Procès-verbal de la séance du mercredi 30 avril 2003

Présidence de M. Patrick Ollier, Président

Le témoin est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête lui ont été communiquées. A l’invitation du Président, le témoin prête serment.

M. le Président : Monsieur Paris, vous êtes commandant de bord de la société Air France, mais également un syndicaliste actif et président des Fonds Concorde. Vous avez pris, semble-t-il, la suite de M. Corbet.

M. Christian PARIS : En effet !

M. le Président : La commission a souhaité vous entendre parce que vous êtes un ami personnel de M. Corbet, et que, semble-t-il, d’après les informations que nous avons recueillies, vous avez participé à l’aventure Air Lib depuis le début, à différents titres, en assistant M. Corbet, voire même ses collaborateurs de vos conseils et de votre présence.

Je vous propose de commencer cette audition en nous exposant quel a été votre rôle exact auprès de M. Corbet et de la société d’exploitation Air Lib, ou éventuellement de la société Holco.

M. Christian PARIS : Au risque d’être hors sujet, je souhaite camper le décors, car il me semble difficile d’expliquer pourquoi je n’ai pas rompu tout lien avec M. Corbet lorsque j’étais administrateur d’Air France.

Un grand pays se doit de maîtriser ses modes de transport. C’est un précepte qui, à mon avis, a été oublié. La caractéristique essentielle d’Air Lib, ce n’est pas selon moi d’avoir été " Air Gayssot " comme cela s’est dit, c’est d’avoir détenu 48 000 créneaux sur la plate-forme d’Orly. L’enjeu de ces créneaux est essentiel. D’une part, il s’agit de la maîtrise du marché domestique français, sans laquelle aucune compagnie ne serait restée une compagnie majeure. D’autre part, ces créneaux devaient permettre, selon moi, d’assurer une desserte pérenne et cohérente des DOM. 

M. le Président : J’entends bien ! Mais nous ne vous interrogeons pas sur les créneaux. Voilà un mois que nous enquêtons, et nous avons une parfaite connaissance de ces problèmes. Je vous pose des questions sur le rôle qui a pu ou pas être le vôtre dans le cadre d’Air Lib et de M. Corbet. Voilà à quoi je vous demande de répondre.

M. Christian PARIS : Je me permets d’attirer l’attention de la commission sur mes déclarations au conseil d’administration d’Air France de mars 2000. Je ne suis pas habilité à produire les minutes de ces conseils, puisqu’elles sont frappées de la confidentialité. En revanche, je pense que le président du conseil d’administration d’Air France est habilité à le faire.

J’ai été celui qui, à Air France, depuis le plus longtemps et avec le plus de constance et je crois de conviction, a essayé d’alerter l’attention générale sur le risque de la concurrence des compagnies à " bas coûts " pour le transport aérien français. Outre mes interventions au conseil d’administration, je me permettrais de vous laisser un papier que j’ai écrit dans le cadre de mes fonctions d’administrateur qui date du 20 juillet 2000, qui explique pourquoi, sans l’intervention de M. Seillière, de M. Couvelaire ou de M. Bruissère, avec des aides au plus haut niveau de l’Etat français, nous n’en serions pas là aujourd’hui. Car je vous rappelle que j’étais le principal partisan du rachat d’Air Liberté par Air France en mars 2000, que c’est la DGCCRF qui nous a empêché de le faire, sur intervention proche du lobbying de la part de M. Seillière. Je vous rappelle que M. Seillère a permis à Swissair de contourner une loi européenne en prenant le contrôle d’une compagnie européenne, sans être elle-même communautaire.

C’est tout à fait illégal, et c’est toujours aujourd’hui impuni. Et c’est vraiment le démarrage des ennuis du transport aérien français. Le 12 avril 2001, j’écrivais d’ailleurs ceci : " c’est la raison pour laquelle il me semble que la seule attitude possible pour Air France est d’aider AOM et Air Liberté à survivre ". A cette date, il n’était absolument pas question de Jean-Charles Corbet, et je vous laisserai le document. J’ai écris également le 25 juillet 2001 - là encore, personne alors ne savait si M. Corbet serait repreneur ou pas, et mon pronostic était qu’il ne le serait pas - ceci : " Il relève donc du plus élémentaire bon sens de la part d’Air France d’aider l’impitoyable rival d’hier à se convertir en concurrent encadré ". Je me permettrai de laisser à la commission tous ces écrits, étant entendu que je n’ai pas apporté ceux qui sont postérieurs à la reprise, puisque subjectivement, je pourrais être accusé d’apporter une aide personnelle à Jean-Charles Corbet. Donc, j’ai préféré me référer à mes analyses et mes écrits antérieurs à la présidence même de Jean-Charles Corbet sur le dossier.

Je suis un peu frustré de ne pas pouvoir développer davantage mon propos, parce que je pense qu’il y a beaucoup de choses à dire. J’en viens à votre question précise.

D’abord, je n’ai pas passé une seconde à travailler sur le projet de reprise d’AOM-Air Liberté. Pas une seconde ! Le seul moment de la reprise où je suis apparu, c’est le 27 juillet 2001 au tribunal de commerce de Créteil. Pourquoi ? Parce que j’estimais que Jean-Charles Corbet ne serait pas le repreneur. J’avais beaucoup de peine à imaginer que l’establishment confierait à une compagnie aérienne un ancien syndicaliste. Je suis donc venu convaincu que Jean-Charles Corbet essuierait un échec cinglant. Comme je le sais homme de conviction et de forte implication, je pense que la déception aurait été immense. Et c’est au titre d’ami que je suis venu le soutenir dans la perspective de ce revers. A ma grande surprise, le tribunal de commerce lui a attribué la reprise. Je me suis donc éclipsé, car si Jean-Charles Corbet aurait eu peu d’amis en cas d’échec, je ne doutais pas un instant qu’il en eut beaucoup avec ce succès.

En ce qui concerne la phase de reprise, c’est donc clairement le seul moment où je suis apparu, mais je ne me suis mêlé de rien.

S’agissant de l’après reprise - 27 juillet 2001 -, je voudrais d’abord replacer les choses dans un contexte plus large. Jean-Charles Corbet et moi nous connaissons depuis 1973. Nous avons fait nos études de pilote ensemble. Nous avons joué au rugby ensemble. Pour ceux d’entre vous qui ont pratiqué ce sport, on y forge des amitiés qui sont extrêmement durables. Parce que sur un terrain de rugby, contrairement à beaucoup de situations de la vie, on ne peut pas tricher. Et je sais que Corbet ne triche pas. Donc, nous avons pris l’habitude, depuis que nous avons débuté notre carrière professionnelle, au début des années quatre-vingt, de déjeuner une fois par semaine ensemble. Nous n’avons pas dérogé à cette habitude, d’autant plus qu’il était extrêmement commode qu’il soit implanté sur une plate-forme aéroportuaire, parce que je vous rappelle, monsieur le Président, que je suis pilote. Contrairement à mes collègues du sol, je ne suis pas administrateur professionnel, c’est-à-dire que je ne fais pas que ça, même si je le pourrais. J’ai un métier que j’aime. C’est un beau métier. J’ai souhaité continuer l’exercer à plein temps, c’est-à-dire vingt jours par mois, et l’exercice de ce métier me conduit à travailler sur une plate-forme aéroportuaire. Donc, à chaque fois que je suis passé par Orly, bien entendu, je suis allé me faire offrir un café ou encourager mon copain Corbet.

