Composition de la délégation : MM. Jean-Pierre Schosteck, président, Jean-Claude Carle, rapporteur, Patrice Gélard, Bernard Plasait.

I. Commissariat de police central

Au cours de la visite, les observations suivantes ont été formulées par les interlocuteurs de la délégation :

 Alors que la part des mineurs dans les personnes mises en cause par les forces de police est de 24 % au niveau national, elle est de plus de 32 % en Seine-Maritime. Les mineurs y sont responsables de 58 % des vols avec violence, 44 % des vols de voiture et 41 % de la délinquance de voie publique (y compris les cambriolages).

 Alors que les personnes d’origine étrangère représentent 10 % de la population de la circonscription du Havre, les mineurs d’origine étrangère représentent 40 % de l’ensemble des mis en cause.

 L’élucidation des infractions se heurte à l’absence de témoins prêts à déposer et au refus des plaignants d’identifier l’auteur.

 Pour les mineurs de moins de seize ans, le seul moyen d’obtenir un placement en détention provisoire est que le parquet retienne une qualification criminelle pour l’acte commis.

 Les admonestations et rappels à la loi sont statistiquement une réponse judiciaire, mais sont compris par les mineurs comme une impunité. La réponse pénale réelle n’intervient qu’à la dixième ou la vingtième infraction, car les jeunes ne sont interpellés qu’une fois sur dix.

 Certains magistrats ne donnent pas suffisamment de suites aux rapports d’incident sur les contrôles judiciaires.

 Il y a dix bureaux de police de proximité mais un seul, l’hôtel de police, est ouvert la nuit et le week-end. Il semblerait que la police de proximité ait été développée au détriment de police judiciaire, précisément au moment de la mise en place de la loi sur la présomption d’innocence. En conséquence, après une diminution de la délinquance sur Le Havre pendant six ans et une augmentation du taux d’élucidation, on assiste actuellement à une augmentation de la délinquance et une diminution des affaires élucidées en 2001. La loi sur la présomption d’innocence pose problème à cause des formalités à accomplir au cours de la première heure de garde à vue.

II. Association « Nouvel élan »

Le local de l’association « Nouvel élan » est un ancien transformateur EDF qui était occupé par les toxicomanes. Il a été entièrement rénové par les jeunes. La délégation est reçue dans une salle soigneusement décorée, comprenant une bibliothèque, une scène pour la musique, des tables, beaucoup de photos sur les murs, une télévision, un bar, une cuisine.

La méthode de l’association n’est pas de « faire pour les jeunes » mais de « faire ensemble ». Certains jeunes ont ainsi intégré le conseil d’administration ou sont vacataires de l’association.

Quatre personnes constituent l’équipe : un directeur, une adulte relais, un emploi jeune animateur, une secrétaire. La formation des animateurs est extrêmement importante. La relève est difficile à trouver.

Les jeunes ont un lieu d’accueil, ils font une activité qu’ils peuvent arrêter s’ils le veulent au bout d’un mois. Ce sont eux qui proposent et créent leur programme d’activités. Tout se mérite, l’activité n’est que la récompense de leur travail.

La mixité de la population est une priorité pour l’association. Deux projets humanitaires sont en cours, entièrement autofinancés, l’un consistant en la livraison de matériel scolaire en Algérie, l’autre au Sénégal.

Les résultats donnent lieu à des évaluations, l’équipe accompagne son public.

Le budget d’un million de francs est jugé un peu insuffisant. Dans le cadre du contrat de ville, la ville du Havre apporte 100.000 F, la Caisse d’allocations familiales 100.000 F, le Fonds d’action sociale 100.000 F et la préfecture 100.000 F.

« Nouvel élan » organise des débats avec les élus, des groupes de travail avec les chefs d’entreprises et les chômeurs, etc. Elle réalise de véritables projets d’insertion, elle ne se contente pas de faire de l’animation.

III. Association « Agir ensemble » à Caucriauville

Face à la petite délinquance au quotidien, l’association, constituée par des habitants du quartier, agit pour éviter que les enfants divaguent et rencontrent des difficultés à l’école.

Elle cherche à responsabiliser les parents, à leur apporter une aide s’ils sont analphabètes. Servant de médiateur entre les parents et l’école, elle veut rendre audible le langage scolaire et expliquer aux parents le cursus scolaire de leurs enfants. Aussi un Forum des orientations est-il organisé tous les ans.

La médiation avec les commerçants, les bailleurs, la police, les écoles primaires, les collèges et lycées demande un travail régulier. L’association, qui existe depuis 1997, est très sollicitée.

Depuis trois ans, le conseil des sages, qui se réunit aux alentours du nouvel an, constitue un lieu de résolution des conflits qui peuvent survenir dans le quartier.

Les membres de l’association rencontrés observent que les enfants issus de l’immigration souffrent de discrimination à l’embauche, même quand ils sont titulaires des diplômes requis. Habiter le quartier de Caucriauville semble un handicap supplémentaire, qui s’ajoute au nom (« Si tu t’appelles Mamadou ou Mohamed, c’est foutu »). Le médiateur de l’association se déplace alors avec les parents et les représentants de l’école où le jeune est scolarisé, à la rencontre des employeurs potentiels.

