Procès-verbal de la séance du 7 mai 2003

Présidence de M. Patrick Ollier, Président,
puis de M. Xavier de Roux, Vice-président

Les témoins sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête leur ont été communiquées et que les auditions se déroulent selon la règle du secret. A l’invitation du Président, les témoins prêtent serment.

M. le Président : La commission d’enquête a souhaité vous entendre car la compagnie Air Liberté a laissé une dette publique très importante dont une partie porte, à l’évidence, préjudice à Aéroports de Paris. Nous souhaiterions donc que vous indiquiez le montant de cette dette, mais surtout que vous nous rappeliez les différentes étapes qui ont conduit à cette situation de telle sorte qu’ensuite Monsieur le Rapporteur et le Président de séance puisse vous poser des questions.

M. Pierre CHASSIGNEUX : Air Lib était le second client d’ADP, très loin après Air France, mais représentait pour la dernière année d’exercice, c’est-à-dire 2002, 5,2 % des mouvements, 5,8 % des passagers transportés, 18 % du trafic d’Orly Sud.

Nous avions de bons rapports dans le passé avec cette compagnie et d’autres, hormis ces problèmes de dettes. C’était une compagnie avec laquelle nous travaillions bien. Il est dans l’habitude d’Aéroports de Paris, vis-à-vis de ses clients français, grandes compagnies françaises et plus petites - je pense notamment à Air France ou à Corsair - quand elles sont en difficulté, de les accompagner plus ou moins. Par exemple, dans les années 94-95, quand Air France était en grave difficulté, la compagnie a obtenu des facilités de paiement. Pour une entreprise, hâter ou non la mort d’un client endetté est toujours un problème, en dehors du contexte particulier français.

En préalable, je voulais dire l’importance d’Air Lib en trafic, les bons rapports que l’on avait en matière de travail entre les personnels et une certaine habitude d’être naturellement plus bienveillant avec des compagnies nationales quand elles ont des problèmes.

J’en viens maintenant à l’historique. Il faut d’abord partir du fait que, quand Air Lib démarre, AOM et Air Liberté ont déjà déposé leur bilan ; on reprend une faillite antérieure d’Air Liberté et donc une accumulation de plans, de relances, etc. L’ensemble de la dette est de 21 millions d’euros. C’est dans ce contexte qu’interviennent deux pièces figurant au dossier que l’on vous remettra, dans lesquelles le directeur général d’Aéroports de Paris, à l’époque M. Duret - c’était avant que nous arrivions, Hubert du Mesnil et moi-même puisque nous arrivons à la tête d’Aéroports de Paris en novembre 2001 - écrit au directeur général de l’aviation civile pour lui faire part de son intention d’exercer le droit de rétention des aéronefs, compte tenu de la dette qui court déjà et qui est simultanée au démarrage d’Holco, du nouvel Air Lib. C’est un courrier du 17 septembre 2001 auquel il est répondu par une lettre en date du 5 octobre 2001 signée de M. Jean-Claude Gayssot, qui était alors ministre de l’équipement et des transports, dans laquelle celui-ci : " Il n’est pas douteux que l’exercice immédiat du droit de rétention constituerait pour le repreneur Air Lib une charge d’exploitation supplémentaire et imprévue de nature à compromettre les perspectives de réalisation des objectifs du plan de redressement arrêtés par le tribunal de commerce de Créteil et par laquelle dans l’attente je vous demande de surseoir provisoirement à l’exercice de ces mesures. "

Il s’agit d’Air Lib, sans être Air Lib, puisque ce sont des dettes antérieures qu’Air Lib reprend. Ensuite, nous sommes dans un système d’impayés croissant et un peu différencié dont la somme totale est de 33 millions d’euros avec un certain échéancier.

Pour la première période - août/septembre 2001 jusqu’à fin octobre - tout est payé. Ensuite, une seconde période va d’octobre 2001 à mars 2002 durant laquelle on est payé mais hors taxe, conformément à une lettre du secrétaire d’état au budget qui donne la possibilité pour les compagnies aériennes, suivant le pourcentage de l’activité qui s’exerce à l’étranger, d’être facturées hors taxe.

M. le Rapporteur : C’est une innovation ?

M. Pierre CHASSIGNEUX : Les spécialistes vont vous répondre.

M. Attilio ZANICHELLI : C’est une règle spéciale qui permet à toute société qui fait plus de 80 % de son chiffre d’affaires à l’étranger d’être exonérée de TVA et d’être facturée hors taxe.

M. le Rapporteur : C’était leur cas ?

M. Attilio ZANICHELLI : La société nous a annoncé qu’elle faisait plus de 80 % de chiffre d’affaires à l’étranger. La lettre de Mme Florence Parly laissait supposer qu’elle entrait dans ce cadre.

M. le Rapporteur : Etes-vous sûr qu’ils faisaient 80 % de leurs vols à l’étranger ?

M. Attilio ZANICHELLI : A titre personnel, je n’en sais rien. Pour Aéroports de Paris, comme pour celui qui facture, il suffit d’avoir l’affirmation de celui qui vous donne l’information ; c’est donc Air Lib qui prenait les risques.

M. Pierre CHASSIGNEUX : Première période, on paye tout TTC ; deuxième période, on paye tout hors taxe jusqu’en mars 2002. Ensuite, troisième période, qui mène de fin mars à fin juin 2002. C’est la première période de cessation de paiement pendant laquelle on nous demande des délais de paiement pour la première échéance. Par un certain nombre d’échanges de lettres, on leur dit que l’on veut bien leur donner un délai de paiement, s’ils commencent à nous payer. Ensuite, il y a des discussions sur des délais trop longs. Cela nous amène à fin juin 2002 où intervient un moratoire du Comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI) subordonné à la reprise des paiements à compter du 1er août 2002. Ensuite, seconde période de cessation de paiement, pendant laquelle ils ne payent rien, puis dépôt de bilan.

M. Alain GOURIOU : Vous avez dit moratoire à partir du 1er août, donc à partir du 1er août Air Lib ne paye rien ?

M. Pierre CHASSIGNEUX : Pas tout à fait, il paye un mois.

M. Alain GOURIOU : A partir du mois de septembre, ils ne payent plus ?

M. Pierre CHASSIGNEUX : Oui. Ils ne respectent pas le moratoire.

M. le Président : S’agissant des " instructions " ou en tout cas des demandes faites par le Gouvernement, vous n’avez que cette lettre de M. Gayssot ou y a-t-il d’autres manifestations du Gouvernement par la suite ?

