Procès-verbal de la séance du mercredi 30 avril 2003

Présidence de M. Patrick Ollier, Président

Le témoin est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête lui ont été communiquées. A l’invitation du Président, le témoin prête serment.

M. le Président : Monsieur Léonzi, nous avons souhaité vous entendre, car vous êtes l’avocat et le conseil juridique des sociétés Air Lib et Holco. Vous êtes bien entendu tenu au respect du secret professionnel. Nous ne l’ignorons pas, et je suppose que vous ne manquerez pas de nous l’indiquer lorsque vous le jugerez utile.

M. Yves LEONZI : Ce sont les recommandations de mon bâtonnier.

M. le Président : Trois solutions sont possibles. Soit vous nous opposez systématiquement le secret professionnel, soit vous décidez de répondre, et avec le Bâtonnier, vous apurez le compte rendu de tout ce qui pourrait toucher au secret professionnel une fois que ce compte rendu vous sera adressé, soit nous vous entendrons à nouveau avec un représentant du Bâtonnier pour vérifier que toutes vos déclarations rentrent bien dans le cadre de la loi touchant au secret professionnel. A vous de nous dire quelle est la solution la plus adaptée.

L’objet de notre commission d’enquête est d’enquêter sur les causes économiques et financières de la disparition d’Air Liberté et sur l’emploi des fonds publics accordés à cette compagnie. Nous sommes donc conduits à vous interroger sur la gestion de la compagnie, car il semble qu’en dehors du fait que vous avez été le conseiller de la société, vous soyez intervenu directement et à plusieurs reprises dans des comités d’entreprise ou des réunions où votre rôle nous paraît avoir largement dépassé celui du conseil. Nous aimerions aussi avoir des informations sur les relations entre la compagnie et sa maison mère, la société Holco, dans la mesure où l’organisation et la gestion de cette dernière a pu avoir des incidences sur la situation d’Air Lib.

Vous pourriez nous présenter dans votre exposé introductif quel a été votre rôle exact auprès de M. Corbet et, dans un premier temps, présenter rapidement votre cabinet. Quels sont les dossiers qui pour vous ont été les plus importants dans le cadre des conseils que vous avez été conduits à apporter à la compagnie Air Lib et à la société Holco.

M. Yves LEONZI : Je vais vous présenter les éléments concernant mon cabinet, les conditions dans lesquelles j’ai été amené à intervenir aux côtés d’un certain nombre d’autres professionnels en ma qualité de conseil de Jean-Charles Corbet puis des différentes structures qui se sont substituées à lui.

En préalable, je veux indiquer que je suis avocat depuis 1980. Après avoir exercé, comme tout avocat qui fait son stage, dans un certain nombre de cabinets prestigieux, Michel Normand et associés, notamment, j’ai créé mon propre cabinet. J’ai exercé à titre individuel pendant une dizaine d’années, puis créé une société civile professionnelle composée de vingt-cinq avocats pour recréer mon cabinet sous la forme actuelle, à savoir un cabinet de niche, spécialisé dans les entreprises en difficulté et le droit des affaires spéciales en particulier.

Lorsque Jean-Charles Corbet est venu demander l’assistance de mon cabinet fin mars 2001, la situation qui était celle des groupes AOM et Air Liberté...

M. le Président : M. Corbet agissait en quelle qualité ?

M. Yves LEONZI : Il agissait à titre personnel. Selon les indications qu’il m’avait fournies à l’époque et que j’ai pu valider par la suite, il avait été sollicité en sa qualité d’ancien membre du SNPL par Jean Immediato, président du SNPL d’Air Liberté. J’ai rencontré d’abord Jean Immediato, puis Jean-Charles Corbet, puisque la demande initiale et le dossier de Jean-Charles Corbet m’ont été présentés, à la demande de Jean Immediato.

M. le Rapporteur : Vous le connaissiez depuis longtemps ?

M. Yves LEONZI : Je ne le connaissais absolument pas et je ne l’avais jamais rencontré à l’exception des conseillers financiers qui sont intervenus et qui avaient déjà été prépositionnés pour faire partie de l’équipe de conseil de Jean-Charles Corbet. Je ne connaissais ni Jean-Charles Corbet, ni aucune des personnes physiques composant l’équipe de reprise. J’avais certains clients dans l’aérien, mais je n’avais jamais travaillé ni pour AOM ni pour Air Liberté. On est venu chercher ma spécialité comme cabinet spécialisé dans les entreprises en difficulté et dans les reprises.

Je souhaiterais maintenant pouvoir reprendre auprès de vous, en ma qualité de témoin et sous les réserves du secret que vous avez rappelées, monsieur le Président, les étapes de mon intervention. Ce rappel chronologique vous permettra de prendre conscience du caractère exorbitant du droit commun de ce dossier. Mon exposé comportera trois temps. Premièrement, les éléments sur la reprise des actifs dans le cadre judiciaire comprenant une compagnie aérienne, c’est-à-dire une activité réglementée. Deuxièmement, la vie des structures et le caractère tout à fait anormal de l’importance du judiciaire dans cette reprise. Troisièmement, la fin d’Air Lib, la conciliation et son échec qui a donné lieu directement à la mise en liquidation judiciaire.

Je suis intervenu au moment où AOM, présidée par M. Rochet, avait en location gérance depuis le 1er janvier 2001 les fonds de commerce du groupe Air Liberté qui lui-même avait en location gérance les fonds de commerce du groupe TAT. Je suis intervenu au moment où une requête avait été présentée à monsieur le Président du tribunal de commerce d’Evry et avait donné lieu à désignation de maîtres Meille et Valliot, par ordonnance rendue le 9 avril 2001. Je suis intervenu pour examiner les conditions dans lesquelles, face à l’engagement pris par Swissair consistant à mettre à disposition de tout candidat repreneur 2 milliards de francs, il était possible d’envisager une reprise in bonis des actifs dans le cadre de la conciliation.

Une équipe de reprise a été constituée et j’ai fait partie de l’équipe juridique. Nous étions plusieurs cabinets ; notamment, sur toute la partie concernant les montages et la reprise, le département droit de Salustro-Reydel et le cabinet Hoche (cabinet d’avocats) étaient à nos côtés.

S’agissant de la conciliation, je souligne l’opacité complète des informations réunies par les " data rooms ", élaborées par Andersen, à la fois Andersen droit et Andersen chiffre. Lesdites " data rooms " se sont révélées, postérieurement à la conciliation, complètement erronées, avec des éléments qui étaient des éléments inexistants ou des éléments qui étaient faux. C’était le cas notamment de toute la documentation concernant les avions qui n’existait pas dans la documentation montée par Andersen.

La conciliation n’a pas pu être menée à bien dans la mesure où les conciliateurs n’ont pas réussi à trouver une solution sur la mise à disposition des fameux 2 milliards proposés par Swissair. Cette offre qui était faite par voie de presse n’a pas pu être concrétisée juridiquement par les conseils de Swissair auprès des conciliateurs. C’est ce qui a été à l’origine directe de l’échec de la conciliation.

Lorsque la conciliation a échoué, le dépôt de bilan est intervenu le 19 juin et nous avons continué cette reprise avec un élément fondamental du dossier quant à la participation des uns et des autres. Alors que l’idée de départ était une idée de reprise menée par un syndicaliste appelé à l’aide par d’autres syndicalistes, la reprise telle qu’elle a été envisagée après le dépôt de bilan était une reprise capitalistique, pure et dure, avec une banque d’affaires, des hommes du droit et des hommes du chiffre. Sur la partie sociale, une partie sortait un peu de l’ordinaire, à savoir les propositions d’ouverture du capital aux salariés et la participation des salariés dans l’entreprise. Je pense que certaines de vos questions porteront sur ce point particulier.

La reprise est intervenue dans des conditions tout à fait extraordinaires et exorbitantes du droit commun. Vous avez les dossiers d’offres de reprise. Pour avoir mené à bien des dizaines de reprises, y compris d’entreprises importantes, je n’ai jamais connu un tel climat de violence dans les rapports entre les administrateurs et les candidats potentiels. Nous nous sommes demandé si la volonté des administrateurs était véritablement d’obtenir une cession ou d’aller à la liquidation, et bien évidemment, l’audit que nous avions fait, était de vérifier la faisabilité même d’une reprise par voie de plan de cession, par opposition à une liquidation.

M. le Président : Qui a mené l’audit ?

M. Yves LEONZI : C’était l’équipe de reprise. En ce qui me concerne, je suis celui qui a validé la faisabilité juridique. Mais vous savez qu’en matière d’entreprise en difficulté, le droit est peu de chose par rapport à la musique des chiffres. Donc, seuls les business plan qui avaient été établis par rapport au projet industriel m’ont permis d’indiquer à Jean-Charles Corbet qu’il pouvait maintenir son offre, puisque la question s’est posée jusqu’au dernier moment du maintien ou du retrait de l’offre de l’ensemble des repreneurs. Nous nous sommes d’ailleurs aperçus après la reprise que ce qui était une interrogation sur le contexte, le climat et les rapports avec les administrateurs correspondait vraisemblablement à la position des dirigeants de l’entreprise, puisque M. Rochet lui-même n’avait pas mis l’entreprise en configuration de continuité d’exploitation, mais de rupture. Le programme d’hiver n’était pas rentré en machine, et manifestement, nonobstant l’épisode de la conciliation, sur lequel on peut s’interroger aujourd’hui, la volonté sinon des actionnaires mais certainement du dirigeant de l’époque était d’aller à la liquidation.

M. le Président : Vous avez dit que vous aviez validé " juridiquement " la reprise. Comment la création de toutes ces sociétés a-t-elle été mise en place ? En étiez-vous le responsable ?

M. Yves LEONZI : Je n’en étais par l’auteur, parce que ce n’est pas ma spécialité. C’est le cabinet Hoche, cabinet d’avocats honorablement connu à Paris, spécialisé dans les montages, l’aspect fiscal et l’aspect " corporate " qui, à partir de l’organigramme que vous connaissez, à savoir la nébuleuse des 32 sociétés, a fait en sorte que par rapport au périmètre de la reprise un organigramme soit créé.

Pour vous répondre très directement sur l’architecture des sociétés qui était envisagée dans le dossier de reprise, j’ai signé sous ma responsabilité le dossier d’offre de reprise comprenant un certain nombre de kits. Je ne suis pas l’auteur, l’architecte de la reprise, mais j’ai validé la faisabilité de cette reprise. Je souligne deux éléments importants sur la nature des actifs repris. Si, dans le schéma d’origine, ne figurait pas un certain nombre d’entités qui font partie maintenant des sociétés filiales d’Holco, c’est qu’il y a eu deux types génériques de reprise. Il y a eu des actifs repris qui étaient logés dans des sociétés pour lesquelles l’organigramme de départ a été affiné. Il y avait au moins deux groupes, donc il y avait une multiplication de structures, que ce soit au niveau de l’entretien des aéronefs ou sur un certain nombre d’éléments. Il eût été stupide de maintenir cette dualité. Donc, quelle que soit l’origine des actifs, les actifs ont été logés dans des structures qui avaient chacune un socle bien particulier.

Deuxième élément : il y a eu la reprise de participations financières, celles-ci étant les participations qui étaient détenues par certaines sociétés des anciens groupes. Et parmi ces participations financières, on retrouve les participations financières dans un certain nombre de structures, notamment Services Assistance Piste (SAP), Services Avions Assistance Sol (SAAS) et Air Liberté Finances, qui était la structure qui logeait les crédits baux d’avions, etc. Ces structures n’avaient pas à être positionnées comme telles, comme venant récupérer les actifs, puisque pour l’anecdote, les agréments et les actes de cession effective de ces actifs sont intervenus en décembre 2001 du fait de la mauvaise volonté des administrateurs judiciaires des sociétés AOM-Air Liberté, Maîtres Libert et Baronnie. J’y reviendrai, puisque c’est l’un des chapitres tout à fait désagréables qui a compliqué également la chronologie de la reprise.

A propos de la chronologie de la reprise des actifs, je soulignerai les aspects suivants. L’offre a été présentée avec une particularité : le montant de la contribution spontanée était la condition essentielle de la reprise et faisait partie des éléments fondamentaux mis en avant par les repreneurs qui avaient formulé une offre. Ce montant a été évoqué dans le cadre de grands oraux organisés avec les administrateurs et les représentants des Suisses, mais le montant final n’a pas été négocié par le bénéficiaire, à savoir par les repreneurs. Bien mieux, le protocole d’accord qui a été homologué dans le jugement de reprise est resté inconnu du repreneur.

Vous avez en tête que juridiquement, il y a eu au moins trois décisions importantes sur la reprise. Premièrement, le jugement du 27 juillet qui concerne la cession des actifs et qui homologue le principe d’un protocole d’accord qui est inconnu du repreneur, bien qu’homologué par le tribunal. Deuxièmement, le jugement du 1er août qui valide l’adéquation entre le projet de protocole homologué par le jugement du 27 et la signature du protocole. Et troisièmement, il y a eu une troisième décision qui explique le retard dans la chronologie. En effet, le tribunal avait omis de statuer sur la faculté de substitution d’Holco qui avait tacitement souhaité se substituer un certain nombre de structures. C’est une décision du 13 septembre qui a rectifié cette erreur matérielle et cette omission de statuer.