Les pompiers se font connaître auprès des jeunes, qui les confondent avec des policiers. La caserne leur a été ouverte et des opérations de secourisme ont été organisées, ainsi qu’une sensibilisation sur les conséquences des faux appels (une enfant est morte à cause d’un double appel dont un faux : les pompiers sont arrivés en neuf minutes au lieu de deux).

Une rencontre interculturelle annuelle est organisée sur le quartier, ainsi qu’un « dialogue des religions ».

Pour 19.000 habitants, il n’y a qu’un seul médiateur social et un seul adulte relais. Les associations souffrent d’un manque de moyens.

IV. La juge des enfants

La juge des enfants rencontrée par la délégation remplit également la fonction de juge des libertés et de la détention une semaine sur six y compris le week-end, ce qui représente une lourde charge de travail.

Bien que la délinquance sur Le Havre soit plus importante que celle de Rouen, cette dernière ville bénéficie d’effectifs plus importants, en l’absence d’indicateur fiable de la délinquance.

Le Havre a été une des premières villes à pratiquer les convocations par officier de police judiciaire (COPJ). Aujourd’hui, trois quarts des audiences fonctionnent par COPJ.

La grâce annuelle du 14 juillet et l’amnistie présidentielle sont mal acceptées car elles donnent au juge l’impression de travailler pour rien, d’autant plus que la délinquance de voie publique, où les mineurs sont sur-représentés, est principalement concernée.

Certaines mesures, qu’il s’agisse de la liberté surveillée préjudicielle avant jugement, des sursis avec mises à l’épreuve ou des sursis simples et des travaux d’intérêt général, semblent ne pas être mises en oeuvre dans debonnes conditions par la PJJ.

La disposition qui laisse au seul juge le soin de choisir entre audience de cabinet et jugement en tribunal pour enfants est appréciée. La juge des enfants rencontrée considère que le juge des enfants devrait pouvoir prononcer des amendes en chambre du conseil pour responsabiliser les parents.

La juge des enfants effectue la visite d’inspection de tous les établissements d’hébergement chaque année. Un élu du Conseil général l’accompagne pour inspecter les établissements habilités par le service de l’Aide sociale à l’enfance.

Le nombre de juges des enfants semble insuffisant au Havre : les trois juges des enfants traitent 1.200 dossiers en assistance éducative.

V. Le foyer d’action éducative « Les Marronniers »

Créé en 1970, le foyer « Les Marronniers » est situé à Fécamp et constitue l’une des structures de l’association de Thiêtreville. Il accueillait, le jour de la visite de la délégation, 26 adolescents de 14 à 18 ans et 5 majeurs, au titre de l’assistance éducative ou de l’ordonnance de 1945. Trois profils sont répertoriés :

 les criminels, notamment les auteurs d’infractions sexuelles (trois violeurs d’enfants étaient pris en charge au foyer au 28 mars 2002) ;

 les multirécidivistes, coutumiers de la délinquance d’appropriation ;

 les jeunes qui devraient relever des instituts de rééducation et justifient des soins psychiatriques, mais dont les dossiers sont « pénalisés ».

19 jeunes ont un dossier au titre de l’ordonnance de 1945 mais ne sont pas placés dans ce cadre. Il n’y a que 4 jeunes placés en procédure pénale. Sur Le Havre, les juges d’instruction font du placement pénal, mais pas les juges des enfants.

Le FAE comporte trois structures : le foyer proprement dit, la « maison en ville » qui accueille six adolescents ayant un projet pré-professionnel et une structure pour les semi-autonomes.

Au foyer-internat, l’objectif est soit le retour en famille soit l’autonomie. Un jeune ne doit rester en foyer que deux ans au plus car il existe un risque d’en faire « un jeune de foyer », sans famille à la sortie.

Le foyer connaît quelques cas de fugues, notamment en début de placement, car l’encadrement est difficile à vivre par rapport à la liberté totale dont le jeune avait l’habitude. Dans ce cas, les autorités sont immédiatement informées, la famille est mobilisée, l’équipe part à la recherche du jeune.

Tous les jeunes accueillis sont en échec scolaire, ils rejettent ou sont rejetés par l’école. Sept conventions d’intégration scolaire progressive ont été signées avec les établissements scolaires. Il existe des classes d’insertion et une classe relais. Le foyer réalise une évaluation de la situation scolaire du jeune, pour repérer les matières où il réussit. Le jeune est alors inscrit dans un collège pour ces matières - pour les autres matières, il est suivi au foyer par un éducateur scolaire. Toutes les six semaines, un point est fait avec le jeune, la famille, l’éducateur scolaire référent et l’équipe enseignante pour intégrer des matières supplémentaires.

