Présidence de M. Bernard PLASAIT
M. Bernard Plasait, président - Nous allons à présent entendre MM. Jean-Michel Bocquet et Nicolas Ginoux, conseillers syndicaux de la CFDT interco-branche Justice.
(M. le président lit la note sur le protocole de publicité des travaux de la commission d’enquête et fait prêter serment.)
M. Jean-Claude Carle, rapporteur - Messieurs, comment expliquez-vous que les éducateurs les plus jeunes, les moins expérimentés, soient souvent mis devant les publics les plus difficiles ? Quelles pistes d’amélioration préconisez-vous ?
M. Jean-Michel Bocquet - Il faut d’abord souligner que, en règle générale, les anciens professionnels ont commencé leur carrière dans des centres aussi difficiles et ne passent qu’ensuite dans d’autres structures. Les raisons de ce changement ne sont pas forcément liées à la difficulté du travail. Cela peut être aussi parce que, dans ces centres, on travaille très tôt le matin et très tard le soir et que, lorsqu’on a des enfants, lorsqu’on a une vie familiale, ces conditions de travail sont peu évidentes ; il est alors plus facile d’avoir des horaires de bureau que des horaires décalés.
Par ailleurs, lorsque ces anciens professionnels sont amenés à quitter ces lieux, étant donné les conditions de travail difficiles, personne ne veut y aller, si bien que les postes, notamment dans un certain nombre de foyers, sont donnés aux sortants d’école. De ce fait, ce sont les jeunes professionnels, qui n’ont pas forcément beaucoup d’expérience, qui sont affectés dans les endroits où les conditions de travail sont les plus difficiles, avec les jeunes les plus difficiles.
Sur ce point, la CFDT pense qu’il serait intéressant que, même si ce sont de jeunes professionnels, une dynamique puisse se construire autour de ces centres. Nous sommes un certain nombre de jeunes professionnels à ne pas avoir d’hostilité particulière à aller travailler dans des endroits difficiles. Ce qui nous manque, en revanche, c’est la possibilité de travailler avec une équipe soudée, construite, de travailler autour de projets communs, avec des projets de service qui soient clairs, avec du travail clair. Ce qui nous manque, c’est de savoir où nous allons, comment nous y allons, avec qui nous travaillons ; c’est que tout le monde aille dans le même sens, travaille dans la même dynamique...
M. Nicolas Ginoux - ... et se reconnaisse à travers le projet de service qui est en place.
Nous pensons aussi que, grâce, par exemple, à des cooptations, il serait peut-être possible de remobiliser les gens qui souhaiteraient travailler ensemble, parce qu’ils se connaissent ou ont déjà travaillé ensemble, et qui seraient partants pour créer des projets de service à l’intérieur de ces structures-là, des centres de placement immédiat, les CPI, ou des centres éducatifs renforcés, les CER, lesquels, à l’heure actuelle, existent en très petit nombre.
La CFDT estime que les CPI ont été créés dans l’urgence, peut-être en réponse à l’opinion publique, et que les conditions de recrutement qui ont accompagné leur mise en place n’ont pas été suffisamment réfléchies.
Ainsi, pour amener des effectifs dans les centres de placement immédiat, il a été procédé à des recrutements exceptionnels de nouveaux éducateurs ayant déjà une formation préalable dans les métiers, disons, de l’éducation ; mais, à la sortie de leur formation, ils ont eu la possibilité de choisir autre chose, d’aller dans des milieux ouverts, si bien que les places dans les centres de placement immédiat ou les centres éducatifs renforcés sont restées vacantes.