M. Pierre CHASSIGNEUX : Il y a une lettre de M. Mer.

M. le Président : Par la suite, donc, longtemps après, non pas de la période que l’on évoque, c’est-à-dire celle du début ?

M. Pierre CHASSIGNEUX : Au tout début, c’est la seule correspondance.

M. le Président : Jusqu’à la lettre de M. Mer, il n’y a aucune autre initiative de la part du Gouvernement ?

M. Pierre CHASSIGNEUX : Ecrite, non.

M. le Président : Pourquoi, y a-t-il eu des initiatives verbales ?

M. Hubert du MESNIL : On peut rappeler que lorsque le nouveau Gouvernement s’est installé, nous l’avons, bien entendu, informé de la situation dans laquelle nous nous trouvions vis-à-vis d’Air Lib. Il y a eu des contacts oraux et les membres des cabinets, notamment, nous ont indiqué qu’ils avaient besoin de prendre le temps de découvrir le sujet. Nous sommes alors en mai-juin. Pendant cette période, nous sommes en discussion avec Air Lib.

M. le Président : Mai-juin 2002 ? Mais je parlais de la période du début. La lettre de M. Gayssot date du mois d’octobre 2001. Donc, d’octobre 2001 jusqu’à juin 2002, vous n’avez eu aucun autre contact de la part du Gouvernement sur ce que l’on peut appeler un moratoire ?

M. Pierre CHASSIGNEUX : Ils nous payaient et la seule lettre est celle de Mme Parly sur les possibilités de paiement hors taxe. On a été payé jusqu’à fin mars 2002.

Une fois la liquidation judiciaire proclamée, nous avons exercé notre droit de rétention sur la flotte d’Air Lib qui porte sur 58 appareils, mais dont en fait seulement une douzaine sont réellement retenus sur nos plates-formes.

M. le Rapporteur : Nous voudrions vous poser quelques questions un petit peu plus précises. Vous nous avez dit qu’au démarrage, c’est-à-dire de fin juillet 2001 jusqu’aux événements du 11 septembre, ils ont payé normalement. Simplement, vous avez antérieurement évoqué la dette des anciennes compagnies AOM et Air Liberté. Comment cela a-t-il été réglé par le tribunal de commerce ? Y a-t-il eu des négociations ? Avez-vous annulé les 21 millions d’euros de dettes des anciennes compagnies ?

M. Attilio ZANICHELLI : Nous avons produit nos créances au redressement judiciaire et à la liquidation à hauteur des factures émises à l’encontre des anciennes sociétés AOM et Air Liberté.

M. le Rapporteur : Pour ce qui est cette dette passée, Aéroports de Paris a-t’il réussi à recouvrer les fonds ?

M. Attilio ZANICHELLI : Malheureusement non. La seule chose que nous avons faite, c’est d’exercer des droits de rétention sur des avions qui n’étaient pas exploités par la nouvelle société et nous avons 1,7 million d’euros consignés.

M. le Rapporteur : La lettre du 5 octobre 2001 de M. Gayssot qui vous demande de surseoir à la rétention, l’avez-vous appliquée pour l’essentiel, sauf sur quelques avions qui n’étaient pas repris ?

M. Attilio ZANICHELLI : Historiquement, la rétention a été prise sur l’ensemble des avions et ensuite il y a eu une main levée pour les avions qui étaient inclus dans le périmètre de la reprise, puisque la décision du tribunal de commerce prévoyait de céder à la nouvelle société un certain nombre d’avions en exploitation avec continuation des contrats pour ces avions. D’autres avions des anciennes sociétés étaient laissés de côté. Le directeur général d’Aéroports de Paris de l’époque a fait un droit de rétention sur l’ensemble des avions d’AOM et d’Air Liberté pour essayer de récupérer nos créances. La lettre de M. Gayssot précise que, pour faciliter la reprise d’AOM, Air Liberté par Air Lib, il était indispensable de laisser ces avions en exploitation. Donc, le directeur général a fait une main levée pour les avions qui étaient exploités par Air Lib et nous avons maintenu nos droits de rétention pour les avions qui n’étaient plus exploités par Air Lib.

M. le Rapporteur : Si vous aviez maintenu le droit de rétention sur l’ensemble des avions, auriez-vous récupéré plus que le 1,2 million d’euros que vous avez récupéré ?

M. Attilio ZANICHELLI : C’est difficile à dire car l’application de l’article R 244 donne la possibilité quand on applique un droit de rétention à celui qui veut récupérer l’avion de consigner les sommes, mais n’emporte pas récupération par Aéroports de Paris desdites sommes. L’article R 244 permet à quiconque qui veut récupérer un avion frappé de droit de rétention de consigner les sommes auprès de la caisse des dépôts et des consignations. Ensuite, il y a traitement devant les tribunaux. Actuellement, nous n’avons qu’un seul arrêt qui permet à l’exploitant d’aéroport de récupérer les fonds, mais cet arrêt de la Cour de Bergerac de 1987, je crois, peut éventuellement être remis en cause demain.

M. le Rapporteur : Pouvez-vous me donner une évaluation du coût pour Aéroports de Paris du fait que vous ayez appliqué la lettre de M. Gayssot disant : " Faites une main levée ", puisque vous aviez déjà utilisé le droit de rétention ?

M. Attilio ZANICHELLI : Je ne peux pas dire que cela a coûté. Si les droits de rétention avaient été maintenus, il est possible qu’à l’époque - encore que c’était au mois de septembre-octobre et il y avait une crise de l’aérien - que certains propriétaires aient eu besoin des dix avions bloqués et consigné les sommes. Ce n’est pas un rapport direct pour Aéroports de Paris.

