Présidence de M. Jean-Pierre SCHOSTECK, Président

M. Jean-Pierre Schosteck, président - Nous allons procéder maintenant à l’audition de MM. Dubouchet, directeur du cabinet Dubouchet et Berlioz consultants, et Pellen, directeur associé du cabinet d’audit CIRESE. Nous avons souhaité vous entendre, messieurs, parce que le cabinet CIRESE a récemment effectué une évaluation des dispositifs de la protection judiciaire de la jeunesse visant à la prise en charge des mineurs multirécidivistes ou en grande difficulté. Cette étude a été rendue publique voilà quelques semaines.

(M. le président lit la note sur le protocole de publicité des travaux de la commission d’enquête et fait prêter serment.)

Vous avez la parole, messieurs.

M. Georges Pellen - Nous avons en effet été sollicités par la direction de la PJJ pour procéder à une évaluation des dispositifs de prise en charge des mineurs délinquants : centres d’éducation renforcée, centres de placement immédiat et activités en milieu ouvert.

Nous serons assez modestes dans notre propos, de façon à ouvrir largement le débat. Nous nous sommes trouvés confrontés au fait qu’évaluer les dispositifs de prise en charge supposait d’engager une réflexion sur l’utilité éventuelle d’accroître le nombre des établissements : faut-il passer par exemple de cent à deux cents CER, de cinquante à cent CPI ?

Nous avons cherché à éclairer ce problème. La première conviction à laquelle nous avons abouti à partir de cette étude, c’est peut-être qu’il ne suffit pas de démultiplier les réponses et les structures, mais qu’il convient surtout de les articuler entre elles. L’un des axes essentiels de notre rapport vise à inciter les acteurs publics à mettre en cohérence et en corrélation les différentes réponses apportées en vue du traitement de la délinquance, en particulier en les inscrivant dans des dynamiques territoriales. Voici ce que je dirai en préambule : notre étude fait ressortir cette conviction forte que les réponses peuvent être fondées sur la cohérence et l’articulation entre eux des dispositifs.

Je ferai maintenant trois constats : en premier lieu, je relèverai des insuffisances observées en matière de traitement et de connaissance de la délinquance ; en deuxième lieu, j’évoquerai les grandes caractéristiques des différents types de prise en charge ; en troisième lieu, j’aborderai la question du positionnement stratégique de la PJJ et de ses potentialités.

S’agissant du premier constat, relatif à l’étude des phénomènes de délinquance, nous estimons que les problèmes sont dans l’ensemble très mal posés, parce que le discours sur l’évolution des questions de société est plus idéologique que réellement analytique. S’il est par exemple incontestable que la délinquance augmente chez les mineurs âgés de treize à quinze ans, cela nous a amenés à étudier pourquoi ceux-ci sont davantage portés aujourd’hui que voilà quelques années à commettre des actes de violence. Par ailleurs, nous avons observé qu’il s’agit moins d’une violence visant au profit que d’une violence de contestation de l’autorité. Il existe donc des formes d’évolution de la délinquance, et si nous cherchons à mieux les analyser, nous pouvons quitter la sphère idéologique, parfois trop passionnelle, pour essayer de déboucher sur une meilleure compréhension des phénomènes, du point de vue tant social qu’économique.

Il nous semble tout d’abord que, au-delà d’un débat statistique, il nous faudrait progresser vers une connaissance approfondie de l’évolution de la délinquance.

En outre, il existe un défaut de stratégie commune entre les différents acteurs des territoires, qu’il s’agisse de la police ou des éducateurs de la prévention spécialisée ou de la PJJ, ainsi qu’un manque de concertation entre les magistrats et ces derniers, ce qui ne permet pas de construire une représentation suffisamment partagée des phénomènes de délinquance. De surcroît, cela entraîne des lacunes en matière de coopération et de travail de mise en place des réponses : chacun doit rester dans son rôle, mais il faut, à partir des domaines de responsabilité de chaque corps, se pencher sur la complémentarité des solutions mises en oeuvre.

