Orly), soit quatorze paires de slots. Les réponses qui nous seront données officieusement par la DGCCRF seront qu’il nous faut envisager, au minimum, une restitution de 50 %.
M. le Président : Lorsque vous dites que des réponses vous seront données "officieusement par la DGCCRF", s’agit-il de Jérôme Gallo ?
M. Jean-Cyril SPINETTA : A l’époque, pour autant que je m’en souvienne, les règles en matière d’autorisations sont les suivantes : les ministres des finances et des transports signent un arrêté autorisant ou non. C’est la DGCCRF qui instruit le dossier, mais le ministre n’est pas tenu de consulter le conseil de la concurrence et, s’il le consulte, il n’est pas tenu de suivre son avis. Nous sommes dans la période où il n’est pas tenu de consulter le conseil.
Des contacts sont pris. C’est un sujet sur lequel et le ministère de l’économie et des finances et le ministère des transports sont totalement informés du projet d’Air France. L’actionnaire consulte donc la DGCCRF lors de réunions auxquelles je n’ai personnellement pas participé. Cela se fait au niveau de Matignon qui participe à des réunions pour étudier, avec la direction de l’aviation civile et la DGCCRF, comment se pose cette question de concurrence. Le retour qui nous est fait est que, selon la DGCCRF, il n’est pas possible d’envisager une restitution de slots inférieure à 50 % du portefeuille de slots détenus par Air Liberté.
M. le Président : C’est une réponse technique et non pas politique.
M. Jean-Cyril SPINETTA : C’est une réponse technique. J’apprends, juste avant le conseil d’administration extraordinaire du 23 mars 2000 que j’ai convoqué, que le ministère des finances suivra scrupuleusement les indications données par la DGCCRF.
M. le Président : Quelle était la position du ministre de l’équipement ?
M. Jean-Cyril SPINETTA : Pour autant que je m’en souvienne, elle était plus volontariste. Quant à la position du ministère des finances, elle consistait à dire qu’ils suivraient scrupuleusement la position des services instructeurs. Le ministre des finances de l’époque était M. Christian Sautter.
M. Gilbert GANTIER : Pour ce qui est de l’attribution des " slots ", est-ce tout à fait discrétionnaire du ministre ? Par ailleurs, quand il a été question de vendre AOM, y a-t-il eu un problème de" slots " ? Lors de la première opération, vous a-t-on demandé de reprendre l’ensemble des " slots " d’AOM ?
M. Jean-Cyril SPINETTA : Lors de la première opération, nous ne nous sommes pas posé la question, puisque très vite nous avions décidé de ne pas faire d’offre. C’est donc un sujet que nous n’avons pas examiné. Si nous l’avions examiné, nous aurions probablement étudié attentivement la jurisprudence bruxelloise en matière aérienne, puisqu’il n’y a pas de jurisprudence française. Je n’ai pas connaissance de décisions significatives des autorités françaises de la concurrence en matière de concurrence aérienne. La seule référence est bruxelloise.
Il nous semblait que la jurisprudence bruxelloise aurait, dans un cas équivalent, demandé la restitution d’environ 25 % des " slots " et non pas de 50 %. Cela étant, c’est simplement une impression. Comme l’étude n’a pas été faite à l’époque sur AOM, je ne peux pas répondre précisément à la question.
L’ordre du jour du conseil d’administration extraordinaire du 23 mars 2000 ne comportait que ce point. Je recommande alors personnellement au conseil, qui me suit à l’unanimité, de maintenir la clause conditionnelle, sous réserve de la décision des autorités de la concurrence, puisque nous savons que cette décision risque d’être rude en termes de restitution de " slots ". Par ailleurs, j’annonce au conseil d’administration de l’époque que nous avons perdu et qu’Air Liberté sera racheté par Swissair et non par Air France.
Le 31 mars, les Anglais annoncent que la cession est réalisée en faveur de Swissair.
M. le Président : La décision du conseil d’administration d’Air France du 23 mars, dans la situation où se trouvaient les offres, revient à dire non.
M. Jean-Cyril SPINETTA : Tout à fait. Le délibéré de ce conseil d’administration extraordinaire est très clair. S’y expriment nombre de personnalités, dont MM. Jean-François Dehecq, M. Christophe Blanchard-Dignac, Francis Mer. Tous s’accordent pour dire qu’il n’y a pas d’autre décision raisonnable que celle-ci de la part du management de l’entreprise et de son conseil d’administration. Certains ont déploré à l’époque que la rigueur d’analyse de la DGCCRF conduise à cette décision.
M. le Président : C’est assez intéressant dans le fonctionnement de l’Etat. L’actionnaire, qui est l’Etat, vous suit et vous informe qu’en réalité, la réponse est non, sans pour autant que vous ayez exploré jusqu’au bout la piste du droit de la concurrence. En effet, tout le monde sait à l’époque que l’avis de la DGCCRF ne lie pas le ministre des finances et que ce dernier, pour des raisons de politique supérieure, peut prendre une décision contraire à celle de la DGCCRF.
M. Jean-Cyril SPINETTA : Nous plaidons qu’une restitution de 25 % des "slots" est raisonnable et que, dans une telle hypothèse, on peut concevoir un plan d’affaires d’Air France et d’Air Liberté permettant de donner un contenu économique à cette reprise. Dès le conseil d’administration du 23 mars, nous savons que nous avons perdu.
M. le Président : Il s’agit quand même d’une étude de marché complexe. Quels sont vos contacts avec la DGCCRF ?
M. Jean-Cyril SPINETTA : A l’époque, je n’ai pas de contacts directs avec la DGCCRF. Cela se passe via la direction générale de l’aviation civile (DGAC).
Il me semble, ce qui pourrait expliquer cette situation très surprenante sur le marché intérieur français, que les autorités de la concurrence nationale et européenne à Bruxelles n’ont jamais voulu intégrer l’effet TGV à leur raisonnement sur le transport aérien. Tout ce dossier compliqué sur lequel vous vous penchez aujourd’hui vient, du point de vue des régulateurs français et européens, d’un refus de considérer les réalités qui sont les suivantes.
Sur la plupart des lignes au départ de Paris, la France a choisi un système de concurrence intermodale entre le train et l’avion. Lorsque ce marché est concurrencé par le TGV, ce qui est le cas pour la plupart des grandes lignes, il n’y a pas d’espace de marché pour un autre opérateur aérien. En effet, le " low cost " s’appelle le TGV et lorsque le " low cost " est installé, il offre une efficacité en termes de ponctualité, de dessertes et de tarifs proposés. Entre le groupe Air France et le " low cost " qu’est le TGV, il n’y a pas d’espace pour un autre opérateur traditionnel, comme avaient eu l’ambition de l’être Air Liberté, AOM, Air Lib. C’est mon analyse.
L’erreur, dans le raisonnement des autorités de concurrence sur ce sujet, tant au niveau européen qu’au niveau français, est leur refus de considérer qu’une concurrence intermodale peut être une concurrence réelle et bénéfique pour le consommateur. Les Français ayant choisi ce mode de concurrence depuis des décennies, dès lors, les règles de concurrence élaborées dans des pays ou des univers où le TGV n’existe pas ou moins qu’en France, doivent être adaptées pour tenir compte de la réalité française.
