Présidence de M. Jean-Pierre SCHOSTECK, Président

M. Jean-Pierre Schosteck, président - Nous allons entendre Mme Claire Brisset, défenseure des enfants, qui est accompagnée de M. Alain Vogelweith, magistrat.

(M. le président lit la note sur le protocole de publicité des travaux de la commission d’enquête et fait prêter serment.)

Vous avez la parole, Madame Brisset.

Mme Claire Brisset - Vous avez souhaité m’entendre sur le thème délicat de la délinquance des mineurs, je vous en remercie. Je suis venue accompagnée de M. Alain Vogelweith, ancien juge des enfants, qui était à Créteil, et qui a été mis à ma disposition par la Chancellerie. Il dirige le pôle juridique de notre institution.

Une institution comme celle que j’ai l’honneur de diriger, qui a été créée par le législateur, ne peut à l’évidence pas se désintéresser de la délinquance des mineurs.

Je voudrais, en introduction, replacer mon propos dans une réflexion que je mène depuis deux ans, date de ma nomination, et qui porte sur l’adolescence et la post-adolescence dans notre pays. Ce sont, selon moi, lesgrandes oubliées de la politique de l’enfance dans notre pays.

Notre société n’a pas su se doter - mais il n’est pas trop tard - d’une réelle politique pluridisciplinaire de l’adolescence. En amont de la délinquance, il y a bien souvent la souffrance, des appels, des conduites à risques, des conduites auto-agressives qui sont autant de signes d’alerte que nous aurions dû, nous adultes, saisir lorsqu’il en était encore temps.

Je diviserai mon propos en trois parties d’inégale importance.

En premier lieu, je citerai quelques chiffres, que vous connaissez peut-être déjà, et je vous prie alors de m’en excuser, mais ils me paraissent essentiels. En deuxième lieu, je procèderai à un rapide état des lieux de notre dispositif. Je formulerai, enfin, quelques propositions.

Les chiffres de la délinquance des mineurs sont longtemps restés assez stables, notamment entre le milieu des années 1980 et celui des années 1990. Depuis huit ans environ, nous assistons à un véritable décrochage. En 1994, 110 000 mineurs ont, en effet, été mis en cause dans des procédures de police alors que 172 000 l’ont été en l’an 2000, soit une augmentation d’un tiers environ. Cette augmentation est très forte et très rapide.

La nature des infractions n’a, pour sa part, pratiquement pas changé. Depuis 1995, les trois quarts des infractions commises par des adolescents et des post-adolescents, des mineurs, sont -c’est une constante- des atteintes aux biens, un quart d’entre elles sont des atteintes aux personnes.

Ces chiffres ne témoignent pas d’un rajeunissement significatif des délinquants qui commettent des actes graves tels que les meurtres ou les viols par exemple. En revanche, ce rajeunissement existe quant aux incivilités.

Nous avons très récemment enregistré une augmentation saisissante du nombre des incarcérations de mineurs. En un an, le nombre des incarcérations a augmenté de 44%. Je vous cite deux cas que j’ai retenus dans la région parisienne.

A Fleury-Mérogis, le 1er janvier 2001, quarante-huit mineurs se trouvaient dans le quartier des jeunes détenus alors qu’en mars 2002 ils étaient cent dix-neuf, pour une capacité de soixante-cinq places.

A Villepinte, seize mineurs connaissaient cette situation contre trente et un aujourd’hui, pour une capacité de vingt places. Ces chiffres mettent à mal, comme vous pouvez le constater, la règle de l’« encellulement » individuel, qu’il est bien évidemment impossible d’appliquer.

Comme vous devez certainement le savoir, 80% des mineurs en moyenne sont incarcérés en détention provisoire et non pas à l’issue d’une condamnation.

Face à cette évolution, nous avons à notre disposition l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante qui, comme vous le savez, accorde la primauté à l’éducatif par rapport au répressif. A cet égard, je voudrais mettre en exergue trois éléments.

Premièrement, cette ordonnance permet de réprimer, même en première intention, un acte extrêmement grave, tel qu’un meurtre par exemple, sans que l’on ait tenté une démarche éducative.

Deuxièmement, elle permet -et les faits nous le montrent fréquemment- le défèrement immédiat, même en l’absence d’un jugement, d’où l’importance de la détention provisoire.

Troisièmement, elle autorise la comparution à délai rapproché. Le procureur peut demander au juge des enfants de juger le mineur dans un délai de un à trois mois.

Notre dispositif comprend également des structures de prévention - c’est un point sur lequel j’insisterai. La prévention peut prendre de nombreuses formes.

J’aborderai tout d’abord la prévention non spécialisée, un sujet qui me semble particulièrement important.

En amont de la délinquance, de nombreuses procédures de prévention sont à notre disposition : le repérage des familles en difficulté par les services sociaux des départements, le rôle de l’école par exemple. Je voudrais insister sur le rôle que joue l’école.

Dans la société dans laquelle nous vivons, ce rôle est devenu incertain. L’école est-elle simplement le lieu de la transmission du savoir ou est-elle aussi le lieu de l’éducation ? Cette mission de l’école, que j’estime pour ma part complémentaire, n’est pas claire à l’échelon national tant pour ceux qui dirigent l’école que pour les enseignants. Elle n’est plus, me semble-t-il, clairement définie au sein de notre société. Ce point est très important pour le sujet qui nous préoccupe.

Je prendrai un exemple de ce malaise. Les classes-relais, des structures mixtes où sont associées la Protection de la jeunesse judiciaire et l’Education nationale, qui s’adressent à des enfants en très grandes difficultés, en situation d’échec, sont peu nombreuses. Les financements ne sont probablement pas assez conséquents. En outre, les enfants éprouvent des difficultés lorsqu’ils veulent reprendre le cours normal de l’école classique, lorsque la classe-relais estime qu’elle a rempli sa mission. La transition entre les classes-relais et l’école classique n’est pas facile.

J’en viens maintenant aux psychologues scolaires : dans le primaire, on en compte un pour 1 800 enfants. On peut aisément imaginer la difficulté pour ce psychologue de veiller à la santé mentale de tous ces enfants. On peut dresser le même constat pour la médecine scolaire, pour les infirmières scolaires. Je le répète, l’école est-elle le lieu de la prise en charge de l’enfant dans sa globalité ou est-ce simplement le lieu de la transmission du savoir ? Cette question mériterait d’être analysée.

Toujours en amont de la délinquance, abordons la psychiatrie, secteur que j’analyse abondamment dans le rapport que je vous ai remis.

Certains enfants donnent très tôt des signes d’alerte, quelquefois même dès le primaire. Faute d’être correctement analysés, car la pédopsychiatrie connaît dans notre pays une situation de grand dénuement, ces signes ne sont parfois ni repérés ni traités. Un certain nombre d’enfants échouent dans la délinquance pour des raisons qui tiennent à la maladie mentale.

A Fleury-Mérogis, lorsque j’ai visité le centre des jeunes détenus, le psychiatre m’a dit que certains mineurs étaient incarcérés uniquement parce qu’ils avaient commis une infraction sous l’empire d’un état psychiatrique. La prison est alors pour eux le premier lieu où ils découvrent la psychiatrie.

En France, dix-sept départements n’ont aucun lit en pédopsychiatrie. Or, nous le savons bien, l’hospitalisation en pédopsychiatrie est quelquefois nécessaire pour les enfants, même si elle est d’une durée assez brève.

J’aborderai maintenant la prévention spécialisée.

Elle est généralement assurée par des associations qui sont financées par les conseils généraux. Cette prévention est informelle, elle est assurée sans mandat particulier ni de la justice ni de l’administration. Toutefois, elle a démontré son utilité ; je pense par exemple aux éducateurs de rue. Mais ces derniers connaissent de très grandes difficultés. Faute de financements adaptés, leur mission s’en ressent profondément.

Par ailleurs, les conseils de prévention de la délinquance relèvent, comme vous le savez, de la politique de la ville. Ils ont été en quelque sorte « éclipsés » par les contrats locaux de sécurité, des structures plus formelles, qui ont absorbé les financements. Or, ces conseils de prévention de la délinquance présentaient pourtant, selon moi, une grande utilité.