A propos des conditions de gestion d’Air Lib, j’évoquerai un premier élément tout à fait exorbitant du droit commun. Le 27 juillet au soir, les administrateurs et les repreneurs se sont aperçus que le jugement était inapplicable. Pourquoi ? Parce que la logique du jugement était que le repreneur ne disposait pas de fonds propres et qu’il avait besoin de l’argent de Swissair, ne serait-ce que pour pouvoir effectuer les dépenses courantes. Le problème s’est posé, et explique la mise sous tutelle de la société pendant tout le mois d’août, puisque les premiers fonds, 50 millions qui provenaient de Swissair sont allés sur les comptes des administrateurs judiciaires de l’ancienne société pour permettre à la société de vivre. Pourquoi ? Parce que les Suisses souhaitaient que la décision homologuant le protocole, et notamment les désistements d’instances et d’actions, soient définitives, ce qui n’est intervenu qu’à la fin du mois d’août, d’où l’explication sur le calendrier et le versement en tranche de la contribution de Swissair.

La suite de la chronologie, vous la connaissez malheureusement. Alors que les sociétés n’ont pas de chéquiers, ce sont les administrateurs qui continuent à faire les chèques avec les banques de l’ancien redressement judiciaire. Les sociétés qui doivent reprendre les actifs ne sont créées que postérieurement, le 13 septembre, soit deux jours après le 11 septembre et, plusieurs jours après, arrive, le 2 octobre, la défaillance de Swissair. Pendant toute cette période, une location gérance est organisée avec les administrateurs sur les actifs1. Les administrateurs judiciaires n’avaient jamais admis la logique de la reprise. Pourquoi ? Le tribunal de commerce pensait qu’une solution, en plan de cessions, était possible en vertu de l’ordre public, économique, par opposition à une liquidation. Les administrateurs judiciaires, dont c’est la responsabilité, ont quand même laissé s’accumuler entre le 19 juin 2001 et le 31 juillet 2001 à peu près 500 millions de francs de passif d’article 40. Pourquoi les administrateurs judiciaires ont-ils tant tardé à signer les actes de cession ? Parce qu’ ils voulaient retrouver un pouvoir de nuisance en prononçant la résolution du plan, ce qui leur aurait permis entre autre chose de couvrir le passif article 40 qui était sous leur responsabilité.

Le 13 décembre 2001, monsieur le président du tribunal de commerce de Paris a dû désigner un mandataire de justice, ce qui ne s’est jamais vu dans l’histoire des procédures collectives, Maître Lafont, pour jouer les maîtres d’école et faire en sorte que Maître Libert et Maître Baronnie signent enfin les actes de cession les 21 et 22 décembre. C’était une époque où, les Suisses ayant fait défaut, il était impossible pour les banques d’affaires de lever des fonds et de rechercher des investisseurs. Il a été également impossible tout au long de la vie d’Air Lib de rentrer dans le circuit bancaire normal. Air Lib a toujours fonctionné, et c’est valable pour l’ensemble des filiales d’Air Lib, sans un franc de facilité de caisse, sans pouvoir nantir la créance d’Air Lib détenue sur le BSP (qui correspond à l’argent des billets vendus pendant le mois et uniquement payé au transporteur le 17 du mois suivant - d’où l’opportunité de trouver un financement pour toucher dès le 30 du mois la totalité des fonds et non le 17 suivant) sous une forme d’escompte ou de nantissement de cession de créance pure et simple.

Ce qui s’est produit après le 2 octobre et qui est en effet tout à fait inhabituel, c’est que les dirigeants des sociétés se sont aperçus que le business plan d’origine ne pouvait pas être réalisé. Une requête a donc été présentée le lendemain du jour de la signature des actes de cession au président du tribunal de commerce de Créteil, requête enregistrée, compte tenu des fêtes de Noël, le 8 janvier, par le président du tribunal de commerce de Créteil, pour désigner un mandataire ad hoc. Maître Lafont a été désigné mandataire ad hoc après que M. Rousselin, président du tribunal de commerce de Créteil, ait reçu un fax du cabinet de M. Fabius, alors ministre de l’économie et des finances, précisant, alors que la situation d’Air Lib pouvait apparaître irrémédiablement compromise. Le choix des dirigeants après la défaillance de Swissair que nous allons retrouver tout au long de la vie d’Air Lib, était de regarder, alors que les commissaires aux comptes avaient déclenché une procédure d’alerte au mois de décembre, si les sociétés se trouvaient en état de cessation des paiements, ou si l’activité des sociétés, au sens de la loi, était irrémédiablement compromise ou non.

M. le Président : Que disait ce fax ?

M. Yves LEONZI : Je vous le préciserai à la fin de mon entretien, mais j’ai pris la précaution de faire établir un Cédérom à destination des membres de votre commission des pièces qui paraissent importantes.

M. le Président : Ce fax figure sur votre Cédérom ?

Mme Odile SAUGUES : Que contenait ce fax ?

M. Yves LEONZI : Ce fax est fondamental, puisqu’Air Lib aurait déposé son bilan au mois de janvier 2002 si le président du tribunal de commerce n’avait pas vu qu’il y avait un frémissement permettant à l’entreprise de se lancer dans une révolution industrielle. A cette époque, nous évoquions déjà la transformation d’Air Lib en compagnie à " bas coûts " pour le mois d’avril 2002. Comment financer cette activité ? Il y avait la possibilité de recouvrir le solde résiduel de la créance Swissair. Je pourrais vous fournir un certain nombre de précisions sur cette créance puisque mon cabinet coordonne les différentes actions à travers l’Europe sur le recouvrement des 60 millions d’euros dus à titre contractuel, indépendamment des indemnités réclamées à l’ensemble des personnes morales ayant composé le groupe Swissair. Le tribunal de commerce a considéré en juillet 2001 que le business plan d’origine d’Air Lib supposait des financements supérieurs au montant finalement donné par les Suisses. La question posée par le tribunal était de se demander s’il était raisonnable ou non de maintenir une offre, alors que le repreneur était une personne physique qui n’avait pas d’autres possibilités de financement à l’origine que les fonds de Swissair. La réponse du tribunal a été de considérer, à l’époque, qu’il était possible de financer normalement l’activité, au vu des observations prises en chambre du conseil par les banques d’affaires. Les noms des investisseurs potentiels dans Air Lib avaient été donnés à la barre du tribunal de commerce. A l’époque, on parlait d’Air Canada, de Bombardier, d’un certain nombre de sociétés, qui, malheureusement, ont connu des difficultés. Il est évident que la défaillance de Swissair liée au 11 septembre a mis des points de suspension si ce n’est un point final au travail des banquiers d’affaires.

La lettre de M. Fabius du 8 janvier 2002 rentre dans une chronologie de trois documents : la lettre du 8 janvier, signée de M. Fabius, une lettre du 3 mai signée de M. Fabius, et une lettre du 31 juillet 2002 signé par M. Mer. Toutes ces lettres ont trait au GIE qui est la pierre angulaire de tout le financement d’Air Lib. Si effectivement il n’y avait pas eu de GIE, le bilan d’Air Lib aurait été déposé au mois de janvier 2002.

C’est une lettre adressée à M. Corbet, président du conseil de surveillance d’Air Lib. Vous avez en mémoire que jusqu’au printemps 2002, Air Lib était une société à directoire et conseil de surveillance. La présidence du directoire était occupée par François Bachelet, avec Alain Bardi, directeur général, Jean-Charles Corbet étant président du conseil de surveillance d’Air Lib. C’est ès qualités de président du conseil de surveillance que Jean-Charles Corbet avait interrogé le ministre des finances sur différentes possibilités concernant les financements.

Par rapport à ces possibilités, il y avait le GIE et d’autres éléments. La lecture du document que j’évoque est indissociable de la lecture de la requête présentée par Air Lib pour voir désigner le mandataire. Il était nécessaire de trouver des quasi fonds propres. La situation avait évolué et le business plan d’origine ne pouvait pas être mis en œuvre. En tout état de cause, le tribunal avait considéré que même avec la totalité de l’argent des Suisses, ça ne suffirait pas. Le réalisme qui a été le réalisme de l’époque entre l’entreprise et le CIRI a été de considérer qu’il fallait trouver d’autres financements, avant que le temps se dégage, que les effets du 11 septembre s’atténuent et que des investisseurs puissent à nouveau s’intéresser à l’aérien, et dans le sous-chapitre de l’aérien, puissent s’intéresser à Air Lib.

Je vous lis cette lettre : " Monsieur le président, par une demande déposée le 28 novembre 2001 - la date est importante, vous avez la chronologie en tête, c’est juste après la défaillance - et complétée en dernier lieu le 26 décembre 2001, vous avez sollicité l’agrément prévu au 3° de l’article 39 CA du code général des impôts et l’application du 7ème alinéa du même article pour l’acquisition de deux avions Airbus A 340 par un groupement d’intérêt économique (GIE) non soumis à l’impôt sur les sociétés. Les avions, d’un prix de revient unitaire de 100 millions de dollars, seraient acquis par un GIE créé pour l’occasion et regroupant directement ou indirectement les personnes morales soumises à l’impôt sur les sociétés, qui les donnerait en location à la société Air Lib.

" Au regard des éléments économiques fournis à l’appui de la demande, l’investissement envisagé a vocation à bénéficier des avantages fiscaux prévus par les dispositions rappelées ci-dessus. Une décision d’agrément, précisant notamment les conditions auxquelles est subordonné son octroi, ne pourra vous être adressée que lorsque les modalités financières du montage seront définies avec précision et que les éléments juridiques et financiers requis me seront parvenus. "

Par rapport à cette logique, le président du tribunal de commerce a donc désigné Maître Lafont en lui demandant de lui faire un premier rapport sous un mois pour lui indiquer si le nouveau business plan qui était envisagé par l’entreprise lui semblait acceptable, et surtout s’il y avait de bonnes chances de trouver des financements. Nous sommes encore une fois en janvier. Il n’y a pas de problèmes de trésorerie. L’intégralité des charges est payée normalement. Simplement il y a une difficulté.

Je fais une parenthèse pour que les membres de votre commission comprennent la portée de ce courrier. Si les demandes ont été formulées auprès du ministère de l’économie et des finances le 28 novembre, c’est que dès la défaillance de Swissair, il avait été pris des contacts avec les commissaires des sociétés Swissair en Suisse. Les avions qui devaient rentrer dans le GIE étaient les fameux avions commandés par AOM à Airbus, pour lesquels AOM avait versé en acompte deux fois 27 millions de dollars à Airbus, qui, dans le cadre des contrats repris par Air Lib, devaient bénéficier à Air Lib au niveau de l’exploitation. Ce qui fait qu’il avait été envisagé comme solution transactionnelle avec les commissaires suisses de mettre à disposition ces aéronefs.

M. le Président : Vous avez parlé à plusieurs reprises d’investisseurs. Où sont ces investisseurs qui ont été annoncés ? Je n’imagine pas que le tribunal de commerce ait pu prendre une décision à la légère en ce qui concerne ces engagements pris, qui n’ont pas été tenus, avez-vous dit au début de votre propos. Parmi les engagements qui ont été pris, notamment par M. Corbet, étiez-vous au courant de tout cela. Je suppose que oui. On ne reprend pas une société aussi importante sans qu’il puisse y avoir des financements, et pas seulement de Swissair, car le financement de Swissair, de toute manière, aurait bénéficié à tout repreneur.

Où sont donc les investisseurs ? Pour faire un GIE, il y a trois conditions à remplir. Il faut avoir une autorisation de l’Etat pour le constituer, et vous l’aviez. Il faut avoir des investisseurs pour apporter des crédits. Où sont-ils ? Et il faut avoir des avions pour pouvoir les acheter, et vous les aviez aussi. Il y avait l’autorisation de l’Etat, il y avait les deux avions, mais quels étaient les investisseurs qui devaient permettre l’acquisition de ces avions ?

La deuxième question est également liée à l’investissement. Par qui le business plan a-t-il été fait ? C’est un mystère pour nous. Nous avons quelques informations, mais j’aimerais que vous les précisiez. A votre avis, ce business plan était-il conforme aux contraintes du marché. Nous avons des témoignages précis selon lesquels ce business plan était largement surévalué. Est-ce vrai ou pas ? Avez-vous des éléments à nous apporter ?

Troisième question, toujours liée au même problème : la CIBC à l’évidence a été largement rémunérée. Comment cette banque a-t-elle fait son travail pour amener les investisseurs ? Quels investisseurs a-t-elle pu amener dans le cadre de son action ?

M. Yves LÉONZI : Deux points, Monsieur le Président, et là, je ne vais pas le redire à chaque fois dans mon propos, mais dans le cadre de mes activités de conseil et en ma qualité d’avocat ayant chapeauté l’aspect juridique de la reprise, j’ai bien évidemment rencontré les équipes de CIBC qui ont été présentes à Paris pendant au moins deux mois et demi avec trois personnes basées à Paris pour aider Jean-Charles Corbet à monter son business plan d’origine.