M. le Président : Pour en revenir à Air Liberté, la compagnie rentre dans le giron de Swissair.
M. Jean-Cyril SPINETTA : Déjà à l’époque, l’entreprise est dans une situation pire que mauvaise. L’entreprise, qui est en situation de fonds propres très fortement négative, s’apprête sur l’exercice à annoncer environ 300 millions de francs de perte.
Après cet épisode conseil d’administration et conseil d’administration extraordinaire, Air France sait qu’il n’est autorisé à racheter ni AOM ni Air Liberté. Nous décidons donc de nous concentrer, en termes d’acquisition, sur des compagnies régionales. Au début de l’année 2000 et dans le courant de l’année 2001, nous achetons Brit Air, Regional Airlines, Flandre Air et Proteus qui sont des opérateurs régionaux avec lesquels nous travaillons. Nous avons toujours la crainte que ces mêmes opérateurs soient progressivement achetés par Swissair et que Swissair constitue, sur le territoire français, une force de frappe qui pourrait nous inquiéter. C’est quelque chose dont nous souhaitons nous protéger.
Lors d’un conseil d’administration, le 22 ou 23 novembre 2000, une crise interne s’ouvre au groupe Swissair. Cette stratégie, qualifiée par les dirigeants de Swissair eux-mêmes comme la " stratégie du chasseur ", commence à être remise en cause, compte tenu des mauvais résultats économiques et financiers de l’entreprise. Cette stratégie consistait à acheter tout ce qu’il était possible d’acheter en France, en Allemagne, en Espagne, au Portugal et en Italie, dans le domaine du transport aérien mais aussi du " catering ", d’où une mobilisation considérable de capitaux.
A l’occasion de ce conseil d’administration, le président de Swissair de l’époque se trouve sur la sellette. Les banques, qui jusqu’ici l’ont fidèlement soutenu, vont certes continuer à le soutenir, mais avec moins d’enthousiasme. Il est tenu de présenter à son conseil un plan de retour à l’équilibre, justifiant tous les investissements faits précédemment.
Début ou fin janvier 2001, le président de Swissair, M. Philippe Bruggisser, remercié par le conseil d’administration, est remplacé par M. Moritz Suter, lequel est président d’une filiale régionale de Swissair, Crossair, installée à Bâle. Lorsqu’il prend ses fonctions début février 2001, il me contacte immédiatement. Nous nous connaissons parce que nous avons eu à travailler ensemble lorsque j’étais président d’Air Inter et lui-même président de Crossair. Nous nous rencontrons à Paris début février 2001.
Il me dit son intention de céder toutes les entreprises françaises qui viennent d’être achetées six mois auparavant par le groupe, c’est-à-dire Air Littoral, AOM et Air Liberté. Sans entrer dans le détail, il a le sentiment qu’un véritable sinistre économique et financier est en cours de préparation pour le groupe Swissair. Lorsqu’il me demande si je pourrais être intéressé, je lui réponds que je ne peux l’être compte tenu de ce qui a été dit quelques mois auparavant en matière de concurrence. Il le regrette car cela aurait pu constituer une piste pour nos deux sociétés. Ensuite lorsqu’il me fait part de son souhait de nommer M. Marc Rochet en qualité de président de la nouvelle entité, il me demande quelle est la nature de mes rapports avec M. Rochet. Je lui réponds que nos rapports sont excellents et que son choix me paraît opportun du fait que M. Rochet est connu comme étant un des rares grands professionnels dans le secteur du transport aérien.
S’ouvre ensuite une période compliquée au sein du groupe Swissair où se succèdent rapidement des présidents. Après M. Suter qui démissionne, est nommé un président qui ne reste qu’environ une semaine. Puis est nommé M. Mario Corti, directeur financier de Nestlé, qui était au conseil d’administration de Swissair. M. Corti demande à me voir en avril et me pose la même question que M. Suter. Je lui fais la même réponse, à savoir que c’est impossible. Il me demande ce que je pense de M. Rochet, que lui ne connaît pas. Je lui fais la même réponse qu’à M. Suter.
M. Rochet écrit assez rapidement à Air France pour demander, sur les départements d’Outre-mer, Antilles et La Réunion, à bénéficier d’un partage de codes avec Air France. J’ai l’occasion de répondre le 23 mai à M. Rochet, président d’AOM Air Liberté, que sous réserve de la possibilité qui nous serait offerte par les autorités de la concurrence, j’envisage de répondre positivement à la demande qu’il m’exprime.
Au cours d’un point d’information sur la situation en France à l’ordre du jour du conseil d’administration d’Air France du 29 mai, j’évoque cette demande formulée par M. Rochet. A cet égard, j’indique au conseil d’administration d’Air France que, sous réserve de parvenir à un accord sur les modalités du "code share", qu’il me semble qu’Air France doit répondre de manière positive à la demande de M. Marc Rochet.
Une lettre, adressée à M. Marc Rochet, est signée le 1er juin 2001 par le directeur général exécutif d’Air France pour lui confirmer, de manière officielle, que nous envisageons d’accepter de pratiquer un partage de codes sur les départements d’Outre-mer avec la future société Air Liberté ou AOM, après que le tribunal de commerce aura désigné les repreneurs.
J’ai l’occasion d’évoquer de nouveau ce sujet, lors du conseil d’administration d’Air France du 26 juin 2001, pour indiquer, après information au conseil, que nous avons répondu de manière positive. Nous écrivons ensuite à un premier repreneur qui est la société FIDEI. Cette dernière nous demande si nous accepterons de " code sharer ", si elle est désignée comme repreneur par le tribunal de commerce. Nous lui répondons par écrit de manière positive le 25 juin 2001.
M. Corbet nous écrit à son tour pour s’assurer qu’il pourra faire état, auprès du tribunal de commerce de Créteil, de la possibilité de " code sharer " avec nous sur les départements d’Outre-mer. Nous lui répondons de manière positive, dans les mêmes termes et les mêmes conditions qu’à la société FIDEI et qu’à M. Rochet, par deux courriers en date des 12 et 19 juillet 2001.
M. le Président : Connaissiez-vous M. Rochet ?
M. Jean-Cyril SPINETTA : Très bien. Lorsqu’il était chef de l’escale d’Orly à Air Inter, je ne le connaissais pas. Ensuite, quand M. Lapautre a succédé comme président à M. Antoine Veil, il a fait venir M. Rochet à UTA où, après divers postes, il lui a confié la présidence de la société Aéromaritime. C’est une société que M. Lapautre avait tenté de mettre en place à la fin des années 80 ou au début des années 90.
Lorsque, au début des années 90, M. Seydoux décide de vendre UTA et les 35 % qu’il possède dans Air Inter au groupe Air France, M. Rochet reste un court moment à UTA. Lorsque je suis nommé président d’Air Inter, je lui propose le poste de directeur général de l’exploitation d’Air Inter, qu’il refuse au motif qu’il a d’autres projets dont celui de devenir président d’AOM. Cette compagnie a déjà subi une première faillite, laquelle est le résultat d’un épisode un peu oublié.