Enfin, lorsque nous avons effectué une analyse statistique, en préalable à notre évaluation, nous avons été contraints de constater que la police, les tribunaux et la PJJ procédaient selon des modalités distinctes dans ce domaine et que, finalement, il n’existait pas de nomenclature commune permettant de cerner le phénomène de la délinquance. On peut supposer que la manière de traiter les statistiques dépend beaucoup des injonctions institutionnelles, ce qui rend très difficile une appréciation objective des chiffres, les paramètres de collecte n’étant pas établis de façon concertée. Cela nuit à la connaissance de la délinquance.

Je dirai en conclusion, s’agissant du premier constat, que le traitement de la délinquance reste très lié à l’exclusion des jeunes de leur territoire, alors qu’il conviendrait certainement de le situer davantage sur celui-ci. A l’heure actuelle, police, justice, Education nationale et éducateurs de la prévention spécialisée ne se mobilisent pas suffisamment pour élaborer des réponses à l’échelon du territoire. On continue trop souvent à les institutionnaliser, c’est-à-dire que l’on écarte le jeune de l’endroit où il vit pour le placer en institution. Alors que la délinquance se développe de plus en plus au travers de phénomènes de groupes, on traite les problèmes surtout par le biais de mesures individuelles. Il y aurait lieu, nous semble-t-il, d’envisager des réponses plus collectives, à l’échelon des territoires, là où les difficultés se présentent.

S’agissant du deuxième constat, qui vise les types de prise en charge, nous avons connu, dans les années soixante-dix, une profonde crise de l’hébergement et de l’action éducative, dont nous ne sommes pas encore complètement sortis.

En effet, cette crise a laissé des traces dans la manière de gérer la prise en charge éducative. Il nous est apparu qu’il était important, dans ce domaine, de redonner du sens et de la cohérence à l’hébergement et à la fonction éducative. Cela repose sur un certain nombre d’éléments, tels que, par exemple, la capacité, pour les établissements, de travailler sur de vrais projets éducatifs et non pas sur des prises en charge occupationnelles : il s’agit non pas d’habiter des bâtiments, mais de créer de véritables groupes porteurs de projets pour les résidants.

Par ailleurs, au travers de la crise du modèle d’hébergement se jouent, de par les mutations professionnelles et les évolutions démographiques liées au secteur médico-social, de nombreuses questions relatives à la consistance des figures d’autorité. L’hébergement devrait certainement réaffirmer, à cet égard, les principes, mais aussi les modalités permettant à ces figures d’autorité de s’imposer aux jeunes. Il semble en effet que les réponses apportées sur ce point se soient affaiblies ces dernières années, et il y a donc lieu de redonner une structuration forte à la fonction éducative au sein de l’hébergement, afin que la prise en charge puisse être plus solide et plus riche.

En ce qui concerne le milieu ouvert, il me paraîtrait important de mettre en exergue un « fil rouge ». Trop de discontinuités se font jour dans la prise en charge des jeunes et dans le « suivi » de leurs parcours, et entre les décisions des magistrats ou des travailleurs sociaux, sur le territoire ou en institution. Cela aboutit à troubler très fortement le regard que le jeune peut porter sur son existence et son passé. On pourrait aussi évoquer la question du lien avec les familles, qui nous semble fondamentale dans la perspective des prises en charge.

En ce qui concerne les CPI, l’expérience des trois années écoulées démontre que le système est hybride. En effet, on veut engager dans l’urgence une évaluation et une orientation du jeune, alors que celui-ci se trouve dans une situation de crise et ne peut élaborer aucun projet. En outre, les CPI tendent à jouer un rôle de contention, à assurer une sorte d’incarcération provisoire, mais on ne veut pas le reconnaître et on continue d’entretenir une ambiguïté avec ce qui relève d’une volonté d’orienter, voire d’insérer. Il s’agit là de paradoxes qui perturbent la prise en charge éducative.