Vos deux questions sont distinctes et les réponses seront distinctes. Votre première question est parfaitement claire et consiste à dire : les investisseurs d’origine, dont CIBC a parlé au tribunal de commerce, où sont-ils ? Deuxième question, ce sont des investisseurs d’autre nature qui sont représentés par les investisseurs devant investir dans le cadre des GIE fiscaux, et là, je ferai une réponse également distincte.

Je n’ai travaillé, moi, en ce qui me concerne, avec CIBC que pour centraliser leur copie et lui demander de me fournir des informations. CIBC a donné des books concernant ses travaux et la validation par elle des chiffres au tribunal de commerce. J’avais, me semble-t-il, répondu à votre nouvelle question concernant les investisseurs qui étaient évoqués par CIBC au tribunal de commerce. Les seuls noms dont j’ai entendu parler au tribunal de commerce, qui étaient des prospects pour CIBC, étaient les noms de Bombardier et d’Air Canada. Il y avait des investisseurs qui avaient été pressentis à l’époque, c’était Preussag, qui s’intéressait également à des participations hors TUI dans l’aérien, et le Club Méditerranée qui avait indiqué à l’ensemble des repreneurs qu’il était prêt à participer pour une fraction symbolique dans le capital. Pourquoi le Club Méditerranée ? Parce qu’une partie de l’activité d’Air Liberté est une activité charter, et pour le Club Méditerranée il était important de pouvoir regarder la situation. La réponse à votre interrogation " où sont partis ces investisseurs après le 11 septembre ? " est : ils sont partis en courant. Ils ont essayé chez eux de sauver les meubles. L’ensemble des personnes que j’évoquais ont complètement changé leur stratégie d’investissement après les événements que j’ai cités, ce qui fait que le travail de banque d’affaires de CIBC a été interrompu.

M. le Président : A quelle période ?

M. Yves LEONZI : Je parle sous toute réserve, parce que je fais appel à ma mémoire et j’ai peur de commettre des impairs. CIBC a interrompu son travail en voyant qu’elle ne pouvait pas venir en aide à Air Lib sur les activités de recherche d’une banque de proximité. Je crois que son travail de recherche d’une banque de proximité et de possibilité de financement a été interrompu, en décembre 2001. L’une des spécialités de CIBC étant le financement d’actifs, il avait été envisagé, mais malheureusement les actes de cessions n’avaient pas été signés, de s’adosser sur un certain nombre d’actifs, et notamment sur les avions, pour pouvoir trouver du financement. Ça n’a pas été possible.

CIBC est intervenu à nouveau à ma connaissance à la fin du 1er semestre 2002, avant l’été, pour tenter de regarder si le marché s’était calmé. Le postulat retenu par l’ensemble des intervenants, qu’il s’agisse des intervenants publics ou privés qui ont connu le dossier, était que même avec un GIE fiscal, même avec un prêt FDES, même avec l’argent des Suisses, la survie et la pérennité d’Air Lib ne seraient assurés que s’il y avait véritablement une ouverture à des opérateurs industriels entrant dans son capital. Simplement, les propos des banquiers d’affaires - et CIBC n’était pas seule concernée - étaient de dire : nous ne pourrons jamais faire notre travail si la situation concernant les Suisses et les quasi fonds propres, notamment le GIE, n’est pas réglée. Donc, la CIBC a repris son travail réellement à l’été. C’est elle qui a monté la data room dans le cadre de la conciliation pour Maître Lafont au mois de novembre. Elle a participé à l’ensemble des travaux de data room du mois de novembre 2002.

Sur les investisseurs concernant le GIE, c’est la banque Arjil qui a reçu mandat de monter le GIE et de trouver les investisseurs. J’ai eu connaissance d’un certain nombre de noms concernant Arjil, mais je pense qu’il faut les interroger directement. Je n’ai pas plus de précisions que cela.

M. Alain GOURIOU : Avez-vous eu connaissance de la nature du contrat entre la CIBC et M. Corbet sur cette recherche d’investisseurs ? Y avait-il, en particulier, obligation de résultats de la part de CIBC dans le contrat qui les liait, si contrat il y avait ?

M. Yves LEONZI : Je vais vous répondre encore plus personnellement. Est-ce que j’ai connaissance du contrat CIBC ? La réponse est " bien évidemment " dans la mesure où postérieurement à la reprise, ce contrat a toujours fait partie des points de questionnement, que ce soit de la part des commissaires aux comptes ou de l’ensemble des intervenants. Je n’ai pas participé à la rédaction du contrat, le contrat a été signé directement entre Jean-Charles Corbet et la CIBC, mais je l’ai vu. Donc, je peux, en tant que professionnel du droit, vous dire ce que j’ai compris. La rémunération de CIBC, telle que je l’ai comprise, devait être une rémunération forfaitaire par rapport à une reprise qui était envisagée initialement comme une reprise in bonis de la société. Le chapitre de la recherche d’investisseurs faisait partie du contrat, mais à ma connaissance - je parle de mémoire -, ne devait donner lieu ni à rémunération particulière sur la recherche du contrat, ni a fortiori à obligation de résultat. Le contrat était d’abord un contrat concernant la reprise d’Air Lib, avec des honoraires calculés sur la réduction du passif et sur la hauteur de la contribution spontanée de Swissair, avec un certain nombre de sous-postes. Voilà la connaissance que j’en ai, et encore une fois, lorsque j’évoque la CIBC auprès de vous, c’est effectivement parce que je l’ai rencontrée, que j’ai lu le contrat, mais je n’ai pas participé à sa rédaction. Mais bien évidemment, je connais le contrat, parce que tous les tiers intéressés ont eu à lire ce contrat et à tenter de le comprendre.

M. le Rapporteur : La rémunération de CIBC était prévue dans un contrat du 11 juillet 2001 et a fait l’objet d’un versement extrêmement rapide, puisque dès que la reprise a été opérée, il a été versé un peu plus de 7,3 millions de dollars. Ce contrat comporte quatre rémunérations. Il y en a trois qui sont compréhensibles. La première est relative aux " work fees ". Il est considéré que la CIBC a travaillé trois mois, mais qu’elle est rémunérée 100 000 dollars par mois, avec un plafond de 250 000 dollars. C’est clair. Et vous avez dit tout à l’heure dans votre intervention qu’il y avait eu trois personnes à plein temps qui ont travaillé pendant trois mois.

M. Yves LÉONZI : Elles étaient basées à Paris. Je n’ai pas évoqué les autres équipes. Mais j’ai vu physiquement à Paris trois représentants de CIBC.

M. le Rapporteur : Mais ce contrat est du 11 juillet, alors qu’ils travaillaient depuis déjà, tel que le contrat l’indique, depuis deux, voire trois mois à cette affaire. Donc, on a signé le contrat a posteriori ? Ça vous paraît normal, en tant que conseiller juridique de Jean-Charles Corbet, cette première composante ?

M. Yves LEONZI : Ne mélangeons pas les genres. Je ne suis pas intervenu comme conseil de Jean-Charles Corbet dans la recherche de CIBC et dans l’élaboration de la loi des marchands entre Corbet et CIBC et je n’ai pas participé à la rédaction de ce contrat. Donc, lorsque vous m’interrogez sur ce point, ma réponse n’est pas en tant que conseil, mais en tant que témoin. Les équipes de CIBC avaient été positionnées avant ma venue dans le dossier, à la fin mars. J’ai rencontré je pense pour la première fois le vice-président de CIBC, David Mongeau, chez Me Meille, au cours d’une réunion que je situe aux environs du 15 mai, donc environ un mois avant le dépôt de bilan, où j’ai constaté que les équipes avaient déjà travaillé.

La question que vous évoquez, Monsieur le Rapporteur, j’ai entendu d’autres que vous la poser à M. Corbet, donc, cela ne me pose pas de difficultés de vous donner la réponse que j’ai entendu formuler et qui me semble concevable. L’explication qui m’a été donnée, c’est que M. Corbet ne s’est substitué à lui-même, à travers Holco, pour les besoins de la reprise, qu’au mois de juillet. La contractualisation des accords entre Holco, et non pas Corbet, et la CIBC, est datée d’une date postérieure à la création d’Holco. C’est la seule explication que j’aie entendu formuler, et je dirais que je n’ai pas de commentaire particulier à formuler.

M. le Président : Je comprends fort bien que vous n’ayez pas de jugement à porter sur ce qui s’est passé avant votre entrée en fonction. Mais vous êtes devenu le conseiller juridique d’Holco en juillet, au moment de la constitution des sociétés.

M. Yves LEONZI : Je ne voudrais pas qu’il y ait de malentendus sur ce que vous appelez conseiller juridique. Je suis avocat. En tant qu’avocat, je viens de vous indiquer que mon travail a commencé au mois de mars. Donc, il n’a pas commencé au mois de juillet. Mon travail a commencé au mois de mars. J’ai travaillé comme avocat à côté d’autres avocats et à côté d’un certain nombre de gens. Mais je n’avais pas un mandat qui consistait à superviser l’ensemble des contrats et des actes qui pouvaient être passés.

M. le Président : Ce que je veux vous dire, c’est qu’en permanence, on voit des personnes qui se substituent à elle-même, des sociétés qui se substituent à d’autres. On souhaiterait donc simplement savoir comment ces mouvements se sont opérés. La question que je vais vous poser est claire. Au moment où vous êtes devenu auprès de M. le président d’Holco...

M. Yves LEONZI : Non, non ! Je ne peux pas vous laisser dire ça.

M. le Président : Vous étiez conseil, que ça soit sur le plan juridique, ou en tant qu’avocat, de M. Corbet. Vous nous avez dit qu’un certain nombre de sociétés ont été constituées. Vous étiez au courant de cela ?

M. Yves LEONZI : Oui, bien sûr, par le cabinet d’avocats Hoche.

M. le Président : Aucune des sociétés n’a eu son siège dans des bureaux qui étaient les vôtres, à aucun moment ?

M. Yves LEONZI : Bien évidemment - et c’est de notoriété publique - à sa création, Holco a eu son siège situé dans l’immeuble de mon cabinet.

M. le Président : Donc, vous connaissiez parfaitement le fonctionnement du système. En tant qu’avocat ou conseiller juridique, bref en fonction de la profession qui était la vôtre, lorsque vous avez constaté le fait que la société Holco a rémunéré la banque CIBC, quelque trois semaines après la décision du tribunal, ne vous êtes-vous pas interrogé sur le volume des rémunérations et sur le travail rendu par rapport à cette facture payée. Ce système a été mis en place seulement trois semaines avant, pour le compte de quelqu’un qui a commandé ce travail, dans le cadre du fonds commun de placement Concorde, qui n’a rien à voir avec la société Air Lib ou la société Holco. Est-ce qu’à un certain moment, vous avez posé la question de savoir pourquoi c’est Jean-Charles Corbet, en tant que président du conseil de surveillance du fonds de placement FCPE Concorde, qui mandate la CIBC et pourquoi c’est Holco qui paye trois semaines plus tard les 7,3 millions de dollars ? Vous êtes-vous interrogé ? Avez-vous posé des questions à M. Corbet ? Vous a-t-il répondu ?

M. Yves LEONZI : Ma fonction en tant qu’avocat était, encore une fois, de faire en sorte que les Suisses respectent leurs engagements contractuels et que les administrateurs fassent fonctionner les différents éléments de la reprise. J’avais suffisamment à faire pour ne pas intervenir comme vous semblez le suggérer dans le quotidien de telle ou telle société. Je suis toujours resté avocat dans l’exécution de mon mandat, aux côtés de M. Corbet ou de l’ensemble des structures. Je sais que ma présence aux côtés de M. Corbet, notamment au cours d’un certain nombre de comités d’entreprise, m’a valu un certain nombre d’inimitiés. Lorsqu’on est avocat de la direction, il peut y avoir un certain nombre de fantasmes. Mais je souhaite en tant que tel pouvoir replacer strictement les propos que je formule dans ma mission.

Je vous réponds. En dehors de CIBC, le chapitre des honoraires de résultat et les honoraires des conseils, dont les miens, font partie des questions qui ont été portées sur la place publique. Ce n’est pas une surprise. On nous avait menacés d’un certain nombre de choses au moment de la conciliation et l’ensemble des menaces qui n’en n’étaient pas pour moi, ont toutes été mises à exécution, que ce soit la mise en pâture d’honoraires des tiers, et notamment de mon nom et de mes honoraires par voie de presse, par le service de la communication de M. Bussereau, où que ce soit le déclenchement d’un contrôle fiscal me concernant, qui est effectif depuis trois semaines. Vos questions sont légitimes, mais elles ont déjà été formulées et des réponses ont été apportées.