M. le Rapporteur : Il y a eu une perte, mais elle est très difficilement évaluable ?

M. Attilio ZANICHELLI : Ce n’est pas une perte.

M. le Rapporteur : Une non-rentrée ?

M. Attilio ZANICHELLI : Non, car la consignation se fait normalement à la caisse des dépôts et consignations.

M. le Rapporteur : D’accord, mais elle permet in fine d’avoir un espoir de recouvrer au moins une partie des dettes. Pouvez-vous faire une évaluation ou bien est-ce impossible ? Le fait que vous ayez renoncé à une partie de vos droits pour le passé sur AOM-Air Liberté, pour essayer de favoriser la reprise de ce qui est devenu Air Lib a-t-il eu un coût évaluable ?

M. Hubert du MESNIL : On peut simplement dire que cela nous a privés de la possibilité d’entreprendre des démarches pour récupérer les montants correspondants. Pourrait-on dire, dans le contexte de l’époque, quelles auraient été nos chances de récupérer tout ou partie de ces sommes ? C’est un exercice impossible, notamment parce que l’exercice de ce droit de rétention dépendait d’une sorte de rapport de force entre le propriétaire de l’avion et nous-mêmes et que ce rapport de force dépendait lui-même du contexte commercial de l’époque. Si le propriétaire de l’avion est dans une période où il a des marchés à traiter ou du transport à faire, il est prêt à payer vite pour obtenir son avion et retrouver la liberté de l’utiliser. Si, en revanche, on est dans une période de marasme, ce qui est le cas actuellement, où il y a trop d’avions sur le marché, le propriétaire laisse son avion sur l’aéroport et il n’y a plus de possibilité de récupérer les fonds.

L’exercice de ce droit de rétention est quelque chose de très particulier car la conséquence financière de l’exercice de ce droit dépend d’un contexte économique général.

M. Jean-Pierre GORGES : Sur ce point, je voulais vous demander une précision de nature juridique. La déclaration de cessation des paiements suspend l’exécution de tous les actes de poursuite. A côté de cela, vous avez le droit de rétention. Comment ces deux dispositions cohabitent-elles quand il y a une déclaration de cessation des paiements ? La déclaration de cessation des paiements vous permet-elle de conserver le droit de rétention si vous l’avez exercé avant ? Dans le cas contraire, pouvez-vous toujours l’exercer bien qu’il y ait déclaration de cessation des paiements ? Puisque le droit de rétention ne vous permet que de déboucher sur une vente avec consignation, la déclaration de cessation des paiements a-t-elle un effet sur la consignation ? Et celle-ci n’a-t-elle pour effet de tout reverser dans la masse des créances ?

M. Attilio ZANICHELLI : L’exercice de droit de rétention est un pouvoir de police administrative, mais cela n’a jamais été tranché par les tribunaux. Nous pouvons obtenir la consignation pour libérer l’avion. Ensuite, les fonds sont normalement attribués avec signature éventuelle d’un protocole à Aéroports de Paris en dehors des procédures judiciaires de redressement ou de liquidation.

M. Xavier de ROUX : Y a-t-il un texte particulier ?

M. Attilio ZANICHELLI : Il n’y a que l’article R 244 qui est de nature réglementaire.

M. le Rapporteur : Maintenant, plaçons-nous à la période de la liquidation d’Air Lib. Quel est le montant des créances au moment de la liquidation ?

M. Pierre CHASSIGNEUX : Ce sont les 33 639 773 euros c’est-à-dire la totalité des créances d’Air Lib.

M. le Rapporteur : Pas les 21 millions d’euros qui ne concernent pas Air Lib. Donc, un peu plus de 33 millions d’euros. Cela recouvre-t-il tout, y compris les taxes d’aéroport ou uniquement la partie qui revient dans les caisses d’Aéroports de Paris ?

M. Pierre CHASSIGNEUX : Tout, y compris les taxes d’aéroport.

M. le Rapporteur : Qu’avez-vous fait de ces créances ?

M. Attilio ZANICHELLI : D’une part, puisque la société est actuellement en liquidation, nous avons produit ces 33 millions d’euros au représentant des créanciers, d’autre part, dès la suspension de la licence d’Air Lib, le directeur général d’Aéroports de Paris a pu exercer un droit de rétention sur la totalité de la flotte, c’est-à-dire sur 58 avions. Nous en avons appréhendé 14 qui sont sur nos plates-formes. On vous donnera un tableau avec la liste des avions. Nous avons essayé d’obtenir des propriétaires la consignation, et éventuellement ultérieurement, l’attribution de ces sommes.

M. le Rapporteur : Avez-vous déjà obtenu des consignations de quelques propriétaires ?

M. Attilio ZANICHELLI : Non, mais comme vous le disait le directeur général, actuellement, il y a une telle surcapacité qu’il n’y a pas de véritable besoin d’avions. Quelques propriétaires maintenant se manifestent pour récupérer les avions, proposent des consignations.

M. le Rapporteur : A la suite du 11 septembre, Air Lib, en fin du mois de septembre, ne paye plus. C’est ce que vous nous avez dit tout à l’heure.

M. Pierre CHASSIGNEUX : Non, ils payent.

M. le Rapporteur : J’ai compris que, pendant la première période août-septembre, ils payent, mais à partir d’octobre jusqu’en mars.

M. Hubert du MESNIL : C’est 2002.

M. le Rapporteur : Je suis toujours en 2001. Vous avez dit qu’en août-septembre, la compagnie démarre.

M. Pierre CHASSIGNEUX : Ils nous payent TTC jusqu’à fin octobre 2001 et, ensuite, hors taxe jusqu’à fin mars 2002.

M. le Rapporteur : Ils paient sans délai, normalement ?

M. Attilio ZANICHELLI : Il y a peut-être eu quelques jours de retard.

M. le Rapporteur : Mais ce n’est pas trois mois plus tard ?

M. Attilio ZANICHELLI : Pas du tout.

M. Xavier de ROUX : Ils vous payent hors taxe car ils ont eu un accord avec le ministère des finances ? Ils reçoivent une aide du ministère des finances au niveau de la TVA ?

M. Attilio ZANICHELLI : C’est cela.

M. le Rapporteur : Théoriquement non, c’est la règle des 80/20, c’est-à-dire si l’on fait plus de 80 % à l’international. Les DOM TOM sont-ils assimilés à de l’international dans la règle fiscale ?

