Présidence de M. Bernard PLASAIT

M. Bernard Plasait, président - Nous allons entendre M. Michel Bourgat, Président de la Fédération pour l’aide et le soutien aux victimes de la violence.

(M. le président lit la note sur le protocole de publicité des travaux de la commission d’enquête et fait prêter serment.)

Monsieur Bourgat, vous avez la parole.

M. Michel Bourgat - Je me présente à vous avec plusieurs expériences, celle d’un président d’une fédération de victimes de la délinquance juvénile, celle d’un médecin de quartier difficile, d’hôpital psychiatrique, et connaissant les exclus, celle d’un moniteur de sports considérés comme violents : les boxes pieds-poings, celle d’un chercheur autodidacte, auteur de textes et livres de vulgarisation, dont je me suis permis d’amener un exemplaire, enfin celle d’un adjoint au maire en charge de la prévention de la délinquance et de la citoyenneté de la jeunesse de la deuxième ville de France : Marseille.

Vous connaissez l’enjeu et les chiffres de la délinquance juvénile, il en est d’autres moins inquiétants qu’il convient de rappeler :

 95 % des enfants et adolescents normaux ont tenté une fois au moins un transgression de règles ou de la loirépublicaine ;

 70 % de primo délinquants qualifiés ne reviennent jamais devant la justice, atteints d’une guérison « spontanée », imputable surtout à la nature humaine ;

 les 30 % de récidivistes, et surtout les 18 % de multirécidivistes, vont alors déclencher plus de 55 % des procédures des tribunaux d’enfants.

Ces « transgresseurs persistants », mot anglo-saxon, génèrent une réalité d’insécurité, amalgamant dans un sentiment d’insécurité d’autres jeunes non coupables. Le CNRS chiffre à 4.000 environ ces « prédateurs violents ». 65 % des jeunes majeurs incarcérés ont eu affaire aux tribunaux pour enfants.

Le profil psychologique de ces jeunes sombrant dans la violence et la transgression réitérée est connu :

 égocentrisme majeur, avec hypertrophie du moi ;

 absence d’affectivité et surmoi déstructuré désinhibant la satisfaction des besoins immédiats ;

 labilité et instabilité d’humeur maximales, induisant des passages rapides et imprévisibles à l’acte délictuel ;

 environnement familial particulier avec père absent, d’une façon ou d’une autre, et mère protectrice et laxiste.

Pendant longtemps, les filles furent très minoritaires ; elles rattrapent les garçons. La délinquance juvénile, d’abord urbaine, se déplace vers les campagnes. Les repères traditionnels s’estompent et l’exclusion scolaire est un facteur aggravant. Le milieu criminogène, subi ou choisi, est décrit comme une culture souterraine de violence dont les caractéristiques sont établies :

 absence de valeurs guides : travail, amour, respect, famille, solidarité... ;

 individualisme forcené érigé en méthode ;

 matérialisme exacerbé en corollaire ;

 modélisation de la fraude, de la tricherie et de la violence ;

 accès faussement justifié à la prospérité comme but suprême ;

 enfin, conditions économiques ou morales mettant les plus faibles en survie.

Ces sous-cultures ne se développent pas seulement dans la précarité et la pauvreté, et le dopage sportif est une illustration peu citée d’une sous-culture « riche ».

Les médias véhiculent une violence esthétisée, sans conséquences réelles visibles où le bien et le mal ne sont plus clairement indiqués, où les victimes sont systématiquement occultées et aseptisées, les jeux vidéo restant un modèle du genre.

Les flux migratoires des mineurs étrangers apportent aussi des particularités géographiques et ethniques et les différentes typologies de délinquance en sont nettement modifiées.

Ces sous-cultures sont le terreau des économies parallèles et de l’argent sale qui en découle.

Toute communauté démocratique est contrôlée par deux systèmes : les lois et les peines votées par les élus et devant être respectées par tous et les facteurs extra-pénaux du contrôle social. Ces derniers consolident le maillage social et l’autorégulation, voire l’auto surveillance des citoyens. Mouvements et associations de jeunesse, communautés religieuses, sport, culture, loisirs sont des exemples de ces facteurs de paix sociale émanant des citoyens eux-mêmes. Bien entendu, l’école et la famille participent à ces régulations. Les échanges et les débats intercommunautaires doivent être favorisés dans un espace qui doit rester républicain.