Pour mémoire, au départ, la concurrence s’est établie sur les lignes intérieures françaises, notamment la ligne Paris-Nice au début de l’année 1991, dans une formule qui associait la société Minerve à la société AOM et dans laquelle le Club Méditerranée, M. Trigano, avait acheté une partie du capital et avait donc quelques intérêts financiers. Cela s’est assez rapidement terminé par un désastre économique et financier. C’est à ce moment-là qu’Altus a repris les actifs et a désigné M. Rochet comme président de la nouvelle société après qu’il l’a reprise.
Par la suite, nous nous sommes rencontrés fréquemment du fait que nous étions concurrents sur le marché intérieur français. Après mon départ d’Air Inter, nous avons continué à nous voir une ou deux fois par an, pour évoquer la situation du transport aérien français. Lors de mon retour à Air France, j’ai eu quelques contacts renouvelés avec M. Rochet.
Lorsqu’en mars 2000, au moment de la vente par British Airways, nous formons le projet de reprise d’Air Lib, M. Rochet, alors président d’Air Liberté, est plutôt en faveur du projet de rachat par Air France plutôt que par Swissair. En tant que manager, il n’a certes pas à s’impliquer dans une décision d’actionnaires, mais il n’a jamais caché qu’il pensait que la reprise par Air France était meilleure que la reprise par Swissair. Pour répondre à votre question, je connais donc très bien M. Marc Rochet.
Quant à M. Corbet, je le connaissais bien aussi car il était président du syndicat national des pilotes de ligne, syndicat de pilotes majoritaire à Air France. En avril 2001, il me dit avoir été sollicité par le leader du SNPL d’Air Liberté, M. Immediato, qui l’aurait incité à formuler une offre de reprise et à se porter candidat avec d’autres, auprès du tribunal de commerce.
A l’époque, je l’ai plutôt dissuadé de se lancer dans cette aventure qui me paraissait assez audacieuse, mais il a décidé de donner suite à son projet. Par rapport à ce projet, je lui ai dit que ce projet ne me concernait pas et je lui ai conseillé de rencontrer les conciliateurs désignés pour lui expliquer la procédure à suivre pour formuler son offre. J’ai prévenu, à l’époque, et Marc Rochet et M. René Lapautre, respectivement président de la société et président du conseil de surveillance, qu’un pilote d’Air France, que je connaissais puisqu’il avait des responsabilités syndicales, voudrait formaliser une offre et que le plus simple serait qu’ils se rencontrent. Cette réunion, dont je suis incapable de vous donner la date, a lieu avec M. Rochet et peut-être M. Lapautre. Quelques temps plus tard, je rencontre M. Rochet et, sachant qu’il a rencontré M. Corbet, je lui demande si je dois tenter de dissuader M. Corbet de continuer dans ce projet. M. Rochet me répond par la négative et m’indique que, comme ils n’ont aucune offre possible, il ne s’agit pas de dissuader un candidat potentiel.
M. le Président : M. Rochet voulait-il faire une offre à ce moment-là ?
M. Jean-Cyril SPINETTA : Non, pas encore. La première offre qui se manifeste est celle de la société FIDEI. Nous avons écrit, le 25 juin 2001, à M. Lambert de ladite société pour l’informer que nous avions donné un accord sur le " code share ", de la même façon que nous l’avions accordé à M. Rochet, car quel que soit le candidat désigné par le tribunal de commerce, nous appliquerions les mêmes règles.
Je n’ai plus les dates en tête, car j’ai suivi ce dossier d’assez loin, sauf sur les aspects sur lesquels Air France était interrogé. Je crois me souvenir que, peu de temps après le 14 juillet, tout le monde était plus ou moins convaincu que c’était la société FIDEI qui allait l’emporter, puis M. Rochet a formulé une offre, mais après le 14 juillet 2001. L’offre de M. Corbet se manifeste et se concrétise à peu près au même moment. Le tribunal de commerce de Créteil a à juger entre une offre de M. Rochet, une offre de M. Corbet et Holco et peut-être une offre de la société FIDEI.
M. le Président : Appuyez-vous l’offre de M. Rochet ?
M. Jean-Cyril SPINETTA : Je n’appuie aucune des offres. Dans trois lettres successives, l’une à M. Rochet, le 1er juin 2001, l’autre à FIDEI le 25 juin 2001 et la dernière à M. Corbet le 12 juillet 2001, je me suis exprimé exactement dans les mêmes termes, à savoir qu’avec le repreneur désigné par le tribunal de commerce, nous ferions un partage des codes lesquels étaient annexés aux différentes lettres, dans le cadre du plan qu’ils nous avaient transmis et qui exprimait des retraits d’activité sur le trafic domestique et les départements d’Outre-mer.
L’affaire du " code share " nous intéressait pour deux raisons. La première est qu’elle nous permettait de rationaliser nos activités en mettant à Roissy des avions de plus petite capacité, où la demande est moins forte qu’à Orly. Ces avions d’Air Liberté, qui deviendra Air Lib, étaient soit des DC10, soit des A340, de 245 à 300 sièges. Cela nous permettait de concentrer sur Orly l’ensemble de notre flotte 747-200 et 300 (plus de cinq cents sièges), là où la demande s’exprime le plus fortement.
Par rapport à une situation dans laquelle nous n’avions aucun avantage ou désavantage à ce qu’Air Liberté continue ou s’arrête, il y avait le problème social, mais dont nous n’étions pas comptables. En revanche, j’avais une inquiétude très forte. Nous sommes en juillet 2001. En l’absence d’un plan de cession de reprise décidé par le tribunal de commerce, nous allons nous retrouver avec une liquidation d’entreprise au pire des moments de l’année qui est celui des pointes et hyperpointes sur les départements d’Outre-mer. Ma crainte est d’être dans une situation où nous ne serions pas en mesure d’assurer, par nos moyens propres, les dessertes. C’était avant le 11 septembre, quand la conjoncture était encore très porteuse. Comme il n’y avait aucun affrètement possible, je craignais que nous nous trouvions, face à une situation extraordinairement difficile, avec une rupture brutale sur la Martinique, la Guadeloupe et La Réunion au pire des moments, avec une première pointe en juillet et août, et une seconde fin août-début septembre, dans l’incapacité de l’assurer, avec des risques de manifestations assez violentes et un aéroport bloqué.
M. le Président : Je suppose que le ministre des transports partageait vos craintes. Mais est-il intervenu auprès de vous sur cette question précise d’assurer les capacités de transport ?
M. Jean-Cyril SPINETTA : Tout à fait. Il me pose la question, mais nous n’avions pas les moyens en interne de dégager les avions qui nous permettaient de faire face. Nous avons essayé de voir tous les affrètements de courte durée de trois mois. Mais, en cette période de l’année qui est une période de pointe pour toutes les compagnies, il est très difficile de trouver des affrètements disponibles. Pendant l’été, c’est là que les activités charter sont les plus intenses.
Au mois de juin, à la demande des conciliateurs, je rencontre, dans un premier temps, la société FIDEI avec la banque canadienne, la CIBC, pour leur confirmer qu’Air France est favorable à un " code share " sur les Antilles. M. Corbet me demande également de le rencontrer. Je le fais comme je l’ai fait avec FIDEI pour lui donner les mêmes informations, à savoir que je suis disposé à autoriser un " code share " entre Air France, Air Liberté et AOM sur les départements d’Outre-mer, dans les conditions qui avaient été celles étudiées par M. Rochet et auxquelles j’avais déjà donné une réponse.
