Présidence de M. Jean-Pierre SCHOSTECK, Président

M. Jean-Pierre Schosteck, président - Nous allons entendre Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la justice.

(Le président lit la note sur le protocole de publicité des travaux de la commission d’enquête et fait prêter serment.)

Madame la ministre, vous avez la parole.

Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la justice - Vous avez choisi d’enquêter sur un sujet d’actualité. C’est aussi un sujet de fond qui touche à l’équilibre de notre société.

Personne ne nie l’existence d’une délinquance des mineurs. Elle interpelle chacun de nous et les pouvoirs publics en particulier.

Dans le même temps, il faut récuser tout discours qui, en prônant, par imitation ou par facilité, la tolérance zéro prêche souvent pour l’intolérance totale, c’est-à-dire au fond pour l’éclatement de la solidarité collective.

C’est dans cet état d’esprit que j’interviens.

Concrètement, ce gouvernement s’est en effet attaché à privilégier l’écoute et le dialogue avec ceux qui, au quotidien, ont à faire face à cette délinquance et à y répondre, qu’il s’agisse d’abord des victimes -le dépôt de plainte a été facilité et on a renforcé le soutien et l’aide, même si des progrès peuvent encore être faits- ou qu’il s’agisse des parents, des enseignants, des éducateurs, des policiers, ou encore des élus locaux, notamment avec la mise en place des contrats locaux de sécurité.

Pour tout le monde, la délinquance des mineurs est un problème réel. Je vous sais passionnés par le sujet. Sachez que le Gouvernement n’a jamais minimisé l’importance de la question, contrairement à ce que j’ai pu entendre ici ou là. C’est une question dont le traitement est essentiel, dans l’immédiat mais aussi pour l’avenir.

Pour autant, quand on examine les évolutions de la délinquance, on constate que la part des mineurs dans l’ensemble des actes de délinquance reste limitée et stable.

Cette délinquance a des terrains d’action privilégiés. Ce sont souvent les transports, les centres commerciaux, les écoles et les cités. On voit bien qu’il s’agit d’une délinquance de proximité, d’une violence à l’égard de ce qui est la fois familier et étranger. A cela viennent s’ajouter des affrontements avec tous ceux qui représentent l’autorité -les policiers, mais aussi les pompiers- et qui deviennent malgré eux le symbole pour ces jeunes de l’injustice qui leur est faite : injustice de la vie, injustice d’une société trop inégalitaire, injustice d’une collectivité qui montre du doigt sans chercher à voir ses propres torts, d’où une spirale de victimisation.

Nous nous sommes donné pour objectif la reconstruction d’une confiance collective dans la capacité de notre société à éduquer et à accompagner ces adolescents vers une autre perspective que celle de la violence.

Une action qui aurait pour effet de renforcer les causes mêmes de cette violence ne peut être valable. C’est la raison pour laquelle les propositions qui ne visent qu’à punir ceux qui s’estiment déjà punis par la vie sont vouées au mieux à l’échec, au pis à faire naître plus de violence encore, comme le démontre un travail, mené sur plusieurs mois, sur les origines de la violence.

Pour autant, et j’y ai toujours insisté, il ne s’agit pas de ne pas apporter de réponse judiciaire à des actes délinquants. Je veux d’ailleurs rappeler à ce sujet quelques données objectives.

La réponse de l’autorité judiciaire aux infractions commises par les mineurs n’a jamais été aussi forte que depuis 1997. Le taux de réponses pénales atteint 80 % et les peines prononcées sont de plus en plus lourdes. Le nombre de mineurs incarcérés reste ainsi très élevé : il était de 895 au 1er mars 2002. Il a d’ailleurs sensiblement augmenté dans les derniers mois. A Fleury-Mérogis en particulier, les capacités d’accueil sont dépassées.

L’incarcération n’est cependant pas la seule réponse proposée.

Les mesures alternatives prennent -tant mieux- de l’ampleur. Les mesures dites de réparation, notamment, se sont fortement multipliées : 15.000 mesures ont été effectuées en 2000.

Pour récuser l’accusation selon laquelle la justice serait trop lente et interviendrait trop tardivement après les faits, je veux souligner que les mineurs sont au contraire le plus souvent convoqués devant le juge au moyen de procédures rapides.

A la suite du rapport Lazerges-Balduick, le Gouvernement a décidé de créer de nouvelles structures d’hébergement des mineurs délinquants, permettant des séjours de rupture. Ainsi, 51 centres d’éducation renforcés sont ouverts aujourd’hui et 87 devraient l’être à la fin du 1er semestre 2002, mais ce sera peut-être 86, car nous rencontrons à Agde une forte opposition que, très honnêtement, je ne comprends pas. Quant aux centres de placement immédiat, 43 sont ouverts aujourd’hui et 50 le seront en septembre 2002.

Ces centres ont fait leurs preuves. Là encore, des résultats commencent à être mesurés même si on reste prudent. La meilleure preuve de l’efficacité de ces structures -la seule valable au fond pour la collectivité et pour sa sécurité- se retrouve dans le taux de récidive constaté à la sortie tant des CER que des CPI, taux qui est sans rapport aucun avec le taux de récidive après une incarcération puisqu’il est de 10 % pour les mineurs sortant d’un CPI ou d’un CER contre 60 % pour les mineurs sortant de prison, même si de gros efforts sont faits, par exemple à Fleury-Mérogis.