En août, j’ai eu le plaisir de croiser à Air Lib François Bachelet qui, comme vous le savez, a été directeur général d’Air France Cargo. Donc, à ce titre, je l’ai rencontré. Si je ne suis plus syndicaliste aujourd’hui, contrairement à ce que vous avez dit, je l’ai été à l’époque. J’avais été l’initiateur d’un audit d’Air France Cargo, au terme duquel j’avais dit à François Bachelet : " vous serez conforté ou vous n’existerez plus en tant que cargo ". Et nous avons tissé des liens de confiance et de respect mutuel. Mi-août ou fin août, François Bachelet m’a ainsi montré une interview qu’il venait de donner au Parisien. Il se trouve que j’étais le porte-parole du syndicat pendant trois ans. Certains, et cela n’engage qu’eux, m’ont reconnu quelque compétence dans le domaine de la communication. François Bachelet souhaitait que je m’exprime sur les qualités de ses réponses. J’ai été extrêmement franc, car je n’ai pas l’habitude de dire l’inverse de ce que je pense. Je lui ai fait une étude de texte, comme on fait aux enfants, pour lui dire en gros qu’il était difficile de faire plus mal. Il l’a admis, et m’a demandé si j’accepterais de le conseiller, de lui donner un coup de main sur la communication médiatique qui était selon lui un exercice périlleux auquel il ne s’était jamais frotté.

M. le Président : Quand ?

M. Christian PARIS : J’étais en vacances à l’étranger du 1er au 20 août. Donc, c’était après le 20 août 2001. J’ai donc dit à François que j’étais bien entendu d’accord pour lui donner un coup de main amical. Nous nous sommes donc beaucoup appelés, et à chaque fois que j’étais à Orly, je ne manquais pas de le voir. Je lui donnais des conseils en communication interne, parce qu’il me semble que l’enjeu principal, ce n’est pas la communication " paillette " et les effets médiatiques dont Air Lib a beaucoup pâti. Mais l’enjeu principal d’une entreprise en coma dépassé comme c’était le cas d’AOM-Air Liberté est clairement de restaurer la cohésion du personnel, de le faire adhérer à un projet d’entreprise. Pour cela, il faut beaucoup de pédagogie. Il fallait intégrer que ces deux entreprises avaient un passé extrêmement douloureux pour les personnels qui avaient été chahutés et soumis à beaucoup d’incertitudes. Par conséquent, le ton et l’homogénéité et la capacité de persuasion de la communication interne serait un atout probablement décisif de l’adhésion du personnel au projet d’entreprise. Et je crois que sans l’adhésion du personnel à un projet d’entreprise, surtout une entreprise de service, il ne faut pas espérer réussir.

J’ai donc pris beaucoup de plaisir à ces discussions, qui avaient d’autres prolongements que la communication, philosophiques, notamment. Et nous avons, François et moi, réfléchi dans d’autres contextes et dans d’autres mondes sur ces sujets-là. C’est passionnant d’y revenir dans le contexte pratique d’une entreprise. François est parti fin décembre.

M. le Président : Monsieur Paris, vous êtes en train de nous dire que vous étiez le conseiller en communication de M. François Bachelet.

M. Christian PARIS : En effet, jusqu’à la fin de l’année 2001.

M. le Président : Je présume qu’il s’agissait d’une activité bénévole.

M. Christian PARIS : Totalement.

M. Christian PARIS : Vous étiez administrateur d’Air France, n’est-ce pas ?

M. Christian PARIS : En effet.

M. le Président : Vous étiez responsable du syndicat des pilotes, n’est-ce pas ?

M. Christian PARIS : Je ne l’étais plus.

M. le Président : Ne trouvez-vous pas que c’est une situation un peu particulière que d’être administrateur d’Air France et en même temps conseil en communication du responsable d’Air Liberté.

M. Christian PARIS : D’abord, dire que j’étais conseiller en communication...

M. le Président : C’est vous qui l’avez dit. (Sourires)

M. Christian PARIS : J’ai dit que j’avais, à la demande amicale de François Bachelet, accepté de lui donner des conseils dans le domaine de la communication. Ce qui ne fait pas de moi un conseiller en communication. (Sourires)

On m’a prêté beaucoup, monsieur le Président. Mais il est vrai qu’on ne prête qu’aux riches. Et il me faudrait dix vies pour faire tout ce qu’on me prête. Je suis pilote de ligne à temps complet. Mon emploi du temps l’atteste. Je travaille vingt jours par mois, comme pilote, long courrier. Autrement dit, je suis absent de France vingt jours par moi. Je suis également membre du conseil d’administration et je suis membre du comité d’audit, ce qui me demande beaucoup de travail, car ce n’est pas ma formation. Je suis membre du comité stratégique. Tout cela est beaucoup de travail. Je suis également père de famille nombreuse. J’ai quatre enfants. Et je suis président d’une association humanitaire. Donc, lorsque j’ai lu ça et là que je passais mes jours et mes nuits à Air Lib, il faudrait qu’on m’explique comment je pouvais faire.

M. le Rapporteur : Des témoignages de vos collègues syndicalistes nous ont dit qu’ils vous ont vu, et que vous aviez un bureau à côté de celui du président Corbet. Est-ce exact ?

M. Christian PARIS : C’est faux ! Je n’ai jamais eu aucun bureau à Air Lib ou dans aucune autre structure appartenant à M. Corbet.

M. le Président : Je vais être plus précis. Avez-vous utilisé des bureaux à Air Lib, à l’étage de M. Corbet ?

M. Christian PARIS : Monsieur le Président, j’imagine que vous allez entendre M. Pascal Perri, le bras droit de M. Corbet, car il s’agit d’un personnage-clé, c’est d’ailleurs moi qui l’ai présenté à M. Corbet.

Il m’est arrivé de demander à M. Perri de bien vouloir me laisser son téléphone, de bien vouloir me permettre de m’installer à son bureau pour écrire. Il m’est arrivé, et je n’en fais pas la collection, mais je pense que Bachelet ou Corbet vous le diront ou vous l’ont déjà dit, qu’il m’est arrivé d’écrire " Le mot du Président ". J’ai aidé François Bachelet, puis Jean-Charles Corbet à réfléchir sur la communication interne, qui me paraît fondamentale. Lorsque j’étais géographiquement dans les locaux d’Air Lib et que Bachelet ou Corbet me disaient : " je souhaiterais informer le personnel de telle chose, as-tu un moment pour me l’écrire ? ", ce qui demanderait à Jean-Charles Corbet, de son propre aveu, plusieurs heures, j’étais en mesure de me mettre sur un coin de table et de l’écrire.