Je vous réponds précisément. L’ensemble des conseils qui ont participé à la reprise avait passé un accord avec Jean-Charles Corbet prévoyant qu’ils seraient rémunérés pour la partie antérieure de leurs activités. Concernant mon cabinet, il s’agissait d’une somme extrêmement importante, de l’ordre de 4 millions de francs au moment de la reprise. Une reprise d’une entreprise de cette taille-là, cela implique, pour une structure comme la mienne, six personnes qui travaillent de 7 heures du matin à 2 heures, voire 4 heures du matin, parce que les services des ministères que nous rencontrions sur les aspects réglementaires ne nous recevaient qu’après leur journée de travail. Tout le monde était logé à la même enseigne : s’il y avait une reprise, comme cela est l’usage, l’ensemble des intervenants serait payé par un honoraire de résultats. Les honoraires n’étaient pas une surprise pour qui que ce soit, puisque les " start cost " font partie des business plan qui ont été remis au tribunal de commerce. Les gens avaient travaillé pendant trois, quatre ou cinq mois et commençaient à avoir des difficultés de trésorerie - j’imagine CIBC un peu moins que nous - mais en ce qui concerne ma structure, elle en avait beaucoup au mois de juillet et au mois d’août. Les gens qui avaient fait travailler leurs structures, qui avaient négligé leurs autres clients, étaient pressés de toucher leurs honoraires. Aussi, effectivement, les premiers fonds qui sont venus des Suisses, de mémoire, 600 millions de francs sur Holco (en sus des 50 premiers millions versés entre les mains des administrateurs), en dehors des dotations en capital, ont servi à payer les honoraires des conseils.

Ai-je été au courant que CIBC a été payée en même temps que tous les autres conseils ? Oui. Est-ce que j’ai été au courant des montants ? Oui. Est-ce que le montant m’a surpris ? Oui, énormément. Je ne suis pas commissaire aux comptes et je ne suis pas expert-comptable ; je n’ai pas à valider antérieurement ou en continu un paiement. En ma qualité d’avocat j’ai posé une question s’agissant des montants évoqués. Il m’a été indiqué - et je crois que c’est pour la première fois que j’ai vu la pièce que vous évoquez - que les montants étaient des montants contractuels. Nous avons fait part, chacun pour ce qui nous concerne, d’étonnement et de réserves par rapport à ces montants. Si l’application du contrat était automatique, le montant correspondant à ce qui était éventuellement contractuellement dû, était supérieur au montant effectivement payé. J’ai eu connaissance d’une discussion qui est intervenue entre Jean-Charles Corbet et les représentants de la CIBC pour forfaitiser un montant qui a été au final versé à la CIBC.

Donc, oui, j’ai été, dans ces conditions-là, avisé des éléments. Ce montant est-il choquant, parce que c’est une autre question que vous pouvez me poser en qualité de professionnel ? Par rapport aux montants habituellement pratiqués par les banques d’affaires, surtout nord-américaines, non, pas du tout !

M. le Rapporteur : Maître, j’ai une note signée de votre main du 12 juillet 2002, adressée au cabinet Mazars et Guérard sur cette question. Je reprends mon analyse. La somme de 7,315 millions dollars versée à CIBC en juillet et août 2001 est composée de quatre parties. Il y a une première composante qui sont les " workfees " : 100 000 dollars par mois, plafonnés à 250 000. C’est clair.

Il y a une deuxième composante qui n’est pas claire du tout, qui est intitulée " financing placement fees " et s’élève à 320 000 dollars. Quand ont lit le contrat, il est indiqué qu’il s’agit d’honoraires représentant 3 % d’un prêt qui aurait dû être mise en place dans le cadre de l’opération Aurel Leven à hauteur de 80 millions de francs. Avez-vous des éléments d’explication sur cette affaire qui a donné lieu au paiement de 320 000 dollars, alors même qu’il n’y a jamais eu une mise en place de ce prêt de 80 millions de francs ?

M. Yves LEONZI : J’ai des éléments.

Quel est d’abord le contexte de la note que vous évoquez ? Il entre dans le cadre du deuxième audit de Mazars, en juillet 2002. Mazars avait été, dans un premier temps, mandaté par le CIRI pour un audit général d’Holco et ses filiales préalable au déblocage de la deuxième tranche du prêt FDES et pour un contrôle de gestion effectué à compter de cette date par trois auditeurs de Mazars, une semaine par mois, dans les locaux d’Air Lib, donnant lieu à un rapport mensuel au CIRI, jusqu’en juillet, moment où effectivement l’Etat a demandé à Mazars un deuxième audit. Lors de ce deuxième audit, j’ai reçu Mazars pour donner de la documentation et Mazars a interrogé un certain nombre de gens. Là encore, je n’ai fait que centraliser des éléments que j’ai récupérés chez des gens du chiffre et auprès de Jean-Charles Corbet. Je les ai fait valider par les auditeurs de Mazars directement auprès de CIBC, avec qui Mazars a été en contact et pour lesquels Mazars a reçu de la documentation directe des équipes de CIBC.

Le chapitre Aurel Leven est un élément qui est lié à la particularité des reprises des entreprises en difficulté. Lorsqu’un repreneur se présente à la barre du tribunal, il doit normalement faire état d’une lettre d’évidence de fonds d’un montant significatif, généralement 20 % du prix de cession qui est proposé. La cession étant réalisée pour 1 euro, il aurait été stupide de demander quoi que ce soit. En revanche, venir se présenter uniquement avec des engagements d’investisseurs potentiels et l’argent des Suisses me semblait vis-à-vis du tribunal pouvoir poser une difficulté pour la couverture des premiers frais : fonds de roulement, financement des fonds de roulement. Ceci s’est trouvé résolu par le mécanisme mis en place par la convention passée entre les administrateurs d’Air Lib et Swissair, les fameux 50 premiers millions qui ont permis à la reprise d’être financée. Il a été sollicité par CIBC pour le compte d’une société à créer, une évidence de fonds, un droit à tirage obtenu de la part d’Aurel Leven.

M. le Rapporteur : Qui est Aurel Leven ?

M. Yves LEONZI : Aurel Leven, est un établissement financier. Je crois que c’est une banque. Mais je ne peux pas répondre juridiquement à cette question.

M. le Président : Française ?

M. Yves LEONZI : Oui, notoirement connu. Ce sont des gens spécialisés sur tout ce qui est boursier, ou banque d’affaires.

CIBC est allé chercher Aurel Leven, pour permettre à Air Lib de disposer de ces 80 premiers millions de francs. Aurel Leven, a fourni une lettre d’évidence de fonds à Holco, au moment de la reprise, disant qu’elle se faisait fort de mettre sur la table 80 millions de francs. Les autres repreneurs ne proposaient rien d’autre au niveau de l’argent qu’un franc et rien d’autre.

Je n’ai pas eu connaissance du travail fait par CIBC auprès d’Aurel Leven, à l’exception de cette lettre d’évidence de fonds à hauteur de 80 millions de francs. Postérieurement à la reprise, au mois d’août, puis au mois de septembre, sollicité en ma qualité de conseil, je me suis aperçu que le montage était une usine à gaz. En fait, pour obtenir 80 millions, il fallait pratiquement en séquestrer 150.

Exerçant mon devoir de conseil, j’ai indiqué aux entreprises qu’il était plus qu’hasardeux de donner suite à ce tirage, ce qui fait que ce droit n’a jamais été exercé, mais la lettre a été fournie. Le montant de la rémunération de CIBC que vous avez cité, et cela j’en ai été le témoin, correspond à la fourniture à Holco, repreneur, d’une lette d’évidence de fons d’Aurel Leven constituant un droit à tirage à hauteur de 80 millions de francs pour Holco ou ses substitués, dans l’hypothèse d’une reprise, puisqu’on était dans la phase de fourniture de documents avant le jugement du 27.

M. le Rapporteur : Dans le contrat qui liait Holco et la CIBC, il est écrit " Lors de la conclusion de tout accord tendant à l’octroi de prêts sous quelque forme qu’ils soient, en relation avec une opération et pour lesquels CIBC World Markets aura mis en relation les prêteurs avec les empruntants ou sera intervenu en qualité d’arrangeur, vous ferez en sorte que CIBC perçoive une rémunération d’un montant hors taxes égal à 3 % du prêt ". Donc, vous estimez que les conditions étaient remplies ?

M. Yves LEONZI : J’ai été le témoin des négociations qui ont été faites en direct par CIBC et Aurel Leven, les dix nuits précédant le 27 juillet qui, pour moi, dans le cadre du kit que je devais au tribunal, a abouti à la matérialisation d’une lettre d’évidence de fonds impliquante d’une banque, Aurel Leven. Donc, par rapport à ces éléments, je n’ai pas d’autres commentaires à effectuer. Est-ce qu’il y a eu un document ? Oui. Est-ce que le tirage a été effectué ? Non, pour les raisons que j’évoquais, parce qu’en rentrant dans la documentation qui a été demandée et qui nous est parvenue en septembre ou octobre, les conditions étaient complètement léonines, l’aspect financier ne correspondait à rien, et Air Lib a souhaité effectivement que le droit à tirage ne soit pas effectué.

M. le Rapporteur : La troisième composant de la facture CIBC, qui est l’essentiel, puisqu’elle fait 6,670 millions de dollars sur les 7,315 millions dollars, est intitulée " advisory fees ", donc honoraires de conseil. Le texte du contrat dit : " Lors de la réalisation d’une opération par vous ou par les acquéreurs, vous ferez en sorte que CIBC perçoive une rémunération de résultat d’un montant hors taxes égal au plus élevé des deux montants suivants : 3 millions de dollars, ou 1 % du montant global de la contrepartie telle que celle définie à l’article 6. "

Quand on se rapporte à l’article 6, dont vous faites un commentaire dans la fameuse note du 12 juillet au cabinet Mazars, vous dites la chose suivante : " La somme de 6,670 millions de dollars correspond à la réduction du montant total dû contractuellement, 8,272 millions de dollars. Cette somme correspond elle-même à la rémunération due au titre des honoraires calculés sur la réduction du passif figurant au bilan de Swissair arrêté au 31 décembre 2000 à la somme de 4,7 milliards de francs français. La reprise des actifs sans passif (plan de cession après dépôt) a ainsi donné lieu à application des 3 % prévus contractuellement de ce chef, soit une somme de 6,272 millions. " Et vous ajoutez : " A cette somme doivent être ajoutées les sommes que Swissair s’était engagé à verser aux termes du protocole d’accord pour un montant global de 1,5 milliard de francs. 1 % était dû contractuellement, soit 2 millions de dollars. Après demande de réduction formulée par Jean-Charles Corbet, début août 2001, CIBC a accepté de réduire le montant total contractuellement dû de 8,2 millions, à 6,2 millions, soit en francs français, a accepté de réduire ses honoraires de 62 millions de francs à 50 millions. "

Alors, première question, puisqu’il y avait deux composantes dans la rémunération, il n’y en a qu’une qui, semble-t-il, ait été payée. La première composante est le 1 % de la réduction du passif. Mais en quoi CIBC a rendu un service qui mérite une rémunération à hauteur de 1 % ? Là, on parle d’une reprise devant le tribunal de commerce. C’est cela que je n’arrive pas à comprendre. Vous n’étiez pas là à l’époque, enfin, vous étiez là, mais vous ne vous en êtes pas occupé d’après vos déclarations. Quand vous avez rédigé cette note, est-ce que vous avez obtenu des éléments ? Parce que moi, je lis votre note comme une note embarrassée.

M. Yves LEONZI : Ce n’est pas une note embarrassée, c’est une note de scribe. J’ai interrogé mon client, j’ai interrogé CIBC et j’ai donné à Mazars, comme je vous le répète aujourd’hui, ce qui m’a été dit, comme étant la loi des marchands entre Corbet et CIBC. Je n’ai rien fait que centraliser dans le document que j’ai transmis, ce qui m’a été dit. Dans la question que vous évoquez, il y a deux sous-questions, et je vais vous dire ce que j’en pense.

Corbet et CIBC m’ont indiqué chacun de leur côté que le mandat de Corbet était de venir chercher CIBC, comme je vous l’ai indiqué dans le cadre du début de mon exposé, pour envisager la reprise in bonis d’AOM-Air Liberté, dans le cadre de la conciliation Meille et Valliot. Dans ce cadre très précis, quel était le mandat de CIBC tel qu’il a été décrit ? C’est de faire en sorte que le passif qui était de mémoire de 6 milliards de francs de Swissair au 31 décembre 2000 soit réduit. Parallèlement l’engagement public de Mario Corti sur les promesses de dons existant depuis au moins février, le second mandat donné par Corbet à CIBC était d’aller récupérer les 2 milliards des Suisses pour faire en sorte qu’entre la réduction du passif et les 2 milliards des Suisses, le repreneur puisse bénéficier d’une situation toujours in bonis où, schématiquement, il aurait eu les mêmes effets qu’une procédure collective. Avec une mise à néant de la totalité du passif ou un passif réduit à zéro, et une contribution spontanée, on avait à 100 % des effets d’une déclaration de cessation des paiements. Et la seule explication qui m’ait été donnée et que j’ai retransmise, c’est que ce contrat n’a aucun sens dans le cadre d’une reprise à la barre d’un tribunal d’une entreprise en redressement (par voie de cession d’actifs) et n’a de sens que dans le contexte qui m’a été indiqué, à savoir accord sur la chose et sur le prix à un moment où la reprise était envisagée in bonis dans le cadre de la conciliation.