Que prévoit notre dispositif lorsque des actes délictueux ont été commis ?

En amont de la prison, nous pouvons répertorier toutes les activités de la Protection judiciaire de la jeunesse. Elles évoluent dans les structures d’hébergement, que nous avons multipliées au cours de ces dernières années : les centres de placement immédiat, les CPI, les centres éducatifs renforcés, les CER, les lieux de vie, les foyers d’hébergement par exemple.

Ces structures existent certes, mais la PJJ traverse, vous le savez, une crise profonde en dépit des recrutements qui ont été décidés en 1998. En effet, la formation est quelquefois peu adaptée. Ainsi, nous avons observé que, souvent, les éducateurs les moins expérimentés, les plus jeunes -c’est une situation que l’on retrouve au sein de l’Education nationale- sont priés de s’occuper des jeunes les plus difficiles, ceux qui sont les plus « enkystés » dans des situations de délinquance. Il y a là un véritable dysfonctionnement.

Par ailleurs, peut-être à cause de cette crise chronique qui affecte la PJJ, nombre de jeunes éducateurs s’éloignent de ces missions qui les effraient et les inquiètent parce qu’ils ne veulent pas affronter les jeunes les plus difficiles. Ils se tournent donc de préférence vers les structures externes de la PJJ, celles qui se situent en dehors de l’hébergement, c’est-à-dire vers les mesures de liberté surveillée. Toutefois, ces structures externes se ressentent tout autant de la crise de la PJJ. Tant que notre société ne se sera pas donnée les moyens d’affronter cette crise, nous continuerons à avoir des adolescents délinquants qui seront mal pris en charge.

J’en arrive à la prison.

Pour rédiger mon rapport, je l’ai beaucoup fréquentée. J’ai visité de nombreux quartiers de mineurs dans toute la France. Je vous résume brièvement les observations que j’ai consignées dans mon rapport.

Dans les quartiers de mineurs, les condamnés et les prévenus sont ensemble, contrairement à la règle habituelle. Cela ne va pas sans poser de problèmes. Nous constatons un surpeuplement des quartiers des mineurs qui rend absolument impossible, je le répète, le respect de la règle de « l’encellulement » individuel. Je sais que cet encellulement individuel peut être source d’une certaine angoisse, mais c’est rare. Je sais surtout que sa réalisation pose de grands problèmes. J’ai observé par exemple à la prison Saint-Paul de Lyon un surpeuplement absolument inadmissible dans notre démocratie, des conditions physiques d’accueil telles qu’elles rendent la violence, qui est déjà souvent intériorisée dans les murs de la prison, presque perceptible dans l’atmosphère.

J’ai pu également constater l’insuffisance de la psychiatrie à l’intérieur de la prison. Comme de nombreuses personnes incarcérées me l’ont confié, je souhaite également que chaque jeune détenu puisse bénéficier au moins d’un bilan psychiatrique et, lorsque c’est nécessaire, avoir un suivi. Or, nous en sommes très loin. Les psychiatres font défaut en prison. Il en est de même des psychologues. J’ai été choquée, je dois le dire, de constater que certains d’entre eux se contentaient d’attendre la demande du détenu. La demande qu’exprime un adolescent à l’égard d’un soutien psychique est déjà rare en milieu normal, elle est donc rarissime en milieu carcéral. Par conséquent, comme l’a souligné le psychiatre de Fleury-Mérogis, il faut aller au devant de cette demande, il faut la susciter, et c’est le travail du psychiatre. Toutefois, comme ils sont en quantité infinitésimale, ils ne peuvent malheureusement pas le faire. Notre société, j’y insiste, manque donc à ses responsabilités à l’égard de ces jeunes incarcérés.

Je voudrais maintenant vous parler de la préparation de la sortie de prison.

Lorsqu’un jeune est averti trois heures auparavant de sa sortie, lorsque sa famille n’en a pas été informée ou qu’il a fallu trouver avec beaucoup de difficultés le père ou la mère, on rend un mineur à une famille qui n’est pas prête à le recevoir. La sortie doit se préparer, et j’y reviendrai dans les solutions que je vous propose. Cela fait appel à toute une conception d’ensemble de la délinquance des mineurs que j’appelle de mes voeux.

Il faut un projet avant la prison lorsque cela est possible ; il en faut un pendant et après la prison.

J’arrive donc, monsieur le président, aux ébauches de solution que je propose.

Nous devons, me semble-t-il, redéfinir la politique de prévention, qu’il s’agisse de la prévention non spécialisée ou de la prévention spécialisée. Nous devons leur consacrer davantage de moyens : des moyens financiers certes, mais aussi des moyens en réflexion, en conception d’ensemble de la délinquance des mineurs et de ses origines. Je pense à la prévention à l’école - on pourrait même commencer dès l’école maternelle. Il faut donc repérer les enfants en difficulté.

Le nombre des classes-relais doit être relevé de manière significative. Surtout -et c’est là le point le plus ambitieux-, nous devons redéfinir les missions de l’école et revoir les moyens dont elle dispose. Il n’est pas question de laisser l’école seule face à la problématique de la délinquance. Mais il faut mettre l’école au coeur du dispositif pour repérer ce qui peut engendrer la délinquance plus tard. On gagnerait beaucoup à redéfinir ses missions dans la prise en charge des adolescents et des pré-adolescents.

Selon moi, l’école n’a pas pour seule mission de transmettre les savoirs, et je voudrais être entendue par vous, mesdames, messieurs les sénateurs, et plus largement par la société. L’école de la République a une mission beaucoup plus large qui doit être réaffirmée. Peut-être n’êtes-vous pas d’accord avec moi sur ce point, mais je suis prête à en débattre tout à l’heure.

Par ailleurs, nous devons reconsidérer la pédopsychiatrie dans son ensemble, pas seulement pour prévenir la délinquance, mais pour tous les enfants. Je parle des enfants parce que je suis défenseure des enfants mais, dans ma bouche, le mot « enfant » concerne les jeunes jusqu’à dix-huit ans.

En effet, certains enfants passent d’une conduite auto-agressive à une conduite agressive à l’égard des autres sans qu’il y ait quelquefois une grande transition. La conduite auto-agressive remplace parfois une conduite, ou se substitue à une autre qui, six mois ou un an plus tard, pourra se transformer en une conduite agressive à l’égard d’autrui. Nous savons bien que le passage de l’état de victime à l’état d’agresseur existe. Les deux ont besoin de la pédopsychiatrie. Nous ne pouvons pas laisser une discipline entière de la médecine dans l’état de dénuement - je dirais même de délabrement - dans lequel nous l’avons laissé s’installer. Ce n’est pas acceptable dans notre pays. Nous devons donc repenser la pédopsychiatrie dans son ensemble.

Nous devons aussi repenser et redynamiser la prévention spécialisée. C’est une matière essentielle dans la politique de la ville, mais pas seulement.

Les clubs de prévention de la délinquance doivent être réinvestis par la puissance publique, à l’échelon local, régional, départemental ou national. Une nouvelle politique de la prévention spécialisée doit être mise en place.

Je n’insisterai jamais assez sur la nécessité absolue de revoir la politique préventive. La prévention doit être le maître mot si l’on veut mener une véritable politique de prise en charge de la délinquance dans notre pays.

J’aborderai maintenant un autre point : nous devons, me semble-t-il, redéfinir l’éducatif par rapport à la prison.

Lorsqu’un acte de délinquance a été commis, il conviendrait que les juges des enfants puissent définir une mesure d’ensemble qui s’inscrive dans la durée. Il ne me semble pas possible de remettre un adolescent ou un post-adolescent sur les rails par une mesure purement ponctuelle. Cet enfant a besoin, à un certain moment, d’une structure qui le maintienne dans sa famille, à laquelle nous devons simultanément apporter notre soutien. A d’autres moments, ce jeune peut avoir besoin de la prison, même ponctuellement. Toute une panoplie de solutions peuvent être envisagées et le juge des enfants doit pouvoir, en confiant cet adolescent à un service référent, un service de la PJJ, garder la maîtrise de la situation sur une durée relative. Ne choisissons pas des mesures ponctuelles.