L’influence parentale a un rôle fondamental et les modifications récentes des milieux familiaux provoquent des bouleversements considérables dans les comportements.

L’influence des « pairs » devient capitale, voire prépondérante et les familles monoparentales, pouvant rester éducatives, faussent le rôle antique du père. Le rapport avec les institutions est donc bouleversé avec une désacralisation de la Loi et du sens social.

L’école de la République est en première ligne et subit de plein fouet les violences secondaires à ces mutations. Devenue simple lieu de vie, où la transmission du savoir n’est plus le but principal, l’incivilité s’y développe plus facilement qu’à l’époque du fameux sanctuaire culturel et républicain.

La police agit et tente, malgré les obstacles procéduriers qui l’inhibent, d’obtenir des résultats.

Le « maillon faible » se situe principalement au niveau d’une justice qui n’a ni moyens suffisants, ni textes adaptés à la réalité de la délinquance de 2002. La loi du 15 juin 2000 venant annihiler la tâche des policiers de terrain.

En ce qui concerne les lois des mineurs, il y en a deux :

 l’ordonnance du 2 février 1945, régissant la délinquance des mineurs ;

 la loi de 1958 concernant le mineur en danger, la prévention et la répression devant impérativement respecter les deux cadres juridiques.

L’ordonnance de 1945 fut souvent modifiée, mais jamais en profondeur. Son principe est admirable : privilégier l’éducatif sur le répressif ! Mais quel éducatif et quel répressif ?

C’est l’éducatif selon le « principe de réalité », et non selon le « principe de plaisir » qu’il faut choisir. Le « principe de réalité » implique une punition -et le mot est très important- à chaque transgression de règle. L’ordonnance n’en a pas eu les moyens, ni la volonté. Le mot « répressif » est mal choisi. C’est la punition éducative non humiliante, proportionnelle à l’âge et à l’acte qui doit être le choix logique du magistrat. Là encore, il existe un hiatus entre réalité et théorie.

De plus, le choix de l’éducatif à tout prix a eu pour conséquence de faire passer les victimes et les actes commis au second plan.

Nous sommes, en philosophie du droit, dans le « modèle de protection », focalisé uniquement sur le délinquant et opposé, philosophiquement, au « modèle de justice » qui ne considère, lui, que l’acte délictuel. En effet, le crime commis par un mineur de moins de 16 ans n’est pas jugé en cour d’assises. La procédure de flagrant délit des mineurs n’existe pas, remplacée par une étude psychologique refaite indéfiniment à chaque passage à l’acte.

La justice des mineurs, secrète, floue, et souvent orale, bafoue, certes au nom des bons sentiments, les principes du droit : ceux de Beccaria, préconisant la publicité des débats, l’origine législative des peines, leur proportionnalité et leur certitude selon les actes décrits par les textes en vigueur. En matière de crime aussi, le huis-clos est redouté par les victimes. Nous avons laissé une étude critique de l’ordonnance de 1945 à M. le président Larché lors d’une visite au Sénat en 1998. Je l’ai remise à votre disposition pour les détails. J’ai été aussi reçu par Mme Guigou et le ministère de l’intérieur en 1998, avec les mêmes propositions.

Le problème de la responsabilité pénale des mineurs est particulièrement épineux. Considéré comme « irréfragablement » irresponsable pénal, de la naissance à 13 ans, le mineur devient partiellement responsable grâce à l’arrêt Laboube, avec une excuse de minorité absolue entre 13 et 16 ans, puis relative entre 16 et 18 ans.

Il convient de re-préciser cette « irresponsabilité purement pénale » et de fixer un âge plancher. L’âge de 10 ans restant un choix admis par beaucoup, pour commencer à responsabiliser tout en restant éducatif. Actuellement, nous agissons trop tard et avec un arsenal pénal inadapté.