VI. Le centre éducatif renforcé de Bolbec

Le centre éducatif renforcé de Bolbec a été créé par l’association de Thiêtreville, tout comme le foyer « Les Marronniers ». L’établissement a ouvert en mai 1997 et a fonctionné sans discontinuer depuis cette date. Il accueille pour des sessions de trois mois six adolescents âgés de 16 à 18 ans. En règle générale, 23 à 30 dossiers sont proposés à l’établissement avant chaque session.

La plupart des jeunes accueillis sont issus des cités de la région parisienne. Multirécidivistes, ils ont fait beaucoup de foyers, ont été incarcérés ou sont à la porte de la prison. Le CER ne prend pas de jeunes qui peuvent aller en foyer.

En plus du directeur (commun au foyer d’action éducative et au CER), le centre emploie un agent de service maîtresse de maison (les jeunes participent à la confection des repas), un psychologue, un chef de service et six éducateurs, dont deux sont présents en permanence.

Le programme du CER est notamment marqué par les aspects suivants :

 l’immersion sociale et professionnelle : le stage est un aspect important du programme, qui implique le secteur économique en termes de partenariat actif : les exigences sont adaptées aux possibilités du jeune, mais une évaluation sans complaisance des compétences relationnelles et pratiques est réalisée ;

 la santé, le soutien psychologique et les acquisitions scolaires : dans les quinze premiers jours d’une session, trois bilans sont réalisés : un bilan médical, un bilan psychologique et un bilan des acquisitions scolaires ;

 l’itinéraire personnel et la mobilisation de l’environnement : le temps de la session doit permettre au jeune de mettre en perspective sa trajectoire, de regarder avec distance les événements passés pour tenter de jeter les bases d’un projet à partir de la mi-session.

Le séjour en CER induit une rupture familiale : pas de week-end en famille pendant les trois mois, un seul appel téléphonique par semaine, pas de liberté d’aller et venir. En ce sens, le CER n’est pas très différent d’un centre fermé. Confronté à des obligations strictes, le jeune n’a aucune liberté, sauf celle de rester en prison ou de fuguer. Mais le CER n’est pas un centre fermé car, selon son directeur, « l’action éducative ne peut être menée sans dimension de liberté ».

Le jeune signe mais il ne s’agit pas d’un contrat. Sa signature montre juste qu’il a pris connaissance des règles.

Il y a des problèmes à la sortie. Les jeunes connaissent une grosse angoisse à la fin du CER, même s’ils ont un projet. Le fil rouge n’a pas toujours les moyens ou l’envie de suivre le projet du jeune. Dans les quatre ou cinq mois suivant la session, ils peuvent téléphoner pour parler en cas de problème.

L’équipe refuse toute idée de violence, quelles que soient sa forme et son origine, c’est à dire y compris la violence verbale ou la violence contre les biens. La confrontation doit être psychologique avec ces jeunes.

Une place en foyer coûte environ 800 francs par jour, en CER 2 200 francs par jour (le prix de journée étant facturé quand le jeune est effectivement là).

L’absence de différenciation entre les carrières des éducateurs, selon qu’ils travaillent en hébergement ou en milieu ouvert, est déplorée.

VII. Le centre de placement immédiat

La délégation sénatoriale a souhaité visiter le centre de placement immédiat ouvert par la protection judiciaire de la jeunesse dans la circonscription du Havre.

Cette visite n’a pas été possible, l’établissement étant temporairement fermé depuis quelques mois, notamment pour insuffisance de personnel.

Le 1er juin 2001, avant la fermeture de l’établissement, le vice-président chargé du tribunal pour enfants à adressé au garde des sceaux un rapport d’inspection comportant notamment les éléments suivants :

« Au 1er juin 2001, la capacité théorique d’accueil est de 10 jeunes, la capacité réelle de 8 et en fait 6 jeunes sont pris en charge, dont 1 du Havre, 3 de Rouen, 1 de Boulogne sur Mer et 1 de Caen ; sur ces 6 garçons, 2 sont en fugue, 2 sont présents au centre et 2 en cours d’admission.

« Lors de la visite effectuée le 29 mars 2001, les magistrats du Havre ont constaté :

 que la fonction de maîtresse de maison étant inexistante, aucune tenue matérielle de la maison n’était assurée, la visite des chambres occupées par les 4 jeunes présents, à l’exception de l’une d’entre elles correctement rangée, laissait voir des lits défaits, du linge sale sur les lits et le sol, dans 2 salles de bains les gants souillés traînaient dans les lavabos et baignoire, le WC dégageait une odeur nauséabonde, dans le sous-sol la machine à laver le linge ouverte débordait sur le sol de linge, et dans l’entrée traînaient divers objets ou vêtements, à la cuisine, dans la réserve, les produits d’entretien étaient rangés à côté des produits alimentaires ;

 que la fonction de secrétariat n’étant pas assurée, aucun accueil n’était mis en place pour les appels des familles, les personnes extérieures, le suivi des « dossiers individuels » des jeunes prévus dans le projet pédagogique, et la rédaction des rapports de situation pour les magistrats ayant ordonné des placements ».


Source : Sénat français