M. le Président : Donc, vous ne veniez pas exprès à Air Lib pour faire ce qu’on vous demandait. C’est par hasard qu’on vous le demandait, lorsque vous y étiez.

M. Christian PARIS : Pas du tout ! Il arrivait qu’on me demande si je pouvais passer pour donner mon avis sur tel ou tel aspect.

M. le Président : J’entends bien ! Et effectivement, vous utilisiez le bureau de M. Perri pour écrire, comme vous le dites, et éventuellement rencontrer des personnes. Cela nous a été confirmé et je repose la question. Est-ce normal, dans le cadre de vos fonctions, de vous trouver dans cette situation dans les locaux d’Air Lib ? Est-ce que vous considériez cela comme tout à fait normal ou est-ce que cela vous a posé un problème quelconque ?

M. Christian PARIS : C’est une question que je me suis posée et c’est pour cela que j’avais demandé 24 heures de réflexion à François Bachelet. J’ai prévenu mon président que mon amitié pour Corbet ne se démentirait pas, que je pourrais être amené à donner des conseils à Bachelet ou Corbet sur le strict plan de la communication. Mon président m’a dit que cela ne lui posait pas de problème particulier à deux conditions.

M. le Président : Qui était votre président, à l’époque.

M. Christian PARIS : M. Spinetta.

M. Christian PARIS : D’abord, que tout cela soit sans rémunération. Ensuite que cela n’interfère pas avec l’activité d’Air France, en particulier avec la situation de compétition sur le marché commun.

M. le Rapporteur : Quand cela s’est-il passé ?

M. Christian PARIS : Le contact avec mon président ?

M. le Rapporteur : Oui, concrètement, vous avez appelé votre président.

M. Christian PARIS : Non. Nous nous voyons régulièrement, dans le cadre de mes mandats d’administrateur.

M. le Rapporteur : Vous lui en avez parlé oralement.

M. Christian PARIS : Oui !

M. le Rapporteur : Vous ne l’avez pas saisi par une lettre ?

M. Christian PARIS : Non. Je lui ai signalé que, pour moi, Jean-Charles Corbet restait un ami, que je continuerais à le voir.

M. le Rapporteur : Quand le lui avez-vous dit ?

M. Christian PARIS : C’était à l’automne 2001, au début du mois de septembre.

M. le Rapporteur : Parce que le président Spinetta, interrogé sur cette question, nous a indiqué hier que vous n’êtes jamais venu voir la direction pour en parler.

M. Christian PARIS : Je l’ai informé du fait que je continuais à voir Jean-Charles Corbet. A une époque, il se disait...

M. le Président : Monsieur Paris, vous déposez sous serment, et nous ne sommes pas là pour traiter des rumeurs, mais pour juger des faits. Monsieur Spinetta, président d’Air France, à qui le Rapporteur a posé la question clairement, a répondu qu’il n’avait pas été saisi par vous de cette opportunité. Vous venez de nous indiquer à l’instant que vous lui aviez demandé si cela ne le gênait pas que vous puissiez intervenir à Air Liberté dans certaines conditions. A-t-il oublié que vous lui en avez parlé ?

M. Christian PARIS : Monsieur le président, je n’ai pas saisi mon président. Je lui ai dit que je continuais à voir Jean-Charles Corbet et qu’il m’arrivait de lui donner un conseil sur la communication. Jean-Charles Corbet n’étant pas un homme de communication, tout le monde s’accordait à reconnaître qu’il s’agissait d’un domaine où il y avait des choses à lui apporter. Ce que vous êtes en train de me dire, c’est que je n’ai pas fait de demandes formelles pour avoir un rôle à Air Lib. Je n’ai pas eu de rôle à Air Lib.

M. le Président : Le Rapporteur vous dit simplement ce que M. Spinetta a dit. Ce n’est pas nous. Nous, nous sommes là pour juger des faits et non pas des rumeurs. Donc, je vous pose la question très clairement. Monsieur Spinetta dit non, cela ne m’a pas été demandé. Vous, vous dites oui, je l’ai demandé.

M. Christian PARIS : Je n’ai pas saisi M. Spinetta d’un rôle à Air Lib. J’ai informé M. Spinetta que je voyais Jean-Charles Corbet et qu’il m’arrivait, parce que Corbet ou Bachelet me le demandaient, de donner des conseils en communication.

M. le Rapporteur : Des syndicalistes nous ont dit que vous ne conseilliez pas simplement M. Bachelet, mais aussi M. Corbet, qui est un de vos amis. Est-ce exact ?

M. Christian PARIS : C’est la liberté des syndicalistes. J’aimerais qu’ils vous disent à l’occasion de quelle réunion, de quelle séance de travail cela s’est passé. Je démens ! De mémoire, M. Corbet, de septembre à décembre, était non pas le président, mais l’actionnaire, ce qui veut dire qu’il avait très peu d’intervention sur l’entreprise, et M. François Bachelet président, n’est pas un homme à partager la présidence. C’était clairement lui le président. J’ai cru comprendre que, par moment, il y avait eu difficulté à ce que chacun identifie son domaine d’autorité, mais clairement, ce n’était pas M. Corbet qui dirigeait Air Lib.

M. le Rapporteur : Donc, vous nous confirmez que vous n’avez jamais participé à des réunions internes ou avec des représentants du personnel en présence de M. Corbet.

M. Christian PARIS : Une seule exception, mais je suis incapable de vous dire la date. Nous devions, Jean-Charles Corbet et moi, partir en week-end faire du parapente en montagne, et devions prendre un avion un soir. Or, il se trouve que les pilotes avaient déclenché une grève. Cela peut paraître un peu surréaliste dans l’état de décomposition où se trouvait l’entreprise, mais c’est comme cela. Mais je crois, même si ce n’est pas le sujet, que la faible compréhension des enjeux de la part du syndicalisme a été une cause forte des problèmes de l’entreprise. Donc, je suis arrivé, alors que nous étions pressés, avions un avion à prendre ; un programme et des gens qui nous attendaient à Toulouse et Corbet était en train de discuter avec les syndicalistes. J’ai été commandant de bord dans les charters jusqu’en 1983, dans une entreprise qui s’appelait EAS. Le milieu du charter est un petit milieu. Tout le monde s’y connaît et j’ai retrouvé, au hasard de ces passages dans l’entreprise, des gens, dont certains que j’avais totalement perdus de vue, ou d’autres que j’avais vus épisodiquement, au hasard des rencontres aéroportuaires. Et ce soir-là, il y avait, en particulier un délégué syndical mécanicien navigant, qui était en train de discuter avec Corbet sur la sortie ou non de la grève. Ils m’ont interrogé sur ce que je pensais de la situation.