Une autre spécificité de l’action de ce gouvernement est d’avoir misé sur la coopération des acteurs et sur la proximité pour obtenir le meilleur résultat, même si dans quelques régions l’absence d’acteurs de proximité a posé d’autres types de problèmes.

Si nous avons créé, dès 1997, les contrats locaux de sécurité, c’est précisément afin de renforcer, grâce à cette structure, l’implication à l’échelon local des différents acteurs de la prévention et de la sécurité.

L’analyse des chiffres de la délinquance département par département -ce sont ces chiffres qu’il faut examiner- montre ainsi que, lorsqu’une véritable politique judiciaire de la ville est menée et que les acteurs agissent de façon coordonnée en ayant su développer un éventail important de réponses -mesures de réparation, CER, CPI-, la délinquance augmente peu ou recule.

C’est notamment le cas dans la région Rhône-Alpes, où 57 contrats locaux de sécurité ont été signés alors que 20 autres sont en cours d’élaboration. Ainsi, les communes de Pierre-Bénite, Sainte-Foy, Vaulx-en-Velin et Villefranche-sur-Saône, qui ont toutes signé un contrat local de sécurité, connaissent une baisse de la délinquance comprise entre 5 % et 10 %. De même, l’exemple du département de la Loire, avec, en 2001, une délinquance à la baisse de 4,28 %, mérite d’être signalé.

J’ajoute deux cas pour lesquels on ne dispose pas de chiffres aussi précis mais qui sont intéressants parce qu’ils se situent en grande agglomération : Tourcoing, où, en dépit des licenciements, on assiste à une stabilisation du chiffre, et Aubervilliers, où le rapport avec les communes voisines est très fort. Il faudra étudier mois après mois et sur plusieurs années l’évolution de ces secteurs.

Malheureusement, tous ces bons résultats ne sont pas connus tant le sentiment d’impuissance est fort et semble vouer a priori à l’échec toute tentative de traitement de la délinquance des mineurs, quelle qu’elle soit. Même si les expériences positives sont très nombreuses, elles sont considérées comme anecdotiques, voire suspectes, alors que le moindre incident trouve une résonance immédiate.

Nous sommes confrontés à un problème de traitement médiatique et plusieurs maires se plaignent d’ailleurs que soit mis en exergue l’échec qu’a pu connaître leur commune, alors que les cas dans lesquels des résultats satisfaisants ont été obtenus ne sont pas mis en valeur.

J’en viens à l’ordonnance de 1945 : la réforme ne doit pas être un tabou.

Le texte initial de cette ordonnance, qui est un grand texte, a en fait déjà été modifié seize fois, la dernière à fin de l’année 2000. Sur les 49 articles qui forment aujourd’hui ce que l’on appelle l’ordonnance de 1945, seuls trois sont d’origine.

En réalité, c’est un texte moderne qui a été enrichi au fil de ses modifications.

Techniquement performant, il met en oeuvre un principe de responsabilité pour tous les mineurs, gradué, bien sûr, selon leur âge. Il recommande uniquement au juge de privilégier les mesures éducatives sur les mesures répressives, sans interdire toutefois le recours à l’incarcération, au cas par cas et quand les démarches éducatives engagées au bénéfice d’un enfant ont épuisé leurs effets.

Ce qui importe, c’est de maintenir les principes fondamentaux sur lesquels repose le droit des mineurs : éduquer avant de sanctionner et sanctionner moins sévèrement les mineurs que les majeurs. Or, ne disait-on pas, au détour d’une récente rencontre dans vos murs, que les sanctions actuellement prononcées à l’encontre des mineurs sont, toute proportion gardée, plus lourdes que les sanctions prononcées à l’encontre des majeurs ?

Dans la vie quotidienne, il ne viendrait à l’idée de personne d’exiger d’un enfant un comportement comparable à celui d’un adulte. Tel est le fondement de la différence admise par tous entre une personne mineure et une personne majeure.

Il est un point sur lequel nous n’avons jamais varié : toute infraction doit donner lieu à une sanction. C’est essentiel si nous voulons préserver le lien social et donner à chacun l’assurance de pouvoir agir et vivre en toute liberté et en toute sécurité.

En revanche, un système dans lequel le niveau de sanction serait déterminé de façon mécanique et inéluctable, sans tenir compte de la diversité des parcours et de la personnalité des délinquants, ne serait pas acceptable.

Plutôt que de recourir à des slogans, il faut enrichir les actions engagées. Les mesures mises en place depuis cinq ans commencent à porter leurs fruits, même si elles sont insuffisantes. J’ai ainsi pu rencontrer des jeunes placés dans un CPI à Collonges-au-Mont-d’Or ainsi que l’équipe chargée de les accueillir et de les prendre en charge. Je sais, et on me le dit aussi, que ces jeunes ont plus de chance d’échapper au cycle de la délinquance que ceux, du même âge ou à peine plus âgés, qui sont aujourd’hui incarcérés.

C’est pourquoi il faut favoriser non pas une action limitée à la répression, voire à une prévention trop tardive, mais tout un éventail de mesures qui doivent couvrir le plus largement possible, dans le temps et dans l’espace, le champ où se développent et s’entretiennent les comportements délinquants.