M. le Président : La CIBC vous demande-t-elle une participation ?
M. Jean-Cyril SPINETTA : Pas du tout. Le ministre des transports me demande si Air France est prêt à racheter Air Littoral, qui était dans la même situation qu’Air Liberté. Je lui réponds de manière négative, en lui rappelant qu’autant nous étions candidats en 1998, autant en 2001, c’est impossible parce que nous avons acheté Regional Airlines, Proteus Air Lines, Flandre Air et Brit Air.
Selon l’analyse que je faisais à l’époque et que je fais toujours, il y a trop d’offres sur le marché français. Dans l’hypothèse où Air France rachète Air Littoral, nous ne savons pas qu’en faire car nous avons déjà du mal à faire vivre les " hubs " de Lyon et de Clermont-Ferrand, les destinations au départ de Nantes, etc. Il y a trop d’offres sur le marché français en matière régionale. Je réponds donc au ministre qu’il est tout à fait impossible pour nous d’imaginer racheter Air Littoral. C’est le seul point sur lequel le ministre me pose de manière très précise la question de ce que peut faire Air France par rapport à la situation créée par le désengagement de Swissair.
M. le Président : Sur Air Liberté, le ministre ne vous pose aucune question.
M. Jean-Cyril SPINETTA : Si, il m’en parle très souvent. Il sait qu’après les orientations données par la direction de la concurrence, il est difficile et impossible juridiquement d’envisager qu’Air France puisse se porter acquéreur. Il m’interroge parce qu’il reçoit aussi M. Rochet sur le " code share ". Je lui réponds de manière positive sur le " code share ".
M. le Président : Quelle part du chiffre d’affaires d’Air Liberté aurait représenté le partage des lignes sur les DOM-TOM ?
M. Jean-Cyril SPINETTA : En dehors du charter, la totalité de son activité long courrier. C’est sur La Réunion et les Antilles qu’est concentrée la quasi-totalité, sauf les opérations charter, de l’activité long courrier d’Air Liberté et d’AOM. En termes de fréquences, lorsque l’on cumulait les compagnies AOM et Air Liberté, elles offraient autant de fréquences que le groupe Air France.
Les 26 et 27 octobre 2001, nous signons les accords définitifs décrivant dans le détail nos relations dans le cadre de ce " code share ". Ce sont deux accords techniques qui prévoient la manière dont les choses vont se dérouler. Suite à cela, Air Liberté est en mesure de commercialiser des places sur les avions d’Air France et vice versa.
Le nombre de places commercialisées sur les avions d’Air France par Air Lib est infinitésimal, moins de 1 %. Le pourcentage des places commercialisées par Air France sur les avions d’Air Lib est très significatif. Plus de 40 % des places vendues sur les avions d’Air Lib sont vendues à travers l’intervention des services commerciaux d’Air France qui reçoivent une commission pour services rendus, comme tout agent de voyages.
Sur l’hiver 2001-2002, 20 % de la totalité des coupons vendus par Air France sur les Antilles et 25 % des coupons vendus sur La Réunion l’ont été sur des vols Air Lib. 49 % des passagers sur les vols " operating " d’Air Lib sur les Antilles et 44 % sur La Réunion ont été vendus par Air France, c’est-à-dire que la moitié des sièges occupés ont été vendus par Air France. En revanche, Air Lib a vendu 1 % des vols " operating " d’Air France sur les Antilles et 0,3 % sur La Réunion. Ce sont des choses très classiques dans notre métier, dans le cadre d’accords de "code share".
Air Lib dénoue cette opération en nous demandant par écrit, à l’été 2002, une modification des règles que nous avions établies sur ce " code share ". Dans ce courrier du 27 juin 2002, ils nous indiquent que nous avons à notre disposition 80 % de la capacité des sièges opérés par Air Liberté, mais que nous devons accepter de prendre 80 % des coûts complets afférents à ces sièges. Nous refusons cette demande qui est tout à fait inhabituelle.
Air Lib nous informe le 22 juillet 2002, qu’à compter du 8 septembre 2002, ils cesseront de desservir Roissy et concentreront leurs moyens sur Orly où ils considèrent avoir des coûts moins élevés. Nous leur écrivons le 31 juillet que, dans ces conditions, nous envisageons de dénoncer l’accord de " code share " qui nous lie. Cet accord est dénoncé de manière définitive dès le mois de septembre. Nous cessons nos relations contractuelles en matière de " code share " à l’automne 2002.
Cette cessation de relation se fait sur la base de ces demandes du 27 juin 2002 faites par Air Lib de modifier les règles du jeu et en particulier de l’information donnée qu’à compter du 8 septembre, ils rapatrieront leurs vols sur Orly. Ce dernier élément est contraire à ce qui nous avait fait leur donner un accord sur le principe même du " code share ".
M. le Président : A partir de ce moment-là, vous n’avez donc plus de relations avec Air Lib.
M. Jean-Cyril SPINETTA : Si, il subsiste des relations habituelles dans le domaine de la maintenance des avions. Air France, avec Lufthansa et KLM en Europe, est une compagnie qui vend de la prestation de maintenance et d’entretien d’avions à d’autres clients. Nous avons plus de cent clients à Air France. Nous continuons donc à entretenir une partie de la flotte d’Air Lib. Nous avons également des accords dans le domaine de l’informatique. L’ensemble de ces accords continuent à vivre jusqu’à la faillite. Mais ce sont des accords classiques et traditionnels.
M. le Président : Quand vous cessez vos accords commerciaux avec Air Liberté, quelle impression avez-vous de la réalité économique de votre partenaire ?
M. Jean-Cyril SPINETTA : Mauvaise. Lorsque j’ai eu l’occasion d’examiner la situation économique des compagnies, en 1988 pour AOM et en 2000 pour Air Liberté, elles étaient dans des situations pires que mauvaises. Ensuite, j’ignore dans quel sens la situation de chacune a évolué. Swissair les a rachetées l’une et l’autre avec Air Littoral. J’ignore ce que sont devenues ces compagnies en termes de résultats, de performances économiques. Néanmoins, à juger de la rapidité avec laquelle les Suisses voulaient s’en débarrasser en payant des sommes considérables, je suppose que la situation devait être pire que mauvaise. Sinon les Suisses, après avoir investi autant, n’auraient pas, après six mois, décidé à toute force et en payant cher, de s’en débarrasser.
La question de fond est de savoir si le projet de reprise avait une chance de réussir. Pour ma part, je pense que oui, mais un élément est venu bouleverser les choses, c’est le 11 septembre 2001. La cession est décidée fin juillet 2001. Le 11 septembre 2001 bouleverse totalement la donne en matière de situation du transport aérien au niveau français, européen et mondial. C’est un choc très rude pour toutes les compagnies aériennes.
Circonstance aggravante pour Air Liberté, ce choc met en faillite immédiate, au mois d’octobre 2001, la compagnie Swissair qui n’exécute qu’une partie des engagements pris devant le tribunal de commerce. Je n’ai plus les chiffres précis en tête, mais une partie des engagements pris par Swissair devant le tribunal de commerce n’est pas respectée. C’est une double circonstance difficile pour tous les opérateurs aériens et donc pour Air Lib. Cette conjoncture très médiocre ne s’est pas améliorée par la suite.