Compte tenu de mon expérience de syndicaliste, de ce que j’avais vécu à Air France, je me suis assis, j’ai discuté avec eux. Là où on devait prendre un avion à 19 heures, je crois qu’on est restés jusqu’à 1 heure du matin. J’aurais été ravi d’aider à dénouer cette situation, mais malheureusement, ça n’a pas été le cas, puisqu’ils ont déclenché la grève dès le lendemain matin. Si j’avais pu aider et contribuer à dénouer cette situation bloquée, ç’aurait été une satisfaction.

M. le Rapporteur : Cet épisode nous a été raconté. Mais j’ai une autre question à vous poser. Nous trouvons une pièce, importante pour nous, qui est le contrat signé entre la SAS Holco et une banque canadienne, qui a donné lieu au paiement de 7,3 millions de dollars d’honoraires. Et je vous lis le début du préambule : " Mon cher Jean-Charles, en réponse à votre demande, et pour faire suite à nos récents entretiens, nous avons le plaisir de vous présenter les conditions dans lesquelles nous sommes intervenus depuis le 2 mai 2001, et nous continuerons d’intervenir à compter de ce jour, à la demande du conseil de surveillance du fonds commun de placement d’entreprise Concorde en qualité de conseil financier de la société Holco ".

M. Christian PARIS : Quelle est la date de ce document ?

M. le Rapporteur : Il s’agit d’un document daté du 11 juillet 2001. C’est une lettre personnelle et confidentielle, adressée à la société Holco par le responsable de CIBC, M. David C. Mongeau, managing director de CIBC World Markets. Je me permets de vous dire que la signature de Jean-Charles Corbet est pour le compte du conseil de surveillance du FCPE Concorde.

Nous voulions donc vous interroger sur ce sujet. Vous connaissez très bien ce fonds. Le 11 juillet, vous siégiez au conseil de surveillance, n’est-ce pas ?

M. Christian PARIS : Tout à fait. J’y étais depuis le début, c’est-à-dire depuis septembre 1999, date de sa création.

M. le Président : Et vous en êtes le président aujourd’huI.

M. Christian PARIS : Tout à fait.

M. le Rapporteur : Vous avez succédé à M. Corbet à la tête de ce fonds ?

M. Christian PARIS : En août 2001.

M. le Rapporteur : Etiez-vous au courant de cette affaire, et pouvez-vous nous l’expliquer ?

M. Christian PARIS : Je vais être bien en difficulté pour vous l’expliquer. Soyons clairs. J’ai été au courant de cette affaire qui a été une rumeur, qui a été déclenchée... Je pourrais faire une recherche et répondre par écrit pour être précis sur les dates.

M. le Rapporteur : D’accord.

M. Christian PARIS : Mais ce que je souhaite dire, c’est que le 11 juillet 2001, je n’étais pas encore président.

M. le Président : Nous vous demandons si vous étiez au courant.

M. Christian PARIS : Je veux vraiment préciser les choses, parce que je sens bien qu’autour de cette question, il y a de fortes interrogations.

M. le Rapporteur : Messieurs les huissiers, veuillez porter le document au témoin.

(Le document est transmis au témoin)

M. le Rapporteur : Regardez la signature ! C’est assez étonnant !

M. Christian PARIS : Très clairement, aucune réunion du conseil de surveillance, qu’il s’agisse d’une réunion formelle ayant donné lieu à un compte rendu, ou d’une réunion informelle de travail, comme cela nous arrive régulièrement, n’a donné lieu à la moindre évocation de ce sujet. Je suis conscient de parler sous serment, monsieur le Rapporteur.

M. le Rapporteur : Vous engagez votre responsabilité, éventuellement pénale dans votre déclaration.

M. Christian PARIS : Oui, monsieur le Rapporteur.

M. le Rapporteur : Vous n’étiez donc pas au courant. Quand avez-vous été au courant ?

M. Christian PARIS : Et je pense que si vous interrogiez les trois autres membres, puisque nous étions cinq, ils vous diraient strictement la même chose que moi.

M. le Président : Cela veut dire clairement que M. Corbet, président, a émis cette lettre sans consulter le conseil de surveillance, pour le compte duquel il prétend agir.

M. Christian PARIS : Je vais vous dire exactement la seule évocation de ce dossier. Il y a eu un conseil syndical dont je pourrais retrouver la date. M. Corbet a demandé au conseil de surveillance - les membres étaient présents - de bien vouloir rester entre midi et 14 heures, à l’heure du déjeuner, de façon à nous demander l’autorisation de se prévaloir de sa qualité de président du conseil de surveillance comme d’une ligne supplémentaire de sa carte de visite. Président du conseil de surveillance, cela reste dans certains milieux, notamment financiers et bancaires, un titre. Nous lui avons dit clairement - les autres membres étaient Hugues Gendre, Patrick Auguin et Jean-Claude Cuisinétienne, de mémoire - qu’utiliser de sa toujours qualité de président du conseil de surveillance des Fonds Concorde pour avoir peut-être une meilleure valorisation personnelle, ça ne nous posait pas de problème, à une seule condition, c’est que bien entendu, ça reste sous cet aspect-là, valorisation d’un CV, d’un profil, ça n’engage en aucun cas le conseil de surveillance.

M. le Président : Sur ce point précis, vous avez cité M. Patrick Auguin, vice-président, à l’époque, du SNPL. Il semble que des indications précises aient été données par les personnes présentes pour que M. Corbet ne puisse pas utiliser ce titre de président de conseil de surveillance des Fonds Concorde dans le cas des opérations d’Air Liberté. Vous démentez cette affirmation ?

M. Christian PARIS : Oui, je démens.

M. le Président : Vous l’avez donc autorisé.

M. Christian PARIS : Nous lui avons dit que s’il souhaitait avoir une valeur ajoutée à travers un titre supplémentaire, et à cette seule condition, nous n’y voyions pas d’inconvénients. Ce qui a été rapporté par la suite, notamment dans les tracts syndicaux, c’est que M. Corbet avait engagé le nantissement des titres détenus dans les Fonds Concorde pour mener sa reprise, ce qui voulait dire qu’on engageait les titres détenus par les pilotes au titre de l’échange salaire-actions en 1999, qu’on leur faisait prendre un risque financier pour mener une reprise d’entreprise. J’ai fait faire une étude juridique sur le sujet. C’est strictement impossible. J’ai répondu à chaque porteur de parts. J’ai écrit à 2 850 pilotes.

M. le Président : Ce n’est pas la question.

M. le Rapporteur : La question qui vous est posée est la suivante. Nous avons un document qui montre que Jean-Charles Corbet signe un accord avec une banque d’affaires qui a donné lieu au versement de 7,3 millions de dollars.

M. Christian PARIS : Puis-je lire ce document ?

M. le Rapporteur : Bien sûr !

(Un huissier le donne à M. Paris)

Je vous invite à examiner attentivement la signature et la première page où il est indiqué que le contrat trouve son origine dans une suite de discussions qui ont eu lieu avec le fonds dont vous étiez l’un des cinq membres du conseil de surveillance.