Cinq axes doivent être retenus pour l’avenir. Le premier consiste à mettre en place de nouveaux modes de prévention. Nous devons intervenir très en amont, bien plus encore que nous ne le faisons aujourd’hui. Il faut notamment s’intéresser aux enfants de moins de dix ans pour prendre en charge ceux qu’on appelle les « enfants agressifs » avant qu’ils basculent dans la violence délinquante. Ces comportements, nous savons aujourd’hui les repérer, à l’école en particulier, lieu de passage obligé pour tous les enfants.

Il faut créer des centres de jour, lieux d’accueil après l’école ou pendant les congés scolaires, dans lesquels seraient dispensés soutien scolaire et prise en charge éducative. Dans cet ordre d’idées, il faut aussi développer des internats nouveaux ajoutant à l’enseignement un véritable soutien éducatif. Le recours à l’internat bien expliqué aux parents, aux enfants et aux éducateurs est une forme de rupture bien acceptée car elle permet de conserver les liens familiaux.

En clair, l’école a un rôle actif et privilégié dans la détection et l’aide à la prise en charge de l’enfance en danger. J’ai coutume de dire que nous sommes assez bons en ces domaines. Je pense notamment à l’action menée en liaison avec les conseils généraux. Mais nous sommes très en deçà de ce qu’il faudrait faire pour les enfants agressifs. Philippe Jeammet se plaît à se battre en faveur de solutions de rupture en créant, par exemple, certaines places dans des instituts de rééducation qui ont l’habitude de s’occuper de ce type d’enfants et qui parviennent parfois à les sortir de situations jugées insolubles.

Le deuxième axe est l’amélioration du taux d’élucidation. La délinquance des mineurs est principalement une délinquance de voie publique dont le taux d’élucidation reste malheureusement inférieur à 8 %. Ce constat, qui n’est évidemment pas acceptable, montre la nécessaire spécificité de la lutte contre ce type de délinquance.

Le désarroi de l’opinion est d’ailleurs à la mesure de cette contradiction : tout le monde connaît les auteurs des infractions, sauf les policiers et les magistrats. Cette situation est d’autant plus mal vécue par la population que la délinquance des mineurs est très territorialisée puisqu’elle s’exerce quasiment exclusivementdans des lieux publics bien définis. C’est la répétition, dans ces lieux, d’une délinquance apparemment sans réponse qui donne l’image d’un Etat impuissant. J’ai lu le compte rendu de conversations téléphoniques avec les commerçants d’un centre commercial de la région nantaise qui décrivaient des actes de délinquance répétitifs.

Pour augmenter ce taux d’élucidation encore trop faible, il faut améliorer la transmission des informations entre les services de police, comme l’avaient prévu les protocoles entre directions qui accompagnaient la création de la police de proximité.

Plus encore, le travail en commun des policiers et des éducateurs avec les interlocuteurs que sont les sociétés de transports en commun, les bailleurs, les chefs d’établissement scolaire et les organisations de commerçants doit être renforcé afin de mettre en place des modalités d’intervention rapide sur les lieux spécifiques à la délinquance des mineurs. Il ne s’agit pas de délation, contrairement à ce que prétendent certains, mais il faut mettre fin à ce type de délinquance tout en protégeant ces jeunes.

Le troisième axe consiste à renforcer la cohérence, l’organisation et l’efficacité du système. La lutte contre cette délinquance et l’amélioration sensible de sa prévention passent par une meilleure articulation entre tous les acteurs intervenant en ce domaine, à savoir les juges, les policiers et les éducateurs mais aussi les services fiscaux ou douaniers, notamment dans le cadre d’actions ciblées, telles que la lutte contre les trafics, les bandes et l’économie souterraine.

Cette lutte et cette amélioration passent également par une meilleure coordination de la justice des mineurs, qu’il s’agisse du juge des enfants, des services de la protection judiciaire de la jeunesse, des services pénitentiaires ou des établissements habilités. Je viens de diffuser une circulaire en ce sens. Mais cela ne suffit pas. Je veux insister sur la place et la nécessaire implication dans cette démarche des élus locaux. Il faut associer les maires à la lutte contre la délinquance. En revanche, le prononcé des sanctions doit rester de la responsabilité de l’institution judiciaire.

Il faut donner une place importante aux lieux de réparation et les adapter à la délinquance et au territoire que le maire connaît bien. C’est là que s’équilibreront la délinquance et la déstabilisation qu’elle engendre.

Le quatrième axe tend à assurer l’immédiateté de la sanction. Nous avons fait accepter l’idée que toute infraction doit engendrer une sanction, quelle qu’en soit la forme. Mais encore faut-il que cette sanction soit rapide et visible. J’ai dit en souriant à l’un de vos collègues de l’Assemblée nationale que je refusais le port de l’uniforme pour les enfants délinquants en situation de réparation. La question de l’exécution des peines est l’un des problèmes les plus difficiles auxquels est confrontée la justice.

Pour améliorer sensiblement la situation en ce domaine et faire qu’une peine prononcée soit aussi une peine exécutée, nous devons mettre en place un programme très vigoureux de mobilisation des moyens et des acteurs. Parmi les points prioritaires de ce programme figurent l’accroissement du nombre d’éducateurs en milieu ouvert -nous manquons cruellement de ce type de personnel même si un effort budgétaire a été engagé- un nouveau programme de création de CPI, de CER et de foyers -en dépit des réalisations en cours, leur nombre est insuffisant- la mobilisation des collectivités territoriales et du secteur associatif pour développer des mesures de réparation et de travail d’intérêt général pour ceux qui le souhaitent, le développement des centres de jour et, bien entendu, la mise en place d’instruments de suivi de l’exécution despeines afin d’être en mesure de déceler et de gérer efficacement les pénuries de moyens là où elles existent.