L’ordonnance du 2 février 1945 reste une référence si elle est appliquée à la lettre. Mais les modifications apportées en 1986, 1992, 1993, 1996 et 1998 ne corrigent pas complètement les insuffisances et nous avions émis des critiques dès 1997.

La suppression de la détention provisoire en matière correctionnelle pour les moins de 16 ans provoque, par exemple, plus de dérives qu’elle ne protège l’enfant coupable. Une détention aménagée pour les mineurs devient souhaitable.

Dès 1997, notre fédération de victimes rappelait quelques principes d’actions sur les mineurs :

 toujours donner une réponse judiciaire à un acte délinquant ;

 punir dès le premier délit, d’une façon adaptée à l’âge du mineur sans oublier l’acte ;

 punir d’une façon éducative non humiliante et selon le principe de réalité ;

 permettre enfin une rédemption et une réinsertion dans la société.

En dehors des réponses pénales désuètes proposées aux primo délinquants, on punit encore des mineurs récidivistes avec l’échelle de peines des majeurs divisée par deux ! La création d’une véritable échelle de peines adaptée aux mineurs permettrait de répondre bien plus tôt (et donc bien avant 13 ans) et d’une façon lisible et efficace à toutes les transgressions sans aboutir inexorablement à la prison par échec de l’échelle actuelle.

Du rappel à la loi jusqu’à la prison, en passant par la médiation-réparation et le travail d’intérêt général, un arsenal de réponses judicieuses arrêterait la spirale infernale vers la récidive.

L’ordonnance de 1945 restant efficace pour 70 % des primo délinquants, il convient de travailler en urgence sur la multirécidive et les réponses possibles et constitutionnelles à y apporter. La solution de l’internat non carcéral semble logique : nous en avons parlé dès 1996 !

On ne peut socialiser sans responsabiliser ! L’ordonnance du 2 février 1945, mal interprétée, déresponsabilise les mineurs coupables et n’a aucun effet de neutralisation, dans le sens criminologique du terme.

La contention physique momentanée, et en « phase aiguë », des multirécidivistes mineurs dans des structures fermées spécifiques non carcérales, contenant de 10 à 20 jeunes, permettrait un véritable travail psychologique individuel et une re-socialisation réelle, ces internats, à créer, pouvant par contre accueillir des interventions fréquentes de l’extérieur. Le travail en milieu ouvert pouvant aussi succéder à un résultat mesurable sur la conscience civique du mineur délinquant.

L’ordonnance du 2 février 1945 ignore les victimes et il conviendrait de leur prévoir une place plus valorisante dans la procédure.

Le phénomène de la multirécidive découle de carences éducatives manifestes de la part des parents comme de certaines institutions devenues impuissantes. « Nul n’est coupable que de son propre fait ». Parents et éducateurs en charge devraient pouvoir répondre de leurs erreurs éducatives et les négligences dont ils sont manifestement responsables. La mise sous tutelle des prestations sociales accordées à un mineur multirécidiviste doit être généralisée lorsqu’il y a détournement d’utilisation des fonds alloués pour les parents.

Le meilleur moyen de ne pas avoir de victimes est certainement d’éviter de « produire » des délinquants. Deux conditions sont impératives :

 cette prévention ne peut s’établir qu’avec la certitude d’une application sans faille des lois et des peines. Une justice efficace permet une police respectée et une régulation citoyenne optimum. Actuellement, la justice est le maillon faible à renforcer. Aucun travail de proximité ne peut se faire sans le préalable d’un ordre républicain inexorablement assuré ;

 c’est ensuite sur le « maillage social » et sur tous les facteurs du contrôle social que nous avons cités tout à l’heure qu’il convient d’agir. La loi de 1958, le travail des Conseils communaux de prévention de la délinquance (CCPD), les actions des contrats locaux de sécurité (CLS), l’éducation civique, l’urbanisme, la culture, les sports, la laïcité, la mise à niveau scolaire, tout doit concourir à éviter les transgressions tout en respectant les libertés individuelles. Là encore, une justice efficace est requise, et ce n’est pas le cas pour de multiples raisons techniques.

La prévention ne peut être qu’une coproduction de tous les acteurs sociaux et des collectivités locales dont ils dépendent, y compris d’ailleurs douane et fisc.