M. Jean-Michel Bocquet - Toujours à propos des centres de placement immédiat et des centres éducatifs renforcés, des cahiers des charges assez clairs et précis ont été rédigés. Or, on sait aujourd’hui que les centres qui ont été ouverts ne répondent pas aux cahiers des charges et qu’un certain nombre de difficultés proviennent de là. Certes, ce sont de jeunes professionnels -mais ils amènent aussi un dynamisme, une nouvelle manière de travailler, de nouveaux projets...- ; cependant, nous nous posons la question de savoir si l’administration ne contribue pas à les mettre en difficulté du fait que les cahiers des charges ne sont pas respectés, que le nombre d’éducateurs n’est pas suffisant, qu’il n’y a pas forcément tous les personnels... Car il ne manque pas seulement des éducateurs : il manque parfois des cuisiniers, il manque aussi des lingers...
C’est, je pense, de la responsabilité de l’administration que de ne pas mettre ces jeunes professionnels encore plus en difficulté, compte tenu des conditions de travail.
M. le rapporteur - Lorsque nous nous sommes rendus dans les différents centres, sur le terrain, nous avons effectivement constaté une crise de recrutement, mais nous avons aussi rencontré des situations paradoxales dans lesquelles le personnel était en surnombre !
L’une des manières d’améliorer la situation ne serait-elle pas de recruter d’une autre manière, soit par la troisième voie, soit par le biais de recrutements de type contractuel, même s’il est clair que cela ne doit pas devenir le mode de recrutement principal ?
M. Nicolas Ginoux - Certains centres de placement immédiat ont recruté des éducateurs contractuels, mais leurs contrats ne sont pas signés, et nous avons l’exemple, dans le département des Yvelines, de contractuels qui n’ont jamais pu prendre leurs fonctions !
Pour ce qui est de la troisième voie, nous sommes tout à fait pour que des gens qui ont déjà une expérience soient recrutés afin de devenir des professionnels.
Nous proposons aussi que leur soit dispensée une formation qui leur permette de prendre de la distance par rapport au terrain -puisque ce sont des personnels de terrain qui sont « pressentis », dirons-nous-, et que ce soit une formation validante. Le fait d’avoir dix ou quinze années de terrain ne met pas forcément à même de travailler avec des mineurs en difficulté et en l’occurrence, puisqu’il s’agit des centres de placement immédiat, avec des mineurs délinquants.
M. Jean-Michel Bocquet - Le recrutement par la troisième voie est effectivement une revendication de la CFDT depuis maintenant un certain nombre d’années. Au-delà même de la PJJ, il doit se développer dans l’ensemble de la fonction publique, à la condition toutefois que, en particulier dans les métiers d’éducateur ou d’agent technique d’éducation, les personnes recrutées soient formées notamment à prendre du recul, à se décentrer de ce qu’elles pourront rencontrer au quotidien, dans le travail, et qu’elles bénéficient d’apports théoriques assez précis.
Le terrain n’apporte pas tout, notamment dans les professions éducatives. Il faut, je dirai, un savant dosage entre l’expérience de terrain et la capacité à conceptualiser, à réfléchir, à poser et à réfléchir l’action.
M. le rapporteur - Quel jugement portez-vous sur la réforme des services éducatifs auprès des tribunaux, les SEAT ?
M. Jean-Michel Bocquet - La CFDT la juge de manière assez négative.
Elle a été menée, me semble-t-il, sans que soient prises en compte un certain nombre de réalités de terrain et, je pense, en évitant de rencontrer les professionnels et d’entendre les difficultés propres à ces services.
Les éducateurs en poste dans un SEAT -nous pouvons en parler, puisque c’est notre cas- font tout un travail relationnel qui porte sur l’échange qu’il peut y avoir entre un magistrat et un éducateur ou entre le parquet et la PJJ, un travail qui vise à rendre la justice et le fonctionnement des tribunaux un peu plus humains, de façon que ce ne soit pas une machine qui déroule une procédure, mais qu’il s’agisse bien du traitement d’une personne, d’une personnalité. Ce travail-là, je pense, n’a pas été suffisamment pris en compte dans la réforme proposée.