En ce qui concerne les CER, il est vrai que ce dispositif semble faire ses preuves, parce que se sont construits peu à peu des projets et des règles collectives permettant aux jeunes de structurer progressivementune vision d’eux-mêmes et de leur avenir. Il reste que, s’agissant de prises en charge courtes, d’une durée de deux à six mois, se pose souvent le problème de la sortie et de la prise en charge après le passage dans ces établissements.

On pourrait dire que les foyers, dans leur forme traditionnelle, sont victimes de la crise de l’hébergement que j’évoquais tout à l’heure. De plus, en ce qui concerne la PJJ, ils ont eu à se transformer en CPI ou en CER, sans avoir pu mettre en place de nouveaux projets, ce qui laisse souvent les équipes éducatives dans le désarroi. A cet égard, au sein du milieu ouvert, les centres d’action éducative tournés vers l’insertion sont assez riches en projets pédagogiques et entretiennent des relations avec différents partenaires, dont l’Education nationale. On peut regretter un manque de capitalisation ou de mutualisation des pédagogies mises en oeuvre dans ces différents centres. Il serait certainement possible d’identifier des modèles d’intervention et de prise en charge donnant du sens au parcours éducatif et pouvant permettre à des jeunes de réintégrer progressivement les dispositifs de droit commun.

Par conséquent, l’évaluation des dispositifs est en demi-teinte. Tant que l’on n’aura pas clarifié l’objectif visé par la prise en charge, à savoir la contention ou l’action éducative, l’ambiguïté subsistera et cela gênera très fortement le fonctionnement des institutions.

S’agissant du troisième constat, qui concerne le positionnement et les potentialités de la PJJ, j’indiquerai tout d’abord que les CER sont gérés, pour la plupart d’entre eux, par le secteur privé habilité, même si quelques CER ont été créés par la PJJ. Cela signifie peut-être que cette administration éprouve des difficultés à structurer des projets par l’intermédiaire de ses personnels, en raison notamment d’un recrutement insuffisant pendant de très nombreuses années et d’un manque de moyens évident. Devant la montée de la délinquance, la PJJ n’a pu se préparer de façon satisfaisante aux nouveaux défis de la prise en charge éducative.

Des efforts importants ont certes été récemment consentis, puisque mille éducateurs ont été recrutés en deuxans. Il s’agit de personnes sortant de l’université, disposant d’une bonne formation intellectuelle pour aborder les phénomènes de la délinquance et réfléchir aux modes de prise en charge éducative, mais manquant souvent de maturité humaine pour évoluer parmi des jeunes en situation de profonde rupture psychologique et sociale. La prise en charge s’en trouve par là même fragilisée.

Par ailleurs, un autre facteur de fragilisation des modes d’intervention de la PJJ tient au fait que la gestion des ressources humaines reste extrêmement centralisée. A l’heure actuelle, ni les régions ni les départements n’ont la faculté de composer les équipes animant les diverses structures. Les nominations, régies par les conventions collectives, sont décidées d’en haut, sans que les directeurs d’établissement ou les directeurs départementaux de la PJJ puissent évaluer les potentialités nécessaires au fonctionnement des différents dispositifs. Les équipes connaissent un turnover très rapide, ce qui nuit à la bonne collaboration des personnels et fragilise la mise en oeuvre des projets au sein des établissements. Il serait souhaitable de repenser les modes d’affectation, sans doute en s’orientant vers une départementalisation : c’est d’ailleurs l’une de nos recommandations.

On peut en outre juger que les parcours de formation seraient à revoir sur le fondement de l’évolution des formes de délinquance que j’ai évoquée. Nous avons également inscrit dans notre rapport la question suivante, qui, nous l’espérons, sera approfondie : comment favoriser une meilleure articulation, en tout cas une mutualisation, des ressources humaines entre le secteur public et le secteur privé ? Il existe aujourd’hui un cloisonnement qui devient intolérable au regard de la question sociale que représente la délinquance. La PJJ est dotée d’un dispositif de formation et de recrutement d’éducateurs ; le secteur habilité est très performant en matière d’innovation, comme peut aussi l’être la PJJ : comment décloisonner ces deux secteurs afin d’instaurer une mixité ? Il me semble que les parcours institutionnels pourraient alors s’enrichir mutuellement et que cela pourrait notamment déboucher sur des projets de prise en charge.