Le problème est de savoir si c’est une mesure d’application de la loi, c’est-à-dire une mesure générale et non une mesure spécifique. On posera la question à la DGAC (Direction générale de l’aviation civile). Je suppose que le ministère des finances demande à la DGAC de vérifier s’ils sont en dessus ou en dessus de 80 %. Connaissez-vous la pratique ?

M. Attilio ZANICHELLI : Je crois que c’est un régime déclaratif.

M. Pierre CHASSIGNEUX : Souhaitez-vous que je vous lise la lettre de Mme Parly ?

" Monsieur,

Vous avez appelé mon attention sur le régime applicable en matière de taxe sur la valeur ajoutée aux livraisons de biens ou de prestations de services portant sur des aéronefs.

Vous avez en effet souhaité obtenir la confirmation que la règle des 80 % permettant de bénéficier des exonérations prévues par l’article 262-II- 4°, 5°, 6° et 7° du code général des impôts peut être considérée comme respectée par la société d’exploitation AOM et Air Liberté (Air Lib) sur le fondement d’un calcul utilisant le nombre de kilomètres parcourus pondérés par le nombre de passagers transportés en lieu et place du seul critère tenant au nombre de kilomètres parcourus par les avions exploités par cette compagnie.

Je vous confirme qu’il apparaît possible de considérer que la règle des 80 % exposée à l’article 262-II-4° du code général des impôts est effectivement satisfaite par la compagnie Air Lib à compter de la date de sa constitution (1er août 2001). Par suite, cette société pourra acquérir en exonération de TVA tout bien et toute prestation de service portant sur des aéronefs. Les différentes sociétés du groupe Air Lib pourront également bénéficier d’exonération prévue par l’article 262-II- 4°, 5°, 6° et 7° du code général des impôts dans les mêmes conditions. "

M. le Rapporteur : On est à la troisième période, comme vous l’avez appelée, c’est-à-dire fin mars-fin juin 2002 ; ils payent avec difficulté et vous donnez des délais de paiement, suite au moratoire.

M. Hubert du MESNIL : Nous sommes au printemps 2002. C’est là que pour nous commencent les vraies difficultés. Elles se manifestent de la manière suivante. Nous rencontrons les dirigeants d’Air Lib qui nous demandent des reports de paiement. Ils nous confirment cette demande par lettre et, au même moment, ils arrêtent de nous payer. On est en avril 2002.

Nous leur répondons que nous sommes disposés à examiner leur demande de report de paiement, mais que nous ne le ferons que lorsqu’ils auront repris les paiements. Autrement dit, nous refusons d’entrer dans la discussion sur le report, dès lors qu’ils ont décidé de manière unilatérale de suspendre leurs paiements.

Dans les deux mois suivants avril-mai jusqu’à mi-juin, nous avons eu des échanges de lettres sur ce point. Nous leur demandons de nouvelles propositions de reports de paiement, moins importants, que nous sommes prêts à examiner à condition qu’ils reprennent les paiements. A l’occasion de cet échange de lettres, ils nous informent qu’ils sont en train de discuter avec le CIRI de leur situation.

Dès lors que nos échanges n’ont pas abouti à un accord sur les conditions de paiement et que nous constatons qu’ils n’ont pas repris du tout leurs paiements, nous leur adressons une mise en demeure à la fin du mois de juin.

M. Xavier de ROUX : Lorsqu’une compagnie, quelle qu’elle soit, cesse ses paiements, quelle est la réaction de votre entreprise ?

M. Hubert du MESNIL : Le terme de cessation de paiement a une signification particulière. Nous parlons ici de difficultés de paiement, c’est-à-dire que nous constatons qu’il y a des retards par rapport aux échéances prévues dans nos relations commerciales. Dans ce cas, des contacts s’établissent entre ces clients et l’agent comptable d’ADP. De manière assez régulière, ces contacts donnent lieu à des accords qui, très généralement, débouchent à un report d’un mois. Après, le moment difficile est passé et la vie reprend ses droits.

La pratique courante et commerciale de l’entreprise, qui est placée sous la responsabilité de l’agent comptable, est qu’en cas de difficultés et dès lors que la société fait part de ses difficultés, un accord est trouvé pour obtenir un report.

La spécificité, dans cette affaire, c’est qu’en même temps qu’il y a demande d’échelonnement dans le temps, il y a décision unilatérale de l’entreprise de cesser complètement tout paiement.

M. Xavier de ROUX : C’est pour cette raison que je parlais bien de cessation de paiement.

M. Hubert du MESNIL : C’est pour cette raison que nous avons terminé par une mise en demeure, c’est-à-dire que nous cessons toute discussion sur le report, nous les mettons en demeure de payer, faute de quoi l’agent comptable déclare qu’il exercera les droits d’Aéroports de Paris vis-à-vis de ce client et l’exercice de ces droits est la rétention. Donc, nous avons à nouveau enclenché le processus de droit de rétention à la fin du mois de juin lorsque nous avons constaté qu’au bout de deux mois de discussion avec l’entreprise, il n’y avait pas de possibilité d’accord avec elle.

M. le Rapporteur : Vous avez un comptable public Aéroports de Paris. Les comptes du comptable public sont jugés par la Cour des Comptes, donc, les diligences sont de sa responsabilité. D’après ce que vous savez, qu’a fait l’agent comptable ? A-t-il fait ses diligences ? Je vous pose cette question pour notre information, c’est la Cour des Comptes qui en jugera.

M. Hubert du MESNIL : L’agent comptable m’a alerté de la situation dans laquelle il se trouvait vis-à-vis d’Air Lib sur ces questions de paiement. C’est à la suite des interventions de l’agent comptable que j’ai adressé des lettres.

M. le Rapporteur : Vous avez donc signé la mise en demeure qu’il vous avait adressée ?

M. Hubert du MESNIL : J’ai signé la lettre de mise en demeure sur proposition de l’agent comptable. Toutes les interventions que nous avons faites vis-à-vis d’Air Lib résultent de sollicitations de l’agent comptable qui me tenait régulièrement informé de ses difficultés et des échanges qu’il avait lui-même. Toutes les correspondances que nous avons avec Air Lib montrent bien qu’il y avait de nombreux contacts avec l’agent comptable et que c’est sur la proposition de l’agent comptable que j’ai signé plusieurs lettres à Air Lib jusqu’à la mise en demeure.