Aujourd’hui, nous avons l’impression de revenir en arrière, de revenir à ce qui existait auparavant. Les délégués à la liberté surveillée seront tout seuls, sans équipe, sans accompagnement, sans pouvoir poser en équipe les difficultés qu’ils rencontrent. Il faut également savoir que, dans les SEAT, le travail se fait dans l’urgence, dans la rapidité. Si l’on n’a pas la possibilité, à un moment donné, de se poser, de réfléchir ce que l’on fait, si l’on est uniquement dans l’urgence, on finit par ne plus très bien savoir quel métier on fait : est-on là seulement pour « traiter », ou bien est-on là aussi pour accompagner et rendre humaine la machine judiciaire ? Celle-ci, à mon avis, est aujourd’hui de plus en plus déshumanisée : on « traite ». On traite de la procédure, on traite du papier, on ne traite pas forcément de l’humain et du mineur, en l’occurrence.
M. Nicolas Ginoux - Les éducateurs en poste dans un SEAT mais qui ont la chance de travailler également sur le milieu ouvert, c’est-à-dire à l’extérieur du tribunal, peuvent aussi apporter aux magistrats leur connaissance des difficultés, qu’elles soient sociales ou autres, des quartiers dans lesquels ils exercent. Cela permet souvent aux magistrats de relativiser la complexité des situations auxquelles ils sont confrontés, et cela les aide dans les décisions qu’ils ont à prendre.
Il est important de conserver cet apport, qui relativise, comme le disait mon collègue, la procédure, ou du moins la rend un peu plus humaine.
M. Jean-Michel Bocquet - Les disparités sont énormes, sur le territoire français, entre un très gros SEAT, par exemple dans la région parisienne ou dans une très grande ville de province, et celui d’une ville de taille moyenne du centre de la France. On ne sait pas vraiment si, dans une certaine mesure, l’éducateur fait le même métier ou non.
Ces spécificités locales n’ont pas été forcément prises en compte dans la réforme, et il reste important, même dans les tout petits tribunaux de grande instance où existait un SEAT auparavant, que des éducateurs soient présents pour pouvoir, parfois, poser une action, pouvoir aussi rappeler la force de l’ordonnance de 1945, qui est de croire en l’éducabilité des mineurs. La présence d’un ou de plusieurs éducateurs au tribunal renforce cette volonté d’éduquer les mineurs avant tout chose.
M. Nicolas Ginoux - Le travail en équipe est important également au sein d’un SEAT, car il permet de donner des réponses cohérentes, des réponses à discuter. Il peut aussi permettre d’éviter des rapprochements par trop..., enfin, des rapprochements entre magistrats et éducateurs.
Les éducateurs sont entre les deux, entre le pouvoir décisionnel et le pouvoir de proposition. L’équipe est un garde-fou par rapport à une trop grande proximité, par rapport, pour en revenir aux délégués de la liberté surveillée, aux dérives qu’on a pu connaître dans le passé.
M. le rapporteur - Comment se sont mises en place les 35 heures dans vos services ?
M. Jean-Michel Bocquet - Nous reprendrons les positions de la CFDT sur le sujet, et, au-delà de la PJJ, la CFDT a toujours été très claire sur l’aménagement et la réduction du temps de travail.
Pour ce qui est de la PJJ, notre reproche essentiel est que tout s’est fait en urgence, rapidement, et, d’après nous, au prix d’un certain nombre de passages en force.
La CFDT a toujours souhaité négocier non seulement sur la réduction du temps de travail, mais avant toute chose sur l’aménagement du temps de travail et sur l’aménagement du travail fait par les éducateurs. On ne pouvait pas réfléchir à la réduction du temps de travail sans envisager de création d’emploi ; en revanche, on peut se demander comment aménager le temps de travail en s’interrogeant sur la possibilité de travailler autrement. Or cette réflexion a été totalement absente, tout s’est fait quasiment sans négociation et a été passé en force et dans l’urgence, puisque les premières notes sur la RTT concernant les services que nous ayons vues passer datent du mois d’août. Quatre mois pour mettre en place un aménagement et une réduction du temps de travail, cela me paraît un peu court !