Le rapport d’activités pour l’année 2000 a montré que nous étions capables maintenant d’avoir des éléments d’évaluation qui permettent de pointer les dysfonctionnements et de mettre l’accent sur les moyens nécessaires.

Le cinquième axe consiste à organiser l’accompagnement des victimes tout au long de la procédure. Cet accompagnement, selon les associations, est mal assuré. Dans les milieux fermés que sont les cités de banlieue ou dans certaines communes périurbaines, porter plainte c’est demander l’application de la loi commune en refusant la loi du silence. Il s’agit non seulement d’un acte engagé à la fois pour soi-même ou un proche et la société dans son ensemble mais aussi d’un risque personnel.

A ce risque ne répond aucune prise en charge particulière au point que les victimes sont parfois violentées par les amis des mis en cause jusque dans le hall des tribunaux. Nous avons pu constater à Evreux à quelle tragédie les victimes peuvent être confrontées. Cette situation de faiblesse, d’abandon de ces dernières contribue à la dégradation de l’image de l’Etat.

Nous pouvons aussi faire reculer la délinquance en aidant les victimes par un soutien et une protection collective. C’est lorsqu’un individu paraît isolé, impuissant et sans recours qu’il devient une victime possible et, pour ainsi dire, sans risque pour le délinquant.

Certaines mesures permettent de remédier à cet état de faiblesse. Elles consistent, par exemple, à mettre en place des policiers référents qui seraient contactés en cas de menace, à inciter les associations d’aide aux victimes à servir de relais entre les institutions et ces dernières lorsqu’elles sont soumises à des pressions ou encore à veiller à ce que la justice sanctionne plus souvent et plus sévèrement les subornations de témoins. Les associations de victimes en sont d’accord.

En conclusion, vous le voyez, nous ne sommes pas démunis, loin de là, face à la délinquance des mineurs. Dans ce domaine qui engage à la fois l’avenir et la confiance collective, nous ne pouvons pas agir sans perspective ni continuité.

La France est un pays véritablement moderne lorsque, ensemble, nous refusons la tentation du spectaculaire, de l’image forte et facile pour privilégier le travail de fond et sur la durée. En choisissant de ne jamais oublier la dimension humaine qu’il y a en chacun, jeune enfant agressif, adolescent violent, victime fragile ou coupable avéré, nous restons fidèles à des principes essentiels pour une démocratie, principes qui conseillent de choisir la voie de la sagesse confiante plutôt que celle de la vaine passion.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur - La sanction, avez-vous dit, doit être rapide. Or, selon les statistiques que nous ont communiquées vos services, le nombre de mineurs par juge des enfants s’élève à 38.300 avec de grandes disparités. Ce chiffre varie, en effet, d’un peu plus de 14.000 à 76.000. Ne faudrait-il pas revoir la localisation de ces juges à l’instar de ce qui se passe pour les commissariats de police ?

Mme le garde des sceaux - Nous allons créer quinze juridictions. Mais nous constatons malheureusement de plus en plus un essaimage de la délinquance. Celle-ci apparaît dans des zones très rurales qui ne connaissaient pas ce phénomène voilà cinq ou six ans. Il ne faut donc pas démunir certaines zones. Ce dispositif ne sera pas suffisant pour couvrir le territoire.

A deux reprises, je m’étais engagée, devant l’Assemblée générale des juges des enfants, à augmenter le nombre de ces magistrats, ce que j’ai fait. J’ai également, à leur demande, refusé de supprimer les parquets spécialisés. C’est important s’agissant de la mise en réseau des informations.

Je n’ai pas pu résoudre le problème de l’absence de candidature pour Epinal et Sarreguemines. Il faut être très prudent s’agissant notamment de nomination à des postes assez sensibles. Là, je n’ai pas trouvé de candidats capables de prendre en charge ces fonctions. Nous avons créé vingt postes en 1998, 10 en 1999, 17 en 2000, 20 en 2001 et 25 en 2002.

J’ai décidé de renforcer les parquets puisqu’il existe un véritable déficit en matière d’application des peines et de suivi. J’ai essayé de ne pas déséquilibrer les nominations. Les juges des enfants sont satisfaits d’avoir affaire à une personne qui s’occupe particulièrement des problèmes des mineurs.

M. le rapporteur - Vous avez manifesté la volonté d’aborder les problèmes en amont. Vous avez parlé de centres de jour et d’internats nouveaux. Quel est le chef de file ?

Mme le garde des sceaux - En la matière, il faut une coordination entre tous les services, notamment au sein des conseils généraux. Je m’y suis engagée auprès du président de l’Assemblée des présidents de conseils généraux.

S’agissant des établissements médico-sociaux, il existe une disparité très importante dans la prise en charge des enfants qui ont des comportements difficiles et qui sont signalés soit par les PMI, soit par l’Education nationale.