M. le Rapporteur : Par rapport aux pratiques habituelles d’Aéroports de Paris à l’égard des mauvais payeurs, y a-t-il eu un traitement normal, ni plus, ni moins, par rapport aux autres compagnies qui ont des difficultés ; vous avez parlé tout à l’heure de Corsair en introduction ou d’autres ? Avez-vous appliqué normalement avec l’agent comptable les diligences normales ?

M. Hubert du MESNIL : Je donne ma réponse personnelle, M. Atillio Zanichelli donnera la sienne au nom de l’agent comptable.

Pendant cette période de deux mois, nous avons eu un comportement normal vis-à-vis d’Air Lib. Je ne dis pas qu’Air Lib a eu un comportement normal. En tout cas, les interpellations régulières que nous avons faites se terminant par la mise en demeure sont une gestion normale. Aurait-on pu ou aurait-on dû aller plus vite ? Je signale que dans le même temps, Air Lib nous signalait qu’il était en discussion avec le CIRI.

Nous savions, par expérience, que l’exercice du droit de rétention est un instrument fort et que quelques mois auparavant, cela avait donné lieu à un rejet par le ministre, tout simplement car cela a pour effet d’arrêter les avions d’Air Lib. Nous avons fait les interventions que nous devions jusqu’à la mise en demeure comprise. On a enclenché le processus de droit de rétention. Il me semble que pendant cette période nous avons eu, vis-à-vis de cette société, un comportement normal. Simplement, il ne fallait pas que cela dure beaucoup plus. C’est une question de durée.

M. le Rapporteur : Le moratoire sur les créances dues par Air Lib à ADP a été accordé le 22 août 2002 par le ministre de l’économie et des finances. Il prévoyait comme condition résolutoire la reprise des paiements par Air Lib de ses échéances courantes à compter du 1er août. Comment cette condition a-t-elle été respectée par Air Lib puisque l’on est fin juin, vous mettez en demeure, vous savez qu’il y a des négociations au CIRI qui débouchent par cette décision du 22 août ?

J’ai cru comprendre, mais je ne suis pas sûr d’avoir bien compris, qu’il n’y a pas eu de respect de cette clause. Est-ce exact ou est-ce plus subtil que cela ?

M. Hubert du MESNIL : Le CIRI s’est réuni à la fin du mois de juillet. La décision nous a été notifiée par une lettre du ministre du 21 août, mais nous avions connaissance de la décision du CIRI dès fin juillet. Air Lib devait reprendre ses paiements immédiatement, c’est-à-dire à compter du 1er août. Nous avons constaté que ce moratoire a été correctement respecté pendant à peu près un mois, c’est-à-dire qu’après le moratoire, nous avons dès les premiers jours d’août notifié à Air Lib que, selon les termes de ce moratoire dont nous avions connaissance, il devait immédiatement reprendre ses paiements courants, donc, nous lui avons envoyé la première facture, c’est-à-dire celle du début du mois d’août puisque, pour le reste, c’était couvert par le moratoire. Nous avons constaté un comportement normal d’Air Lib, conforme à la décision du moratoire pendant environ un mois. C’est à partir du mois de septembre que nous avons constaté que, à nouveau, Air Lib, suspendait ses paiements et ne respectait plus le moratoire.

M. le Rapporteur : C’est-à-dire qu’à compter du 1er septembre 2002, ils ne paient plus du tout ?

M. Hubert du MESNIL : Exactement, nous nous retrouvons dans la même situation qu’avant le moratoire.

M. le Rapporteur : Ils ne paient ni le moratoire, ni les nouvelles créances ?

M. Hubert du MESNIL : Le moratoire, c’était normal. En revanche, ils ne paient plus les factures courantes des semaines qui passent.

M. le Rapporteur : Que faites-vous au mois de septembre ?

M. Hubert du MESNIL : Nous commençons par constater. Comme toujours, on peut se dire qu’il peut y avoir une ou deux semaines de retard, donc, un certain temps est neutralisé. Nous nous retrouvons finalement à la fin du mois de septembre dans le constat que le moratoire n’est plus respecté. C’est à ce moment-là que le Gouvernement demande à Air Lib un plan de restructuration et que des discussions sont engagées avec les pouvoirs publics ; puis, le conseil supérieur de l’aviation marchande se prononce sur la licence. Nous arrivons à la fin octobre, début novembre, la réunion du conseil supérieur a lieu de mémoire le 8 ou le 9 novembre, un deuxième moratoire est décidé. Il nous est demandé de suspendre le recouvrement des créances pour la période du 1er août à début novembre.

M. Xavier de ROUX : Quand vous dites " il nous est demandé ", de qui s’agit-il ? Avec qui discutez-vous à ce moment-là ? Vous avez une entreprise qui est en très grande difficulté, qui vous doit de l’argent, une partie moratoriée, la deuxième partie qui n’est pas payée. On part vers un nouveau moratoire. Qui vous dit de continuer à assurer les services pour elle, malgré ces défauts de paiement ?

M. Hubert du MESNIL : Nous sommes informés d’une décision gouvernementale d’un prolongement du premier moratoire et d’un deuxième moratoire sur la période août, septembre, octobre.

M. le Rapporteur : De qui recevez-vous une lettre ? Du CIRI, du ministre des finances, du ministre des transports ?

M. Hubert du MESNIL : Nous avons une lettre du mois de novembre du secrétariat du CIRI et de la comptabilité publique. L’agent comptable reçoit, sous forme d’instruction, une lettre de la direction générale de la comptabilité publique, plus un message du secrétariat du CIRI, en novembre, qui nous indique de la décision prise à la demande du cabinet du Premier ministre.

M. le Rapporteur : Vous avez mis toutes ces pièces dans le dossier que vous nous remettrez ?

M. Hubert du MESNIL : Oui, c’est dans le dossier.

M. le Rapporteur : C’est moins vous qui êtes en cause que l’agent comptable. Donc, l’agent comptable exécute les instructions qu’il a reçues de sa hiérarchie.