M. le Président : C’est à la demande du conseil de surveillance de Fonds de commun de placement Concorde que la CIBC World Markets intervient, en qualité de conseil financier de la société Holco.

M. Christian PARIS : Dans ce cas, la réponse est très claire. Je vais reprendre la formule du libellé : le conseil de surveillance du Fonds Concorde de placement d’entreprise n’a jamais saisi qui que ce soit de ce genre de demande.

M. le Président : Ou n’a pas été saisi par qui que ce soit. C’est plutôt ça.

M. Christian PARIS : Il est écrit : " à la demande du conseil de surveillance ". Or, le conseil de surveillance n’a jamais rien demandé.

M. le Rapporteur : Donc, vous nous confirmez qu’il n’y a jamais eu de demande du conseil de surveillance.

M. le Président : Monsieur Corbet signe enfin ce document " Pour le compte du conseil de surveillance ". Vous confirmez bien que vous n’avez pas été saisi par M. Corbet et qu’il n’avait pas qualité pour agir en votre nom.

M. Christian PARIS : Je vous redis que le conseil de surveillance n’a été saisi d’aucune demande autre que Jean-Charles Corbet puisse se prévaloir de son titre de président de conseil de surveillance, pour avoir peut-être une meilleure introduction dans certains milieux.

M. le Rapporteur : Vous avait-il parlé de la CIBC ?

M. Christian PARIS : Non.

M. le Rapporteur : Vous ne connaissiez donc pas cette banque, c’est-ce pas ?

M. Christian PARIS : Je ne connais la CIBC que parce qu’il m’arrive de lire les Echos.

M. le Rapporteur : Il n’y avait à votre connaissance aucune relation entre la CIBC et le fonds dont vous étiez l’un des membres.

M. Christian PARIS : Strictement aucune. C’est la raison pour laquelle, lorsque je suis devenu président, en août 2001, je me suis retrouvé avec sur le dos des accusations lourdes diffusées aux pilotes selon lesquelles les représentants au conseil de surveillance auraient essayé de nantir la reprise d’Air Lib avec leurs titres.

M. le Rapporteur : C’est la première fois que vous voyez le document que je viens de vous présenter ?

M. Christian PARIS : Je suis sous serment, et je réponds sans ambiguïté : oui, monsieur le Rapporteur.

M. le Rapporteur : Personne ne vous en avait jamais parlé.

M. Christian PARIS : Non, monsieur le Rapporteur.

M. le Rapporteur : Comme membre du conseil de surveillance, estimez-vous que M. Corbet a utilisé abusivement le Fonds, en prétendant qu’il agissait à la demande du conseil de surveillance.

M. Christian PARIS : Pour être très précis, je dirais que cette lettre montre que Jean-Charles Corbet est allé au-delà de ce qu’il avait demandé et obtenu du conseil de surveillance, à savoir pouvoir se prévaloir de sa qualité de président de conseil de surveillance.

M. le Rapporteur : Mais vous nous avez bien précisé que ce n’était pas dans le cadre du conseil de surveillance, mais d’un déjeuner. Soyez précis.

M. Christian PARIS : Nous étions en conseil syndical. Jean-Charles Corbet nous a demandé - à l’époque, j’ai l’impression que pour lui, l’unité n’était pas la même que la nôtre - si on pouvait se voir entre midi et deux, entre membres du conseil de surveillance.

M. le Rapporteur : C’était une réunion informelle.

M. Christian PARIS : Cela n’a pas donné lieu à un procès-verbal de réunion de conseil de surveillance.

M. le Rapporteur : Il n’y avait pas eu de convocation formelle.

M. Christian PARIS : Non.

M. le Rapporteur : Donc, ça n’était pas une réunion du conseil de surveillance. Il s’agissait d’une réunion des membres du conseil de surveillance.

M. Christian PARIS : Je dois assister tout à l’heure un conseil de surveillance. Nous avons des conseils formels qui répondent à l’encadrement et aux exigences de la commission des opérations de bourse, et nous avons des réunions de travail. Il y a des sujets lourds qui prennent beaucoup de temps, et qui ne sauraient être résolus au cours d’un conseil de surveillance. Donc, nous nous réunissons très souvent pour des séances de travail.

Donc, il n’y a pas eu de convocation. Nous n’avions pas été saisi d’une demande formelle. Puisque nous étions tous là, il nous a demandé si nous étions d’accord pour nous réunir entre midi et deux heures, parce qu’il avait quelque chose à nous demander. Il nous a donc demandé - et les mots comptent - si nous étions d’accord pour qu’il se prévale de sa qualité de président du conseil de surveillance pour faciliter l’ouverture de certaines portes. Nous lui avons dit, sur cette demande, se prévaloir de ta qualité de conseil de surveillance, oui. Mais engager les fonds, il n’en n’a jamais été question. Et je vous assure, monsieur le Rapporteur, que cette affaire m’a valu beaucoup d’ennuis personnels, parce que 2 840 pilotes qui lisent qu’on a essayé d’utiliser leur argent à autre chose, ils sont inquiets. Il m’a donc fallu convaincre, faire faire des études juridiques, mettre à contribution Axa, communiquer et écrire aux pilotes, pour leur dire que c’était absurde.

M. le Rapporteur : Et vous n’avez jamais demandé à Jean-Charles Corbet, " mais qu’est-ce que c’est que ces accusations ? As-tu, à la suite de cette réunion de travail, utilisé l’image du Fonds ? Est-ce que tu as signé des documents mettant en cause notre Fonds ? "

M. Christian PARIS : Non. Comprenez ma logique, monsieur le Rapporteur. Tout le monde, à Air France, connaît mon amitié avec Corbet. Me contenter d’une réponse de Jean-Charles Corbet pour répondre à des interrogations aussi lourdes, ça n’aurait été d’aucun secours. Donc, j’ai fait faire des études juridiques et j’ai préféré dire aux pilotes : " Voilà, il y a des rumeurs ; mais c’est absurde, parce que juridiquement, c’est strictement impossible. On ne peut pas, personne n’a autorité à utiliser vos titres pour nantir quoi que ce soit. Donc, c’est absurde. "

M. le Président : Sur l’utilisation des titres, vous avez tout à fait raison. Mais utiliser la structure juridique en tant que président du conseil de surveillance du Fonds, c’est une autre chose. Cela n’a rien à voir avec les titres. Et signer des lettres qui valent contrat telles que celles que nous vous avons communiquées est un engagement lourd de conséquence.

M. le Rapporteur : Estimez-vous avoir été victime d’un abus de confiance ?

M. Christian PARIS : Je ne dirais pas ça. Je dirais que Jean-Charles Corbet est allé au-delà de ce qu’il avait demandé au conseil de surveillance.

M. le Rapporteur : Mais est-ce qu’il ne vous a pas mis dans une situation extrêmement difficile en vous dissimulant ce document ?