La collecte des données criminologiques doit être parfaite, synchronisée et diffusée à tous les niveaux de décision. Le rôle des CCPD est majeur et les CLS peuvent être, alors, les outils coordonnés par les maires (ce qui serait idéal mais n’est pas encore le cas), l’Etat restant toutefois garant de la légalité républicaine, de la police et de la justice.

La coordination des données et des actions nécessite une transversalité qui n’est pas encore dans les moeurs, mais qui pourrait exister entre communes, départements et régions. La prévention de nuit doit se préparer par des actions diurnes et les articulations entre services de police et services de prévention sont des nécessités incontournables.

L’action sur le tissu social ne doit pas être anarchique et les subventions doivent être validées après évaluationréaliste des résultats. Je connais, sur Marseille, l’éventail des dispositifs mis en place pour un contrôle plus oumoins efficace des situations délictuelles. Nous bénéficions d’un statut social particulièrement vivace et les phénomènes de bandes et de ghettoïsation sont moindres qu’ailleurs. Marseille reste une « ville laboratoire » en matière de prévention de la délinquance puisque nous y observons, sans débordement, les délinquances classiques et celles, plus récentes, des flux migratoires incontrôlés.

L’urbanisme doit être pensé pour éviter la relégation de populations concentrées dans des cités où elles sont exclues du tissu social. La médiation par l’intermédiaire des agents locaux de médiation sociale (ALMS) parfaitement formés vient s’inscrire ici, dans la relation des individus aux institutions et aux associations. Ces ALMS doivent s’appuyer sur un solide réseau de partenaires de terrain. Une politique de formation et d’emploi des jeunes doit permettre l’insertion naturelle ; elle est rarement mise en train et on avait noté que les zones franches ont eu un impact certain à ce niveau.

La formation d’un jeune commence à la naissance, avec des phases bien connues des pédopsychiatres. La prévention individuelle n’existe pas encore, elle devrait commencer dès la naissance et continuer à l’aide d’observatoires pour enfants en danger de délinquance, travaillant dans les crèches, les maternelles et les écoles. La composition de ces observatoires étant pluripartenariale : institutionnelle et civile. Chez les plus jeunes, livrés à la rue, il convient d’établir des références positives et une occupation du temps extrascolaire par des animations.

« Nul n’est censé ignorer la loi » dit-on, mais l’accès précoce au droit, l’instruction civile dès le plus jeune âge et l’incitation au respect et au dialogue républicain rendraient cette affirmation crédible. Le travail sur la citoyenneté de la jeunesse a donc beaucoup d’avenir (je dis ça parce que c’est aussi une de mes délégations). Le lien inter humain, dans toutes ses composantes, doit être travaillé, avec la création de lieux d’expression et de débats entre communautés et institutions.

En conclusion : « force à la loi » et « respect des individus », dans une société vraiment solidaire, sont les mamelles de la sécurité.

M. le président - Je vous remercie beaucoup. Je voulais simplement vous poser une question. Quand vous parliez tout à l’heure de l’internat, vous avez dit : « On ne peut socialiser sans responsabiliser ».

M. Michel Bourgat - En psychiatrie et en pédopsychiatrie, il faut dire que la loi du 2 février 1945, dans le texte et dans les faits, arrive à déresponsabiliser puisque le mineur est un irresponsable pénal et il a fallu qu’un arrêt, qui s’appelle l’arrêt Laboube, dise que pour condamner un jeune, il faut quand même qu’il ait compris le mal qu’il a fait. Donc, on a fait cet arrêt pour réintroduire de la responsabilité. Chez les multirécidivistes, dans les internats que nous souhaitons avec mon association, comment re-socialiser quelqu’un qui est encore irresponsable ? Il faut bien à un moment faire l’historique de son acte pour qu’il comprenne et à ce moment-là, une fois qu’il a compris, on peut le re-socialiser, et le plus vite possible.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur - S’agissant de l’ordonnance de 1945, quelles évolutions vous semblent les plus nécessaires et les plus urgentes ?