Nous travaillons en collaboration avec le ministère de l’Education nationale sur le traitement des signalements. La mobilisation est en effet un point fort. Les enseignants mais aussi les garderies et les haltes-garderies sont des partenaires privilégiés. Ces enfants, qui sont parfois très jeunes, ont, nous dit-on, un comportement difficile non pas dans la classe où existe une forme d’autorité incarnée par l’éducateur mais le plus souvent après celle-ci dans les garderies ou les haltes-garderies qui sont des lieux plus ludiques.

La PJJ peut et doit être impliquée. L’absence totale d’associations qui créent ce type d’établissement ou de centre d’accueil nous pose problème. Ce n’est pas à nous d’interférer en ce domaine. Nous sommes dans une situation d’appel collectif à projet. Il faut assurer une véritable coordination avec les conseils généraux, le ministère délégué à la santé et celui de l’Education nationale.

M. Jean-Jacques Hyest - Au sein de l’Education nationale, ce sont souvent les CDES qui placent les enfants.

Mme le garde des sceaux - Ces commissions se réunissent avec l’ensemble des parties prenantes et peuvent décider un placement. Mais encore faut-il qu’il existe un lieu approprié pour les tout-petits. Nous en avons débattu avec des élus et des éducateurs. Même si une CDES prenait une décision de placement, il n’y a pas de place disponible. Il faudrait créer des établissements. Nous sommes, en outre, confrontés à un véritable problème de répartition sur le territoire.

Je suis favorable aux séjours de rupture pour les tout-petits. Après avoir fait un tour de France de la situation actuelle et après en avoir débattu avec M. Jeammet, je suis également favorable aux contrats passés avec les instituts de rééducation qui sont gérés en parallèle avec les IME et les IMPRO et qui disposent d’un certain nombre de places en internat à plein temps pour une durée d’un an pour les enfants en très grandes difficultés.

Les enfants arrivent à s’en sortir assez bien parce qu’ils ne sont pas éloignés de leur famille. Ils peuvent maintenir un lien familial en rentrant chez eux le mercredi et éventuellement le week-end. Par ailleurs, les éducateurs qui les raccompagnent chez eux et qui vont les rechercher peuvent apprécier le comportement des familles. Voilà qui me paraît un élément de réponse.

M. Jean-Jacques Hyest - Vous devez coordonner votre action avec celle du ministère délégué à la santé qui ferme des lits en permanence.

Il faut, avez-vous dit, créer des centres de jour, ce que la PJJ a fait pendant vingt ans.

Mme le garde des sceaux - Certes, il faut créer de tels centres sous diverses formes, mais aussi des places à temps plein dans le cadre des séjours de rupture. Cette question ne relève pas de ma compétence. Peut-être faudrait-il augmenter les cotisations de sécurité sociale ? Il s’agit d’un vaste débat. Sommes-nous prêts à financer une politique de prévention active ? Nous avons vu les conséquences qui ont découlé de l’absence d’une telle politique dans certains grands pays, comme la Grande-Bretagne.

M. le rapporteur - S’agissant des CER et des CPI, avez-vous aujourd’hui assez de recul pour dresser un bilan ? Nous avons appris que le centre du Havre avait provisoirement fermé ses portes. Ces établissements ont-ils des difficultés de fonctionnement ?

Mme le garde des sceaux - Nous comptons quelques cas de fermeture provisoire de centres de ce type dus à des phénomènes de violence. Tel a été le cas au CPI de Montpellier. Sans entrer dans un quelconque esprit de polémique, certains centres créés avant 1981 ont été fermés pour des raisons de violence. Il en est de même des centres Toubon, dont certains avaient été confiés à des associations. La seule solution pour résoudre le problème réside dans des effectifs plus nombreux. Les associations s’étaient engagées en ce domaine sans prendre en compte ce paramètre.

Nous avons toutefois trouvé des solutions à chaque fermeture d’établissement. Je ne me souviens pas d’avoir connu d’échec à long terme. Rappelons que les CPI sont destinés à des jeunes qui sont en grandes difficultés. Ils ne s’y rendent pas volontairement. Il s’agit d’un placement autoritaire auprès d’une équipe pluridisciplinaire qui va essayer de trouver une solution, laquelle peut-être un placement en CER, voire, s’il y a lieu, en prison.

Le bilan que nous avons dressé -je suis très prudente car nous avons un recul de moins de trois ans- montre une chute du taux de récidive. Voilà qui nous conforte dans l’idée que nous devons poursuivre dans cette voie. Les problèmes auxquels nous nous heurtons tiennent en fait plus à l’absence de place qu’à une demande de fermeture de ces centres.

L’autre problème réside dans la difficulté d’ouvrir de tels établissements. Lorsque je suis allée signer une convention avec le Conservatoire du littoral et des rivages lacustres afin d’ouvrir un centre accueillant six à huit jeunes encadrés par onze personnes, je me suis heurtée à une manifestation de quelque 1.300 personnes contre la délinquance. Or, les délinquants de ce type sont majoritairement dans la rue. Il serait préférable qu’ils soient encadrés dans ces centres vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

Un document vous a été remis détaillant le nombre d’enfants concernés et leur profil. Il est intéressant parce qu’il montre bien tout ce qui est lié à l’enfant délinquant. En 2001, 1.300 mineurs étaient accueillis dans des CPI et 520 dans des CER. Nous sommes prudents mais confiants. Visiblement, le dispositif fonctionne. Nous constatons que même les médias prennent la peine de l’évoquer. J’en veux pour preuve l’implantation en Bretagne d’un centre qui n’a posé aucun problème.