M. Christian PARIS : Non, parce que c’est la première fois que je vois le document que vous venez de me montrer. Donc, la question ne s’est pas posée en ces termes. La question s’est posée pour moi lorsque la rumeur colportait que Corbet avait essayé d’utiliser 1,2 milliard de francs pour nantir une opération lourde. Je me suis appliqué à démontrer que c’était tout simplement absurde et impossible, que les verrous juridiques étaient tels qu’il n’y avait plus de sujet. La piste que vous m’indiquez, je ne l’ai jamais eue.

M. le Rapporteur : Le document en question est un fait, pas une piste.

M. Christian PARIS : Si j’avais pu avoir la prescience, l’information, la rumeur que Jean-Charles Corbet avait signé des documents au nom du conseil de surveillance, je lui aurais demandé si c’était exact et dans quel cadre.

M. le Président : Monsieur Paris, nous avons bien compris, et je vous remercie de la sincérité de votre réponse.

En dehors de conseils pour la communication que vous avez pu donner, ou éventuellement la rédaction du mot du président, avez-vous joué d’autres rôles dans le cadre des négociations d’Air Liberté, à quelque moment que ce soit, à partir d’août 2001, ou jusqu’à février-mars 2003 ? Avez-vous, à un quelconque moment, agi pour le compte d’Air Liberté, oui on non ?

M. Christian PARIS : Non.

M. le Président : Jamais.

M. Christian PARIS : Non.

M. le Président : Nous avons un document qui nous a été adressé par M. Jean Galli-Douani, de Sud accueil.

M. Christian PARIS : C’est un fou !

M. le Président : Il nous indique, avec un avocat qui agit es-qualité, qu’il a été en contact avec vous dans le cadre des négociations concernant la reprise d’Air Lib. Ceci est faux ?

M. Christian PARIS : Attendez ! La reprise dont nous parlons, c’est la reprise hypothétique en février 2003.

M. le Président : Je vous ai dit d’août 2001 à février 2003.

M. Christian PARIS : Monsieur Galli-Douani m’a harcelé au téléphone. Comment a-t-il eu mon numéro ? Je n’en sais rien. Je suis sous serment, j’en ai conscience. Je n’ai jamais rencontré M. Galli-Douani, et je ne sais même pas à quoi il ressemble.

M. le Rapporteur : Vous l’avez eu au téléphone.

M. Christian PARIS : Des quantités de fois. La dernière fois qu’il m’a appelé, il y a une semaine, je lui ai dit qu’il était fou. Ce n’est pas l’objet de cette commission, mais je mène une investigation lourde sur le contrat entre Easyjet et Airbus. Je dis bien une investigation lourde, qui me vaut également certaines pressions de l’autre côté de l’Atlantique quand je me rends aux Etats-Unis. M. Galli-Douani m’a posé un certain nombre de questions au téléphone. Je pense être plutôt un homme courtois. J’ai répondu. Il a enregistré la conversation téléphonique et l’a transmise à un juge d’instruction, pour porter plainte pour un truc complètement délirant. J’attends qu’un juge me convoque, et je dirai que je ne serai surtout pas témoin de M. Galli-Douani car je ne l’ai jamais rencontré. Par contre, il m’a harcelé.

M. le Président : Vous dites que vous êtes un homme courtois, je n’en doute pas. Vous connaissez, je présume, M. Bouvet.

M. Christian PARIS : Oui.

M. le Président : Puisque vous êtes un homme courtois, expliquez-moi pourquoi il y a une condamnation pour violence à l’égard de M. Bouvet.

M. Christian PARIS : Monsieur le Président, ce que vous dites est grave. Libération en a fait état dans son édition d’hier et je vais porter plainte contre ce journal. Je demande que ce que vous venez de dire figure aux minutes de cette commission.

M. le Président : Bien entendu !

M. Christian PARIS : Je verrai l’usage que j’en ferai, parce que je n’ai pas fait l’objet d’une condamnation. Les faits dont vous parlez ont été amnistiés. M. Bouvet m’a accusé d’une tentative de strangulation contre laquelle je me suis toujours défendu.

M. le Président : Je vous pose une question. Vous me répondez oui ou non.

M. Christian PARIS : Au civil, j’ai été condamné à payer une amende pour laquelle j’ai fait appel, parce que je voudrais qu’on m’explique...

M. le Président : Avez-vous fait l’objet d’une condamnation ?

M. Christian PARIS : Non ! J’ai été condamné à payer une amende. Je ne sais toujours pas pourquoi et j’espère bien que l’appel me permettra de comprendre.

M. le Rapporteur : Je vais vous lire une lettre de M. Jean Galli-Douani du 6 mars 2003. " Monsieur, suite à votre demande, je vous confirme la nature de mes entretiens avec M. Christian Paris du groupe Air France.

" Pour le premier entretien, il s’agissait de mon projet de reprise des activités long courrier de la compagnie Air Lib, ce qui m’a permis par son intermédiaire de rentrer en contact direct avec maître Yves Léonzi et M. Jean-Charles Corbet. Lors de cette discussion, M. Paris semblait très favorable à mon projet (octobre 2002).

" Pour le deuxième entretien, début février 2003, dans le cadre de la discussion engagée, M. Paris me confirme bien qu’il y ait eu des pourparlers entre Airbus, Easyjet et M Bussereau, ceux-ci devaient, selon lui, engager la disparition du groupe Air Lib "

Confirmez-vous les déclarations écrites de M. Galli-Douani ?

M. Christian PARIS : Je ne suis pas en mesure de vous confirmer les dates, parce que je n’ai pas une mémoire suffisamment bonne. Mais M. Galli-Douani ne fait pas partie de ces personnages suffisamment marquants pour qu’on note quand on a été en contact avec lui. S’il le dit, je pense qu’il a sûrement raison. Comment a-t-il eu mon numéro de téléphone, je n’en sais rien. Ce que je lui ai dit, c’est que si effectivement il avait des solutions, c’était à Me Léonzi et à M. Corbet qu’il fallait s’adresser. Je ne sais toujours pas pourquoi il s’est adressé à moi, dans quelles conditions et qui lui a donné mon numéro de téléphone.

Quant au dossier Easyjet Airbus, je regrette profondément d’avoir évoqué cette question avec quelqu’un d’aussi peu fiable et d’aussi peu sensé. Mais je vous confirme que je ne l’ai jamais rencontré.

M. le Président : Certaines déclarations d’autres auditions laissent entendre que vous avez été présent au moment des discussions avec M. de Vlieger. Avez-vous été présent avec qui que ce soit touchant Air Liberté au moment des discussions avec M. de Vlieger ?

M. Christian PARIS : J’ai rencontré Erik de Vlieger à l’occasion d’un de mes passages chez Jean-Charles Corbet.

M. le Président : Par hasard, donc.

M. Christian PARIS : Oui, mais j’ai cru comprendre que pour le coup, M. de Vlieger passait sa vie à une époque à Air Lib. Mais votre remarque, monsieur le Président, peut être appliquée à tous les gens que j’ai croisés lors de mes venues à Air Lib. Je n’ai pas fait mystère de mes passages à Air Lib. J’ai rencontré des gens. Un syndicaliste m’a même reproché de faire la bise à la directrice du charter que je connais depuis vingt-cinq ans.