M. le Rapporteur : M. Corbet était pilote salarié d’Air France. A-t-il continué à l’être et quelle était sa situation dans la période juin-juillet 2001 à mars 2003 ?
M. Jean-Cyril SPINETTA : La situation de M. Corbet était la suivante. Il avait bénéficié, à sa demande, à compter du 1er septembre 2001, d’un congé sabbatique d’un an. C’est une disposition qui est prévue au statut des personnels d’Air France. A l’issue de ce congé sabbatique, les salariés doivent opter soit pour une réintégration dans l’entreprise, soit une démission définitive de l’entreprise.
A l’issue de cette période d’un an, nous avons adressé à M. Corbet le courrier suivant : " Vous n’avez demandé ni prolongation de ce congé avant le 31 août, ni repris votre activité au sein d’Air France à compter du 1er septembre. Vous avez, au contraire, manifesté publiquement et à plusieurs reprises votre décision de ne pas réintégrer la compagnie. Nous en prenons acte et arrêtons votre situation à la date du 31 août 2002. "
Un an après le début de son congé sabbatique, M. Corbet a vu l’ensemble de ses relations avec l’entreprise définitivement arrêté. Il n’a donc plus été rémunéré à compter du 1er septembre 2001.
M. le Rapporteur : Il était donc encore rémunéré au mois d’août 2001.
M. Jean-Cyril SPINETTA : Sans aucun doute, mais je le vérifierai.
M. le Rapporteur : Comment a-t-il pu monter, dans les mois de mai, juin, juillet et août 2001, la reprise qui demande un travail considérable, tout en continuant à être rémunéré ? Etait-il toujours pilote en activité ?
M. Jean-Cyril SPINETTA : Tout à fait. Il était commandant de bord A340.
M. le Rapporteur : Pourriez-vous nous préciser, sur cette période, s’il a été rémunéré, comme vous semblez nous l’indiquer, et quels ont été les vols qu’il a pu effectuer ? Quelle était sa disponibilité pour monter le groupe Holco, la reprise et les négociations qui ont pris un temps considérable ?
M. Jean-Cyril SPINETTA : M. Corbet était alors commandant de bord à Air France. Il a toujours des responsabilités syndicales, même s’il n’est plus président du SNPL puisqu’il y a été remplacé, le 15 décembre 2000, par M. Jean-Pierre Fracchetti, lorsque le conseil décide de changer le bureau. Néanmoins, après le 15 décembre, il est toujours élu représentant syndical et bénéficie comme les autres, à ce titre, de repos syndicaux.
Par ailleurs, il continue à voler comme commandant de bord A340. Les pilotes ont des jours " on ", c’est-à-dire des jours où ils sont engagés, et des jours " off ", c’est-à-dire des jours où ils ne le sont pas. En long courrier, le nombre de jours "on" doit être de quatorze jours par mois. Par conséquent, sur un mois, un pilote dispose de quinze ou dix-sept jours où il n’est pas engagé. En plus, s’ajoutent à cela, dans le cas de M. Corbet, les facilités qu’il a en qualité de représentant syndical, c’est-à-dire quelques jours de plus chaque mois qu’il peut consacrer à d’autres activités.
M. le Rapporteur : Sur ces quatre à cinq mois, pourriez-vous nous faire le point des vols qu’il a effectués et des décharges syndicales dont il a bénéficié ?
Lors de l’émission " Capital " sur M6, M. Corbet a indiqué avoir été "en service commandé pour la reprise d’Air Lib et en avoir assuré la préparation pendant plusieurs mois, tout en étant salarié d’Air France, avec l’accord de la direction d’Air France". Confirmez-vous ces propos ?
M. Jean-Cyril SPINETTA : Lorsque Jean-Charles Corbet m’a informé de cette demande dont il m’a dit qu’elle venait de M. Immediato, le responsable du SNPL d’Air Liberté, je me souviens lui avoir répondu que c’était une idée baroque, surprenante. Je lui ai dit que je n’avais pas à intervenir dans sa décision, dans un sens ou un autre, et de rencontrer les conciliateurs. Je lui ai suggéré que la solution la plus simple serait d’informer MM. Rochet et Lapautre de son éventuelle candidature et de leur laisser apprécier d’eux-mêmes cette information.
Nous sommes en avril. Les choses se sont bornées à cela. En service commandé de la part de l’entreprise, certainement pas ! Je crois même lui avoir écrit, après cette émission sur M6, que s’il y avait un service commandé, ce n’était pas un service commandé de la part de l’entreprise Air France.
M. le Rapporteur : Pourriez-vous nous fournir cette lettre ?
M. Jean-Cyril SPINETTA : Non, c’était un petit mot personnel que je lui ai adressé à ce moment-là. J’en ai peut-être gardé une photocopie, auquel cas je vous la transmettrai.
M. le Rapporteur : Cela ne vous paraît-il pas très difficile pour un pilote de ligne qui, en plus, a des responsabilités syndicales de monter une opération de reprise aussi délicate et importante en quatre mois, d’avril à fin juillet ? En effet, c’est seulement fin juillet que le tribunal de commerce prend sa décision. Or, au mois d’août, M. Corbet est toujours pilote. Vous qui avez été pendant des années dans les affaires, cela vous paraît-il possible de consacrer le temps nécessaire à une telle reprise tout en étant pilote et en ayant des responsabilités syndicales ?
M. Jean-Cyril SPINETTA : Sur le terrain des responsabilités syndicales, je ne m’exprimerai pas.
M. le Rapporteur : Il bénéficie néanmoins, à ce titre, de décharges de fonction.
M. Jean-Cyril SPINETTA : Oui, certainement. J’avoue que je l’ignore. C’est un autre président de section syndicale qui l’a sollicité, M. Immediato. Je ne sais pas si tout cela a été béni ou non par le SNPL au niveau national. J’avoue que je l’ignore totalement.
Quant à consacrer le temps nécessaire à la reprise, les pilotes ont un peu de temps libre en situation normale et quand ils sont représentants syndicaux, ils en ont un peu plus à consacrer à des affaires autres que les affaires de pilotage. Disons les choses autrement. Dans cette période d’avril-mai à la fin juillet, ai-je demandé alors à M. Corbet de choisir entre le développement de ce projet et ses activités de pilote à Air France ? La réponse est clairement non. Il faisait son travail.
La situation était connue, il était venu m’en parler. Je l’avais mis en rapport avec MM. Rochet et Lapautre. M. Rochet m’avait lui-même indiqué qu’il ne fallait pas le dissuader d’essayer de monter un projet, car cela pouvait constituer une alternative possible et qu’il valait mieux avoir un projet que pas de projet du tout. C’est la manière dont les choses se sont déroulées.
Lui ai-je demandé à ce moment-là de respecter scrupuleusement l’ensemble de ses obligations ? Non. Nous avons une règle à Air France, que nous avons un peu durcie ces dernières années. Nombre de pilotes d’Air France ont d’autres activités. Par exemple, nous avons un pilote, M. Guérin, qui a récemment créé une compagnie aérienne. C’est une activité qui maintenant rassemble trois ou quatre cents emplois, alors qu’il n’y avait rien il y a trois ou quatre ans. Ils ne sont pas très nombreux, mais un certain nombre de pilotes d’Air France ont des projets d’activité. En règle générale, ils doivent en informer la direction d’Air France et avoir une situation claire, dès lors que le projet a pris forme. Il me semble que cela a été le cas de M. Corbet.