M. Louis Dubouchet - M.Pellen ayant traité les principaux points, mon propos sera très bref. Je travaille sur les questions de prévention spécialisée, avec des conseils généraux et des maires qui ne savent plus que faire devant une jeunesse qui, dans les cités, bouscule les animateurs. J’aborderai donc aussi bien la question de la sécurité dans l’espace public que celle de la délinquance réitérante.

En premier lieu -je travaille beaucoup avec les magistrats, le parquet et la police sur ces problèmes-, ce qui a changé, c’est non pas la nature des délits, mais la réactivité des jeunes dès lors qu’une institution s’impose à eux : le ton monte immédiatement. Les outils permettant de leur faire savoir qu’ils ont « franchi la ligne jaune » ou qu’ils vont subir une sanction doivent donc être renouvelés. Tout contrôle social ou éducatif est contesté.

Cela entraîne deux effets majeurs.

Tout d’abord, par manque de moyens, un certain nombre de forces éducatives, dont la PJJ, adoptent une stratégie d’évitement du risque de confrontation avec les jeunes. On s’adresse alors aux sujets les moins difficiles, en laissant de côté le noyau le plus dur. Dès que les mesures sont trop nombreuses, il y a un effet mécanique et l’on se contente de remplir son temps de travail en s’occupant des cas les moins lourds. Dans les CER, y compris dans ceux qui marchent bien, on a du mal à aller rechercher soi-même les enfants qui fuguent ; il est plus facile de téléphoner à la police, mais ce procédé est dévastateur au regard de la crédibilité du message subliminal qui est par ailleurs envoyé au jeune : « On te veut, on veut être avec toi, et si tu t’en vas, on va te chercher. »

Le second effet majeur est lié au fait que, la sanction n’étant pas administrée correctement, avec un début et une fin, la société inflige surtout une flétrissure aux jeunes. Ceux-ci supportent toute leur vie l’humiliation de n’avoir jamais pu obtenir de pardon. La rédemption est impossible, il n’arrive pas de moment où ils peuvent reprendre une existence sociale normale. J’en veux pour preuve les mesures de médiation-réparation qui ont été évoquées tout à l’heure, les travaux d’intérêt général postérieurs à la sentence, etc. : le contrôle de l’achèvement de ces derniers est très mal fait, et la sanction, qui n’a parfois jamais été exécutée, continue de peser.

En ce qui concerne les juges et le « fil rouge », il me semble que les magistrats que je rencontre sont certes talentueux, mais que l’on ne sait pas qui est le pilote. On se trouve dans un système de prescription et d’opération : un juge prescrit à la PJJ ou au secteur habilité d’exécuter une mesure ; dans les faits, il n’a pas les moyens d’assurer le suivi, et l’information ne remontera que si un problème particulier se pose. Le suivi du parcours du jeune est donc segmenté entre le juge, le SEAT -le service éducatif auprès du tribunal-, l’établissement d’accueil, etc. A cet égard, on constate que les magistrats du parquet voient revenir à plusieurs reprises dans leurs bureaux des jeunes dont ils connaissent peu l’histoire, faute de suivi par le tribunal.