Après un ou deux mois de prison, rendre cet adolescent à sa famille qui devra ensuite gérer la situation, c’est aller droit à l’échec. Comme je le dis en d’autres enceintes, s’agissant des adolescents qui ont commis des tentatives de suicide, mais cela vaut aussi pour les adolescents en grande difficulté ayant séjourné en prison, si nous voulons éviter la récidive, nous devons soutenir cet adolescent ainsi que sa famille.

Il nous faut donc mettre en place une politique d’ensemble qui constitue un véritable projet pour le mineur en coordination avec sa famille, avec l’école, tout en prévoyant, si le besoin s’en fait sentir, des aller-retour en prison sous le contrôle de la Protection judiciaire de la jeunesse.

Par ailleurs, nous devons multiplier les alternatives à la prison. Il est prévu d’augmenter les capacités des centres de placement immédiat : elles devraient passer de trente à cinquante entre 2001 et 2002 ; de même le nombre des CER devrait passer de trente-sept en 2001 à cent en 2002. Je ne sais pas si cet objectif sera respecté mais, quoi qu’il en soit, il est insuffisant. Les structures alternatives à l’incarcération doivent bien entendu être multipliées, mais nous devons aussi multiplier les formules de réparation directe et indirecte, dont Alain Vogelweith est un spécialiste. Il pourra, si vous le désirez, vous en parler tout à l’heure car, en tant que juge des enfants, il a pu le vivre directement auprès d’eux.

Dans le cas où la prison s’avère nécessaire, il faut redéfinir son rôle. Nous devons multiplier les formules de semi-liberté. Contrairement à d’autres pays, elles existent en France à titre absolument homéopathique : développons la prison de jour, la prison de week-end. Ces formules peuvent se concevoir et elles ont fait les preuves de leur efficacité. Multiplions les formules de liberté conditionnelle. Développons les travaux d’intérêt général, les TIG, c’est-à-dire aménageons les peines lorsqu’elles sont inférieures à un an et lorsque, bien entendu, l’adolescent est âgé de plus de seize ans.

Comme je l’ai évoqué tout à l’heure, nous devons revoir le suivi avec la famille, pendant et après le temps de l’incarcération.

Je ne fais pas partie de ceux qui pensent que la prison n’est pas nécessaire au dispositif. En vérité, il me semble qu’elle l’est, mais elle doit être réinsérée et réintégrée dans un projet de vie pour l’adolescent ou le post-adolescent qui est incarcéré. Le temps de la prison ne doit pas être un temps mort ; il doit être non pas, ce qu’il est trop souvent, l’apprentissage de la violence, mais un temps utile.

M. le rapporteur - Vous avez déjà répondu, madame Brisset, à certaines questions que je voulais vous poser, s’agissant notamment des ébauches de solution que vous proposez.

Vous avez souligné le fait que la nature des infractions n’avait pas beaucoup évolué, que leur nombre avait augmenté mais que l’on constatait un rajeunissement des délinquants qui commettent des infractions.

Mme Claire Brisset - Ce sont les chiffres de la Chancellerie !

M. le rapporteur - Ces dernières sont certes mineures, mais elles sont souvent un premier pas vers la délinquance. Avez-vous une explication à ce phénomène de rajeunissement du premier acte commis par les délinquants ?

Mme Claire Brisset - Il serait quelque peu présomptueux de ma part d’avoir une explication. Je vous livrerai cependant quelques hypothèses.

Nous vivons dans une société qui, comme le dit le docteur Boris Cyrulnik, un neuropsychiatre que vous connaissez peut-être, n’ose plus énoncer l’interdit. Nous devons dire aux enfants dès leur petite enfance que certaines choses sont interdites. Dans la famille ou à l’école, ils ont face à eux des adultes qui n’osent pas énoncer l’interdit. Tous les pédopsychiatres savent ce que signifie « non » pour un enfant. Or, la gradation de l’énonciation de l’interdit fait défaut dans toutes les structures de notre société.

Cette réflexion ne vaut évidemment pas pour les actes graves. Les enfants ont intériorisé l’idée selon laquelle ils n’ont pas le droit de tuer, de voler le sac de quelqu’un par exemple. En commettant ces délits extrêmes, ils savent qu’ils sont dans l’interdit. Tuer quelqu’un fait partie des interdits élémentaires de l’humanité. Je ne dis pas qu’ils ne le font pas, mais je dis simplement qu’ils savent qu’ils transgressent la loi. Pour autant, ils commettent certains délits sans avoir conscience de transgresser la loi. Cette hypothèse peut répondre en partie à la question que vous m’avez posée, monsieur le rapporteur.

M. le président - Certaines personnes que nous avons auditionnées nous ont confié que, s’agissant même des délits les plus graves, certains délinquants -c’est exceptionnel fort heureusement- n’ont pas le sentiment d’être dans la réalité, et n’ont pas conscience que la réalité est différente des fictions qu’ils ont pu connaître.

Mme Claire Brisset - Absolument ! Je laisse M. Vogelweith vous apporter des éléments de réponse à cette remarque.

M. Alain Vogelweith - Tout cela dépend bien évidemment de la nature des faits. Il est un domaine dans lequel les délinquants perçoivent difficilement la réalité - on en parle beaucoup dans la presse -, c’est celui des tournantes, des viols qui peuvent poser des problèmes de représentation. Ce n’est que lors du procès qu’ils prennent conscience de la gravité du délit qu’ils ont commis. Cette prise de conscience n’était pas du tout évidente au moment de l’acte.

On doit distinguer les incivilités, les petits actes qui participent de la création d’un sentiment d’insécurité et qui ne sont pas perçus comme des actes de transgression, des actes plus graves. Les mineurs que nous rencontrons dans les cabinets des juges des enfants savent bien qu’ils transgressent la loi lorsqu’ils commettent des vols avec violence. Nous devons donc nous demander qui pose les limites, quels sont les interdits et comment ils peuvent être suffisamment intériorisés pour éviter que l’on ne se retrouve face à des mineurs qui commettent certains actes dont ils ne perçoivent même pas que ce sont des actes de transgression.

M. le rapporteur - J’aimerais revenir sur la prévention et sur le rôle que peut jouer la famille. Nous n’allons pas ouvrir le débat sur la mission de l’école. Mais doit-elle transmettre le savoir ou faire plus ?

Pour ma part, je pense qu’elle doit transmettre le savoir-être et ce terme inclut le comportement. Le manque de moyens est réel, et le manque de pédopsychiatres évident. Cette situation est-elle uniquement due au manque de moyens ou n’est-ce pas aussi la conséquence d’une mauvaise coordination entre les différents acteurs ?

Nous avons vu, notamment à Lyon, que, entre le premier signal d’alerte déjà relativement grave donné par l’instituteur, et la décision, deux ans se sont écoulés. Ce sont deux années pendant lesquelles il est bien évident que le mineur n’est pas rentré dans le droit chemin ; sa situation s’est encore aggravée. N’est-ce pas l’absence d’une sorte de pilote, de fil rouge, permettant d’améliorer considérablement le délai d’exécution, qui constitue aujourd’hui un frein réel ?

Mme Claire Brisset - J’abonde dans votre sens. En effet, nous constatons une sorte de « balkanisation » des services. La décentralisation a peut-être quelque peu facilité, si je puis dire, la vie des délinquants, mais elle n’a pas toujours facilité la vie de ceux qui tentent de lutter contre la délinquance. C’est un effet induit. Ne pourrait-on pas envisager par exemple des schémas d’organisation tels que ceux qui ont été mis en place par la politique de l’enfance ? Nous devons, c’est certain, créer des liens entre les services de l’Etat et les services départementaux.

Je voudrais revenir sur un autre point très important que vous avez soulevé, à savoir l’inexécution des peines dans certains cas.