M. Gilbert GANTIER : Il y a donc une période de plusieurs mois pendant laquelle M. Corbet appartient toujours à Air France, mais il dispose de temps libre, d’abord parce qu’il y a les jours " off " et ensuite, parce qu’il est représentant syndical. Néanmoins, cela ne représente pas trente jours par mois. Connaissez-vous le nombre de vols qu’il a effectués comme commandant de bord ?
M. le Rapporteur : M. Spinetta nous communiquera l’information.
M. Alain GOURIOU : Lors d’auditions précédentes, nous avons entendu des représentants syndicaux d’Air Liberté nous indiquer qu’à leur avis, la situation économique, financière et industrielle d’Air Liberté, au moment où Swissair a repris la compagnie, était encore bonne. De votre côté, vous nous avez déclaré tout à l’heure que la situation était déjà très dégradée. Quels sont les éléments qui vous font dire cela ?
M. Jean-Cyril SPINETTA : Quand nous avons formulé une offre sur Air Liberté au mois de mars 2000, le constat que nous avions fait était le suivant : les capitaux propres étaient négatifs de 1 077 millions de francs, avec une estimation de perte de 307 millions de francs pour une compagnie dont le chiffre d’affaires devait être d’environ 3 milliards de francs. Quand une entreprise perd 10 % de son chiffre d’affaires, les syndicats peuvent estimer que la situation est bonne. Pour ma part, je considère que la situation était pire que mauvaise. D’ailleurs, si les Anglais voulaient se séparer de la compagnie, c’est qu’ils en avaient assez de ce désastre.
Mme Odile SAUGUES : Je souhaiterais savoir si, à un moment ou un autre, vous avez servi de conseiller technique, au moment de cette reprise, puisque Jean-Charles Corbet est resté encore un certain temps employé d’Air France. A-t-il eu recours à des services ou des conseils ? Avez-vous pu l’aider dans les montages qu’il avait prévu de faire ?
Il a beaucoup été question, dans la presse, de la titrisation des avions. Cette domiciliation des avions d’Air Liberté à l’étranger a été pointée par un certain nombre de journalistes. Apparemment Air France utilise également ce principe. Or quand il a été découvert par la presse qu’Air Lib usait de ce procédé, cela est apparu scandaleux. J’avoue ma méconnaissance totale de ce procédé. C’est pourquoi je souhaitais avoir votre avis sur ce sujet.
M. le Rapporteur : Pour préciser la question de Mme Saugues, il est rapporté que des responsables d’Air France ont aidé, au moment de la reprise, pour établir les premiers programmes de vols.
M. Jean-Cyril SPINETTA : Sur le recours à des services conseillers d’Air France, non. J’ai eu, sur ce sujet, des discussions avec M. Gayssot, le ministre des transports, et M. Ricono, son directeur de cabinet. J’ai indiqué, mais ce n’était pas un conseil, que l’offre que maintenait Air Liberté sur le réseau domestique française était trop importante par rapport à la situation de concurrence sur le marché français, l’ouverture du TGV sur Marseille en juin 2001, etc.
C’est la seule fois où j’ai exprimé un quelconque sentiment sur ce sujet d’une offre trop importante, d’où une difficulté à équilibrer les coûts de l’entreprise par des recettes permettant de faire face à ces coûts.
Quant à la titrisation, j’avoue mon ignorance totale sur la raison pour laquelle les avions d’Air Lib ont été logés à tel ou tel endroit. Toutefois, en soi, cela ne me parait pas être une pratique scandaleuse. Nous le faisons également sur autorisation de la direction générale des impôts qui en est informée. Les décisions sont prises par le conseil d’administration d’Air France sur avis positif de la direction générale des impôts.
En général, il s’agit de faire des montages de financement d’avions avec parfois des créations de GIE ou de structure qui génère du déficit fiscal lequel vient ensuite, au travers des amortissements, alléger la charge fiscale de l’entreprise. Tout cela se fait en parfaite transparence entre le conseil d’administration d’Air France et le ministère des finances.
Certes, nous avons quelques avions logés dans des structures en Irlande ou ailleurs, mais dans des conditions de transparence et de connaissance de la tutelle qui sont totales.
Mme Odile SAUGUES : La DGAC en est donc informée.
M. Jean-Cyril SPINETTA : Tout à fait. Nous avons d’ailleurs fait un point là-dessus. Souvent, les représentants des salariés voient là des pratiques critiquables. Tout cela est géré par une filiale d’Air France qui s’appelle Air France Finances et qui ne comporte aucun salarié.
Pour ce qui est des responsables ayant aidé à faire le montage, en mars 2001, a démarré un travail avec M. Rochet. Tous les plans successifs soumis par FIDEI, MM. Rochet et Corbet, s’inspiraient du travail réalisé par M. Rochet, lequel travail a été réalisé, pour l’essentiel, dans une relation technique pour étudier la manière dont le "code share" pouvait fonctionner. Nous sommes arrivés à l’idée d’une spécialisation : eux sur Orly, les autres sur Roissy. Tout ce travail a été effectué avec M. Rochet et pas du tout avec M. Corbet lequel a repris par la suite l’ensemble de ces dispositifs.
M. le Président : Comment en a-t-il eu connaissance ?
M. Jean-Cyril SPINETTA : M. Rochet, dans un premier temps, n’était pas là pour formaliser une offre. Il était là, mandaté par le groupe Swissair, pour régler une situation très complexe au plan juridique et financier, situation que je ne connais pas dans ses moindres détails. Cela consistait, pour Swissair, à la suite d’un plan de cession et d’une somme mise sur la table, à être dégagé ensuite de toute poursuite ultérieure. C’est dans ce but que M. Rochet avait été recruté par Swissair.
Ensuite pour qu’il y ait cession, il fallait qu’il y ait continuation. Un travail a donc été effectué entre M. Rochet et des personnes du programme d’Air France pour définir précisément le cadre d’un " code share ". Par ailleurs, - mais là on ne s’en est pas occupé - M. Rochet a examiné le réseau domestique. M. Rochet a d’ailleurs annoncé, bien avant la reprise, qu’il abandonnait Bordeaux, Marseille, Montpellier... et tous les autres candidats ont repris les mêmes décisions.
M. le Président : Comment M. Corbet a-t-il eu accès au plan Rochet ?
M. Jean-Cyril SPINETTA : Il a eu accès au plan Rochet dans les mêmes conditions que FIDEI y a eu accès. M. Rochet m’a demandé de rencontrer les représentants de FIDEI lesquels souhaitaient savoir, puisqu’ils étaient disposés à investir leur argent dans cette affaire, si Air France était prêt à respecter quelques règles du jeu, dont celles souscrites sur les "code share". J’ai reçu les représentants de FIDEI qui avaient eu connaissance, par M. Rochet, de la totalité du travail réalisé. M. Corbet l’a reçu dans les mêmes conditions.