M. le Rapporteur : Oui, mais comme le tribunal n’a pas décidé de cela, il a décidé une autre solution, c’était 1 % de zéro. C’est-à-dire qu’on a payé une somme sur une assiette qui ne correspond pas au contrat.

M. Yves LEONZI : Je ne peux pas vous donner d’autres explications que celles-ci. Le mandat est un mandat qui existe tel qu’il m’a été indiqué depuis le mois de mars. Est-ce que ce mandat, les pourcentages, l’assiette de la rémunération en mars avait un sens au moment où Corbet et la CIBC entraient en relation ? Oui. Là aussi, je vous ai fait part de ma relation non équivoque de ma position. Ce serait un non sens d’obtenir une rémunération pour une réduction de passif obtenue à la barre du tribunal, puisque de par la loi c’est l’effet même d’une déclaration de cessation des paiements. L’explication qui m’a été donnée, c’est qu’il s’agissait de la matérialisation d’engagements antérieurs. Je n’ai pas reçu d’autres explications.

M. le Rapporteur : Je vais lire aux membres de la commission ce que dit le contrat sur le montant global de la contrepartie. Attachez vos ceintures, mes chers collègues. " Le montant global de la contrepartie signifie le montant total de la contrepartie devant être immédiatement ou à terme, versée par toute personne, y compris, SAir Group, ou les acquéreurs au titre des opérations, directes et/ou indirectes, de cession, d’apport, d’échange, ou de souscription d’actifs, et/ou de titres ou autres, réalisées immédiatement ou dont la réalisation est prévue à terme dans le cadre des accords convenus par les parties à une opération, soit un montant égal à la somme, premièrement, de tout montant en numéraire, et le cas échéant, deuxièmement, de la valeur de marché de toute contrepartie autre qu’en numéraire de quelque nature qu’elle soit ; et, troisièmement, du montant de tout passif pris en charge par cette personne, ou toutes dettes dont la partie cédant ses actions ou ses actifs ou à AOM ou à ses affiliés, serait déchargée. "

Vu la décision de justice, cette énorme somme correspond-elle à cela ? Moi, il me semble qu’en application du contrat, non. Mais comme M. Corbet vous avait demandé un conseil sur cette affaire pour répondre à une question du cabinet Mazars, je voulais savoir. Dans votre note, vous retranscrivez en effet ce que vous avez dit, mais vous êtes avocat.

M. Yves LEONZI : Monsieur le Rapporteur, je vous ai me semble-t-il répondu. Est-ce que cette assiette à un sens dans un cadre de reprise après dépôt de bilan ? Ma réponse en tant qu’avocat est très claire. Cela n’a aucun sens.

M. le Rapporteur : Nous sommes d’accord !

M. Yves LEONZI : La seule explication qui m’ait été donnée, c’est que la loi des marchands a été écrite à un moment où mandat a été donné à CIBC d’aider Corbet dans le cadre d’une reprise in bonis. L’explication qui m’a été donnée et qui a été donnée aux commissaires aux comptes et aux tiers intéressés, c’est qu’entre autre chose, la cause de la réduction de ce contrat et de la forfaitisation est liée à l’évolution de la situation, et au fait que la totalité du montant de la contribution spontanée n’était pas versée par les Suisses. Mais je n’ai pas reçu d’autres explications. Est-ce que ces éléments, dans la chronologie, lorsqu’ils ont été portés à ma connaissance, m’ont choqué ? Non, ils sont explicables uniquement par le moment où l’accord a été pris initialement.

M. le Rapporteur : Mais le milliard et demi de Swissair était public. CIBC n’a eu aucun travail. Ce que je ne comprends pas, c’est quel est le lien entre l’action qu’a eue CIBC et l’assiette ?

M. Yves LEONZI : Non, là aussi, on se fait une fausse idée de ce qu’a pu être la reprise. L’offre publique faite par voie de presse en disant " je donne 2 milliards et vient les chercher qui veut ", ce n’était pas du tout ça. Il faut quand même être conscient d’un élément fondamental et je n’ai eu de cesse que chacun soit à sa place, les mandataires de justice et le tribunal, notamment.

Je reprends mon propos qui est très ferme. La volonté de Swissair était de choisir son repreneur et de faire bénéficier de ces 2 milliards un repreneur choisi par elle. Est-ce choquant ? Pas du tout. Pourquoi ? Parce que celui qui verse des sommes de cette importance court un risque terrible. Le risque étant que le repreneur vienne déposer son bilan dans les dix-huit mois suivant l’acte de cession et voie les merveilleux actes de désistement d’instances et d’actions qui sont le pendant du versement de la contribution, remis en cause. Donc, les Suisses - et CIBC a participé à ce travail-là - ont organisé eux aussi des grands oraux avec ou sans les administrateurs, où chaque repreneur devait exposer ce qu’il comptait faire avec 1 milliard, 2 milliards, etc. ; afin que Swissair émette un avis. Il a été mis le holà, à ma demande, à cette situation, parce que seul le tribunal de commerce, après dépôt de bilan, avait compétence pour juger qui était le repreneur et il a été fait en sorte qu’uniquement des enveloppes soient négociées par les organes de la procédure, mais que le choix soit fait par le tribunal.

M. le Président : On comprend bien les difficultés de telles opérations mais le problème n’est pas là. Le Rapporteur a tout à fait raison de se fonder sur un document incontestable, signé le 11 juillet, où l’on s’aperçoit que le service ne répond pas du tout à la commande et que la facture ne correspond pas au service rendu.

Mais je voudrais vous poser une question sur la manière dont le tribunal a pris sa décision, à l’évidence, comme vous venez de le dire. Et lorsque le tribunal a décidé, la lettre d’évidence de fonds a certainement eu une influence déterminante. Parce que face à un tribunal qui est à la recherche d’investisseurs et de garanties financières, une lettre d’évidence de fonds de 80 millions de francs, ce n’est pas rien dans une opération comme celle-là. Elle a eu une influence, cette lettre. Oui, ou non ?

M. Yves LEONZI : Non, ce sont le périmètre de la reprise sur le plan social et les réquisitions prises par le Parquet qui ont eu une influence déterminante.

M. le Président : Donc, ce n’était pas utile de la présenter, si elle n’a pas d’incidence. Cela dit le jugement du tribunal mentionne cette lettre.

M. Yves LEONZI : C’est un fait.

M. le Président : Vous nous avez dit que cette lettre n’était pas importante, parce que vous ne jugiez pas opportun d’utiliser ce droit de tirage, parce qu’une usine à gaz était montée et que ce n’était pas tout à fait crédible.

M. Yves LEONZI : Les conditions économiques étaient déraisonnables. Au moment où la question s’est posée de savoir si le tirage devait être effectué, c’était après à la défaillance des Suisses et après le 11 septembre, ç’eut été une faute de gestion de l’utiliser.

M. le Président : Une lettre d’évidence de fonds est donc produite. Je répète que vous avez jugé que cette usine à gaz n’était pas opérationnelle. Néanmoins, le tribunal l’a prise très au sérieux.

Nous enquêtons sur la manière dont les fonds publics ont été utilisés. Vous aviez ce droit de tirage, et quatre mois après, M. Corbet interpelle le gouvernement et engage une procédure de demande de soutien qui débouche au terme d’une instruction extraordinairement rapide par l’octroi d’un prêt du FDES de 30 millions d’euros.

Pourquoi, alors que cette lettre d’évidence de fonds existait, même si elle était difficile à mettre en œuvre, avant d’interpeller l’Etat et demander des fonds publics n’a-t-on pas fait fonctionner ce système ?

Pourquoi, par exemple, n’a-t-on pas fait davantage appel à Mermoz ? Pourquoi y a-t-il une répartition des actifs, de telle sorte qu’ensuite, on se tourne vers l’Etat pour demander des crédits pour faire fonctionner le système ?

Je crois que vous étiez présent à certaines séances du comité d’entreprise. Pourquoi M. Corbet a-t-il indiqué déjà un an avant que la société fût déjà en situation de dépôt de bilan ? Nous avons le compte rendu du comité d’entreprise, c’était en décembre, un an avant.

M. Yves LEONZI : Il faut se garder de confondre les choses. On dépose son bilan soit parce qu’on est en état de cessation de paiements, soit parce que la situation est irrémédiablement compromise. L’ensemble des déclarations, en tout cas celles qui ont été portées à ma connaissance, faites par Corbet, en ma présence, ou hors ma présence au comité d’entreprise, concernaient le caractère irrémédiablement compromis ou pas de la situation. L’une des motivations de la requête désignant Lafont en janvier était également l’effort sur les gains de productivité et la réduction de la masse salariale, c’est-à-dire les efforts demandés aux salariés, pour permettre justement à la situation de ne plus être irrémédiablement compromise. S’agissant de la lettre d’Aurel Leven, pour avoir 80 millions, il fallait en rembourser 160. Je donne un ordre de grandeur. C’est le management d’Air Lib, Jean-Charles Corbet - consulté comme président du conseil de surveillance -, les experts-comptables et les commissaires aux comptes qui ont pris la décision de ne pas l’utiliser car la situation était suffisamment compliquée.

M. le Président : Je vais vous interrompre, Maître. Je comprends très bien ce que vous nous dites et ce n’est pas la peine de nous le répéter. Si cette lettre n’était pas opérationnelle, il ne fallait pas la produire devant le tribunal. Comment peut-on devant un tribunal présenter une lettre d’évidence de fonds comme étant un élément essentiel de la reprise - c’est en tout cas ce qui ressort du jugement - alors que l’on sait très bien qu’elle n’est pas opérationnelle. Vous le saviez au moment du jugement, je présume, puisque lorsque la lettre a été présentée, le dispositif était parfaitement connu. Ou elle n’aurait pas dû être présentée parce qu’effectivement, pour avoir 80, il fallait payer 150. Ou alors, si elle a été présentée comme un élément crédible du plan de reprise, elle aurait dû être opérationnelle, et on aurait dû tirer les 80 millions.

M. Yves LEONZI : Il n’est pas dans mes habitudes professionnelles de pratiquer l’escroquerie à jugement. Si une pièce ne doit pas être produite ou si elle semble polluée et viciée, on ne la présente pas. La lettre d’évidence de fonds transmise par CIBC, je crois, le matin de l’audience en chambre du conseil, n’était pas un élément essentiel de l’offre ; cet élément n’était pas compris dans l’offre. Mais, effectivement, ce document a été présenté au tribunal et visé comme toutes les autres pièces dans les attendus du jugement.

Par rapport à cette situation, vous nous demandez si ce financement était un bon financement. Je ne vais pas me répéter. Ce n’est qu’au moment où la question de nouveaux financements s’est posée que les conditions dans lesquelles l’exercice du tirage de ces 80 millions de francs ont été connues ou en tout cas portées à la connaissance, me semble-t-il, en tout cas, c’est la mémoire que j’en ai, d’autres personnes que CIBC, dont c’était le mandat et qui avait négocié ces éléments-là. La mémoire que j’ai des discussions entre les dirigeants et les hommes du chiffre était d’examiner si avant d’aller solliciter l’Etat ou d’autres banques, il n’y avait pas la possibilité de faire jouer cet engagement. Et la conclusion a été que le coût financier du recours à Aurel Leven était tout à fait exorbitant.

M. le Président : Vous ne m’empêcherez pas de penser que ce genre de réflexion aurait dû intervenir avant la présentation de cette lettre au tribunal.

M. le Rapporteur : Nous avons découvert que la société coopérative Mermoz a payé 9,14 millions d’euros au cabinet Plegler et Blach pour le compte de la holding Holco SAS, en vue d’assurer le financement des actions judiciaires contre Swissair. Etiez-vous au courant de ces faits ? Pourriez-vous nous éclairer sur la logique du système ? Il s’agissait de récupérer les 400 millions de francs qui n’avaient pas été versés, c’est-à-dire la différence entre le milliard et demi et ce qui a été versé, c’est-à-dire un peu plus d’un milliard. Est-ce que c’est quelque chose de courant de verser 9 millions d’euros à un cabinet d’avocat pour plaider pendant des années et des années. Y a-t-il eu un contrat, un devis ? Est-ce une pratique commune ? Pouvez-vous nous éclairer sur le montage ? C’était pour la société holding Holco, mais comme ils n’avaient pas d’argent, ils ont ponctionné dans la coopérative Holco une partie des provisions grands entretiens des sept avions qui avaient été mis dans cette filiale.

M. Yves LEONZI : J’ai eu connaissance de ce souhait de Jean-Charles Corbet dans les locaux du CIRI, en janvier ou février 2002. En cas de défaillance d’Air Lib, confusion de patrimoine, extension de passif ou autre, le souhait de Jean-Charles Corbet était à l’époque de faire en sorte que les Suisses qui avaient pris les engagements puissent les respecter quelles que soient les conséquences d’un éventuel dépôt de bilan d’Air Lib.