L’inexécution des peines incite l’adolescent à penser que le délit qu’il a commis n’est pas très grave puisqu’il n’exécute pas la peine pour laquelle il a été condamné. J’aimerais beaucoup que vous entendiez le point de vue d’un juge des enfants à cet égard. En fait, ce sont les moyens qui font défaut.

M. Alain Vogelweith - Certes, il est difficile de faire exécuter les peines. Mais, bien avant les peines, ce sont les mesures éducatives qui ne sont pas exécutées.

En effet, j’ai connu des cas où les mesures éducatives qui avaient été prononcées contre des mineurs en situation de décrochage n’avaient pas été exécutées. Vous avez sans doute entendu parler des listes d’attente qui existent dans les services éducatifs.

En fait, il est très pénible pour un juge des enfants, après avoir repéré une situation qui pose problème et mis en place une mesure éducative, de constater que celle-ci n’est pas exécutée et de retrouver le mineur, pour des faits identiques ou parfois plus graves, dans une situation où l’intervention éducative sera plus difficile encore. En effet, le mineur et sa famille auront attendu en vain l’intervention de l’éducateur et n’y croiront plus ; pis encore, sa situation aura pu se dégrader pendant cette période d’inaction des services éducatifs. Nous ne pourrons alors plus lui apporter qu’une réponse ponctuelle qui tiendra plus compte du délit commis que de son parcours, qui aurait pu être infléchi. L’inexécution des mesures éducatives nous pose donc de réelles difficultés.

Mais nous rencontrons d’autres difficultés dans la mesure où une partie importante des condamnations prononcées ne sont pas exécutées. Des mesures aussi intéressantes que la réparation, qui peuvent être pré-sentencielles ou post-sentencielles, se heurtent à des difficultés de mise en oeuvre. Je ne veux pas critiquer le service de la Protection judiciaire de la jeunesse, qui fait déjà l’objet de nombreuses critiques, mais ce service a, il est vrai, une responsabilité importante dans la mise en place de ces mesures de réparation. Or, en de nombreux endroits, l’on peut constater que c’est plutôt le secteur associatif qui tente de travailler dans une perspective éducative.

Le cadre juridique existe donc, les solutions aussi, mais la mise en oeuvre reste pour l’instant extrêmement difficile tant du point de vue éducatif que du point de vue des sanctions qui peuvent être prononcées par les juridictions.

M. le président - Les tribunaux de Seine-et-Marne nous font savoir que 476 mesures sont actuellement en attente.

Mme Claire Brisset - Pour le sentiment d’impunité, c’est formidable !

M. le rapporteur - Vous avez parlé, madame la défenseure, de la Protection judiciaire de la jeunesse. Ne souffre-t-elle pas d’une crise d’identité ?

Mme Claire Brisset - Bien évidemment. Nous l’avons observé au cours de nos visites dans nombre d’établissements, qu’il s’agisse des CER, des CPI ou des prisons. Je ne voudrais pas être caricaturale, mais j’ai rencontré des personnes qui ne savent plus vraiment pourquoi elles sont là. Sont-elles là pour aider à punir un adolescent qui a commis un acte que la société ne peut pas accepter, et aider à le remettre sur le droit chemin ou sont-elles là pour ne pas punir ? Certaines personnes au sein même de la PJJ n’ont pas intégré la dimension psychologique de la sanction. Certes, ce n’est pas la majorité des personnes qui y travaillent, mais cela témoigne d’un profond malaise, comme vous l’avez souligné, et d’un sentiment de perte d’identité de ce service.

M. Alain Vogelweith - Il est vrai que la PJJ a été sollicitée d’une manière intense au cours des quinze dernières années : le nombre des demandes de prises en charge a augmenté alors que les moyens sont restés très limités. En effet, une augmentation sensible de ces moyens n’a été décidée qu’il y a trois ans et celle-ci ne s’est pas encore vraiment traduite dans les faits.

Par ailleurs, nous devons faire une distinction entre l’hébergement et le milieu ouvert. Nous connaissons une crise de l’hébergement pour deux raisons.

D’une part, l’hébergement est souvent pensé comme un temps de rupture. Toutes ces structures -les CER, les CPI- ne sont pas intégrées dans un projet éducatif qui s’inscrive dans la durée.

D’autre part, lorsque l’on concentre les mineurs les plus difficiles - et l’actualité nous le rappelle - sur certains lieux, il est évident que cela devient extrêmement difficile à gérer. Certains CPI se sont retrouvés face à des situations lourdes, concentrées, confrontés à des phénomènes de dynamiques de groupes explosives particulièrement difficiles à contenir.

De plus, de nombreux éducateurs expérimentés ont tendance à demander leur mutation dans des services de milieu ouvert où l’on gère les choses d’une manière différente parce que l’enfant est dans sa famille. Le travail éducatif peut donc y être moins stressant, moins difficile. Je connais dans le Val-de-Marne un foyer d’action éducative qui a été transformé en CPI. Cela s’est traduit par une demande de mutation de la quasi-intégralité des personnels qui géraient cet établissement. Se sont donc retrouvées dans l’établissement essentiellement de jeunes éducatrices qui venaient de terminer leur formation, tout à fait compétentes et motivées, mais dont certaines étaient totalement dépourvues d’expérience pour gérer ce type de situation.

Il faudrait donc faire le bilan du fonctionnement de ces établissements, ce qui ne devrait pas être très difficile, pour observer la manière dont on pourrait motiver les équipes mixtes qui comprendraient à la fois des gens expérimentés et des éducateurs plus jeunes.

Comme Claire Brisset l’a indiqué, il convient de replacer cet hébergement dans un projet éducatif à long terme. Les CER donnent des résultats intéressants mais qui restent souvent sans effet. Le constat est pire encore pour les CPI. Nous devons donc réfléchir à une mesure éducative globale qui permettrait de faire le lien entre le milieu ouvert et l’hébergement. Même lorsque l’emprisonnement est nécessaire parce que les faits incriminés sont d’une certaine gravité, nous devons pouvoir aider le jeune à sa sortie. Si la PJJ se borne à penser que tout peut être résolu individuellement avec l’aide du seul éducateur, je crains qu’il ne soit très difficile d’avancer. Nous devons régler ce problème en partenariat avec certaines autres institutions qui ont aussi à traiter ces mêmes mineurs. C’est autour de cette idée d’un décloisonnement de ces interventions et d’un travail plus collectif et plus pluridisciplinaire de ces services que nous renouvellerons les pratiques éducatives et c’est ainsi que nous éviterons d’avoir ces « cocottes-minutes » que sont ces établissements dotés de personnels qui sont très vite dépassés par les situations qu’ils doivent gérer.

M. le rapporteur - Lors de nos visites sur le terrain, certains nous ont proposé à plusieurs reprises d’étendre la comparution immédiate aux mineurs. Qu’en pensez-vous ?

Mme Claire Brisset - J’ai essayé de brosser un tableau des actions qu’il me semble nécessaire de mener. Notre dispositif actuel ne manque pas de formules qui s’apparentent tout à fait à la comparution immédiate.

Je vous ai parlé tout à l’heure de la comparution à délai rapproché. Pendant un mois après la commission des faits, il est possible de diligenter une enquête sur ce qui s’est passé. Le mineur comparaîtra ensuite et pourra être condamné dans un délai se situant entre un mois et trois mois. Cette procédure ressemble beaucoup à la comparution immédiate à la seule différence que nous disposons d’un mois pour faire une réelle évaluation satisfaisante de la situation du jeune délinquant. Plutôt que d’élaborer un nouveau dispositif, utilisons celui qui existe déjà. L’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante est pleine de ressources. Si nous l’appliquions davantage et si nous respections les dispositions qu’elle prévoit, nous y trouverions de nombreuses solutions. Cette ordonnance a, me semble-t-il, fait ses preuves. Elle a d’ailleurs été remaniée plusieurs fois pour s’adapter aux situations évolutives de notre société.