En deuxième lieu, l’appareil judiciaire qui s’occupe des mineurs ne fait pas système : il est éclaté entre parquet, magistrats des enfants, PJJ et administration pénitentiaire, et il est vraiment nécessaire de proposer une unité d’organisation. Il me semble même qu’il conviendrait d’associer les juges à l’étude des questions d’équipement. En effet, ils n’ont pas participé à la mise en place des CER ou des CPI ; ils ont même manifesté de fortes réticences dans certaines régions, et les obliger à prendre part à une coordination départementale ou interdépartementale décidant du nombre de places d’hébergement nécessaires -placement immédiat, placement renforcé, etc.- représenterait un progrès. Jusqu’à présent, ils se montrent assez peu enclins à s’intéresser à ces questions, car cela les engagerait à être les pilotes de l’ensemble du système.

En troisième lieu, je pense que, pour les mineurs, il faut passer d’une obligation de résider à une obligation de faire. On constate que les lieux d’accueil qui fonctionnent bien à l’heure actuelle sont ceux où existe une activité forte, immédiatement proposée au jeune. Il ne s’agit pas d’ergoter, de prendre le temps de la réflexion, de se demander si l’on va consulter un psychologue : une activité débute dès le lendemain de l’arrivée du jeune. Elle doit présenter de l’intérêt, avoir un contenu réel et une utilité sociale, qu’il s’agisse par exemple d’action humanitaire ou d’entretien d’espaces verts. C’est un levier qui donne satisfaction, et je crois nécessaire de financer l’activité avant de financer la garde. Il faut que les juges prononcent des ordonnances de placement en ayant à l’esprit qu’il ne s’agit pas seulement d’éloigner le jeune de son milieu habituel, mais surtout de lui faire pratiquer une activité.

Il me semble aussi que les magistrats et les élus locaux doivent pouvoir réfléchir ensemble aux moyens d’inciter les adultes qui encadrent les jeunes -entraîneurs sportifs, directeurs de maison de jeunes, conseillers d’éducation en collège, etc.- à accepter le conflit éducatif avec ces derniers, avant qu’il ne faille en venir à une sanction pénale. Si l’on refuse d’entrer dans un conflit, on a peu de chances d’en sortir ! Or j’observe que, dans certaines villes, les personnels chargés de la voirie ou de l’entretien des espaces verts obéissent à l’injonction implicite d’éviter tout incident avec qui que ce soit. Par conséquent, ils n’exigent pas que l’on respecte leur travail, ils ne rappellent personne à l’ordre, ils changent de trottoir, voire d’horaire pour éviter de nettoyer un bacà sable quand il est occupé par des adolescents de treize ou quatorze ans, lesquels réagiraient mal si on leur demandait de sortir. Je crois donc que, avant d’en appeler à la responsabilité des familles et de menacer celles-ci de sanction, il importe de restaurer la fonction de représentant de l’autorité des professionnels qui travaillent dans l’espace public.

Par ailleurs, s’agissant des projets pédagogiques financés au titre de la politique de la ville ou des actions d’insertion de la PJJ et du secteur habilité, je relève que la partie a été gagnée, ces dernières années, pour ce qui concerne les conditions de sécurité matérielle : des extincteurs ont été installés partout, on veille à ne pas mettre en danger les enfants. Cependant, on ne pose pas d’exigences quant à la place de la sanction dans les actions éducatives. La sanction doit faire partie de l’éducation, sinon il manque un outil. A cet égard, on a beaucoup financé, sur fonds publics, des actions éducatives qui ne prévoyaient pas de mesures de sanction, si ce n’est l’exclusion d’une activité, par exemple l’interdiction d’entrer dans la piscine ou l’expulsion du gymnase.

Il me semble donc nécessaire de banaliser de nouveau la sanction au quotidien, simple et ordinaire. Pour cela, il faut exiger qu’elle soit inscrite dans les propositions éducatives financées par des deniers publics et prévoir les crédits nécessaires. En effet, les magistrats du parquet ou du siège ne prennent pas de mesures de réparation si elles ne sont pas financées. Dans ce cas, on ne trouvera de toute façon pas de services techniques des villes ou d’associations pour les faire exécuter.