M. Hubert du MESNIL : Moi-même, je n’en ai reçu aucune.

M. le Rapporteur : C’est normal puisque juridiquement, vous n’êtes pas compétent pour accorder des échéanciers. Vous êtes dans un système de comptabilité publique et seul, l’agent comptable peut engager sa responsabilité.

M. Hubert du MESNIL : Je n’aurais pas trouvé anormal, en tant que directeur général, de recevoir quelques orientations ou consignes sur la manière de traiter le dossier. On n’est pas simplement sur un problème de trésorerie et de comptabilité courante, on est sur une décision de deuxième moratoire. Ma responsabilité n’est pas complètement nulle dans cette affaire.

M. le Rapporteur : Vous avez un comptable public.

M. Hubert du MESNIL : Je constate simplement que l’agent comptable a reçu toute instruction pour traiter la question.

M. le Rapporteur : Vous êtes comme le maire d’une commune, Monsieur le Directeur, vous ne pouvez pas décider d’accorder à vos contribuables un échéancier. C’est l’agent comptable qui l’accorde.

M. Attilio ZANICHELLI : Effectivement, c’est l’agent comptable. Il est quand même de tradition constante chez les comptables publics de ne pas accorder de délai qui mettrait en cause la trésorerie d’une entreprise ou les bonnes relations entre l’entreprise et ses clients. En général, quand il s’agit de dossiers de ce type, l’agent comptable prend toujours l’attache du directeur général ou de l’ordonnateur d’une manière générale pour savoir si les mesures qu’il entend prendre ne mettraient pas en péril le devenir de l’entreprise publique elle-même. Là, en l’occurrence, Air Lib était le deuxième client d’Aéroports de Paris.

M. le Rapporteur : Donc, vous avez eu copie des lettres d’instruction données au comptable. D’après ces lettres, c’est le directeur de la comptabilité publique qui a donné instruction à l’agent comptable d’Aéroports de Paris et lui-même était couvert par une instruction reçue de son ministre. Vous n’avez pas cette pièce puisque vous avez dit que c’était suite à une décision du Premier ministre.

M. Hubert du MESNIL : Je crois que la lettre du directeur général de la comptabilité publique fait état, de mémoire, d’une nouvelle décision prise au niveau du cabinet du Premier ministre.

M. le Rapporteur : C’est rétroactif à compter du 1er août 2002 ?

M. Hubert du MESNIL : Exactement. Cela crée un deuxième moratoire à partir du 1er août 2002.

M. le Rapporteur : Jusqu’à quand ?

M. Hubert du Mesnil : Jusqu’au mois de novembre compris.

M. le Rapporteur : Après, le paiement devait reprendre normalement ?

M. Hubert du MESNIL : Après, des instructions complémentaires devaient nous être données car cet effacement, sous la forme d’un deuxième moratoire, ne préjuge pas de ce qui se devait se passer après avec les paiements courants. Cela concernait le report du prêt accordé à l’entreprise, mais ne disait pas ce que nous devions faire pour les paiements courants du mois de décembre. C’est la raison pour laquelle, en décembre, n’ayant pas obtenu d’instruction nouvelle sur le traitement des paiements courants, nous étions dans l’attente de savoir ce qu’il fallait faire. Constatant simplement qu’Air Lib ne payait toujours pas, nous commencions à nous inquiéter.

M. le Rapporteur : Vous n’avez pas eu l’idée avec l’agent comptable, puisque vous saviez qu’un prêt du Fonds de développement des entreprises (FDES) allait être versé, de demander le versement direct de la partie correspondant à vos créances ?

M. Hubert du MESNIL : J’ai demandé aux administrations de tutelle de bien vouloir examiner avec nous les conditions dans lesquelles on pouvait faire valoir nos droits. L’affaire s’est terminée un mois et demi après par la décision que vous savez. Aucune mesure n’a été prise en décembre et en janvier jusqu’à la décision de liquidation.

M. le Rapporteur : On est hors deuxième moratoire à compter du 1er décembre, si j’ai bien compris votre exposé.

M. Hubert du MESNIL : On regardera sur la lettre du directeur de la comptabilité publique, mais le deuxième moratoire ne fixait pas, à ma connaissance, de terme, sauf le terme du 9 janvier qui était le terme du prêt accordé par le FDES à l’entreprise. Ce délai était bien fixé. C’est le 9 novembre que le couperet est tombé. Sur le traitement de nos affaires, il n’y avait pas d’instruction ni de délai mettant un terme au deuxième moratoire. Donc, nous sommes en décembre et jusqu’au 9 janvier dans une période où nous vivions d’incertitude.

M. le Rapporteur : Mais ils ne payent toujours rien. Peut-on dire qu’à partir du 1er septembre 2002 vous ne touchez plus rien ?

M. Hubert du MESNIL : Tout à fait.

M. le Rapporteur : Si l’on reprend la période du 1er août 2001 à la cessation d’activité en mars 2003, combien auraient-ils dû payer et combien ont-ils payé ? Vous nous avez dit que le différentiel était de 33,6 millions d’euros. Combien vous ont-ils payé sur cette période ?

M. Attilio ZANICHELLI : Le tableau que l’on va vous fournir vous donne la répartition mois par mois. Globalement, depuis la reprise par Air Lib, le chiffre d’affaires facturé à Air Lib a été de 56 409 757 euros et les recouvrements de 22 769 984 euros.

M. le Rapporteur : Donc, on est à 40/60 et le différentiel correspond aux 33,7 millions d’euros représentant votre créance en mars 2003. Ils ont payé 40 % en début de période, pour l’essentiel.

M. Hubert du MESNIL : Et après plus rien, sauf le fameux mois d’août où ils ont payé un mois.

M. le Rapporteur : Vous avez évoqué un certain nombre de courriers donnant des instructions à l’agent comptable. Pourriez-vous nous dire quelles ont été les relations entre vous-même, Monsieur le Président, vous-même, Monsieur le Directeur ou vos prédécesseurs et les responsables du dossier au niveau de l’Etat, DGAC, cabinet du ministère des transports, cabinet du ministère des finances, etc. Y a-t-il eu beaucoup de contacts ?