Compte tenu de l’état de la PJJ sur la question des personnels, nous nous interrogeons et nous dénonçons l’absence de recrutement lié à cet aménagement et à cette réduction du temps de travail.
M. Nicolas Ginoux - Je voudrais également souligner qu’il n’y a pas eu de diminution des prises en charge.
Comme vous le savez, à la PJJ, du moins en milieu ouvert et dans les SEAT, nous travaillons sur un nombre de mesures prédéterminé. Or, la réduction du temps de travail s’est faite sans aucune réduction du nombre de mesures, c’est-à-dire du nombre de mineurs pris en charge, et, bien entendu, sans les recrutements qui auraient dû l’accompagner. On nous demande donc, c’est le constat que nous faisons aujourd’hui, de travailler moins en conservant le même nombre de mesures, c’est-à-dire le même nombre de jeunes, de familles, et, en fin de compte, la même charge de travail. Nous n’avons pas vraiment l’impression d’une réduction très probante du temps de travail ; nous avons plutôt l’impression d’une réduction du temps consacré aux mineurs et à leurs familles, ce qui peut être préjudiciable.
M. Jean-Michel Bocquet - Particulièrement à la PJJ, il aurait fallu réfléchir sur ce qu’est le travail des éducateurs et sur les moyens qui nous permettraient d’essayer de le conduire autrement. Il aurait fallu se demander comment rendre la PJJ plus proche de certaines de ses missions plutôt que de raisonner de manière purement comptable, comme cela a été fait, et de nous dire : « Voilà, vous avez tant de jours de congé, il faut passer aux 35 heures, nous vous laissons vos congés et vous passez à 37,10 heures pour les milieux ouverts, à 38 heures et quelques pour les directions départementales... » Cette gestion comptable ne correspond ni à notre métier ni aux nécessités du travail et de la réalité.
Sans doute que, plus tard, on reviendra sur un certain nombre de choses, notamment en ce qui concerne les mesures en attente ; mais toute cette dimension du travail de l’éducateur et des difficultés que nous avons à travailler avec les mineurs dans le contexte actuel n’a pas du tout été prise en compte.
M. le rapporteur - On s’aperçoit que les délais d’exécution des mesures de justice sont extrêmement longs et que certaines, très souvent, ne sont pas exécutées ou sont exécutées très tardivement.
Comment s’effectue le tri de ces mesures ? Quelles sont les priorités définies ? Quelles mesures préconiseriez-vous pour essayer d’améliorer cette situation ? Car une mesure n’est efficace que si elle est appliquée très rapidement.
M. Nicolas Ginoux - Nous sommes tout à fait d’accord sur ce dernier point : il est certain que, lorsque des mesures sont prises puis mises sur liste d’attente et exercées deux ans, voire trois ans après la décision de justice - je pense à des sursis-mises à l’épreuve -, on peut se demander si elles ont vraiment lieu d’être et s’interroger sur leur utilité et sur le travail qui peut être fait.
Les mesures de ce type sont nombreuses sur les listes d’attente. Il faut prendre en compte le temps d’une mesure. Ainsi, par exemple pour une liberté surveillée préjudicielle ordonnée lorsqu’il a quatorze ans, le mineur sera jugé à dix-sept ans : il y a donc trois ans de mesure. Ce sont des éducateurs qui travaillent avec ces jeunes, pendant des durées qui vont généralement de un à trois ans ; le turn-over est donc relativement restreint.
Quant aux préconisations, il faudrait effectivement qu’il y ait suffisamment de personnel pour que ces mesures, cela nous paraît aller de soi, soient exercées et qu’elles aient du sens.