Je confirme d’ailleurs à votre commission d’enquête ce que j’ai dit au moment de l’examen du budget : le problème majeur est que, sans recrutements exceptionnels, ces structures -et j’en avais discuté avec Michel Sapin, ministre de la fonction publique, à propos de leur mise en place- fonctionneront bien en Bretagne, dans le Sud de la France ou dans les régions montagneuses, c’est-à-dire là où les gens ont envie d’aller, mais elles ne fonctionneront pas là où elles sont absolument nécessaires, d’où l’intérêt des postes de recrutement régional interne.

M. Jean-Jacques Hyest - Cela tient-il au manque de formation ?

Mme le garde des sceaux - Non, cela tient au fait que, dans notre fonction publique, l’ancienneté donne la priorité pour les mutations. Comme à Paris et en région parisienne les loyers sont deux fois plus chers qu’ailleurs et que les salaires ne compensent pas suffisamment la différence, les « expatriés » essaient souvent de revenir dans leur région d’origine dès qu’ils ont l’ancienneté nécessaire. Ils partent donc lorsqu’ils commencent à avoir une bonne expérience et sont remplacés par les plus jeunes.

M. Jean-Jacques Hyest. Disposer de gens expérimentés est un problème dans tous les secteurs, y compris dans la magistrature.

Mme le garde des sceaux - Eh oui ! C’est pourquoi je m’attriste de ce que Sarreguemines ou Epinal aient, ce matin encore pour la nomination d’auditeurs de justice, été choisis par défaut. Paris, pour un jeune auditeur, c’est la voie royale. Pour ma part, j’estime au contraire qu’il n’y a pas de mauvais territoire dans notre pays et que l’on peut faire une belle carrière partout. J’avais d’ailleurs proposé que les magistrats les plus « gradés » puissent être affectés dans les plus petits tribunaux en fin de carrière afin de démontrer que beaux titres et fonctions ne sont pas forcément la même chose.

M. le président - Et vous n’avez pas eu de réponse ! (Sourires.)

Mme le garde des sceaux - Certains magistrats ont tout de même trouvé que la question soulevée était intéressante et reconnu que la pyramide des carrières ne devait pas être une pyramide géographique. Il me semble de surcroît que Paris n’est pas le lieu idéal pour la préretraite.

M. Jacques Mahéas - On analyse souvent les conséquences plus que les causes de la délinquance.

A la suite des diverses affaires de moeurs et, notamment, de pédophilie, le ministère de la famille s’est récemment attaqué à la diffusion absolument anormale à la télévision d’images dont l’effet d’entraînement est évident.

Le ministère de la justice peut-il porter plainte contre la diffusion de la violence dans les images, dans les jeux vidéo mis sur le marché, dans nombre lieux de « contre-éducation » que je ne pourrais citer tant il y en a dans notre société ? C’est d’ailleurs ce qui la différencie de la société d’il y a trente ans : les lieux d’éducation sont remplacés par des lieux de « contre-éducation » essentiellement basés sur l’argent. Dans nos banlieues, les jeunes ouvrent des yeux étonnés devant les transferts de footballeurs...

Par ailleurs, ma municipalité a, comme d’autres, voulu mettre en place des travaux d’intérêt général, dispositif qui ne vise d’ailleurs pas les seuls mineurs. J’avais l’intention de former cinquante employés de mairie, mais nous n’avons en moyenne que deux TIG. Aucune peine, ou presque, n’est prononcée et les choses n’ont pas été simples : dans un premier temps par exemple, on ne voulait pas nous envoyer de délinquants de notre ville par crainte que nous ne les humiliions ! Or, notre but, c’est de les réinsérer. Les TIG seront-ils vraiment utilisés un jour par les tribunaux ?

J’ai eu une expérience similaire avec les centres éducatifs renforcés : j’étais volontaire pour la création d’un CER à condition qu’il ne soit pas géré par le milieu associatif, ce qui, selon le préfet, était impossible. Cela ne s’est donc pas fait, alors que nous sommes en Seine-Saint-Denis.

Dernière question : un effort particulier va-t-il enfin être consenti en faveur de la formation des éducateurs ?

Il y a une bonne volonté politique. Cependant, les éducateurs s’impliquent essentiellement dans des actions éducatives déjà menées à l’échelon de la commune, par exemple l’aide aux devoirs. Ce n’est pas ce que les élus locaux attendent. Aujourd’hui, on leur demande de s’introduire dans les bandes pour faire éclater celles-ci de façon intelligente. C’est essentiel parce que les bandes décuplent la délinquance. Les jeunes délinquants n’existent en effet qu’en fonction d’elles.

Mme le garde des sceaux - S’agissant des TIG, vous n’êtes pas le premier maire à soulever le problème. Je ne pense pas qu’une longue circulaire de politique pénale soit nécessaire mais peut-être faudra-t-il rappeler leur utilité et engager une étude, par exemple pour recenser les mairies qui ont fait un effort.

M. le président - Je confirme les propos de M. Mahéas : en quinze ans, je n’ai eu qu’un cas.

Mme le garde des sceaux - En revanche, dans le Val-d’Oise, on recherche désespérément des places. Certains magistrats recourent donc davantage aux TIG que d’autres, raison de plus pour engager une étude.