M. Hubert du MESNIL : Il faut distinguer deux périodes. Nous sommes arrivés avec le président début novembre 2001. La lettre de M. Gayssot venait d’arriver, nous en avons pris connaissance. Nous avons compris que l’affaire du droit de rétention était suspendue. Nous avons constaté, en même temps, que la nouvelle société fonctionnait sur le plan opérationnel et nous versait les paiements courants. On peut dire qu’à la fin de l’ancien Gouvernement, nous n’avons pas eu l’occasion de prendre d’initiative particulière, ni d’avoir des échanges précis puisqu’il y avait une décision du ministre nous disant " pas de droit de rétention pour la période passée " et il y avait une situation courante normale. Donc, on peut dire que l’on a vécu jusqu’au printemps 2002 - hormis la question de la TVA, mais qui a été traitée de manière purement technique et qui n’a pas nécessité de contact à notre niveau - dans une situation relativement stable.

Ensuite, changement de gouvernement. Comme il se doit, nous alertons les nouveaux responsables, au niveau notamment des deux cabinets du ministre de l’économie et du ministre des transports, en leur disant qu’il y a urgence à traiter du dossier Air Liberté et nous leur signalons que, d’ores et déjà, nous rentrons dans une nouvelle période de difficulté puisqu’il semble que la société a du mal à nous payer. A cette époque, au printemps 2002, le nouveau Gouvernement et les nouvelles équipes s’installent et déclarent, publiquement d’ailleurs, demander le temps de découvrir le dossier pour prendre position. Une décision est prise même de faire faire un audit sur la situation de l’entreprise.

Ensuite, nous passons à l’acte de mise en demeure, fin juin. J’informe la DGAC que je dois prendre l’initiative de passer à la mise en demeure, puisque les discussions sur les reports de paiement n’ont pas abouti. J’informe la DGAC de cette décision de mise en demeure sans commentaire, l’administration faisant savoir, à ce moment-là, qu’elle a engagé des discussions au niveau du CIRI pour traiter le dossier d’Air Lib, la décision politique étant prise à ce moment-là de prendre un peu plus de temps pour tenter une récupération ou une restructuration, un redressement d’Air Lib. Nous avons perçu cela, au mois de juillet, comme la décision politique de prendre davantage de temps pour donner une chance, d’où le moratoire.

Ensuite, l’été passe. On met en œuvre le moratoire sans problème particulier. Nous retombons à nouveau à l’automne où nous reprenons des contacts avec les différentes administrations lorsque nous constatons que le moratoire n’est plus respecté. A ce moment-là, nous avons un certain nombre d’échanges téléphoniques ou oraux avec, d’une part, la DGAC et, d’autre part, le ministère des finances jusqu’à ce qu’en décembre j’écrive, d’une manière plus officielle, aux administrations de tutelle pour leur dire qu’il nous paraissait utile de voir avec elles comment nous pouvions à nouveau faire valoir nos droits, puisque nous constations qu’au-delà du deuxième moratoire, il n’y avait toujours pas de paiement.

M. le Rapporteur : Dans vos comptes 2002, avez-vous passé une provision et, si oui, à hauteur de combien, ce devait être une trentaine de millions à l’époque ?

M. Pierre CHASSIGNEUX : On a tout provisionné.

M. le Rapporteur : Quels sont vos résultats en termes financiers ?

M. Pierre CHASSIGNEUX : 11 millions d’euros à périmètre constant.

M. le Rapporteur : Vous avez gagné 11 millions d’euros après une provision de 30 millions d’euros à peu près ?

M. Pierre CHASSIGNEUX : Tout à fait.

Vous nous avez demandé si nous avions reçu des instructions écrites en matière de moratoire. On a retrouvé les documents qui sont dans le dossier que l’on vous remettra. Il y a tout d’abord un fax du CIRI en date du 12 novembre.

" Comme vous le savez, le secrétaire général du CIRI coordonne la mise en œuvre du moratoire décidé en juillet dernier au profit de la société Air Lib. Ce moratoire porte sur les dates échues au 31 juillet 2002. Il a été accordé, sous réserve que la société reprenne ses paiements courants à compter du 2 août 2002. Cette dernière condition n’est pas remplie, à ce jour, par Air Lib.

Je vous informe qu’il a été décidé de ne pas mettre en recouvrement jusqu’au 15 novembre les sommes dues par Air Lib, tant au titre du moratoire accordé à la société qu’au titre des échéances courantes intervenues depuis le 2 août dernier ".

Nous sommes le 12 novembre et il y a une lettre du 27 novembre 2002 du directeur général de la comptabilité publique à l’agent comptable.

" Situation de la société Air Lib.

En application des décisions arrêtées par le Premier ministre à la suite de la réunion interministérielle du 13 novembre dont vous trouverez le compte rendu en annexe, je vous confirme que le ministre de l’économie et des finances et de l’industrie a décidé :

1 - de proroger de deux mois supplémentaires, jusqu’au 9 janvier 2003, par un avenant à la convention de prêt le concours de 30,5 millions d’euros du FDES mis en place le 9 janvier 2002 en faveur de la société d’exploitation AOM Air Liberté et d’en informer la commission européenne.

2 - de prolonger, également jusqu’au 9 janvier 2003, le moratoire couvrant les charges sociales et fiscales et autres créances publiques échues au 31 juillet 2002 et placer sous moratoire les charges sociales et fiscales et autres créances publiques courantes du 1er août 2002 au 9 janvier 2003. "

M. le Rapporteur : Monsieur le Président, la somme de 33,7 millions d’euros qui vous est due, comprenait-elle également la somme de ce qui était due à l’Etat ?

M. Pierre CHASSIGNEUX : C’est uniquement le report.

M. le Rapporteur : Savez-vous combien représentent les taxes qui remontent sur le budget de l’Etat ?

M. Attilio ZANICHELLI : Les seules taxes que nous recouvrions, c’est la taxe aéroport que l’on recouvre directement.

M. Alain GOURIOU : Vous nous avez parlé des créances par conséquent Air Lib pour Aéroports de Paris. Avez-vous aussi connaissance des créances que pourraient avoir d’autres prestataires présents sur la plate-forme des Aéroports de Paris et qui assurent un certain nombre de fournitures à Air Lib ? Je pense en particulier à ce qui est la restauration, les différents services qui ne sont pas forcément inclus dans ADP ?