Enfin, nous avons bien vu, au cours de notre voyage à l’intérieur de la PJJ et du mouvement associatif, qu’il manque un corps spécialisé pour s’occuper des mineurs délinquants réitérants. En fait, une même qualification, un même programme de formation initiale et continue permet de prendre en charge aussi bien un petit mongolien auquel il faut apprendre les formes et les couleurs qu’un mineur réitérant qui rejette la société. Une telle situation n’est pas satisfaisante. Dans presque tous les autres systèmes organisés, il existe des échelons de spécialité en fonction de la complexité des problèmes à aborder. Il me paraît nécessaire de créer un corps d’élite -n’ayons pas peur de ce mot-, dont les membres devront être capables à la fois de travailler avec les jeunes dans un domaine d’activité utile, de leur permettre de s’exprimer et de se confronter à eux.

En effet, la contention n’est possible que si les adultes sont en mesure de faire face aux jeunes qu’ils doivent garder. Or, au sein de la PJJ, ce sont plutôt les nouveaux recrutés qui sont affectés dans les lieux les plus difficiles. On a également connu cela dans l’Education nationale, où l’on s’est aperçu qu’accorder des primes aux enseignants acceptant d’exercer dans les zones d’éducation prioritaire ne donnait pas de résultats extraordinaires. On a alors cherché à réduire les effectifs, comme le fait la PJJ dans les CER, où l’on compte cinq éducateurs pour cinq ou six gamins. Cependant, à mon sens, vouloir des personnels en plus grand nombre pour faire la même chose avec moins d’enfants mène à une impasse ; il s’agit plutôt de procéder différemment, grâce à un corps de spécialistes disposant des outils indispensables et de financements en conséquence.

Par-dessus tout, il importe de prévoir une vraie gradation pour les professionnels. On évoquait tout à l’heure la motivation, mais pour donner envie à des personnels d’aller au contact de jeunes qui les rejettent, il faut que les enjeux soient réels. Or les gamins qui posent problème, ce sont non pas ceux qui acceptent d’être éduqués, mais ceux qui s’y refusent et résistent le plus longtemps possible : une gratification est nécessaire pour inciter des éducateurs à se consacrer à ce public. Cette dernière peut-être financière, mais cela ne va pas très loin ; elle doit surtout être morale, et donner aux intéressés le sentiment d’appartenir à un corps professionnel de valeur et d’être reconnus au titre de leur spécialisation.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur - Je vous poserai trois questions, messieurs.

Tout d’abord, qui a commandité le rapport et qui l’a financé ? Si je vous interroge à ce sujet, c’est parce qu’un certain nombre de personnes nous ont affirmé -elles ne parlaient pas sous la foi du serment !- que, à l’origine, un autre rapport avait été rédigé mais n’avait pas été rendu public en raison de son pessimisme. Pouvez-vous infirmer ou confirmer l’existence de ce premier rapport ?

M. Georges Pellen - C’est bien la direction de la PJJ qui avait commandité notre rapport, à la suite d’un conseil de sécurité intérieure et en vue d’un autre devant se tenir en janvier 2002. En effet, pour le Gouvernement, la question était de prendre position sur l’accroissement éventuel du nombre de CPI et de CER. Le ministère de la justice souhaitait donc qu’un rapport d’évaluation soit établi sur la mise en place des dispositifs, notamment des CPI. En fait, le champ de l’étude a été élargi à l’ensemble des structures, à l’exception des SEAT.

Nous disposions de très peu de temps, puisque, ayant commencé notre travail le 20 mai, nous avons rendu un premier rapport le 7 juillet. Nous avons investi beaucoup de notre énergie dans cette tâche pour laquelle, compte tenu des enjeux, nous nous sommes rendus disponibles. Le rapport que nous vous livrons aujourd’hui ne renie en rien nos observations. Certes, nous avons eu des échanges avec la direction de la PJJ à propos des contenus d’évaluation et, de façon que les conclusions du rapport puissent être communicables, entendues et donc utiles, nous avons peaufiné une rédaction permettant de bien poser le cadre de l’analyse sans revenir pour autant sur les constats que nous avions pu faire. Ce point me paraît très clair.