Je parlais tout à l’heure des rapports d’activité. Certains magistrats disent que les cartes servent à juger le travail des uns et des autres. Ce n’est pas du tout le but. Chaque juridiction développe des habitudes et il est bon de pouvoir porter un regard sur les mesures prises ailleurs pour lutter contre la délinquance. Il ne s’agit donc pas d’une évaluation mais d’un encouragement. Dans cet esprit, il faudrait interroger les magistrats qui prononcent des mesures de réparation dans l’intérêt général et ceux qui ne le font pas.

M. Jacques Mahéas - Peut-être faudrait-il adapter la loi.

Mme le garde des sceaux - Je m’engage en tout cas à étudier cette question sur laquelle le rapport de votre commission apportera plus d’éclairage encore.

Concernant les centres, s’il a été fait appel à un moment donné au milieu associatif, c’est parce qu’il n’y avait pas de personnel, en particulier dans la région parisienne. C’est pourquoi j’ai organisé un concours exceptionnel et procédé à un certain nombre de modifications. Mme Perdriolle a ainsi pu monter un module de150 nouveaux éducateurs qui permettront d’assurer le fonctionnement de ces établissements.

Pour ma part, je ne rejette pas le milieu associatif. On entend, certes, des bruits divers d’un lieu à l’autre, mais dans de nombreux centres le travail entre la PJJ et le milieu associatif donne d’excellent résultats. Nous avons ainsi récemment visité Cap-Aventure dans les Côtes-d’Armor, qui fonctionne merveilleusement bien.

M. Jacques Mahéas - Bien sûr !

Mme le garde des sceaux - Le taux de réussite est même assez exceptionnel. En fait, le problème est un problème de personnel.

Quant à la formation, nous revoyons actuellement les modules de formation de nos éducateurs. C’est un très gros travail.

M. Jacques Mahéas - Il ne faut pas les former en tant qu’animateurs.

Mme le garde des sceaux - Il faut en effet les former en tant qu’éducateurs. En revanche, il faut faire une différence entre les éducateurs de prévention et les éducateurs chargés d’appliquer les mesures prononcées par les juges.

Entrer en contact avec les bandes relève des éducateurs de prévention, c’est-à-dire des éducateurs de rue. La prévention passe par ailleurs par une présence d’adultes dans le cadre de la fameuse reconquête de l’espace public. Ce ne sont ni les mêmes métiers, ni les mêmes techniques, et nous ne disposons pas de suffisamment d’éducateurs de prévention à l’heure actuelle.

Nous sommes en train, je l’ai dit, de revoir la formation, mais je pense que l’arrivée grâce au concours de nouveaux éducateurs permettra par elle-même de faire « bouger » les équipes en place. Je ne suis pas pour les cultures monolithiques et, quoi que l’on puisse faire en termes de formation, je crois beaucoup aux bénéfices d’un apport extérieur.

Vous avez parlé de la nécessité de s’introduire dans les bandes, de les infiltrer. Le problème du danger mis à part, il y a, dans les phénomènes de bande, presque toujours deux choses. D’abord, les jeunes ne se lient pas aux bandes par amitié, mais parce que leur espace privé, c’est-à-dire l’appartement, est invivable. Ils descendent au pied de leur immeuble et une bande de fait se constitue. Ensuite, ces jeunes collectivement déprimés -on les voit d’ailleurs rarement rire ou s’amuser- ne se lient entre eux que « contre » quelque chose, que ce soit contre d’autres bandes ou contre les représentants de l’autorité.

Le travail d’éducateur de prévention est donc avant tout un travail de parole, mais la prévention implique aussi une spécialisation de nos services sur des opérations très ciblées.

Par ailleurs, je suis comme vous affolée par la violence dans la publicité, à la télévision, dans les jeux vidéo et les jeux de rôle... J’ai cru un moment que cela tenait à un problème de non-compréhension de ma part, mais force est de reconnaître que la violence est réelle.

Je me suis d’ailleurs battue contre la violence dans les publicités lorsque j’étais au secrétariat d’Etat à la consommation. Je me souviens par exemple d’une publicité qui mettait en scène une bande cagoulée sortant d’une banque et échappant à la police grâce aux performances de la voiture qu’elle vantait. Ainsi, pour vendre une voiture, on faisait gagner une bande dont les membres étaient de surcroît présentés comme dynamiques, plein de prestance, dotés, découvrait-on lorsqu’ils ôtaient leurs cagoules pour se congratuler, de visages agréables ! Je trouve cela particulièrement grave. J’ai discuté avec des fabricants de voitures. On a beau dire que c’est l’apologie non pas du crime mais de la voiture, répété tous les jours, un tel message est scandaleux !

D’autres publicités me révoltent à cause des valeurs qu’elles transmettent aux enfants. Ainsi, quand une femme dit d’un produit que je ne citerai pas : « Parce que je le vaux », cela revient à s’estimer soi-même en fonction de la valeur du produit que l’on achète.

Notre société est confrontée à un problème de fond. Pour autant, je n’ai pas plus que vous les moyens de porter plainte.