Je n’ai eu les documents qu’au moment des travaux sur l’établissement des différents conseils d’administration et assemblée générale d’Holco, donc, lors de l’établissement du bilan arrêté au 31 mars 2002. Dans le cadre des demandes faites par les commissaires aux comptes, les pièces concernant les différents honoraires ont été produites. A cette occasion, j’ai vu le contrat qui est un contrat de paiement d’honoraires forfaitaires, avec un engagement qui doit survivre aux malheurs éventuels de tout ou partie des structures Holco-Air Lib.

Une petite précision, parce que là aussi, il y a un certain nombre de malentendus : c’est Holco qui contractuellement a signé le protocole d’accord avec les Suisses ; donc, c’est Holco qui a seule qualité à agir pour récupérer la montant de la contribution spontanée, les fameux 60 millions d’euros. Sachez aujourd’hui que dans le cadre du contentieux contre les Suisses, 45 millions d’euros sont arrêtés en France, majoritairement, ou dans six pays européens, puisque, aujourd’hui, il n’y a plus un seul billet émis par la compagnie suisse, en Belgique, au Benelux, en Italie, en Espagne et en France qui ne soit saisi par Holco.

Donc, pour répondre directement à votre question, oui j’ai eu connaissance de cet élément-là, le contrat m’a été décrit.

Est-ce que le principe du paiement d’une provision sur un suivi est habituel, la réponse est non. Est-ce que par rapport au montant, les montants tels qu’ils m’ont été décrits et ont été arrêtés à l’époque, sont cohérents par rapport à la créance à recouvrer et aux diligences qui pouvaient être imaginées en janvier 2002 au moment de la signature, tels que les éléments ont été portés à ma connaissance, ça ne m’a posé de difficultés particulières, et les commissaires aux comptes ont pris acte de ces éléments et ont certifié les comptes.

Puisque vous évoquez la situation, j’ai parfaitement en mémoire ce qui a été dit au cours des réunions d’approbation de comptes auxquelles j’ai assisté. C’est le compte courant d’Holco dans une de ses filiales, qui, au nom et pour son compte, ce qui est tout à fait habituel, a servi à rémunérer ce contrat. Mais quelle que soit la source de financement, cette dépense est dans les comptes d’Holco, certifiée par les commissaires aux comptes au 31 mars 2002.

M. le Rapporteur : Certes, mais on est en crise de trésorerie. On est en train de demander à l’Etat 30 millions d’euros, et on dépense un peu plus de 9 millions...

M. Yves LEONZI : Non !

M. le Rapporteur : ...pour verser une somme pour des honoraires qui vont peut-être valoir sur trois ou quatre ans.

M. Yves LEONZI : Non, nous ne sommes pas en crise de trésorerie et c’est le paradoxe. Nous ne sommes pas en crise de trésorerie. Mazars fait ses travaux et touche du doigt l’ensemble des sommes en trésorerie ou disponible. L’Etat exige d’Holco qu’elle descende 5 millions d’euros à côté des 30 millions d’euros sollicités de la part de l’Etat...

Pardonnez-moi, mais le point central du dossier, c’est l’état de cessation des paiements ou pas ou la situation irrémédiablement compromise. Je vais au-delà de votre observation. Est-ce qu’au moment où il est demandé à Holco de descendre les 5 millions d’euros, est-ce qu’exerçant mon devoir de conseil j’aurais interdit à Holco de descendre les 5 millions d’euros si effectivement il n’y avait pas eu d’éléments pouvant attester du caractère pérenne du suivi d’Air Lib ? La réponse est oui. Sans le GIE fiscal, ni l’Etat ni Holco n’auraient mis la main à la poche.

Par rapport aux disponibilités en trésorerie qui sont, ou ont été dans les sociétés " du haut ", tous ceux qui jusqu’à présent survolent le dossier sans y rentrer imaginent qu’il y aurait une obligation naturelle d’affectation de 100 % de la contribution spontanée des Suisses ou des fonds propres d’Holco à Air Lib. Le raisonnement complémentaire est de dire que le devoir naturel de la mère est de venir à l’aide de sa fille malade.

Ce raisonnement est radicalement faux. La situation qui est la situation en droit commun français, c’est que quiconque soutient une activité structurellement déficitaire ou fait du soutien, peut être poursuivi comme tel. Même si Holco avait eu encore 500 millions de francs chez elle au moment du prêt FDES, l’accord passé entre le CIRI et l’Etat était d’accompagner chacun la situation pour permettre à Holco de conserver suffisamment de trésorerie pour assurer en tant que de besoin la survie des autres filiales qui représentaient un peu plus de 1 000 salariés sur les 3 500 repris au moment de la reprise. Donc, l’arbitrage sur les montants qui ont été descendus, c’est un arbitrage. Mais venir dire qu’il y a une vocation naturelle de venir soutenir une entreprise qui ne va pas bien, non.

Je complète ces éléments-là. Alors que le prêt FDES a été débloqué au mois de février, Air Lib ne pouvant assurer ses fins de mois, pourquoi est-ce l’Etat et non pas Holco qui au mois d’avril, mai ou juin, on ne va pas accumuler les mois jusqu’au moment de la défaillance, a servi de banquier de substitution ? Tout simplement parce que le GIE devant intervenir, l’Etat, et l’Etat seul, avait les éléments de validité sur la mise en œuvre du GIE. C’est parce que l’Etat avait ces éléments qu’il a pris la décision d’assurer seul le risque de la continuité d’Air Lib.

M. le Rapporteur : J’y viens, Maître, c’est ma troisième question. Ce sont les relations entre Holco et la banque Arjil. La banque Arjil a été sollicitée et elle a émis une facture de 800 000 euros pour payer ses prestations sur le montage du fameux GIE fiscal qui n’a jamais été monté. Même la lettre de M. Fabius que vous avez citée était prudente puisqu’elle disait : " Vous avez un accord de principe, mais sous réserve que vous me présentiez les investisseurs. " Ces investisseurs, on ne les a jamais vus.

Je voudrais vous demander plusieurs choses. Est-ce que vous étiez au courant de l’action de la banque Arjil, des relations entre la banque Arjil et Holco ? Pourquoi avoir payé 800 000 euros à une banque alors qu’on n’a pas réussi à monter le projet ? Et contrairement à ce que vous avez dit, même si on avait monté cette affaire, elle aurait rapporté peut-être une trentaine de millions d’euros, d’après ce qu’on nous dit dans les auditions auxquelles nous avons procédé.

M. Yves LEONZI : Tous les chiffres que j’ai toujours entendus, y compris dans les locaux ministériels, c’était le double, entre 50 et 60 millions de dollars. Ce sont toujours les chiffres qui ont été évoqués.

M. le Rapporteur : Et bien nous, dans les documents écrits et les témoignages oraux, on nous a parlé d’une trentaine de millions. En fait, tout dépendait du montage. L’idée était qu’on allait acheter 73 millions pièce chacun des deux appareils et qu’on allait les céder à un investisseur pour 100 millions. Tout dépendait du prix auquel l’organisme les reprenait.

Avez-vous joué un rôle dans les négociations avec la banque Arjil et que savez-vous de ces 800 000 euros qui ont été payés, et dont je n’ai trouvé pour le moment que 300 000 euros qui ont été payés en deux versements par la holding, c’est-à-dire la SAS Holco. Les 500 000 autres, on ne sait pas encore s’ils ont été payés ou s’ils ont été payés par la filiale. Qu’est-ce que vous savez sur cette affaire ?

M. Yves LEONZI : En ma qualité de conseil d’Holco et d’Air Lib et dans le cadre de la procédure de mandat ad hoc de Maître Lafont, et pour permettre à Maître Lafont de faire son rapport mensuel au Président du tribunal de commerce de Créteil conformément aux termes de son mandat, j’ai eu connaissance, bien évidemment, des prestations de la banque Arjil, sans rentrer dans les détails du contrat. J’ai vu le contrat postérieurement lorsqu’il a été demandé la communication d’un certain nombre de pièces, mais je n’ai pas participé ni à l’élaboration du contrat ni aux différents travaux de la banque Arjil. En revanche, je transmettrai à votre commission les rapports que j’ai demandés à la banque Arjil, parce que Maître Lafont et moi-même nous énervions pour essayer de comprendre quels étaient les mécanismes et les ingrédients qu’il fallait intégrer au GIE fiscal. J’ai des documents qui datent d’octobre 2002 ; ce sont les rapports de synthèse qui ont été adressés au président Corbet à ma demande par Arjil, rapports qui comportent une chronologie complète ainsi que l’état des diligences.

En dehors de ces éléments que je porterai à la connaissance de votre commission, les seuls éléments de fond dont j’ai eu connaissance, pour avoir participé directement à ces travaux, c’est le CIRI qui a exigé l’intervention d’Arjil dans le cadre de la mise en place du prêt FDES. D’ailleurs dans le préambule du prêt FDES, on vise l’attestation faite par Arjil de la faisabilité du GIE ; jamais les mécanismes de prêt n’auraient été mis en place si cette faisabilité du GIE n’avait pas été établie.

Par ailleurs, lorsque la décision de M. Mer de proroger le prêt FDES de juillet à novembre est intervenue, c’est après l’attestation validée par les services Mazars de la mise en œuvre du GIE.

J’indique, bien qu’il s’agisse d’un élément annexe, que lorsque Mme Bénadon, directrice des transports aériens, est allée notifier ce prêt à Bruxelles, elle a dû indiquer que le prêt ne pouvait pas, tout le monde le savait, être remboursé par les fonds propres d’Air Lib au moment de sa mise en place et devait être remboursé par le GIE. Donc, la notification du prêt correspondait bien au remboursement par le GIE. J’ignore ce que Mme Bénadon est allée dire à Bruxelles lors des renouvellements successifs, mais elle a dû vraisemblablement y aller, parce que s’agissant de deniers publics, c’est l’obligation de l’Etat d’y aller. Donc, je pense qu’il faut l’interroger sur ce point pour savoir quelle a été la motivation de l’Etat dans le cadre des renouvellements à Bruxelles.

Nous avons compris, nous, en fin de conciliation, que le document extrêmement important préparé par KPMG pour le compte d’Air Lib concernant la transformation du prêt FDES en crédits de restructuration n’a jamais été transmis par l’Etat à Bruxelles. Rien n’a été fait et les notifications postérieures des reports n’ont pas été effectuées par l’Etat.

M. le Rapporteur : Maître, je voudrais maintenant vous interroger sur les rémunérations des dirigeants de la SAS Holco. Nous avons découvert qu’à peine arrivé, le président Corbet s’est octroyé des " golden hello ", en Français des " bonjours dorés " de montants considérables. Les montants sont de 855 904 euros pour M. Corbet, qui, comme Holco est une SAS à actionnaire unique, décide de s’octroyer cette somme à lui-même. Il octroie à son directeur général M. Bachelet une prime d’arrivée de 380 122 euros et puis à M. Bardi la même somme. Comme vous étiez l’avocat de la maison...

M. Yves LEONZI : L’un des avocats !

M. le Rapporteur : C’est vrai, il y en avait d’autres. M. Corbet vous en a-t-il parlé ? Dans l’affirmative, avez-vous attiré son attention sur le fait qu’à peine arrivé, s’octroyer des " golden hello ", y compris à lui-même pouvait présenter des risques ? Mais, c’était lui qui décidait. L’avez-vous conseillé sur cette affaire ?

M. Yves LEONZI : Deux réponses distinctes, parce qu’il faut distinguer le cas de MM. Bachelet et Bardi de celui de M. Corbet.

Concernant le choix de managers opérationnels, le moins qu’on puisse dire, c’est qu’on ne se battait pas au portillon pour prendre la direction d’Air Lib au mois de juillet 2001. Les personnalités incontestables de l’aérien pouvant prendre la tête d’Air Lib, puisque ce n’était certainement pas la vocation de M. Corbet au moment de la reprise, avaient déjà donné. J’évoque M. Couvelaire ou M. Rochet qui étaient intervenus. Là aussi, et c’est une réponse indirecte parce que les commissaires aux comptes ayant posé cette question, j’ai entendu les réponses qui ont été formulées, je pense que vous connaissez la rémunération de M. Rochet pendant sa mission. Elle était largement supérieure à ce qu’à perçu au total M. Corbet pour une période bien plus longue.

Avait été contacté Thierry Antinori qui était à l’époque membre n° 6 du board de Lufthansa. Il en est maintenant le n° 4. Thierry Antinori voulait, pour venir dans une société considérée à risque, ce qui risquait de polluer son image dans le cadre de sa carrière, 35 millions de francs de " golden hello ". Il a été admis que c’était incompatible avec la nature de la reprise.

François Bachelet et Alain Bardi, respectivement ancien président d’Air France Cargo et directeur général d’Air France Cargo, étaient connus du milieu de l’aérien...