M. Jean-Michel Bocquet - Il ne s’agit pas de se demander quelle doit être la priorité dans le suivi d’un mineur : un mineur pour lequel une mesure a été prononcée doit être suivi, et doit être suivi rapidement, nous sommes d’accord sur ce point.
Le raisonnement doit être retourné. Il faut se demander pourquoi ces mesures sont en liste d’attente. Le bon raisonnement est là !
La situation s’explique par un certain nombre de problèmes : par le manque de personnel, c’est évident ; mais aussi par les délais de justice, qui dépendent non pas de la protection judiciaire de la jeunesse, mais de l’audiencement des dossiers, du moment où ils seront jugés. Un passage au tribunal pour enfants peut prendre deux ou trois ans. Or, pendant les deux ou trois ans où nous suivons un mineur, nous n’en prenons pas un autre !
Par ailleurs, quel sens cela a-t-il de voir un mineur qui a commis des faits à seize ans être jugé à dix-neuf ans et faire l’objet d’une mesure que nous suivrons lorsqu’il aura vingt ans ?
Certaines choses relèvent donc non pas de la protection judiciaire de la jeunesse, mais des délais de justice. Cependant, s’il faut raccourcir ceux-ci, il ne faut pas non plus qu’ils soient inexistants, puisque la justice des mineurs a la spécificité de laisser au mineur le temps d’évoluer. Il y a donc un juste milieu à trouver entre une attente de trois ans et une comparution immédiate.
A raisonner ainsi, on retourne la question, qui devient : pourquoi y a-t-il autant de mesures en attente ?
M. le rapporteur - Quel est votre sentiment sur les CPI et sur les CER ?
On parle beaucoup aujourd’hui des centres éducatifs fermés. Quelle est votre opinion sur ce type d’établissements ?
M. Nicolas Ginoux - Nous sommes bien entendu contre les centres fermés, et notre opinion est certainement assez répandue.
Pour nous, il n’existe à l’heure actuelle qu’une sorte de privation de liberté : la détention provisoire. Comment, dès lors, peut-on enfermer des mineurs s’ils ne sont pas condamnés ? Sous quelle forme ? Quels délais ? Quelle représentation ? Quelles garanties auront les mineurs s’ils peuvent être placés ? Cette question nous préoccupe ! Comment placera-t-on des mineurs sous ordonnance provisoire de placement avec interdiction de sortie ? Quels sont les délais de garantie face à la juridiction ?
Quant au travail en centre fermé, nous constatons là aussi le risque d’un retour en arrière. Nous n’avons pas vécu les centres fermés, notre génération est venue après. Mais s’ils ont été fermés, c’est qu’il se passait beaucoup de choses à l’intérieur, qu’il y avait de la violence, que les mineurs en sortaient avec des taux de récidive assez importants. Nous nous demandons donc quel est le but de l’enfermement des mineurs, ou alors, sous quelle forme les enfermer. Je crois que la question est là.
M. Jean-Michel Bocquet - Il y a un raisonnement à tenir à propos de ces centres fermés.
La privation de liberté, c’est la prison. Pourquoi, à un moment donné, doit-on définir des politiques particulières aux mineurs ? Ou bien ils entrent dans le droit commun des majeurs, ou bien on leur reconnaît une spécificité qui doit être à leur avantage, notamment celle que pose aujourd’hui la loi, à savoir l’éducabilité de ces mineurs.
Nous, nous croyons à l’éducabilité des mineurs, ce point est clair.
Aujourd’hui, on sait déjà qu’un certain nombre de dérives existent, nous les avons rencontrées au quotidien, dans notre travail. Ainsi, dans une affaire mixte, dans laquelle sont impliqués un mineur et des majeurs, le mineur est présenté auprès d’un juge des enfants, un mandat de dépôt est demandé, et il se trouve placé en détention provisoire. Les majeurs de la même affaire passent dans le cadre d’une comparution immédiate. Or, en comparution immédiate, les majeurs sortent avec des sursis simples. Cela signifie donc que, dans la réalité des tribunaux, aujourd’hui, on est déjà plus répressif, plus dur avec les mineurs qu’on ne l’est avec les majeurs.