M. Louis Dubouchet - A chaque fois que nous visitions un lieu d’hébergement, nous nous demandions ce qui pouvait donner envie à un jeune d’y rester. Neuf fois sur dix, nous avons eu le sentiment que, du fait du manque d’organisation ou de chaleur et de la stratégie d’évitement souvent adoptée par les personnels, rien ne pouvait inciter les jeunes à demeurer dans ces établissements. C’est un grand souci, et notre jugement sur ce point est sévère. C’est peut-être ce qui a suscité la rumeur selon laquelle il aurait été difficile de publier notre rapport en l’état.

Cela étant, nous avons oublié d’évoquer devant vous les dispositifs relais. Quand ils ne consistent pas simplement en la création d’une classe spécialisée accueillant un certain nombre d’élèves difficiles dont on souhaite se débarrasser, ils peuvent constituer une bonne réponse, par le biais de la mise en place d’une véritable équipe regroupant la commune, la PJJ et l’Education nationale. Cette équipe punit les gamins en leur expliquant, en vue d’une réintégration dans le circuit scolaire, le sens et les suites de la sanction. Toutefois, il faut souligner que quelques expérimentations et innovations à la marge ne font pas une politique publique de prise en charge des mineurs réitérants.

M. Georges Pellen - J’ajouterai que ce qui a fait débat, s’agissant du contenu de notre rapport, c’est que la PJJ, qui est une administration, se doit de répondre à la commande publique. Or c’est toute l’ambiguïté de son statut, et je crois que nous avons bien mis ce point en évidence : elle est tenue, par la commande publique, de créer des dispositifs, et en même temps on lui demande de nouer des relations avec des magistrats, de remplir des fonctions de conseil et d’élaborer des réponses avec des institutions qui ne s’inscrivent pas dans le même positionnement. Cela fait toute la complexité du problème, ainsi que l’enjeu de la présentation d’un rapport qui ne fustige pas la PJJ, mais qui aborde l’ensemble des questions fondamentales liées au traitement de la délinquance.

M. le rapporteur - Ne voyez aucune malignité dans la question que je vous ai posée !

M. Georges Pellen - Pas du tout !

M. le rapporteur - Notre seul souci est de bien connaître, pour bien proposer et, si possible, bien agir demain.

M. Georges Pellen - Tout à fait !

M. le rapporteur - Vos propos rejoignent un certain nombre de constats que nous avons établis.

Ma deuxième question aura trait aux moyens humains. Là aussi, nous avons relevé des situations paradoxales : des personnels se trouvent en surnombre dans certains établissements, tandis que des manques apparaissent dans d’autres. On nous a affirmé, en outre, qu’il existait une crise des vocations ; cette crise n’est-elle pas liée à une crise d’identité de la PJJ ? Vous avez parlé tout à l’heure de « corps d’élite » : or ne recrute-t-on pas aujourd’hui par défaut, si je puis dire, des personnes passant les concours d’entrée dans la fonction publique et rejoignant la PJJ quand ils ont échoué ailleurs ? Il faudrait alors véritablement en revenir à une orientation positive. Mais le métier d’éducateur est-il encore compatible avec la fonction publique telle que nous la connaissons actuellement ?

M. Georges Pellen - Un réel problème se pose dans ce secteur en terme de professionnalisation. Pendant près de quinze ans, on n’a guère mis en place de politique de recrutement construite devant la montée de la pauvreté, qui a engendré les phénomènes de délinquance que nous enregistrons. A l’heure actuelle, la PJJ n’a pas surmonté les effets de cette carence.

En outre, elle a créé mille postes en deux ans, en recrutant par voie de concours externes. Ce chiffre est très élevé, et l’appel d’air ainsi provoqué, eu égard à la crise de l’emploi, a pu amener des jeunes très diplômés à s’orienter vers les concours ouverts par la PJJ et à occuper des emplois pour lesquels ils étaient préparés sur le plan intellectuel, mais peut-être pas sur le plan professionnel. En effet, ils se trouvent confrontés à des jeunes en très grande difficulté, ce qui peut fragiliser leur positionnement.