M. Hubert du MESNIL : Nous ne connaissons bien que ce qu’Air Lib nous doit, mais nous savons qu’Air Lib avait d’autres prestataires de service sur la plate-forme. Nous n’avons pas entendu dire qu’Air Lib avait pratiqué le même comportement avec les autres prestataires. Je ne dis pas qu’il n’y a pas eu de difficulté. Nous n’avons pas eu connaissance de blocage complet des paiements à d’autres prestataires qu’à nous-mêmes. Autrement dit, il nous semble que ce traitement était réservé au secteur public.

M. le Rapporteur : Peut-on dire qu’au fond ils payaient tous leurs créanciers privés car s’ils ne les payaient pas le lendemain ils n’étaient plus livrés ? C’est ce qui nous a été indiqué par exemple pour le kérosène, mais ce doit être, je suppose, vrai également pour les livraisons des plateaux-repas. Donc, Air Lib continue à fonctionner et il n’y a que vous et l’Etat qui ne font pas payer les taxes qui alimentent le BANA et les redevances et taxes qui alimentent Aéroports de Paris. C’est bien cela ?

M. Hubert de MESNIL : Oui, tout à fait.

M. Alain GOURIOU : J’ai connaissance que, sur d’autres aéroports, des prestataires de services n’ont pas été payés, mais cela ne nous concerne pas directement. Donc, selon vous, ils payaient leurs fournisseurs carburants, services, restauration ...

M. Hubert du MESNIL : Nous n’avons pas eu connaissance de situation de blocage, sauf un cas que l’on peut donner de façon anecdotique. Quand il y a eu le fameux week-end de neige du 4 et 5 janvier, nous sommes intervenus pour la raison suivante : la société Air Lib demandait à un prestataire de services d’intervenir pour son compte pour enlever la neige et traiter les avions en question et la société a dit " oui " à condition que ce soit payé d’avance. Air Lib n’ayant pas la possibilité de payer d’avance nous a demandé de le dépanner car ses avions étaient cloués au sol, aucun prestataire n’ayant accepté d’intervenir pour lui tant qu’il n’était pas payé.

M. le Rapporteur : Qu’avez-vous fait ?

M. Hubert du MESNIL : Nous avons dépanné Air Lib.

M. le Rapporteur : C’est-à-dire que vous avez payé ?

M. Hubert du MESNIL : Nous n’avons pas été payés, mais nous avons dépanné Air Lib pensant qu’il était de notre devoir, dans cette situation de crise, d’oublier pendant quelques heures nos relations commerciales et de montrer notre sens du service public.

M. le Rapporteur : Vous avez payé une société privée qui est venue déneiger ?

M. Hubert du MESNIL : Nous l’avons fait nous-mêmes.

M. le Rapporteur : Et avez-vous facturé ?

M. Hubert du MESNIL : Je ne peux pas vous dire, je ne sais pas. C’est quelque chose de très ponctuel. C’était passer un coup de brosse, si je puis dire, sur des avions bloqués, sauf que le blocage avait des conséquences sur l’aéroport. Cela traduit bien la tension et la méfiance entre la société et ses prestataires.

M. Pierre CHASSIGNEUX : On vous remet tous ces documents. Simplement, on vous enverra un complément concernant les deux derniers documents dont je vous ai donné lecture, qui ne figurent pas dans le dossier.

M. le Rapporteur : Vous nous avez dit tout à l’heure que vous aviez provisionné à 100 %, 30 millions d’euros à l’époque fin 2002, qui sont devenus 33,7 millions d’euros. Avez-vous un espoir de recouvrer quelque chose ?

M. Pierre CHASSIGNEUX : Très faible. Si, demain, le transport aérien change complètement d’allure, c’est certain que les propriétaires des 12 ou 13 avions que nous avons, dont vous aurez la liste où il y a évidemment des avions anciens style DC10, mais des avions plus récents comme A340, vont vouloir les récupérer et, donc, paieront en partie. Mais le droit de rétention de chaque avion correspond à la dette de chaque avion, ce n’est pas la dette de la compagnie.

M. le Rapporteur : Et il y a le contentieux car une partie des avions a été transférée avec un contentieux.

M. Alain GOURIOU : La rétention de ces avions entraîne un certain nombre de frais pour votre entreprise.

M. Pierre CHASSIGNEUX : Une immobilisation de terrain.

M. Hubert du MESNIL : C’est pour cette raison que si l’on faisait les comptes réels de cette rétention, on peut se demander si elle ne deviendrait pas négative. Pour l’instant, une bonne dizaine d’avions sont bloqués à Orly.

M. Xavier de ROUX : Vous les entretenez, je pense ?

M. Hubert du MESNIL : Ils sont sous cocon, neutralisés.

M. Pierre CHASSIGNEUX : Sous béton ! On facture quand ils récupèrent les droits de stationnement pour la durée.

M. le Rapporteur : Les droits de stationnement sont élevés, donc, ils s’accumulent. Avez-vous comparé quelle est la valeur de ces avions par rapport à l’accumulation des taxes de stationnement ?

M. Attilio ZANICHELLI : Quand un avion est demandé, il n’y a aucune mesure entre l’intérêt pour le propriétaire de consigner les sommes et d’exploiter son avion car l’exploitation de l’avion lui rapporte beaucoup plus que le montant des redevances et droits de stationnement.

M. le Rapporteur : Oui, mais maintenant il n’y a plus personne, donc, le problème est de savoir quelle est la valeur des avions au regard des coûts d’immobilisation ; pendant ce temps-là, vous ne pouvez pas les louer et vous ne toucherez jamais de droit de stationnement, puisque la compagnie a déposé le bilan.

M. Attilio ZANICHELLI : Quand un propriétaire ou un exploitant a besoin de l’avion et qu’il accepte de consigner les sommes, il consigne les sommes, redevances dues par l’avion, y compris les droits de stationnement, entre le moment où il a été bloqué et le moment où le directeur général donne une mainlevée.

M. le Rapporteur : Sur les avions des propriétaires, avez-vous déjà eu des utilisateurs de ces avions ?

M. Attilio ZANICHELLI : Aujourd’hui, non.

M. Xavier de ROUX : Messieurs, je vous remercie.


Source : Assemblée nationale (France)