Ensuite, si effectivement il faut enfermer les mineurs la seule chose qui existe et qui, en tout cas, nous paraisse concevable, c’est la prison ; à cette nuance près que les prisons doivent être des établissements spécifiques aux mineurs, avec des prises en charges spécifiques aux mineurs. Il faut faire attention aussi à ne pas incarcérer ces mineurs comme ça, à tout bout de champ !
Une question sous-tend tout cela, et c’est surtout celle-là qu’il faut poser : si l’on peut concevoir d’enfermer un mineur, parce que les faits sont suffisamment graves pour le justifier, qu’en fait-on après ? Que fait-on à sa sortie de prison ?
On sait que la détention, que ce soit pour les mineurs ou pour les majeurs, n’a de sens que si, à l’intérieur, on travaille pour préparer la sortie. Or le discours que l’on entend aujourd’hui, c’est que l’on va placer ces mineurs dans des centres fermés. Oui, mais on ne va pas les y placer toute leur vie ! Il faudra bien, à un moment ou à un autre, les insérer dans la société, les remettre dans le chemin d’une vie ordinaire. Et cela n’est possible que s’ils sont à l’extérieur de la prison, s’ils se rendent compte de ce qu’est la société dans laquelle nous vivons. Ce n’est possible que si des gens sont capables, à un moment donné, de leur renvoyer ce que c’est que la loi, de leur renvoyer aussi comment ils vivent et de leur montrer qu’ils sont capables de le faire sans êtreenfermés.
Il peut y avoir une parenthèse, à un moment donné, quand les faits sont graves ; il n’empêche que le travail restera à faire à la sortie. Aujourd’hui, ce débat n’est pas du tout posé.
On peut parler des centres fermés, on sait ce que cela a donné : des expériences ont été tentées dans le passé auxquelles un terme a été mis parce qu’il se passait des choses extrêmement graves à l’intérieur. On ne peut pas non plus demander à un éducateur de jouer le rôle de surveillant de prison, nous ne sommes pas là pour remplir cette tâche et nous n’y sommes pas formés ! Nous sommes formés pour éduquer les mineurs, pour les accompagner, pour leur rappeler un certain nombre de choses, et ce dans un cadre ordinaire de vie.
M. Nicolas Ginoux - Sinon, nous aurions choisi de travailler à l’administration pénitentiaire ! Il y a des éducateurs qui travaillent en incarcération, qui travaillent en milieu ouvert aussi. Pour la plupart, les éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse ont choisi de travailler avec des mineurs dans la société, non avec des mineurs enfermés. C’est une question sinon de conviction, du moins de choix, mais également de formation. Nous avons été formés pendant deux ans à prendre en charge des mineurs dans la société, certes au travers de l’incarcération pour les missions qui sont par exemple celles du SEAT, mais en tout cas pour travailler avec des mineurs, j’allais dire « libres ».
M. le rapporteur - Quel est le rôle d’un éducateur aujourd’hui ?
M. Nicolas Ginoux - Le rôle d’un éducateur est de replacer le mineur à l’intérieur du lien social.
Nous avons un travail de partenariat, un travail de resocialisation, un travail visant à redonner confiance, à replacer d’abord les mineurs dans le droit commun au travers des institutions qui sont destinées à les prendre en charge, et ce, quels que soient les faits qu’ils aient commis. C’est donc tout un travail de partenariat, de réinsertion sociale et scolaire.