De surcroît, le management est très centralisé. De notre point de vue, l’évaluation des besoins et des profils des candidats s’en trouve insuffisamment approfondie, d’où une gestion de l’emploi très fonctionnalisée, avec des processus d’affectation plutôt techniques et peu en rapport avec les dispositifs et les projets. Ce système n’offre d’ailleurs pas aux personnels une vision claire des parcours professionnels qui leur permettraient d’expérimenter, d’enrichir leur fonction et de la mettre en perspective. Il existe donc toute une problématique relative à la gestion des ressources humaines, sur laquelle la PJJ devrait à notre sens se pencher très rapidement.

M. le rapporteur - Ma troisième et dernière question portera sur l’absence de « fil rouge ». La PJJ devrait assumer le rôle de pilote, mais peut-elle le faire dans l’optique que vous préconisez, qui repose, si je vous ai bien compris, sur le partenariat et la proximité ?

M. Louis Dubouchet - Attention au partenariat, car le partenariat, c’est l’irresponsabilité organisée !

M. Georges Pellen - Il concerne la construction de la réponse.

M. Louis Dubouchet - S’agissant de l’action collective, de l’élaboration d’une politique locale et de la contractualisation entre l’Etat et les collectivités locales, le partenariat est une démarche pertinente. En revanche, quand il s’agit d’aller à la rencontre de quelqu’un qui refuse d’écouter qui que ce soit, si personne ne s’engage, le partenariat ne produira aucun résultat.

Notre préconisation -nous rejoignons ici des intervenants que vous avez déjà auditionnés- est plutôt de mettre en place un système comportant un prescripteur et un prestataire. Il ne faut pas borner le rôle de la PJJ et des associations à la seule mise en oeuvre d’une ordonnance dont elles ne pourraient pas débattre avec le juge. Or, à l’heure actuelle, les modalités d’exécution peuvent être discutées si ce dernier le veut bien, mais cela n’est pas prévu de façon systématique.

L’idée est donc que juge et PJJ soient associés, à un échelon territorial qui reste à déterminer, pour évaluer la gravité de la situation et ajuster, en fonction de celle-ci, le type de mesure retenue. On devra alors savoir qui sera appelé en garantie si cette mesure est mal appliquée. Il me semble que le magistrat doit rester le pilote tout au long de l’exécution, quitte à prévoir éventuellement un copilotage.

En conclusion, le juge ne doit plus avoir à prendre son téléphone pour contacter trente directeurs d’établissement qui refuseront d’accueillir un jeune. L’exécution de l’ordonnance doit plutôt être confiée à l’unitédépartementale de la PJJ ou à une structure plus locale dans les départements très peuplés. C’est à cet échelon qu’il conviendra de réfléchir aux différentes étapes qui constituent le parcours du jeune.

S’agissant enfin des personnels, je pense qu’il faut abandonner l’idée fausse selon laquelle la PJJ peut garder et insérer. A mon avis, les centres fermés ou les nouvelles prisons pour mineurs, si l’on retient le modèle italien, doivent être gérés par l’administration pénitentiaire, dont c’est clairement la vocation. Ensuite, on tentera de bâtir un parcours d’insertion, mais la PJJ doit être libérée de l’injonction abusive que j’évoquais. Son rôle commence dès lors qu’un début de contrat a été passé. A cet égard, on constate que les CER fonctionnent bien, parce qu’il y a la menace de la prison et que l’on peut y être exigeant en matière d’activités.

Dans cette optique, rejoindre la PJJ deviendra un choix véritable : les personnes recrutées ne seront pas confrontées à des situations intenables.

M. Georges Pellen - C’est toute la question du recentrage sur la fonction éducative.


Source : Sénat français