M. le rapporteur - Certains acteurs ainsi que l’opinion publique pensent que la justice traîne, que certaines mesures ne sont pas exécutées, et qu’il serait peut-être souhaitable d’aller plus vite et de suivre par exemple la même procédure que celle qui est utilisée pour les majeurs. Cette question est revenue sur le devant de la scène au cours de la plupart de nos déplacements.

Mme Claire Brisset - Franchement, le délai d’un mois ne s’apparente-t-il pas à la comparution immédiate ?

M. Alain Vogelweith -Nous devons distinguer deux points. Il faut certes apporter une réponse rapide à l’opinion publique eu égard au trouble à l’ordre public que peuvent représenter des actes commis par un jeune dans un quartier, mais il faut aussi éviter la récidive. Pour ce faire, il faut trouver la réponse la plus adaptée, ce qui demande un minimum de temps d’évaluation. Toutefois, il ne faut pas non plus en arriver aux situations que connaissent nombre de juridictions où le délinquant est jugé un an ou deux ans après les faits. Cela n’a plus de sens pour le mineur, d’autant qu’à quatorze ou à seize ans il n’a pas la même perception des choses. C’est bien évidemment là un dysfonctionnement auquel il faut remédier.

Pour autant faut-il passer à un système de comparution immédiate ? Nous n’en voyons pas vraiment l’intérêt. Des réponses peuvent déjà être apportées en termes de détention provisoire et d’augmentation du nombre des défèrements. Si l’on a par ailleurs besoin de juger dans des délais brefs, le dispositif de la comparution à délai rapproché peut être utilisé. Quelle serait donc la place de la comparution immédiate ?

Elle permettrait simplement d’avoir très rapidement, sur jugement au fond, une peine ferme. Cette réponse montrerait simplement qu’une sanction, une peine ferme, a été prononcée. Or, je ne suis pas du tout certain que les acteurs de terrain ou que l’opinion publique attendent vraiment que des peines fermes soient prises. Nous attendons surtout une visibilité dans les réponses apportées, notamment dans les actions éducatives. Des choses se font à certains moments mais elles ne sont absolument pas comprises par les personnes qui sont sur le terrain, voire les victimes. C’est une vraie difficulté.

Il faut aussi que les services en charge de ces mesures sachent davantage expliciter le contenu de leurs interventions. Nous devons garder à l’esprit que des réponses trop urgentes et trop brutales provoqueront de fait une récidive puisque personne n’envisage de prononcer des peines de prison lourdes. La sortie devra bien évidemment être préparée pour éviter la récidive.

Mme Claire Brisset - Quelque chose est, à mon sens, beaucoup plus toxique pour la société et pour ces jeunes, c’est la non-exécution des mesures. Le délai rapproché, c’est quasiment de la comparution immédiate, et il répond à votre question. En revanche, si l’on doit vraiment rendre les peines exemplaires tant pour les autres que pour l’intéressé, il faut veiller à ce que les mesures soient exécutées. Les chiffres que vous avez cités sont absolument terrifiants : la non-exécution des peines est une porte ouverte à la récidive.

M. le président - Je ne suis pas certain que la comparution immédiate ou la comparution à délai rapproché signifie obligatoirement une condamnation ou la prison. Nous ne devons pas laisser croire que la demande d’une comparution la plus rapide possible signifie que s’ensuivra inévitablement une condamnation, et une condamnation sévère. Cela peut être aussi l’occasion de marquer une solennité et de prendre des mesures salvatrices en préconisant des mesures d’éducation ou d’éducation renforcée par exemple.

La quasi-totalité d’entre nous sommes d’accord avec votre perception de l’ordonnance du 2 février 1945. Je profite de cette occasion pour le rappeler parce que l’on se trompe parfois sur nos intentions. Cette ordonnance prévoit tout l’arsenal nécessaire. Nous l’avons toilettée vingt fois, nous pouvons continuer de le faire si cela s’avère nécessaire, mais je n’ai pas perçu de critiques fondamentales à cet égard, sauf de la part de personnes qui portent sur elle des jugements très éloignés des nôtres.

M. Alain Vogelweith - Pour ce qui est de mettre en place des mesures éducatives, on peut actuellement le faire. Le juge des enfants peut ordonner toute une série de mesures qui pourraient d’ailleurs être améliorées. En revanche, si l’on ne dispose pas d’un minimum de temps pour évaluer la situation -bien évidemment il n’est pas obligé de prononcer une peine de prison ferme, il pourra trouver d’autres réponses-, il ne pourra pas considérer le mineur dans sa particularité.

Pour ma part, j’ai exercé différentes fonctions. Je fus juge d’instruction. Je me suis occupé des adultes, puis des mineurs. Bien évidemment, au pénal, lorsque l’on a affaire à des mineurs, même si l’on considère la personnalité du mineur, l’acte qu’il a commis est déterminant. Or, l’ordonnance de 1945, que personne ne veut sérieusement remettre en cause, me semble-t-il, et je l’espère, nous donne la possibilité de tenir compte de la personnalité du délinquant en mettant en place par exemple des mesures éducatives. Or, pour savoir quel type de mesures il faut prendre, quelle réponse il faut apporter au délinquant, un temps d’évaluation est nécessaire. Il faut donc se demander si la comparution immédiate peut permettre la mise en place de réponses fines, individualisées et efficaces eu égard à la situation du mineur. Telle est la seule réserve que j’émettrai sur ce dispositif.

M. le président - Elle peut être plus intéressante que l’admonestation qui est plutôt un coup d’épée dans l’eau.

M. Alain Vogelweith - Cela pose surtout un problème lorsque l’on fait vingt-quatre admonestations de suite !

M. le président - Je vais maintenant donner la parole à ceux de nos collègues qui souhaitent poser des questions.

La parole est à M. Plasait.

M. Bernard Plasait - Ma première question a trait à la comparution immédiate ou à la comparution à délai rapproché. Vous nous dites que la comparution à délai rapproché suffit, mais ne vous heurtez-vous pas à des non-exécutions des enquêtes que vous demandez par manque de moyens ? N’est-ce pas là que se situe la vraie difficulté ?

Par ailleurs, vous avez parlé, madame la défenseure, de l’impunité. Il est évident que, à côté de l’impunité qui est moins forte que ce que l’on imagine, il y a le sentiment d’impunité. Ce sentiment est purement catastrophique parce qu’il encourage la réitération et parfois même le passage à l’acte puisque l’on sait qu’un très grand nombre de faits ne sont même pas signalés. En plus des chiffres importants de la délinquance, il faut noter que 80% à 85% des faits ne sont pas signalés. Pour ces délinquants, c’est un formidable encouragement.

Vous nous avez parlé des peines qui n’étaient pas exécutées. Concrètement, j’aimerais savoir sur quoi l’on bute. Pour quelles raisons des peines ne sont-elles pas exécutées ? Quelle est alors la responsabilité du juge de l’application des peines ?

Mme Claire Brisset - Vous avez tout à fait raison, vous posez là deux questions qui sont voisines puisque, dans les deux cas, nous nous heurtons essentiellement au manque de moyens de la Protection judiciaire de la jeunesse, des éducateurs de la PJJ, des services les plus variés qui peuvent diligenter l’enquête pour la comparution à délai rapproché et qui permettent par ailleurs l’exécution des peines. C’est là que se situe le noeud essentiel du problème. On en revient toujours à la crise que connaît la PJJ, au manque de moyens dont elle souffre en dépit du recrutement important qui a été décidé en 1998 mais qui n’a pas encore permis de produire ses effets.

M. Alain Vogelweith - La PJJ connaît des difficultés, par manque de moyens, pour mettre en place le sursis avec mise à l’épreuve, les travaux d’intérêt général, voire les mesures de réparation pré-sentencielles ou post-sentencielles : elle ne peut assumer l’exécution d’un certain nombre de décisions. Certains services de la PJJ vont parfois privilégier les mesures de liberté surveillée par rapport aux mesures de sursis avec mise à l’épreuve ou de travail d’intérêt général.

Je le répète, les moyens qui sont accordés aux services de la PJJ doivent être renforcés et, en définissant la politique qu’elle doit suivre, nous devons fixer des priorités en matière d’exécution des peines. Ce point est extrêmement important.