M. le Rapporteur : Mais à la retraite, Maître.

M. Yves LEONZI : ...ne sont venus - et je ne fais que vous indiquer ce que j’ai su, parce que cela m’a été dit - ne sont venus, que parce qu’il n’y avait personne d’autre d’un point de vue réglementaire capable de remplir les différentes exigences, d’une profession réglementée, à savoir les exigences du Conseil supérieur de l’aviation marchande (CSAM). Il n’y avait pas d’autres professionnels de l’aérien qui aient été trouvés en dehors de MM. Bachelet et Bardi. Ils ont exigé des " golden hello ". Encore une fois, je n’ai participé ni aux négociations, ni eu un mot à formuler. J’en ai eu connaissance. Ces sommes m’ont-elles paru exorbitantes par rapport aux fonctions ? La réponse est non.

S’agissant de M. Corbet, sa rémunération de base, de mémoire, 30 000 euros, donc environ 150 000 francs, était inférieure à son salaire de pilote à Air France. C’est l’élément qu’il aime mettre en évidence, s’agissant d’un aspect alimentaire et familial. Ce n’est pas la réponse de professionnel que je formule. Nous avons un patron de holding qui reprend le deuxième pôle aérien français et qui doit être rémunéré en fonction de ses fonctions. La rémunération du président de la holding, rémunération standard et différents avantages compte tenu de l’état des sociétés, de la charge de travail et de la pluralité de fonctions n’est pas apparue extraordinaire ou anormale aux hommes du chiffre et aux commissaires aux comptes. Je n’ai pas d’autres observations à formuler. Encore une fois, j’étais conseil extérieur, ce n’est certainement pas l’avocat qui fixe la rémunération du dirigeant d’entreprise.

M. le Rapporteur : Ma question était de savoir s’il vous avait demandé conseil.

M. Yves LEONZI : La réponse que j’ai formulée est une réponse générique qui est exactement celle que je viens de formuler, parce que je n’ai pas l’habitude de dire deux fois des choses différentes quand j’exerce mon métier, à savoir que la rémunération d’un dirigeant de holding est fonction du travail effectué pour le compte de la holding et des filiales. Est-ce que la rémunération globale perçue par Jean-Charles Corbet pour le travail effectif qui devait donner lieu au versement de management fees qui n’ont jamais été payés entre les sociétés du bas et les sociétés du haut m’apparaît anormale ? Ma réponse est très claire : non ! Je connais un certain nombre d’autres groupes qui ont des dirigeants qui sont payés bien plus, dans des conditions bien acrobatiques. La rémunération de M. Rochet, alors que l’entreprise était en dépôt de bilan, me choque. Pas celle de M. Corbet.

M. le Rapporteur : Mais M. Corbet était l’actionnaire unique, avec une mise de fonds le concernant extrêmement minime, pour ne pas dire plus, et au surplus, il n’avait aucune expérience de manager. Il n’était pas le numéro 3, 4 ou 5 de la Lufthansa ou de British Airways, comme l’étaient d’autres personnes que vous avez citées. Il n’avait aucune expérience managériale et à peine arrivé, il s’octroie une somme considérable, pratiquement 860 000 euros. Vous pensez qu’il ne prenait aucun risque juridique ? C’est cela que j’ai compris de votre réponse. Vous n’estimiez pas anormale cette rémunération. Nous en prenons acte.

M. Yves LEONZI : Vous pouvez formuler la question sous un autre angle, ma réponse sera identique.

M. le Président : Maître, je comprends bien tout ce que vous dites, et nous ne sommes pas là pour comparer les rémunérations des uns et des autres. Nous sommes là pour évaluer la situation d’une entreprise clairement identifiée dans une situation particulière qui est l’appel à fonds publics.

M. Yves LEONZI : Holco n’a jamais fait appel aux fonds publics.

M. le Président : D’accord ! Mais nous, ce qui nous étonne, c’est la manière dont on utilise le droit pour en tirer des conséquences qui ne sont pas forcément conformes à l’intérêt général. Vous nous avez déjà répondu s’agissant de la distinction entre Holco et la société d’exploitation. Je ne suis peut-être pas juriste, mais je peux le comprendre. Le problème n’est pas là. Le problème tient certes au droit, mais aussi à la morale, et nous aurons à nous en expliquer plus tard.

Je ne dis pas que le droit n’a pas été respecté. Je pose une question. A un poste précis, quelqu’un est rémunéré de cette manière-là. Très bien ! Quand c’est la loi du marché, avec des entreprises qui fonctionnent, moi, ça ne me pose pas de problème. Quand c’est en revanche dans le cadre d’un appel à fonds publics à hauteur de 130 millions de francs, c’est autre chose.

Donc, la question que je pose est très claire. Le prêt FDES s’élevait à 28 millions d’euros. A quelques millions près, cela n’est pas très éloigné du total des rémunérations dont faisait état le Rapporteur, plus les honoraires qui ont été servis à l’ensemble des conseils, y compris bien entendu votre cabinet pour 3,14 millions. Je dis cela sans discuter la hauteur des rémunérations.

M. Yves LEONZI : Mon expert-comptable a établi des décomptes d’heures, donc, je suis tout à fait prêt à en débattre. Ce n’est pas du tout un sujet tabou pour moi. Mes équipes ont travaillé ! Je préfère en débattre en public plutôt que dans une arrière-cour.

M. le Président : Nous aurons peut-être l’occasion d’en débattre dans d’autres lieux, Maître, l’enquête n’est pas terminée.

M. Corbet, à deux reprises, le 18 décembre et le 28 décembre, en comité d’entreprise a dit que la société était en situation extrêmement difficile. Vous nous avez dit qu’Holco a préféré s’occuper des filiales, soit 1 000 employés. Très bien, je l’admets. Vous nous avez dit que le GIE devait intervenir. Soit. Mais, pendant cette période-là, avant l’appel à fonds publics, s’est-on posé la question de savoir s’il était opportun de payer immédiatement l’ensemble des honoraires qui devaient être servis aux conseils ? On règle des honoraires et des salaires aux managers et puis on se tourne vers l’Etat pour lui demander 30 millions d’euros de prêt parce qu’on n’arrive pas à joindre les deux bouts et que la situation est irrémédiablement compromise. C’est une question morale, Maître.

M. Yves LEONZI : Monsieur le Président, je suis prêt à en débattre dans d’autres lieux sur le plan moral. Je n’ai qualité à vous répondre que sur le plan du droit, et vos propos, que je ressens comme citoyen et contribuable, je ne les partage absolument pas sur un plan professionnel, parce que vous écrasez la chronologie, à la fois de la situation des entreprises et des paiements.

Le paiement des honoraires, notamment des honoraires de résultats, est intervenu fin août, avant le 11 septembre et la défaillance de Swissair. Les " golden hello " des managers ont également été payés à la fin du mois d’août sur les premiers fonds venant de Swissair. La possibilité d’un dépôt de bilan a été évoquée en comité d’entreprise. En revanche, je m’inscris en faux sur le fait que les sociétés puissent avoir été ou étaient en état de cessation des paiements, seul le caractère irrémédiablement compromis d’Air Lib lié au fait qu’il fallait un projet industriel nouveau et qu’il fallait le financer pouvait être évoqué dans cette enceinte.

Je reprends le propos pour pouvoir le caricaturer. Aurait-il été choquant qu’un dirigeant d’Air Lib se paye des montants inconsidérés au moment où il était fait appel à l’argent public ? Oui, cela m’aurait choqué en tant que citoyen et en tant qu’avocat, mais cela n’a pas été le cas. On peut tenir entre citoyens des propos généraux mais sur le dossier, la chronologie est ma réponse.

M. le Président : Vous avez forcément raison de rappeler la chronologie. Par exemple, les paiements de la CIBC sont intervenus fin août avant que les fonds publics aient été appelés, cela ne nous a pas échappé, mais le caractère irrémédiablement compromis de l’entreprise ne nous a pas échappé non plus.

M. Yves LEONZI : D’Air Lib, jamais d’Holco.

M. le Président : Holco est un montage juridique et financier.

M. Yves LEONZI : Pas du tout ! Je réfute le terme de montage.

M. le Président : Un certain nombre de sociétés ont été constituées pour recevoir des fonds issus de la liquidation d’une entreprise. Le réceptacle de ces fonds est un montage juridique ou une architecture juridique - appelez-le comme vous voulez - qui aboutit au fait qu’aujourd’hui Holco n’est pas concerné alors que 3 200 salariés d’Air Lib sont au chômage. Admettez que cela puisse nous surprendre. Dans ce cas-là, il ne fallait pas faire appel aux fonds publics. On ne pouvait pas d’un côté servir tout ce qui a été servi, alors qu’on connaissait le caractère irrémédiablement compromis de l’entreprise et se tourner vers l’Etat. C’est quelque chose de considérablement choquant ; je maintiens ce terme.

M. le Rapporteur : Je voudrais vous poser une question sur le problème de la coopérative Mermoz.

M. Yves LEONZI : La coopérative pose de nombreuses questions.

M. le Rapporteur : Oui, mais vous allez voir, elles sont très simples. On nous dit que M. de Vlieger est devenu le propriétaire de cette filiale suite à un acte qui a été signé par le président de la SAS Holco, M. Corbet, dans le cadre des négociations pour essayer de trouver un repreneur dans la phase finale de la vie de la société d’exploitation filiale de la SAS Holco. Avez-vous joué un rôle dans cette affaire et dans cet acte que nous n’avons pas encore, mais que nous avons demandé ? Quel a été votre rôle de conseiller auprès de M. Corbet ?

M. Yves LEONZI : Oui, bien évidemment, je dispose de la totalité des actes litigieux avec IMCA, et de l’ensemble des actes de procédure qui sont effectués par l’ensemble des cabinets mandatés par Holco pour faire en sorte de revenir à la situation ante.

Je vais vous répondre très précisément. Aujourd’hui, quelle est la situation d’Holco vis-à-vis de la coopérative Mermoz et quelles sont les procédures ? Plainte a été déposé par Holco et une enquête préliminaire est ouverte. Les parts détenues par " de Vlieger " et IMCA chez coopérative Mermoz sont saisies en Hollande ; les avocats en Hollande ayant été mandatés par Holco pour réaliser cet élément. Le président du tribunal de commerce de Paris a, mardi dernier, désigné Maître Philippot comme administrateur provisoire de Mermoz pour prendre toutes les mesures conservatoires sur Mermoz (mission de séquestre élargie des parts et des avoirs de Mermoz).

Quant aux conditions dans lesquelles cet acte est intervenu, j’étais présent à Amsterdam, au moment où cet acte a été signé dans les bureaux d’IMCA, et je vais vous donner le contexte et l’explication de la signature de ces actes.

Ces actes ont été signés en trois temps. Je cite les dates de mémoire. Un engagement qui vaut pacte futur d’actionnaires entre IMCA et Holco a été signé, début janvier, le 9 janvier, de mémoire. Et deux avenants ont dû être signés le 15 janvier ; les dates précises m’échappant. Nous nous trouvons en conciliation, à un moment où le 9 janvier, l’Etat exige le remboursement du prêt FDES, et où la conciliation devient extrêmement chaude ; Maître Lafont a dû vous l’indiquer. L’Etat n’a pas - pardonnez-moi de revenir sur ce qui blesse, mais il est important que vous ayez tous les éléments - voulu transmettre le dossier KPMG à Bruxelles, faute d’avoir transmis les notifications en temps et en heure des prorogations. Dès lors, l’Etat est pied au plancher. Le seul moyen pour lui de récupérer la totalité de la dette publique est d’imposer une conciliation prévoyant le remboursement de 100 % de la dette publique. Le protocole de conciliation prévoyant le remboursement de 100 % de la dette publique, il n’était plus nécessaire d’aller à Bruxelles pour notifier rétroactivement un prêt qui n’avait pas été notifié.

On avait donc d’un côté l’Etat qui faisait légitimement du forcing pour que son dû lui soit remboursé, et IMCA à qui l’on demandait un certain nombre de choses tout à fait anormales. Je rappelle ces éléments mais je ne peux pas répondre précisément à votre question si vous ne me laissez pas les deux minutes qui vont envelopper mon propos.

M. le Président : Prenez-les !

M. Yves LEONZI : Au moment où la conciliation est ouverte, j’ai interrogé l’Etat, et je vous donnerai les lettres qui sont sous ma plume adressées à M. de Robien et à M. Bussereau pour leur rappeler la chronologie et les interroger sur le GIE, l’état de cessation des paiements et l’exigibilité de la dette publique. Il m’a été fait réponse par l’Etat en disant que l’Etat renonçait à l’exigibilité de toutes ces sommes, ce qui a permis l’entrée en conciliation le 14 novembre 2002.