Le rôle d’un éducateur justice, aujourd’hui, est de dire à certains mineurs qu’ils n’avaient pas le droit de commettre certains faits. Aujourd’hui, c’est particulièrement clair au tribunal, nous sommes parmi les seuls adultes à pouvoir dire en face à un mineur : « Ce que tu as fait, tu n’as pas le droit de le faire. » C’est important ; c’est un devoir que nous avons du fait de notre métier, mais que tout le monde devrait avoir -disons que cela relève d’une certaine citoyenneté-, le devoir de dire à des enfants, à des mineurs : « Vous n’avez pas le droit de faire cela. »
Aujourd’hui, nous sommes donc parmi les seuls, les derniers en bout de chaîne, à dire à ces jeunes-là : « Ce que tu as fait, tu n’as pas le droit de le faire. » A nous ensuite de travailler l’« après » de ce passage, devant la juridiction, en l’occurrence, et d’essayer de faire réintégrer le mineur dans le droit commun, c’est-à-dire dans une société, d’essayer de lui faire entendre aussi que la société a certaines règles, qu’il se doit de les respecter, qu’en retour la société le respectera aussi.
Car il est important qu’il y ait une réciproque. Aujourd’hui, des mineurs souffrent d’un certain manque de réciprocité et se demandent pourquoi respecter les règles de la société si, en contrepartie on ne les respecte pas eux-mêmes. Je crois que l’on peut entendre ce discours.
Le travail de l’éducateur est donc de replacer le mineur dans notre société, de l’aider aussi à se positionner par rapport à certaines choses, à des actes.
M. Jean-Michel Bocquet - Notre principal métier, c’est vrai, est d’accompagner un mineur et sa famille. Nous les accompagnons dans leur quotidien, nous essayons de faire qu’ils comprennent, tout simplement, dans quelle société et dans quel endroit ils vivent.
Aujourd’hui, nous travaillons énormément avec des populations qui ne parlent pas ou n’écrivent pas le français, qui ne comprennent pas forcément comment fonctionnent la société française ou la République française. Je sais, pour l’avoir fait à plusieurs reprises, que nous sommes peut-être les seuls à avoir un jour expliqué simplement à ces gens ce qui se passait, comment cela marchait, les seuls à leur dire que la loi française autorise ceci, mais pas cela.
Mais nous ne le leur disons pas en leur faisant une leçon de morale ou en leur assenant qu’ils n’y comprennent rien, que ce sont de mauvais parents, qu’on va leur supprimer les allocations familiales... Nous ne sommes pas dans ce type de discours. Nous sommes là pour essayer de comprendre pourquoi ils sont en difficulté, que ce soit le mineur ou sa famille, et pour leur réexpliquer afin qu’ils comprennent.
Aujourd’hui, certaines familles ne comprennent pas comment fonctionne l’orientation de leur enfant, ne comprennent pas ce qui se passe dans la justice française... Ils ne comprennent pas, ils ne savent pas où ils sont, ils ne savent pas ce qui se passe.
Nous sommes peut-être les seuls à leur dire comment cela fonctionne, à les accompagner, à les soutenir, à tolérer qu’il puisse y avoir un dérapage à un moment donné tout en restant présents pour les accompagner et essayer de faire qu’ils s’en sortent, qu’ils s’insèrent dans la société française, et qu’ils s’y insèrent le mieux possible, dans le respect de la loi.
Nous sommes peut-être les seuls aussi à pouvoir dire un certain nombre de choses aux mineurs, à leur redonner confiance et, en même temps, à leur rappeler qu’ils n’ont pas le droit de faire ceci ou cela, mais que nous les aiderons à ne pas recommencer. Nous ne sommes ni en train de les punir, au sens péjoratif du terme -nous ne disons pas : « Vous avez fait cela, c’est terminé ! »-, ni non plus dans un leurre éducatif qui nous ferait croire que tout est beau, tout est merveilleux, que les mineurs n’ont rien fait. Ce n’est pas vrai, les mineurs commettent des actes de délinquance. Nous ne sommes pas dans ce leurre-là non plus. Nous essayons de mesurer les deux !