Je vous rappelle que, s’agissant des mineurs, c’est le juge des enfants qui, pour ce qui concerne le milieu ouvert, est le juge de l’application des peines. C’est à lui d’impulser une véritable exécution des peines. Il est d’ailleurs important que ce soit le juge des enfants parce qu’il peut établir un lien entre ce qui a été fait en amont de la condamnation et la manière dont la condamnation doit être exécutée.

S’agissant de l’exécution des peines, une disposition du code de procédure pénale, l’article D.49-1, prévoit que la peine peut être aménagée lorsqu’elle est égale ou inférieure à un an de prison ferme. Mais, certains membres de la PJJ ou certains juges des enfants considèrent que l’on n’y a recours que dans très peu de cas. Se pose donc là un vrai problème. Pourquoi les mineurs auraient-ils moins de droits que les majeurs ? Telle est en quelque sorte la situation que nous connaissons actuellement en matière d’exécution des peines.

S’agissant de toutes les infractions qui ne seraient pas connues ou qui ne sont pas poursuivies, il est évident qu’il existe un décalage entre les faits commis et les faits poursuivis -et les enquêtes de « victimation » le montrent bien. Je note simplement que les poursuites sont nettement plus nombreuses s’agissant des mineurs. Cette politique a été développée ces dernières années pour répondre à tout acte commis. Il s’agit certes d’un slogan, mais s’est exprimée la volonté de poursuivre davantage les mineurs. En effet, j’ai pu observer que, pour les mêmes faits, les majeurs bénéficiaient du classement de leur dossier alors que les mineurs étaient poursuivis. Veillons toutefois à ne pas engorger la machine judiciaire avec certains faits. Les incivilités pourraient peut-être par exemple être traitées en amont du judiciaire de manière à concentrer les moyens sur les faits, sur les peines, les éléments qui nécessitent vraiment une bonne exécution des peines.

Comme vous allez auditionner un principal de collège, je souligne que, dans certains établissements scolaires, des conventions ayant été passées entre la justice, la police et l’école, le nombre de poursuites pour de petites incivilités et des problèmes à l’école a augmenté alors que le nombre des poursuites disciplinaires au sein de l’école a diminué. Le judiciaire et le pénal ont donc réglé des faits qui étaient auparavant réglés en termes de discipline.

Lorsqu’un fait se passe au sein d’un collège, il faut bien entendu y apporter une réponse. La question est de savoir si la réponse doit être pénale ou judiciaire, même s’il ne s’agit que d’une vague admonestation ou d’une rencontre avec le commissaire de police par exemple, ou si elle devra être donnée en termes disciplinaires au sein de l’école, voie qui sera peut-être mieux comprise par les familles et par l’intéressé. Il ne faudrait pas transférer au judiciaire des réponses qui finiraient par engorger la machine et qui seraient mal perçues et mal comprises par les intéressés.

M. le président - Ne peut-on pas penser, même s’il est regrettable de choisir, qu’il est peut-être plus urgent d’intervenir sur les mineurs parce que nous manifestons là un espoir. Cette attitude peut sembler paradoxale, mais il est désespérant de se dire que des mineurs vont entrer dans la délinquance à tout jamais. Si nous devons accorder une priorité et réaliser des efforts importants, c’est vers ceux qui sont les plus susceptibles de rédemption, si j’ose dire, que nous devons nous tourner.

Mme Claire Brisset - Cela est d’autant plus vrai que la pédopsychiatrie en est un exemple flagrant.

Lorsque l’on parvient à remettre sur les rails un enfant qui connaît des difficultés psychologiques, on évite ainsi qu’il ne tombe dans la maladie mentale. C’est tout à fait similaire.

Toutefois, si vous me le permettez, monsieur le président, je voudrais émettre un souhait. Puisque vous allez recevoir des spécialistes de la violence à l’école et des représentants du milieu scolaire, je voudrais soulever un problème auquel je suis confrontée : l’exclusion scolaire.

Lorsqu’un adolescent a commis un délit grave à l’école et qu’il en est exclu, en le rendant à sa famille, quel choix lui donne-t-on si ce n’est celui de se laisser entraîner par des adolescents plus aguerris que lui dans des activités répréhensibles ? Si on l’avait maintenu à l’école, on aurait peut-être pu trouver une autre solution pour éviter cette situation.

M. le président - La parole est à M. Mahéas.

M. Jacques Mahéas - Vous nous avez fait un exposé extrêmement structuré, très intéressant, tout de même pessimiste, me semble-t-il.

Mme Claire Brisset - Je vous ai aussi exposé des solutions !

M. Jacques Mahéas - Je voudrais être un petit peu plus optimiste. En Seine-Saint-Denis, département qui n’est pourtant pas facile, je ne perçois pas les choses comme vous.

Ainsi, j’ai demandé à la mairie de Neuilly-sur-Marne quel était le nombre des bénéficiaires des TIG. Il y en eut onze l’an dernier. Certes, ce n’est pas assez, mais nous avons réussi pour dix d’entre eux. Quarante employés municipaux ont été formés pour les accueillir. J’attends que les juges nous envoient des jeunes. J’ai l’impression que le vivier existe. En tant que juge et défenseure des enfants, vous pourriez exploiter cette formule. Les collectivités locales, pour nombre d’entre elles, sont prêtes à répondre à toute sollicitation.

En revanche, je vous rejoins sur de nombreux points, s’agissant par exemple de la formation des éducateurs de rue. C’est un métier extrêmement difficile.

Par ailleurs, je voudrais vous interroger sur un phénomène nouveau qui existe depuis quelques années et qui s’est généralisé, je veux parler des bandes.

Si vous avez visité de nombreuses prisons, en dialoguant avec les jeunes, n’avez-vous pas observé qu’ils étaient entraînés encore plus dans la délinquance à cause de ce phénomène de bande, de caïdat ? C’est très préoccupant. Comment peut-on y remédier ? Avez-vous des propositions spécifiques ? Les éducateurs de rue pourraient-ils faire éclater ces bandes ? A l’école, ce phénomène de chef existe-t-il ?

En tant que collectivité, nous nous trouvons dans une position particulière. Nous essayons, il est vrai, de fédérer les jeunes en organisant des clubs de prévention, en mettant à leur disposition des éducateurs. Mais ces bandes se constituent quelquefois au sein même de ces lieux éducatifs.

Mme Claire Brisset - C’est tout à fait juste.

Vous avez parlé de la Seine-Saint-Denis. J’observe que, bien souvent, ce département - où je me rends souvent, justement parce que je suis invitée par des gens qui veulent me montrer ce qu’ils y font -, qui compte nombre de cités et de situations de difficulté, est aussi un laboratoire de l’innovation sociale, que ce soit dans le domaine de la psychiatrie, pour les TIG, ou dans d’autres domaines. Par exemple, va bientôt s’ouvrir à Avicenne une maison de l’adolescent, comme il en existe une au Havre. C’est une expérience que je trouve vraiment exceptionnelle et dont je souhaiterais la multiplication partout. Il va donc y en avoir une en Seine-Saint-Denis, mais aussi à Bordeaux, à Paris, etc., et c’est heureux.

Tout à l’heure, Alain Vogelweith vous parlera d’un autre département où l’on trouve aussi des cités et des choses difficiles, le Val-de-Marne, où il était juge jusqu’à il y a peu.

A propos des bandes, tout le monde sait que l’adolescence est un âge de la vie où l’on a besoin de pairs - de pairs, bien sûr, mais aussi de pères ; mais ce n’est pas le sujet du moment. C’est à nous, les adultes, qu’il revient de donner à ces jeunes les moyens de trouver des sentiments d’intégration à des groupes d’adolescents autrement que par la délinquance, celle-ci étant finalement l’acte qui fédère la bande. C’est pourquoi j’en reviens à ce que je disais précédemment : il faut multiplier les lieux d’accueil, les centres, les éducateurs de rue dont vous nous parlez, etc., et même les maisons d’adolescents - je pense qu’il en faudrait partout -, pour qu’ils aient des lieux où ils puissent parler entre eux et se retrouver, par exemple grâce à des activités culturelles. Nous avons laissé tomber beaucoup d’activités culturelles destinées aux jeunes, alors qu’ils en ont besoin, si bien qu’ils fédèrent leur amitié, leur sentiment d’appartenance grâce à la délinquance, autour de la bande.