M. le Rapporteur : Je voudrais vous poser une question sur Christian Paris, qui est un de vos salariés.
M. Jean-Cyril SPINETTA : Tout à fait.
M. le Rapporteur : Les organisations syndicales d’Air Lib nous ont rapporté qu’il avait joué un rôle important de conseil auprès des dirigeants d’Holco, en particulier de M. Corbet. A votre connaissance, est-ce exact ? Vous avait-il demandé l’autorisation de pouvoir conseiller un concurrent alors qu’il était lui-même salarié de l’entreprise ?
M. Jean-Cyril SPINETTA : M. Paris est commandant de bord à Air France. Il était porte-parole du syndicat national des pilotes de ligne lorsque M. Corbet en était le président. Il est devenu depuis administrateur d’Air France. Il représente à Air France les pilotes actionnaires de l’entreprise, dans le cadre de l’échange salaires actions finalisé en 1999, après l’ouverture du capital de l’entreprise. Son mandat est de cinq ou six ans.
J’ai cru comprendre que MM. Paris et Corbet étaient amis. Je pense que cela va au-delà même de leur proximité syndicale. Que M. Paris ait joué un rôle de conseil auprès de M. Corbet dans la gestion de l’entreprise Air Lib, j’avoue que je l’ignore. Je l’ai beaucoup entendu dire, mais je n’en ai jamais eu la preuve.
M. le Rapporteur : Les représentants syndicaux nous ont rapportés qu’ils avaient vu à plusieurs reprises M. Paris conseiller M. Corbet et qu’il avait un bureau à côté du sien. A-t-il rencontré à la direction vous-même ou l’un de vos collaborateurs, pour une raison ou une autre, dans cette affaire ?
M. Jean-Cyril SPINETTA : Non. Il n’est jamais venu voir la direction pour demander si nous accepterions l’idée qu’il soit un conseiller officieux de Jean-Charles Corbet. Etait-il conseiller officieux de M. Corbet ou là à titre amical pour le soutenir, j’avoue que je l’ignore.
M. le Rapporteur : Il n’en a jamais parlé.
M. Jean-Cyril SPINETTA : Jamais. Par conséquent, je n’ai pas d’éléments d’information sur le sujet. Je n’ai jamais eu le sentiment personnel que des informations qu’aurait détenues M. Paris au sein du conseil d’administration d’Air France lui auraient permis de donner à M. Corbet des conseils éclairés, permettant d’adopter une stratégie qui aurait été contraire aux intérêts d’Air France.
M. le Rapporteur : Mais cela ne vous surprend-il pas qu’un actionnaire, administrateur au conseil d’administration d’Air France, conseille l’un de vos concurrents ?
M. Jean-Cyril SPINETTA : S’il l’a conseillé, le résultat n’a pas été remarquable. On ne peut pas dire que cela ait nui considérablement à la position d’Air France et qu’Air France en ait souffert de manière particulière. Mais au-delà des résultats eux-mêmes, il faut juger sur les principes en l’espèce : l’a-t-il conseillé ou pas ? Encore une fois, je ne me suis jamais posé la question. Je savais qu’il était assez souvent auprès de M. Corbet, mais comme cette proximité, presque fusionnelle s’agissant de deux responsables syndicaux, durait depuis des années, je ne m’en suis pas plus étonné.
M. le Rapporteur : Quelles ont été les réactions d’Air France face aux demandes d’Air Lib de disposer de créneaux pour orienter davantage son activité vers l’Afrique, lorsqu’ils ont obtenu l’ouverture de plusieurs lignes vers l’Algérie, puis vers la Libye ?
M. Jean-Cyril SPINETTA : Sur l’Algérie, nous étions au courant dès l’origine. M. Rochet avait travaillé sur ce dossier, puis FIDEI et M. Corbet avaient repris la même idée.
En 2000, le président Bouteflika est venu à Paris en visite d’Etat. A l’époque, il n’avait pas été possible de trouver un accord avec les autorités algériennes pour reprendre nos vols sur Alger, au départ de Paris et de Marseille. Sur un dossier sur lequel des problèmes compliqués de sûreté se posaient pour nous, il ne nous avait pas paru choquant que la compagnie Air Lib se positionne sur ces marchés. Dans les plans remis auprès du tribunal de commerce par M. Rochet, FIDEI et M. Corbet, l’ouverture des lignes au départ de Paris et Marseille sur Alger était prévue.
La Libye est venue ensuite. Honnêtement, nous n’avons manifesté aucun intérêt pour ces dessertes qui sont, d’ailleurs, d’un intérêt économique assez modeste.
En revanche, nous n’avons pas été ravis lorsque Air Lib a manifesté l’intérêt d’ouvrir des lignes sur l’Afrique de l’Ouest, car c’était totalement contraire aux intérêts d’Air France. Si l’exploitation avait commencé, il y aurait probablement eu une concurrence assez vigoureuse avec Air Lib.
M. le Rapporteur : Vous connaissiez M. Corbet dans le cadre de ses activités syndicales. Mais en juillet 2001, quand le tribunal de commerce lui a confié le groupe qui est devenu Air Lib, considériez-vous qu’il avait les capacités et les moyens financiers de gérer un tel groupe ? Vous avez indiqué que, lorsqu’il a abordé cette question avec vous en avril 2001, vous lui aviez déconseillé de s’engager dans cette aventure. Quel a été, selon vous, la motivation qui l’a poussé à s’investir dans cette affaire ?
M. Jean-Cyril SPINETTA : Je considère M. Corbet comme un homme assez audacieux et imaginatif, qui aime les défis. Son éviction du syndicat, quelques semaines ou mois auparavant, le 15 décembre 2000, lui était restée en travers de la gorge.
M. le Rapporteur : Pour quelles raisons avait-il été évincé ?
M. Jean-Cyril SPINETTA : Ils sont tous évincés les uns après les autres, en tout cas à Air France. Un an après, M. Fracchetti a été évincé à son tour par l’équipe actuelle. Cela tourne malheureusement très vite.
M. le Rapporteur : Quels ont été les reproches formulés à l’encontre de M. Corbet par son syndicat ?
M. Jean-Cyril SPINETTA : On lui reprochait de ne pas suffisamment respecter la démocratie syndicale, d’avoir une vision trop personnelle et autoritaire de la conduite du syndicat, pas suffisamment collégiale et ouverte sur la délibération collective.
Quant aux capacités et moyens financiers de M. Corbet, il me semble que ses capacités d’enthousiasme étaient grandes. Parfois, il niait un peu les contraintes du réel. J’avais été très surpris par son choix d’un directeur général qui s’était porté sur M. Bachelet, lequel avait quitté l’entreprise depuis deux ans et était retraité. Les deux hommes se connaissaient pour avoir travaillé ensemble sur le cargo. M. Bachelet avait incontestablement les compétences professionnelles pour redresser l’entreprise.
Toutefois, le 11 septembre a complètement bouleversé la donne. Les moyens financiers, donnés par Swissair dans le plan de cession, étaient un peu courts, au regard de la grande difficulté dans laquelle se trouvait l’entreprise.
Dernier élément, il me semble qu’ils ont été quelque peu ambitieux dans le plan de reprise, en termes de maintien d’activité. Ce plan de reprise aurait eu plus de chance de réussite s’ils avaient accepté, en juillet 2001, une contraction d’effectifs plus vigoureuse et le maintien de moins d’avions dans la flotte.