M. le Président : Monsieur Paris, le problème n’est pas là. Vous n’êtes pas ici pour faire de l’humour. Je dis simplement que nous vous interrogeons sur le rôle que vous avez joué ou pas dans le contexte d’Air Lib. Moi aussi, j’ai beaucoup d’amis que je tutoie, qui sont des amis très chers, qui sont PDG d’entreprises importantes. Ce n’est pas pour autant que je passe ma vie dans leur bureau. Donc, nous vous interrogeons et je vous pose la question clairement. Oui ou non, avez-vous rencontré M. de Vlieger ?

M. Christian PARIS : Je l’ai rencontré deux fois. Je n’ai jamais participé à son projet de reprise d’Air Lib.

M. Christian PARIS : Je ne vous demande pas si vous avez participé à son projet. Je vous demande si vous avez discuté avec lui de ce projet dans les locaux d’Air Lib.

M. Christian PARIS : Je vais vous rapporter une discussion que j’ai eue avec lui. Un jour, je passais à Air Lib. Il m’a demandé ce que je pensais de Buzz et d’Air Lib Express. Je lui ai dit : " Monsieur de Vlieger, vous avez une opportunité extraordinaire. Si vous rachetez Air Lib et Buzz, vous serez en situation de postuler à entrer dans l’alliance Skyteam. " Car j’estime que si l’alliance Skyteam avait une compagnie " à bas coûts " puissante, elle serait un outil extrêmement intéressant pour sécuriser les marchés domestiques des membres de l’alliance.

Erik de Vlieger avait effectivement cette opportunité. Ryanair a acheté Buzz quelques semaines plus tard, et il m’a dit que c’était une réflexion intelligente et qu’il ferait regarder ça par ses équipes.

M. le Président : Donc, vous confirmez avoir discuté de ces problèmes avec M. de Vlieger dans les locaux d’Air Lib.

M. Christian PARIS : Il m’a interrogé, je lui ai répondu.

M. Gilbert GANTIER : Monsieur Paris, vous êtes salarié d’Air France.

M. Christian PARIS : Oui.

M. Gilbert GANTIER : Et vous êtes membre du conseil d’administration d’Air France où vous représentez les pilotes.

M. Christian PARIS : Oui.

M. Gilbert GANTIER : Ne vous a-t-il pas paru étonnant de voir le président d’une compagnie concurrente, de le conseiller ? Imaginez quelqu’un qui est salarié de Peugeot et membre du conseil d’administration de PSA, et qui a un ami chez Renault, et qui lui demande des conseils de communication, des conseils financiers. Cela vous paraîtrait-il normal ?

M. Christian PARIS : Non. Mais je n’ai jamais donné de conseils financiers. Je n’ai jamais touché aux chiffres d’Air Lib et je ne m’y suis jamais intéressé. Et si j’avais pu m’exprimer en préambule, je vous aurais dit à quel point il était crucial pour Air France que le deuxième pôle français fut sauvé. Je crains, monsieur le Député, qu’il arrive dans les trois ans à Air France ce qui est arrivé à British Airways : 25 000 licenciements, l’abandon du court courrier, d’une partie du moyen courrier et la perte de la maîtrise du marché domestique.

M. le Président : Avez-vous dit dans les locaux du ministère de l’équipement : " Si on touche à Air Lib, la privatisation d’Air France ne se fera pas. "

M. Christian PARIS : Je démens formellement. Je n’ai jamais prononcé cette phrase. C’est un pur mensonge.

M. le Président : C’est un mensonge ?

M. Christian PARIS : Oui.

M. le Président : Donc, la personne qui nous l’a indiqué a menti.

M. Christian PARIS : Oui.

M. Gilbert GANTIER : Vous avez aidé M. Corbet dans sa communication. Imaginez-vous qu’un administrateur de PSA puisse dire à un président de Renault : " votre communication est mauvaise, je veux vous la refaire. " Dans les affaires, il y a quand même des concurrences. Air Lib était concurrent d’Air France sur un certain nombre de lignes. N’avez-vous pas l’impression que vous sortiez de vos fonctions d’administrateur d’Air France et de salarié de cette entreprise.

M. Christian PARIS : Je vous renvoie à l’interview de M. Bachelet dans le Canard Enchaîné du 4 septembre 2002 où il dit clairement que Easyjet coûterait beaucoup plus cher à Air France et où il explique que c’était l’intérêt qu’il y ait une " amicale concurrence ".

J’ai cru comprendre, mais ce n’est pas mon rôle, que le business plan de certains repreneurs, en juillet 2001, avait vu le jour mais c’était des initiatives individuelles, de la part de certains hauts membres de l’encadrement d’Air France.

M. le Président : Avez-vous des noms à citer ?

M. Christian PARIS : Non, parce que je n’ai pas de preuves.

M. le Président : Nous avons auditionné d’autres personnes qui ont cité des noms.

M. Christian PARIS : Je pense que le président d’Air France n’était absolument pas au courant de cela, mais que le devenir d’Air Lib, et surtout de ces créneaux, est une préoccupation forte pour toute l’entreprise.

M. le Président : S’agissant du business plan, vous qui êtes compétent, puisque vous avez été président du syndicat national des pilotes de ligne, avez-vous questionné Jean-Charles Corbet sur le niveau de crédibilité de son business plan, en ce qui concerne son adaptation parfaite au marché. Avez-vous considéré que le business plan tel qu’il le présentait était conforme aux règles de fonctionnement des compagnies aériennes ?

M. Christian PARIS : Je n’ai accepté d’aborder que deux sujets, puisqu’il y avait un code de déontologie entre Corbet et moi, comme entre Bachelet et moi. C’était de ne parler que de communication. J’ai dérogé sur deux problèmes : la desserte de Marseille - à propos de laquelle j’ai essayé de démontrer à M. Corbet qu’elle était une absurdité car il n’y a pas la place pour le TGV et deux compagnies aériennes - et l’ouverture d’une ligne Paris-Tripoli. Je vous laisserai également le texte du discours que j’ai prononcé devant les familles de victimes de l’attentat contre le DC10 d’UTA. J’ai extrêmement mal vécu, et notre amitié à failli en rester là, que M. Corbet se permette de restaurer la desserte de la Libye, car comme vous le savez, un tribunal de magistrats a condamné six hauts responsables libyens et établi l’implication du colonel Kadhafi dans cet attentat.

M. le Président : C’est un problème qui touche à la politique et la morale. Mais sur le plan commercial, pensiez-vous que c’était opportun ?