Je suis désolée de vous avoir donné l’impression d’être pessimiste. Je ne me sens pas pessimiste, j’ai l’impression que l’adolescence est devant nous comme un chantier qui en serait encore à ses débuts. Notre société a bien travaillé sur le problème de la petite enfance. Depuis ma nomination, qui me donne en quelque sorte une loupe, j’observe que les adultes, que ce soient l’État, les départements..., ont bien développé l’accueil des petits enfants, etc. En revanche, à partir du moment où les adolescents arrivent en sixième, nous avons en quelque sorte baissé les bras, j’ai le regret de le dire. Mais je vous assure que je ne suis pas pessimiste, et je pense qu’il n’est pas trop tard.

M. Alain Vogelweith - Sur la question des bandes, deux approches sont possibles.

La bande crée une difficulté, notamment en favorisant les passages à l’acte des individus en bande : nous avons tous connu des mineurs qui ne posaient pas de problème seuls et qui, dès qu’ils étaient dans leur groupe de pairs, passaient à l’acte. Il y a généralement, autour des bandes, des mineurs qui sont un peu dans la périphérie, qui ne se font jamais prendre et qui sont en quelque sorte dans l’animation.

Mme Claire Brisset - Des caïds !

M. Alain Vogelweith - La dynamique de la bande fait que ce sont ceux qui courent le moins vite qui sont pris, ou ceux qui veulent à tout prix, on peut dire « revendiquer » leur passage à l’acte, en particulier en se confrontant avec les forces de l’ordre. C’est une difficulté.

Les réponses, je le disais, peuvent être apportées à deux niveaux différents. D’un côté, cela peut être des réponses en termes répressifs, en termes d’interpellations..., que connaissent bien les différents intervenants, notamment les brigades anti-criminalité.

D’un autre côté, on peut répondre en termes éducatifs, et il n’est pas inintéressant de se demander ce que l’on peut faire de ce point de vue. On se demandait tout à l’heure si la PJJ n’était pas en difficulté pour répondre, et il est certain qu’il faut repenser certaines choses.

Nous concevons l’éducatif comme une relation entre un éducateur et un jeune ; mais on peut aussi le concevoir comme un travail sur le groupe. Une expérience très intéressante a eu lieu dans un centre d’action éducative du Val-de-Marne. Des gamines « éclusaient », si je puis dire, les grands magasins du département et commettaient à répétition toute une série de vols. Un juge des enfants a décidé de mettre en place avec un centre d’action éducative une mesure globale ; plus exactement, il a pris une mesure pour chaque enfant, mais les a toutes confiées au même service, qui a travaillé non pas avec un enfant d’un côté et un éducateur de l’autre, mais sur la dynamique de groupe. Ils sont même allés jusqu’à faire venir les gamines qui ne s’étaient pas fait prendre par la police mais qui étaient néanmoins dans la périphérie de la bande. Leur travail était extrêmement intéressant parce que, pour la première fois, ils avaient accès à ces gamines, qui ne venaient jamais quand elles étaient convoquées individuellement, mais qui, dans ces circonstances, acceptaient de participer au groupe. Et, du jour au lendemain, ils ont pu résoudre le problème du passage en l’acte en orientant ensuite les enfants sur des projets individuels, tout en maintenant le groupe.

Cela ne marche pas pour tout. Certains types de délinquance, certaines organisations - je pense par exemple à l’économie souterraine - appellent des réponses en termes de police judiciaire. Mais, pour ces phénomènes de groupes qui créent un certain nombre de difficultés, soit d’incivilité, soit de petits actes de délinquance, on sait mettre en place des réponses de cette nature.

Hélas, un éducateur de ce centre d’action éducative est parti à la retraite et n’a pas été remplacé, si bien que la décision a été prise d’abandonner tout ce qui était expérimental, parce que la priorité était de répondre aux mesures individuelles, et ce travail-là n’a plus été fait. C’est donc un vrai problème et, souvent, le secteur associatif fait preuve de plus d’imagination. Mais la PJJ a des ressources, et c’est pour cette raison que je veux tout de même la défendre un peu, elle a des gens qui font des choses intéressantes ; malheureusement, ce n’est pas toujours assez porté par l’institution pour que cela aboutisse.

Pour revenir à cette question des bandes - je pense notamment aux occupations des cages d’escalier -, on peut, bien sûr, répondre en envoyant des policiers faire des contrôles d’identité ; mais on peut également répondre par un travail sur ce groupe : pourquoi occupe-t-il ce territoire ? que se passe-t-il entre les habitants et ce groupe ? comment est généré un sentiment d’insécurité chez les gens qui rentrent et qui voient des jeunes attroupés ?... Des réponses peuvent être données, je les ai vues, je sais qu’elles marchent. Le seul problème, c’est que, en général, elles sont expérimentales et qu’il est extrêmement difficile de les modéliser.

M. Jean-Claude Frécon - Nous sommes tous d’accord pour dire que l’inexécution de la peine est très mauvaise et a des effets très ravageurs sur le comportement des autres.

Mme Claire Brisset - Tout à fait !

M. Jean-Claude Frécon - Je voudrais cependant revenir sur la procédure de la comparution immédiate. Malgré ce que vous en avez dit, monsieur - et j’ai noté vos propos avec attention, car personne ne nous en a parlé lors des visites que nous avons faites -, elle n’existe pas pour les mineurs.

En l’absence de comparution immédiate, le jeune qui a commis un acte de délinquance et qui, vingt-quatre heures ou quarante-huit heures après, rentre chez lui, au milieu de sa cité, cité qui peut au demeurant être assez paisible, devient alors - je reprends l’image qu’a employée Jacques Mahéas - le caïd, parce qu’il a fait des choses répréhensibles mais a été relâché. Il devient presque un modèle et, pendant quelque temps au moins, il est le point de mire de ses copains et de ses copines.

Dans les situations de ce type, l’absence de comparution immédiate a pour effet d’entraîner certains autres adolescents à accomplir eux aussi un acte ; et, quitte à accomplir un acte, pourquoi ne pas gravir un échelon de plus ?

Ne pourrait-on améliorer l’ordonnance de 1945 en trouvant une formule qui s’apparente à la comparution immédiate, quel que soit le nom qu’on lui donne, et qui, sans s’accompagner forcément d’une condamnation immédiate, permette au moins que le jeune ne soit pas remis dans son milieu en situation de quasi-virginité, permette de ne pas réenclencher d’autres actions similaires à la précédente ? Car c’est bien cela qui pose problème.

Mme Claire Brisset - L’adolescent ne va pas rentrer immédiatement, il y a d’abord la garde à vue ! Ensuite, il y a le défèrement, et il peut être déféré tout de suite !

M. Jacques Mahéas - Il faut que ce soit grave !

M. Alain Vogelweith - Cela se développe beaucoup.

Mme Claire Brisset - Il y a aussi la comparution à délai rapproché : il rentre chez lui, certes, mais il sait que dans un mois... Et pendant ce mois, il y a l’enquête !

M. Jean-Claude Frécon - Les voisins ne le savent pas, et tout son entourage le porte aux nues !

M. Bernard Plasait - Et ce n’est pas lui qui va démentir !

Mme Claire Brisset - C’est pour cela qu’Alain Vogelweith disait tout à l’heure qu’il faut une visibilité. Vous savez, le caïdat existe aussi à l’intérieur de la prison !

M. Robert Bret - Et quand il ressort de prison, là, il est breveté !

Mme Claire Brisset - Par conséquent, le caïdat peut exister partout.

M. Jean-Claude Frécon - Je ne dis pas qu’il faut forcément l’emprisonner ! Je dis qu’il faut trouver une mesure qui permette au moins d’arrêter l’enchaînement.