M. Michel Bourgat - Je ne remets pas en cause l’esprit et la philosophie de l’ordonnance de 1945. Le problème vient d’un manque évident de moyens pour la justice, notamment la justice des mineurs. On punit les mineurs avec une échelle de peines totalement inadaptée, ce qui rend difficile l’action des magistrats. Ils ont souvent dit que je n’étais pas d’accord avec eux. Ils découvrent aujourd’hui que je me fais leur défenseur. L’échelle des peines devrait être adaptée à l’âge et à l’acte commis suivant des principes de pédopsychiatrie lisibles, non humiliants et efficaces. L’application de l’échelle de peines des majeurs divisée par deux donne souvent un résultat inverse au résultat attendu s’agissant de premiers délits ou de petits délits.

J’en viens maintenant au problème de la multirécidive qui constitue la pierre d’achoppement et qui a provoqué les événements actuels.

Le traitement de la multirécidive a été ignoré du fait de l’absence d’un instrument adapté aux mineurs. Il nécessite la création de centres fermés non carcéraux. Les mineurs ne doivent pas être dans les prisons. Combien de jeunes ces centres doivent-ils accueillir ? Le chiffre de dix à quinze, proposé par les spécialistes, me semble le seul valable. Quand on reçoit trois ou quatre multirécidivistes graves, comme c’est le cas dans les CER actuellement, on arrive momentanément à un consensus ; les éducateurs parviennent à faire plier les jeunes car ils aspirent à être rapidement dehors. Mais si l’on veut faire un vrai travail de resocialisation avec une analyse individuelle et une responsabilisation, il faut regrouper une quinzaine de personnes.

M. le rapporteur - L’ordonnance de 1945 évoque la prévention, l’éducation et la sanction. Evoque-t-elle suffisamment la réparation ?

M. Michel Bourgat - Il ne faut pas confondre la réparation et l’indemnisation des victimes, cela n’a aucun rapport. La réparation est un phénomène presque psychanalytique. Un jeune peut se réparer par une action qui va le laver, le remettre en selle et on peut même le concevoir dans le cadre d’un crime. Mais, vis-à-vis des victimes, le crime n’est pas réparable. On peut toujours imaginer la rédemption d’un jeune, il faut la souhaiter, mais la réparation est un acte personnel entre lui et la société et, à la limite, la victime n’y figure pas. Il arrive souvent que les victimes refusent la réparation, la justice ayant un système d’indemnisation que, personnellement, je ne compte pas dans la réparation.

Cependant, il faut être clair : quand le jeune a payé sa note, il faut le remettre en selle et les compteurs doivent repartir à zéro.

La victime ne pourra jamais accepter une réparation, ce n’est pas son rôle, mais la justice doit réparer pour la société.

M. le rapporteur - S’agissant de la responsabilité des parents, la suppression des allocations familiales vous semble-t-elle adaptée ?

M. Michel Bourgat - Je suis contre la suppression des allocations familiales. Cela consisterait à enfoncer dans l’eau des gens qui sont au bord de la noyade. En revanche, je suis pour une mise sous tutelle des allocations familiales. On observe dans certains milieux une utilisation aberrante des fonds alloués à l’éducation, comme l’achat de télévisions. Une mise sous tutelle permettrait de s’assurer que les sommes versées aux familles servent, par exemple, à réinsérer les jeunes en état de délinquance. Supprimer les allocations familiales à des familles qui vivent uniquement d’assistance dans ces milieux de sous-culture et de violence les pousserait encore plus vers les trafics parallèles.

M. le rapporteur - Le délai de réponse de la chaîne judiciaire vous semble-t-il adapté ?

M. Michel Bourgat - Tous les spécialistes de l’adolescence savent qu’un jeune vit dans l’immédiat et le virtuel. Il faut tout de suite lui montrer qu’il a dépassé la ligne jaune et donner une réponse le plus tôt possible. S’il n’y a pas de réponse, on court à la catastrophe et cela peut même avoir un effet pervers. Nous observons que 70 % des primo-délinquants s’en sortent bien, auquel cas l’ordonnance de 1945 est efficace, mais s’il y a une punition, alors que le jeune est en phase ascendante de récupération, elle peut être néfaste. Il faut immédiatement montrer avec une réponse compréhensible et surtout non humiliante que la société est la plus forte et que les barrières sont claires et nettes.