M. Christian PARIS : Je n’ai pas donné mon avis à M. Corbet mais si vous me le demandez, je vais vous le donner. Je pense que le business plan était trop optimiste ; qu’à vouloir faire du social à tout prix, on en perd le sens des réalités. La priorité, c’était de sauver un socle à partir duquel on pourrait reconstruire. En revanche, je pense que la création d’Air Lib Express était une excellente idée. Elle pouvait marcher, et encore une fois, il valait mieux pour Air France avoir face à elle sur son marché domestique un concurrent français qui obéisse aux mêmes règles, qu’un concurrent britannique qui se bat avec des armes totalement déloyales, c’est-à-dire des charges sociales très inférieures, des règles d’utilisation du personnel très inférieures, et des subventions illégales des chambres de commerce.

M. le Président : Sur les réactions de Jean-Pierre Fracchetti, qui était président du syndicat, après M. Corbet, avez-vous des réactions sur les propos polémiques qu’il a tenus, y compris par mail ou correspondance indirecte ?

M. Christian PARIS : Il y a au SNPL, depuis cette époque, des luttes de personnes, des querelles de pouvoir. J’ai vu pour la première fois dans mon syndicat naître des rumeurs, fleurir des tracts anonymes dans les casiers. Je vous assure que je me fais du métier de pilote une toute autre idée.

M. le Président : Quelle idée vous en faites vous ?

M. Christian PARIS : Je pense que c’est un métier superbe. Je pense que nous sommes les héritiers d’une tradition, d’une histoire. C’est un beau métier. Nous sommes tous terriens, c’est-à-dire programmés en deux dimensions. Le métier de pilote nous fait jouer avec la troisième dimension. C’est un métier magnifique. Et je pense que les pilotes, c’est leur quotidien, savoir prendre de la hauteur, et ne pas prendre partie à des querelles aussi mesquines, et surtout, ce qui est inacceptable dans une société humaine, pratiquer l’attaque personnelle. Ça, ça ne devrait pas avoir sa place.

M. le Président : Avez-vous eu connaissance du reportage réalisé par Capital ?

M. Christian PARIS : On m’en a parlé, mais je ne l’ai pas regardé.

M. le Président : Caroline Michel, journaliste...

M. Christian PARIS : Ah oui, je l’ai assignée au tribunal !

M. le Président : Et M. Franck Bouaziz, journaliste au Nouvel Economiste ont dit un certain nombre de choses. Là aussi, ce sont des choses qui ne correspondent pas à la réalité ?

M. Christian PARIS : Mme Caroline Michel a mis le pied sur la ligne jaune. Cela m’a valu beaucoup d’ennuis.

M. le Président : Quelle est la ligne jaune ?

M. Christian PARIS : Je pense qu’il y a des règles d’éthique et de déontologie. Je suis diplômé de l’IHEDN, et c’est totalement inacceptable de se voir qualifié de " taupe ", sans aucun élément. La photo-montage est véritablement scandaleuse. Mais j’ai découvert, depuis que j’ai des responsabilités, que les hommes n’avaient pas de limites dans les méthodes, lorsqu’ils veulent nuire. Mme Caroline Michel devra rendre compte devant un tribunal. J’ai l’impression qu’elle bénéficie de solides appuis, car beaucoup de gens ont essayé de me dissuader de maintenir ma plainte. Je suis un homme de caractère, je pense que vous l’avez compris. Ce n’est pas cela qui m’intimidera.

M. Bouaziz ? Vous passez du temps avec un journaliste. Or, le temps, c’est précieux. Moi, je n’ai pas beaucoup de temps. Prenons l’anecdote rapportée par M. Bouaziz sur les portes indiennes. Les Indiens ont retenu à la douane deux portes que j’avais achetées au motif qu’elles étaient trop anciennes pour être exportées.

M. le Président : C’était vous qui les aviez achetées ?

M. Christian PARIS : Bien sûr ! C’est une autre inexactitude de l’article !

M. le Président : Personne ne vous accompagnait ce jour-là ?

M. Christian PARIS : Non. Une hôtesse m’a mis un mot dans mon casier....

M. le Président : Là aussi, nous avons beaucoup de documents...

M. Christian PARIS : Des documents que je n’ai pas, ce qui est scandaleux s’agissant d’une affaire qui me concerne. Les autorités indiennes m’ont donc dit qu’elles feraient expertiser par le département des antiquités nationales, et qu’elles me diraient si, oui ou non, je pouvais exporter et les emporter avec moi. Huit mois après, j’ai eu un avis de l’administration indienne des douanes qui m’a dit qu’il n’y avait aucun problème et que je pourrais les récupérer quand je pourrais. Je les ai récupérées voilà quinze jours. Ce n’est pas une affaire. M. Bouaziz a vu ce document officiel, et ça ne l’a pas empêché d’en parler.

M. le Président : Nous ne sommes pas là pour parler des portes indiennes.

M. Christian PARIS : Nous avons ouvert des portes, il faut aller jusqu’au bout. Mme Caroline Michel a publié l’ordonnance du tribunal du 9 juillet 2002 dans lequel j’apparais en tant que salarié d’Holco. Cette affaire m’a valu aussi beaucoup d’ennuis personnels. C’est une main indélicate qui s’appelle soit M. Laffosse-Marin, soit M. Petit, soit M. Just, qui m’a rajouté de façon manuscrite sur le plumitif de l’ordonnance.

Pourquoi j’étais là ? Parce que M. Corbet a vu peser sur lui de forts soupçons, alimentés par ces syndicalistes sur la transparence de sa gestion. Les affirmations de la presse l’ont beaucoup blessé et on le serait à moins quand on est un peu sensible à l’honneur. Mme Corbet m’a appelé en me disant : si tu peux te rendre au tribunal et au moins d’un regard l’assurer de ton soutien, je pense que ça lui fera du bien. Je suis resté une demi-heure, j’ai fait ce que j’avais promis de faire, je suis reparti. Je me suis retrouvé épinglé comme vous le savez. J’ai dû prendre un avocat, reprovoquer une audience et faire la démonstration après avoir contacté les organismes sociaux, les gestionnaires d’Holco, tous les gens qu’il fallait, que bien entendu, je n’étais absolument pas salarié d’Holco, et que même sur un plan purement judiciaire, je n’avais pas à figurer sur le plumitif, parce que je n’étais pas partie à l’audience. Mme Caroline Michel qui avait les deux ordonnances - la falsifiée et la rectifiée d’erreur matérielle - a publié l’ordonnance falsifiée d’erreur matérielle. Parce que sur le plan médiatique, c’est un peu plus croustillant. Et je ne suis dupe de rien, monsieur le Président. Je sens bien qu’il y a quelque manipulation sous-jacente à tout cela.

M. le Président : En tout cas pas ici !

M. Christian PARIS : Ca n’était pas mon propos, Monsieur le Président ! Sur le plan médiatique, c’est terrible de trouver son nom dans de telles conditions.

M. le Président : En ce qui nous concerne, nous voulons simplement savoir comment les choses se sont passées. Nous avons eu un entretien très détendu et très complet et je vous remercie pour la précision de vos réponses. Si cela était nécessaire, nous vous demanderions à nouveau de venir devant cette commission.


Source : Assemblée nationale (France)