Mme Claire Brisset - Nous sommes tous d’accord là-dessus.

Il existe aussi, tout de même, ce qui s’appelle précisément « centre de placement immédiat », puisque vous recherchez quelque chose pour l’immédiat.

M. Jean-Claude Frécon - Nous en avons vu.

Mme Claire Brisset - Par définition, c’est exactement de cela que vous parlez.

M. Jean-Claude Frécon - Non, parce que le placement dans ces centres fait souvent suite à une décision judiciaire, donc intervient un ou deux mois après.

Mme Claire Brisset - Non !

M. Jean-Claude Frécon - C’est en tout cas ce que nous avons constaté !

M. le rapporteur - C’est le manque de moyens !

Mme Claire Brisset - Pour toute la France, et nous avons tout de même huit millions d’adolescents, il y a cinquante centres de placement immédiat.

M. Alain Vogelweith - Je pense qu’il y a deux aspects : d’une part, la question de savoir quelle est la mesure la plus adaptée pour le mineur et, d’autre part, la question que vous posez de la perception que la société a de la mesure.

Les réponses rapides existent. Les défèrements sont en augmentation vertigineuse. Notamment, puisque nous parlions de la Seine-Saint-Denis, ils sont devenus un mode de saisine que les juges des enfants de Bobigny utilisent dans une proportion extrêmement importante. Ils existent, ils se développent, et ils permettent aux juges des enfants d’apporter une réponse rapide.

La difficulté, vous avez tout à fait raison de le souligner, réside dans l’accueil d’urgence : de quelles structures disposons-nous pour prendre en charge un mineur lorsque le placement est possible et souhaitable ? L’accueil d’urgence permet en outre une certaine visibilité, si je puis dire, puisqu’il donne le temps d’évaluer la situation du mineur pour savoir quel projet éducatif peut être mis en place et dans quelles conditions il peut retourner dans sa famille.

Les centres de placement immédiat, qui visaient à répondre à cette demande, ne fonctionnent pas, d’abord en raison des problèmes de moyens qui ont été évoqués, mais aussi en raison du temps d’évaluation nécessaire avant l’arrivée dans le centre de placement immédiat. Les éducateurs ont besoin d’une phase d’évaluation pour savoir si cette solution est adaptée ou non, si bien qu’ils bloquent un peu, en quelque sorte, l’orientation sur la prise en charge. Si l’on veut résoudre cette difficulté, puisque vous envisagez de réformer l’ordonnance de 1945, il faut que, dans ce cas-là, le juge des enfants prononce une mesure globale qui, par la suite, sera éventuellement une mesure de milieu ouvert.

Notre dispositif contient déjà une mesure judiciaire globale de ce type, ce que l’on appelle la « mise sous protection judiciaire », qui comprend une phase dans laquelle on estime que, tant pour des raisons d’ordre public que pour pouvoir évaluer la situation de l’enfant, il faut faire le point. L’enfant est alors orienté vers un accueil d’urgence et, dans le même temps, on réfléchit à son retour dans la famille ou dans son environnement dans de meilleures conditions que précédemment.

Ce type de dispositif serait beaucoup plus intelligent que le seul CPI, qui a été présenté comme une alternative à la prison, comme une action isolée ; car la panique envahit souvent les éducateurs lorsqu’ils se demandent ce que l’on fera de l’enfant après le placement.

L’idée est donc une mesure globale dont l’hébergement serait une modalité. L’hébergement, cela peut être le recours à la prison, si cela apparaît nécessaire au juge et souhaitable pour l’intéressé. Il s’agit de ne pas déconnecter celui-ci de quelque chose qui serait plus global. On pourrait ainsi concilier le temps éducatif, c’est-à-dire la durée, et, en quelque sorte, la visibilité de la réponse.

On a déjà fait l’expérience de l’éloignement. On sait que l’éloignement peut avoir du sens pour un mineur s’il est préparé en relation avec un projet, avec quelque chose que l’on peut construire. On sait aussi qu’un éloignement brutal aggrave le problème, coupe l’enfant des quelques « tuteurs de résilience », pour reprendre l’expression de Boris Cyrulnik, des quelques soutiens qu’il pouvait trouver dans son environnement, puisqu’il est transplanté dans un autre milieu : on ne fait que déplacer géographiquement les difficultés de ce mineur, voire les aggraver en cassant les appuis qui pouvaient étayer le travail éducatif.

Il faut donc trouver un équilibre subtil, et la seule réponse immédiate que l’on peut apporter à cette question me paraît résider non pas tant dans une comparution immédiate que dans une mesure éducative dont les modalités seraient variables et pourraient être adaptées en fonction de la situation du mineur.

La réponse d’urgence peut être prise très rapidement, puisque le défèrement peut être utilisé non pas, précisément, pour mettre l’enfant en prison, mais pour apporter des réponses de cette nature. Mais on revient à la case départ : quels moyens y consacre-t-on ? Quel projet politique global pour la protection judiciaire de la jeunesse permettra d’apporter une réponse à ce type de demandes ? Les questions essentielles sont là, bien plus que dans la procédure. Car, comme praticien, je peux vous dire que l’on arrive à faire à peu près tout ce que l’on veut, en termes de temps, avec la procédure actuelle. Le problème, c’est l’exécution, ce sont les moyens dont on dispose, notamment la question que vous posez avec une grande acuité, celle de l’accueil d’urgence. Or, vous le savez, elle fait actuellement l’objet de tensions très fortes entre les services éducatifs et les juges, qui, dans un certain nombre de situations, souhaiteraient pouvoir disposer de lieux d’accueil d’urgence et n’ont pas ces réponses.

Mme Nicole Borvo - Que pensez-vous de la recréation de centres fermés, qui devient quasiment un enjeu électoral, ce que je regrette personnellement.

Vous avez également souligné que vous ne parliez pas seulement de moyens financiers, mais qu’il s’agissait aussi de repenser la PJJ. Qu’elle soit en crise, c’est évident, car elle traite des problèmes très lourds. Avez-vous cependant une petite idée des moyens publics qu’il faudrait consacrer à tout cela ?

Mme Claire Brisset - Il n’est pas dans mes attributions de procéder à des évaluations financières de ce qu’il faudrait faire pour régler les problèmes propres à la PJJ. Tout n’a pas encore été évalué, mais l’évaluation elle-même doit être le fait de la Chancellerie. Une première mesure a été prise en 1998 qui a consisté à réinjecter des moyens, à former davantage. Mais je pense que nous sommes très loin du compte, et si vous parveniez à ce qu’une véritable évaluation chiffrée soit faite du coût des moyens humains, de la formation, ce serait un résultat essentiel de votre enquête.

Pour ce qui est des centres fermés, il y a deux possibilités. Nos amis belges - je parle de la Belgique francophone, car je connais moins bien la Belgique néerlandophone - n’ont pas de quartiers de mineurs : ceux-ci sont remplacés, dans les prisons belges, par des centres fermés qui ont une mission très précisément, très clairement édictée comme éducative. Une autre possibilité est d’établir des centres fermés àcôté, en plus des quartiers de mineurs.

J’estime que si nous appliquions pleinement le dispositif existant tel que nous l’avons rappelé, notamment en misant sur la prévention, qu’elle soit spécialisée ou non, en appliquant les peines édictées, en rendant à la PJJ un niveau de moyens compatible avec ses missions ; si l’on recréait du lien dans les quartiers par quantité de structures comme celles qui ont été évoquées ; si l’on donnait aussi davantage de moyens à l’administration pénitentiaire pour que, par exemple, il n’y ait pas deux ou trois détenus dans les cellules prévues pour une seule personne et pour que, dans les quartiers de mineurs qui existent, on puisse faire un véritable travail éducatif - ce qui est l’objectif des centres fermés - ; si tout ce que j’ai énuméré était réalisé, on n’aurait pas besoin des centres fermés et la question ne se poserait plus.

M. le président - Madame, monsieur, je vous remercie.


Source : Sénat français