Lorsque IMCA s’est présenté chez M. de Robien, IMCA a dit au mois de novembre à M. de Robien : " Vous avez largement communiqué sur une date butoir ultime, que ce soit la licence ou l’échéance du prêt au mois de novembre. Les avions d’Air Lib se sont vidés. Je suis investisseur, j’ai de l’argent. S’il vous plaît, en fin de conciliation, c’est mon argent, moi IMCA, qui va servir à financer Air Lib. L’engagement que je prends étant bien évidemment de financer les dettes courantes, d’acheter des avions et de refinancer les éléments courants. Mais je vous demande, pendant la conciliation, de faire en sorte qu’il y ait le moins possible un déficit d’exploitation complémentaire lié à la communication du gouvernement. "

Lorsqu’au mois de janvier, IMCA revient à la table du CIRI, parce que le CIRI et l’Etat n’avaient pas voulu recevoir Maître Lafont pendant le mois de novembre et le mois de décembre, le secrétariat au transport, butant sur la date du 9 janvier, refuse d’entrer en conciliation, au motif que la seule conciliation possible pour lui était de payer et de payer à l’échéance. La conciliation n’a été ouverte que postérieurement à l’échéance du prêt, le 9 janvier, l’Etat ayant dégoupillé une grenade qui juridiquement devait aboutir, dans son esprit, à l’amortissement par IMCA de la dette dans le délai d’une quinzaine. La loi dispose que quiconque, en état de cessation des paiements, doit déposer le bilan dans un délai d’une quinzaine. L’Etat ne renonçant pas, pour la première fois, à l’exigibilité des dettes le 9 janvier, a ouvert une conciliation le 9 janvier en disant : les délais du tribunal de commerce, nous ne les reconnaissons pas ; on a 15 jours pour en sortir. Si dans 15 jours, on n’a pas trouvé une solution, il n’y aura plus de licence, il n’y aura plus d’Air Lib, parce que vous devrez déposer le bilan.

L’Etat et les intervenants ont démarré les travaux de conciliation dans ces conditions. Il a été imaginé une logique, une architecture de conciliation extrêmement compliquée. Je la rappelle, parce que si on ne rappelle pas les différents temps, on ne peut pas comprendre les actes passés avec IMCA. L’architecture était la suivante. Il y avait un passif antérieur. Le passif antérieur, on n’y touchait pas ; 100 % de ce passif antérieur comprenant à la fois l’intégralité des dettes d’Etat et le prêt FDES qui devaient être remboursés selon un amortissement.

Il y avait par ailleurs deux autres natures de sommes. Les parties convenaient au moment où le protocole était arbitré et pouvait être signé par l’ensemble des parties, y compris IMCA que légitimement IMCA ne pouvait pas renoncer aux conditions qui étaient les conditions résolutoires des engagements qu’elle allait prendre dans le cadre de cette conciliation. Les engagements d’IMCA apparaissaient à l’ensemble des parties, y compris à l’Etat, parfaitement légitimes. Il s’agissait des éléments sur la licence, des éléments de confortation des droits sur l’Afrique, IMCA objectant à l’Etat qu’on ne pouvait pas lui faire prendre des engagements, notamment sur le long courrier, si compte tenu de la situation d’Air Lib par rapport aux Antilles, le long courrier n’était pas sécurisé.

L’Etat avait souhaité la reprise directe, immédiate, des paiements courants. L’Etat, dans le protocole d’accord, avait accepté qu’une caution garantie à première demande soit donnée par IMCA sur le montant des dettes étatiques, courues ou à courir, entre le 9 janvier, date où l’Etat décide de l’exigibilité, et le 14 mars, le 14 mars étant une date juridique. Celle de la fin de l’expiration des trois mois plus un mois, du mandat donné à Maître Lafont dans le cadre de la conciliation.

Ce qui a posé problème, en dehors du problème de la licence, c’étaient les échéances courantes, le fonds de roulement d’Air Lib, entre une date qu’on peut situer aux environs du 20 janvier et le 14 mars, date de la fin de la conciliation, date à laquelle IMCA s’engageait à assurer sur sa trésorerie, sur ses fonds, 100 % des dépenses d’Air Lib, comprenant la reprise de tous les paiements courants, URSSAF, charges, etc. Simplement, le montant du fonds de roulement à financer à risque par IMCA entre le 20 janvier et le 14 mars avait été arrêté à 24,5 millions d’euros.

Nous étions à la veille de l’ultimatum de l’Etat, à la veille des 15 jours suivant le 9. Maître Lafont, très légitimement, a mis la pression sur tout le monde, en disant : je suis " mandataire de justice ", je vais devoir faire rapport au président du tribunal de commerce de Créteil que nous avons échoué et je vais demander au président de l’entreprise de déposer son bilan. A ce moment-là, l’ensemble des participants était conscient du risque financier bien réel que l’on faisait prendre à IMCA, celui de décaisser sur sa trésorerie 24,5 millions d’euros. Les conditions exigées par IMCA pour rentrer ne seraient pas levées, auquel cas la conciliation ne pouvait pas être homologuée par le tribunal, puisqu’on ne peut pas, en droit français, homologuer une conciliation sous condition.

Lors d’une réunion qui s’est passée un dimanche matin, précédant le lundi où les fonds devaient être en France pour permettre la signature du protocole d’accord par IMCA et l’ensemble des parties, un accord est intervenu, l’ensemble des parties s’accordant à dire que tout était fini (la conciliation avait réussi) puisque IMCA était d’accord sur tout et qu’il suffisait uniquement de mettre du liant. Par cet accord, les actions de Mermoz étaient cédées à IMCA sous condition résolutoire de la réalisation de l’entrée effective d’IMCA dans l’opération.

C’est maintenant un débat judiciaire. Pourquoi cette cession a-t-elle été convenue sous condition résolutoire et non sous condition suspensive ? La réponse est donnée par la chronologie. L’argent devait descendre le lendemain ; chacun subodorait qu’IMCA allait financer les 24,5 millions grâce aux actifs qu’elle pouvait récupérer par ce biais même si cela n’a pas été formulé.

Ce qui s’est passé par la suite, et qui est du pénal, c’est que les conditions résolutoires ont été acquises quasi immédiatement par l’effet de la suspension de la licence, l’échec de la conciliation et la liquidation d’Air Lib, mais que nonobstant l’acquisition de ces clauses résolutoires, IMCA a effectué les formalités entérinant la cession, ce qui a entraîné tout le reste. La chronologie est celle-ci. La documentation vous sera donnée, de façon à ce que vous examiniez les pièces.

M. le Rapporteur : Quand votre cabinet a-t-il été créé sous sa forme actuelle ?

M. Yves LEONZI : Il a été créé le 1er août 1995, au moment où j’ai quitté la SCP que j’avais créée. Au moment de l’arrivée du dossier AOM-Air Liberté, j’avais à l’époque cinq collaborateurs ; aujourd’hui, nous sommes quinze au total, dont huit avocats.

M. le Rapporteur : Quelle proportion représente les honoraires qui vous ont été versés par le groupe Holco par rapport à votre chiffre d’affaires ?

M. Yves LEONZI : Comme je vous l’ai dit, mon cabinet est un cabinet de niche. Par opposition à d’autres cabinets, nous avons peu de clients, mais nous avons des dossiers récurrents, puisque nous accompagnons les entreprises devant le tribunal de commerce lorsqu’il faut effectuer les formalités.

Qu’a représenté le dossier Air Lib au niveau de notre activité, donc corrélativement, au niveau des honoraires ? Il a représenté 80 % de l’activité globale du cabinet et pratiquement 85 % du chiffre d’affaires encaissé pour cette période. Je vous donne un montant qui est un montant linéaire. J’avais fait préparer un détail collaborateur par collaborateur des totaux du temps passé par chacun. Pendant ces deux ans, Air Lib m’a occupé sept jours sur sept, environ 17 heures par jour, certains jours beaucoup plus. Bien évidemment, nous sommes dans des professions où je suis conseil. Mon indépendance, c’est mon éthique ce n’est pas forcément, contrairement aux comptables, le pourcentage du chiffre d’affaires. Mon cabinet vivait avant Air Lib. Lorsqu’un dossier comme Air Lib arrive, c’est très pénalisant ; j’ai perdu beaucoup de clients et l’activité traitée a été facturée. Le temps passé correspond aux honoraires reçus.

M. le Rapporteur : On nous a dit que vous aviez reçu un success fee lors de la reprise. Quel était son montant ?

M. Yves LEONZI : Je le disais tout à l’heure de façon un peu véhémente, mais, lorsqu’on estime être honorablement connu dans sa spécialité, on vit relativement mal que son nom soit mis en pâture dans la grande presse et que des honoraires erronés et TTC soient publiés, parce que, pour le non initié, il y a une grande adéquation entre le chiffre d’affaires, même TTC, et un résultat net d’une entreprise de service.

Je vous réponds très précisément. L’honoraire de résultat qui a été perçu est de 1,6 million d’euros.

M. le Rapporteur : L’accord avait été passé entre M. Corbet et vous-même.

M. Yves LEONZI : Il s’agissait d’un honoraire forfaitaire, un honoraire de résultat pur et dur. A titre d’information, je vous ai donné les chiffres tout à l’heure, lorsque la reprise est intervenue au mois de juillet, le temps passé pour mon cabinet représentait entre 3,5 et 4 millions de francs déboursés pour l’ensemble des collaborateurs et moi-même qui avions travaillé sur le dossier. Soit la reprise n’était pas effectuée et je n’avais pas du tout d’honoraires. Soit elle intervenait et j’étais forfaitairement payé du temps passé avec un honoraire de résultat.

Je voudrais livrer un élément important par rapport aux chiffres que vous citez. Sur cette période, mon cabinet a été sur un certain nombre de plans, un chef d’équipe, mais il n’était pas le seul, nous étions une quinzaine. La plupart des cabinets ont été rémunérés directement par les clients, mais je me suis adjoint un certain nombre de compétences. Je suis un cabinet de niche ; je ne suis ni fiscaliste, ni spécialiste de l’aérien. En ce qui me concerne, à côté du contentieux Swissair qui occupe encore à l’heure actuelle trois collaborateurs à plein temps au sein de mon cabinet et une dizaine d’avocats à travers l’Europe pour effectuer les recouvrements que j’évoquais tout à l’heure, j’ai effectué sur la période 821 000 euros de rétrocessions d’honoraires sur le chiffre d’affaires hors taxe que vous évoquez.

M. le Rapporteur : En bénéfice, sur l’année 2001 et 2002, votre cabinet travaillait donc à 80, voire 85 % de son activité sur le groupe Holco. Il a dégagé un résultat fiscal de quel ordre ?

M. Yves LEONZI : Je vous remettrai de la documentation sur ce sujet. J’ai payé, au titre du cabinet 400 000 euros d’impôts sur les sociétés sur l’ensemble de la période des dix-huit mois concernant l’activité.

M. le Rapporteur : Donc, vous avez eu un bénéfice à peu près du triple avant impôt, c’est-à-dire 1,2 million.

M. Yves LEONZI : Voilà !

M. le Rapporteur : Vous venez de dire que vous avez trois collaborateurs qui continuent à travailler sur le problème de Swissair et la récupération des 400 millions. Est-ce que cela veut dire que vous êtes sous-traitant du cabinet Plegler et Blach pour cette affaire ?

M. Yves LEONZI : Je n’ai jamais été le sous-traitant de qui que ce soit. Ma déontologie m’interdit d’être sous-traitant de quiconque. Je travaille toujours pour celui qui est mon client. D’autres n’ont pas cette déontologie. Le président Corbet a pris des contacts avec Plegler et Blach pour permettre le règlement de l’ensemble des factures. Je me suis fait communiquer les chiffres parce que je pensais qu’ils vous intéresseraient. Il s’agit d’une facturation mensuelle, tous pays confondus ; le pays le plus consommateur d’honoraires étant la Suisse puisqu’il y a aujourd’hui quatre procédures distinctes devant quatre cantons différents. Le montant mensuel des honoraires représente environ 1,5 million de francs.

M. le Rapporteur : Comment êtes-vous payé ?

M. Yves LEONZI : La réponse est : nous ne sommes pas payés. Qui va payer les factures que nous présentons à Holco ? Le président Corbet va faire jouer le mécanisme Plegler et Holco va être servi par Plegler du montant correspondant à la rémunération des factures.

M. le Rapporteur : Vous serez donc rémunéré via les 9,14 millions d’euros.

M. Yves LEONZI : Je serai rémunéré par Holco, parce que je n’accepterai pas de paiement de qui que ce soit d’autre. J’ai compris qui avait vocation maintenant à payer les honoraires. C’est justement l’objet du contrat qui serait vidé de sa substance s’il ne rentrait pas en application dès le moment de la défaillance d’Air Lib, le 17 février 2003.

M. le Président : Maître, je vous remercie de nous avoir longuement répondu. Je constate que le secret professionnel ne vous a pas gêné.

M. Yves LEONZI : Le secret professionnel est un problème d’éthique.

M. le Président : Je constate qu’il ne vous a pas gêné.

M. Yves LEONZI : Sur ce point, je relirai avec plaisir et par prudence le compte rendu, mais si j’ai répondu pleinement aux questions, c’est que j’estime qu’elles ne rentraient pas dans le cadre du secret.

M. le Président : Je vous en remercie et vous invite à remettre l’ensemble des documents que vous souhaitez nous transmettre.

M. Yves LEONZI : Je vous les ferai parvenir. Le seul document que je peux vous remettre, c’est le Cédérom que j’évoquais tout à l’heure. Le reste, je préfère vous l’adresser sous bordereau.

M. le Président : Je vous en remercie d’avance.


Source : Assemblée nationale (France)