M. Gilbert GANTIER : J’aurais deux questions. La première concerne le conseil d’administration d’Air France. Vous présidez ce conseil, qui compte un très grand nombre d’administrateurs. Le premier point de cette question est le suivant. Un des administrateurs est l’Etat, qui est de plus votre actionnaire principal jusqu’à aujourd’hui. Or l’Etat est également en charge de la puissance publique, des " slots ", etc.
Durant ces dernières années, les représentants de l’Etat au conseil d’administration d’Air France ont-ils toujours scrupuleusement suivi vos orientations dans cette affaire, ont-ils fait des observations ou sont-ils restés totalement neutres ?
J’ajoute qu’au conseil d’administration, il y a également des représentants des personnels, dont M. Paris. Dans vos débats sur les relations avec AOM, Air Liberté, Air Lib, etc., les représentants des personnels, notamment M. Paris, ont-ils pris des positions particulières concernant ces sociétés et les rapports qu’Air France devait entretenir avec ces dernières ?
Ma deuxième question est la suivante. Nous avons évoqué tout à l’heure les avions logés à l’étranger, tant qu’en ce qui concerne Air Lib qu’Air France. A cet égard, vous avez souligné qu’Air France sollicitait toujours l’accord de la direction générale des impôts. Quelle est la situation juridique de ces avions ? Sont-ils propriété d’une société irlandaise, mais néanmoins immatriculés en France ? Avez-vous une filiale dont la vocation est de gérer les avions logés à l’étranger ? De ce point de vue, nous croyons savoir qu’Air Lib avait une filiale.
M. Jean-Jacques DESCAMPS : Vous avez indiqué que le 11 septembre avait changé les données. Ce matin, lors de son audition, le directeur de cabinet du ministre de l’équipement de l’époque accordait également une importance très grande au 11 septembre, mais nous n’avons pas su exactement quelle était la part des choses. En d’autres termes, quel a été l’élément déterminant dans l’affaire d’Air Lib : le 11 septembre, le management ou l’ambition d’un plan pour lequel M. Corbet n’avait pas les moyens de sa politique ?
Après le 11 septembre, avez-vous été interrogé, à titre de conseil, par les autorités de l’Etat quant aux mesures que vous estimiez encore possibles de prendre pour sauver Air Lib ? L’Etat vous a-t-il demandé conseil, en particulier avant de donner son accord sur les moratoires et les prêts, notamment le prêt FDES ?
M. Jean-Cyril SPINETTA : Pour répondre à la question de M. Gantier, de 1998 à 2001, les personnalités du conseil d’administration n’ont jamais manifesté de divergences de vue avec les propositions faites par le président du conseil d’administration et le management d’Air France. Ces propositions ont été le rachat d’Air Liberté en 2000, l’indication clairement donnée qu’une demande de " code share " était présentée et que, selon toute probabilité, nous y répondrions de manière positive. J’ai informé au préalable le conseil d’administration de ces propositions, puis j’en ai rendu compte par deux fois devant ce même conseil et le comité central d’entreprise d’Air France.
Au sein du comité d’entreprise, certains salariés ont été réellement hostiles à ces propositions. Quant au conseil d’administration, seul un administrateur salarié, représentant la CGC, a manifesté un peu d’hostilité. Il n’était pas favorable à cette orientation.
S’agissant des avions logés à l’étranger, je ne peux pas m’exprimer en ce qui concerne les avions d’Air Lib dont j’ignore tout. Mais pour ce qui est des avions d’Air France logés à l’étranger, ils sont gérés par une filiale à 100 % d’Air France qui est Air France Finances. Ceci est dû uniquement à des problèmes de financement d’avions, essentiellement dans le cadre de leases fiscaux. Mais les avions sont immatriculés en France.
En ce qui concerne le 11 septembre, il a profondément changé les données pour tous les opérateurs mondiaux, qu’ils soient américains, asiatiques ou européens. Quelques jours après le 11 septembre, le choc a été tellement violent que deux sociétés, réputées parmi celles les plus solides en Europe, tombent instantanément en liquidation et disparaissent : Swissair et Sabena. En 2001, la Lufthansa a affiché des pertes s’élevant à 1 milliard d’euros, même si l’année suivante s’est révélée nettement meilleure.
Il est certain que ce choc particulièrement violent, créé par le 11 septembre sur l’ensemble des opérateurs aériens, a pesé sur Air Lib. Il est intéressant de noter que le transport aérien domestique français n’a pas été instantanément atteint par le 11 septembre, mais à compter d’octobre, nous avons vu les chiffres de la demande globale s’écrouler de manière très rapide. Cette situation a perduré pendant plusieurs mois. Sur le marché intérieur, nous avons assisté à un retrait très fort de la demande. Cela doit d’ailleurs ressortir des statistiques de la direction générale de l’aviation civile qui gère l’ensemble des chiffres d’expression de la demande sur tous les marchés.
Par ailleurs, je crois qu’Air Lib n’avait pas les moyens de sa politique. Son président a manqué de fonds propres. Tout le monde a échoué, M. Rochet, les Suisses. Au-delà du plan de cession désigné par le tribunal de commerce de Créteil, il n’y avait aucun investisseur sérieux prêt à engager une responsabilité financière ou des capitaux. Aucun investisseur ne s’est fait connaître. Seule la société FIDEI avait exprimé une marque d’intérêt, mais prudente. C’était une compagnie honorable, pour autant que je le sache, mais avec une assise financière légère, certainement pas à la hauteur des enjeux.
Le véritable échec sur cette affaire, au-delà du 11 septembre, a été le fait qu’aucun investisseur français, européen ou non européen, n’a manifesté le souci de prendre un risque économique et d’exposer des capitaux. Ensuite, c’est une entreprise qui a dû souffrir en permanence d’une couverture médiocre et d’une absence à peu près totale de fonds propres.
M. le Président : Votre sentiment est que l’affaire n’était pas viable dès le début.
M. Jean-Cyril SPINETTA : J’étais moins pessimiste que cela. Je me suis exprimé sur le sujet lors du conseil d’administration de septembre 2001, juste après le 11 septembre, en indiquant que c’était une situation difficile pour tous, probablement encore plus pour Air Liberté, compte tenu de leur fragilité. J’ai rappelé que la survie d’Air Lib allait se jouer sur quelques éléments qui ne dépendaient pas d’eux : le cours du baril de pétrole, le niveau du dollar. C’est un élément important car tous les achats se font en dollars, que ce soit les avions ou le kérosène. Air France perçoit des recettes en dollars, d’où une compensation naturelle entre ses dépenses et ses recettes.
Reste un dernier élément qui a beaucoup compté, à savoir les interventions de la presse, en particulier lorsqu’une entreprise se trouve être dans une situation aussi fragile. Dès septembre 2001, en permanence, la presse laissait entendre que la situation allait très mal, ce qui n’était pas pour donner confiance aux distributeurs, aux agents de voyages et aux clients. Il y avait nécessité pour l’entreprise de recréer un climat de confiance avec ses clients. Toute la période a été chaotique. Il me semble que certaines déclarations du management ont même dû contribuer à ce sentiment chaotique de l’entreprise. Cela n’a pas permis de redonner confiance aux réseaux de distribution et aux clients.
M. le Président : Je vous remercie.
Source : Assemblée nationale (France)
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