Nicole Péry, secrétaire d’Etat aux droits des femmes, a beaucoup travaillé sur l’utilisation de l’image de la femme et montré que, dans nos sociétés multiculturelles, on pouvait aboutir à des pratiques suffisamment graves, comme les tournantes, pour « réveiller » les publicistes. Pour les voitures, la violence renvoie à la vieille image de la virilité idiote qu’avec raison vous rejetez tous. J’avoue ne pas comprendre.

Quant au football, on a souvent décrit le hooligan, mais il y a aussi, c’est vrai, le problème de l’argent. Marie-George Buffet, ministre de la jeunesse et des sports, s’est penchée sur la publicité donnée aux salaires des joueurs.

Se pose aussi le problème de l’« achat » d’enfants de sept ou huit ans par des écoles sportives. Les parents reçoivent une sorte de bourse, mais, si l’enfant déçoit, on le « jette » ! C’est gravissime. Ce n’est pas de la traite d’êtres humains -cela existe aussi, mais il ne faut pas que je me trompe de combat- et il vaut sans doute mieux entrer dans une école de football qu’être exploité ailleurs. Je ne fais pas d’amalgame, mais je dis que nos clubs de sport sont souvent élitistes. Celui qui ne réussit pas la première année à un être bon ailier ou un bon défenseur est « viré » de l’équipe et prié d’aller jouer tout seul. C’est scandaleux. Il faut donc engager un travail qui touche jusqu’à nos équipes, elles aussi très élitistes. Il n’y a pas que l’argent. Si la volonté de gagner est belle dans le sport, lorsqu’elle implique un tri à l’entrée, c’est la société qui perd. L’équipe gagne, mais la société perd.

Je m’éloigne sans doute du sujet...

M. le président - Pas du tout, et je suis moi aussi frappé par le développement de la méchanceté, notamment dans la publicité.

Mme le garde des sceaux - Il faudrait faire réagir les consommateurs, mais c’est difficile, car, en droit, je n’aipas de moyen. On n’a pas le droit avec soi dans ce domaine et on ne peut pas l’avoir sans porter atteinte -on me l’a reproché- à la liberté de l’image, de la création, de l’art, etc. Je crois tout de même que mobiliser les consommateurs lorsqu’une publicité est violente non pas en vue d’un boycott -ce serait interdit par la loi- mais pour signifier que l’on ne veut plus de ce type de publicités pourrait aider.

M. le président - Dans les débats, on parle aujourd’hui de comparution immédiate pour les mineurs. C’est peut-être une bonne idée, mais est-ce techniquement possible ?

Mme le garde des sceaux - Pour l’instant, non.

Le problème tient au fait que les très jeunes, c’est-à-dire les moins de seize ans, ont l’impression, une fois qu’ils sont passés à l’acte et ont été arrêtés par la police, qu’ils n’ont plus rien à perdre et ils repassent à l’acte de plus en plus souvent en attendant l’audience. Ils deviennent ce que l’on appelle des « réitérants », même si en droit l’expression ne veut rien dire. Cette situation démoralise un peu la police, elle démoralise plus encore nos concitoyens qui voient ces jeunes continuer à se livrer aux mêmes activités jusqu’à leur jugement.

Je pense, hors tout contexte électoral, que le juge devrait pouvoir prendre une décision provisoire -à lui de déterminer laquelle, CPI, CER...- afin de tenter d’éviter cet enchaînement que l’on rencontre chez certains jeunes, heureusement pas très nombreux, qui, en réitérant des actes contraire à la loi, se mettent eux-mêmes en danger en même temps qu’ils mettent les autres en danger.

Le problème est d’ailleurs déjà pris en compte par certains parquets et juges des enfants qui font en sorte que la réaction intervienne extrêmement rapidement. Il ne s’agit pas de comparution immédiate, expression qui a un fort sens en droit, mais plutôt d’une réaction en temps réel, d’une réaction rapide. Ainsi, il y a une quasi-immédiateté : une fois le parquet prévenu, le juge des enfants est pratiquement tout de suite amené à prendre des mesures, qui peuvent être provisoires quand l’enquête est complexe, ou définitives.

Bien sûr, pour que la première décision soit suivie d’une deuxième décision bien pesée, il faut le temps de mener une enquête sociale approfondie pour déterminer d’où vient l’enfant, dans quelle mesure sa famille peut l’accueillir, par exemple le week-end ou la nuit, etc. La mesure provisoire permet ainsi de préparer la mesure définitive adaptée.

Certains juges procèdent déjà ainsi. Je crois qu’il faut insister pour que ce soit la norme, sachant que pendant la période entre mesure provisoire et mesure définitive on n’a pas à statuer sur la culpabilité du jeune, car, à ce stade, notamment quand il s’agit de violences en bande ou entre deux bandes, on ne sait pas encore s’il est ou non responsable de tel ou tel fait grave, mais on ne peut le laisser attendre la décision judiciaire sans qu’une mesure soit prise.

M. Jean-Jacques Hyest - On pourrait presque parler de mesure conservatoire.

Mme le garde des sceaux - Exactement : il s’agit d’une mesure conservatoire pour éviter la réitération, l’espèce de sentiment d’impunité et de « désinhibition » qui se crée après le passage à l’acte et l’arrestation.

M. le président - Je vous remercie, madame le garde des sceaux.

Mme le garde des sceaux - C’est à moi de vous remercier, car votre commission a entrepris un travail très intéressant.


Source : Sénat français