M. le président - Nous sommes face à une situation caractérisée par l’augmentation de la délinquance et un sentiment d’impunité et nous avons maintenant un véritable problème politique, à savoir quelle réponse doit donner la société à la demande des citoyens. Quelles sont, à votre avis, les mesures à prendre pour envoyer des signaux forts à l’opinion publique, aux citoyens et aux délinquants ?

M. Michel Bourgat - La prévention individuelle n’existe pas encore et je le regrette. L’enfant se construit par phases de trois ans : zéro - trois ans, trois - six ans, six - neuf ans. Il faut savoir que, même si l’on rate une étape, des passerelles sont possibles.

Les observatoires pour enfants en danger de délinquance ont une composition pluripartenariale, ils interviennent dans les écoles, ils font un travail de dépistage des jeunes qui semblent en dérive, mais il n’y a pas de stigmatisation.

J’ai travaillé sur l’individu et les facteurs qui lui font perdre son affectivité, le rendent égocentrique. J’ai d’ailleurs écrit un livre qui s’intitule Comment les enfants deviennent des assassins. J’ai travaillé sur le milieu criminogène, la fameuse culture souterraine de violence. Il faut l’éradiquer et, à ce titre, la lutte contre les trafics parallèles est très importante.

Nous vivons dans une culture de l’image et les médias jouent un rôle essentiel. L’aseptisation de la douleur et du danger, l’esthétisation de la violence aboutissent au fait qu’on la trouve belle avec des films comme Tueurs nés.

Je vais souvent dans les collèges et les lycées et je cite cet exemple : Arnold Schwarzenegger dans le film Terminator 1 est le méchant ; dans Terminator 2, il est le gentil et le méchant, c’est le policier. A mon époque, on regardait Ivanhoé et les Sept mercenaires et on savait qui était le méchant.

Je ne réfute pas la violence, c’est un phénomène naturel qui doit être canalisé et ressenti de manière positive pour s’en sortir. Actuellement, les médias ne véhiculent plus cette image. Il faudrait demander au CSA de vérifier que les films ont un sens et ne nient pas les valeurs de la République.

L’absence de transmission des valeurs ne s’observe pas seulement dans les milieux où règnent la précarité et la pauvreté, on la relève également dans les milieux aisés.

En tant qu’élu, je ne peux pas toucher aux peines, j’applique les dispositions, mais je travaille sur le maillage social, j’essaye de redonner du sens, de la morale et je fais de l’instruction civique.

A Marseille, nous travaillons sur l’urbanisme. Nous n’avons pas de cités ghettos, notre ville est à portée du bonheur avec la mer et le ciel bleu !

Mme Nicole Borvo - Monsieur Bourgat, vous êtes adjoint au maire chargé de la prévention de la délinquance, avez-vous, à Marseille, des résultats tangibles de mesures qui marchent ?

M. Michel Bourgat - Si l’on prend comme critère le nombre de voitures brûlées par jour, Marseille est une ville relativement calme. Mais il y a une montée de la violence gratuite, notamment chez les plus jeunes, et nous n’avons pas plus que les autres la solution.

Marseille a la particularité d’être une ville portuaire, elle est située en face du Maghreb, son climat est agréable. Nous avons donc de nombreux jeunes en errance qui viennent de France et de l’étranger, arrivant parfois à Marseille dans des conditions effroyables.

En ce qui concerne la délinquance traditionnelle, nous avons un maillage social développé, une prévention de nuit, des services qui oeuvrent pour éviter l’exclusion scolaire, des activités sportives et culturelles et des communautés cultuelles vivantes regroupant les différentes religions au sein de « Marseille espérance ». Cet espace de parole, qui s’inscrit dans le cadre laïque républicain, donne de bons résultats car, sur le papier, nous devrions être dans une situation explosive : nous avons une population maghrébine en exclusion, un nombre de chômeurs élevé, beaucoup de passages de gens venant de l’extérieur et montrant des signes de richesse. Malgré tout cela, nos chiffres sont inférieurs à la moyenne nationale.

M. le président - Je vous remercie.


Source : Sénat français