Le rôle de l’éducateur est essentiellement celui-là : un rôle de lien. C’est parfois simple ; il peut s’agir, au tribunal, de négocier qu’un mineur puisse avoir un sandwich à midi alors qu’il est sous main de justice. Cela fait partie des choses que nous faisons, des choses qu’il nous paraît important de faire : dire que, quoi qu’il ait commis, on n’a pas le droit de priver un mineur de nourriture.
Nous faisons du lien au milieu de tout cela et, malheureusement, ai-je envie de dire, nous, éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse, sommes peut-être aujourd’hui les seuls, avec d’autres éducateurs tels, par exemple, les éducateurs de prévention, à pouvoir encore le faire.
On fonctionne aujourd’hui sur un défaut de lien avec ces mineurs : on a peur des mineurs. Nous, nous les avons tous les jours dans nos bureaux. Je n’ai jamais eu peur en allant au travail, je n’ai jamais eu peur en entrant dans mon bureau, et pourtant, nous travaillons avec des mineurs qui sont extrêmement compliqués.
M. le rapporteur - Que préconiseriez-vous pour améliorer le fonctionnement de la PJJ ?
M. Nicolas Ginoux - La chose la plus importante à nos yeux, nous sommes assez clairs sur ce point, c’est que l’ordonnance de 1945 ne soit pas réformée. Elle contient un panel de mesures suffisant qui, si elles étaient appliquées, pourraient apporter aujourd’hui des solutions à la délinquance des mineurs, mais aussi aider les mineurs en danger, puisque, je le rappelle, nous ne prenons pas seulement des mineurs délinquants en charge.
M. Jean-Michel Bocquet - La CFDT demande aussi à pouvoir travailler dans la continuité de ce qui a été fait. La protection judiciaire de la jeunesse et l’éducation surveillée, qui l’a précédée, ont une histoire. Des choses ont été tentées, certaines ont réussi, d’autres moins, voire n’ont pas fonctionné. Aujourd’hui, tous les six mois, nous devons faire autrement. Je veux bien que nous fassions autrement, mais, encore une fois, cela ne vient pas forcément de nous, ce n’est pas nous qui décidons de tenter autre chose, quelque chose de nouveau. Cela descend, c’est toujours descendant, de l’administration vers nous : « Voilà, vous êtes éducateurs, et vous devez faire autrement. » C’est là un mode de fonctionnement que la CFDT dénonce.
Nous demandons une déconcentration de l’organisation, actuellement très centralisée, de la protection judiciaire de la jeunesse -ce qui ne veut pas dire que nous demandons que ce ne soit pas une administration d’Etat. Nous demandons que les directeurs régionaux et départementaux aient de réelles responsabilités, qu’ils soient porteurs d’une réelle politique départementale ; notamment -et c’est là que cela devient intéressant- qu’un partenariat soit mis en place avec l’aide sociale à l’enfance, l’ASE. Au demeurant, un rapport de l’inspection générale des affaires sociales, l’IGAS, préconise un renforcement du partenariat entre la PJJ et l’ASE.
Ce sont des choses qu’il faut faire et qui sont possibles si des spécificités locales sont reconnues.
Le corollaire d’une telle organisation serait que cette administration déconcentrée fonctionne sur le mode du contractuel : l’administration ne pourra pas être réformée sans l’appui des personnels.
Il y a des syndicats réformateurs à la protection judiciaire de la jeunesse, et la CFDT en fait partie. Nous voudrions construire avec l’administration, nous voudrions avancer, nous voudrions faire des propositions, nous voudrions pouvoir être entendus, nous voudrions que ces choses-là soient votées, négociées, qu’un certain nombre de personnels les portent avec l’administration. Or, aujourd’hui, nous sommes toujours dans une relation de face à face qui ne correspond pas à ce que voudrait faire la CFDT.
Pour fonctionner sur un mode contractuel, il faut de la déconcentration : cela ne peut pas se faire au seul échelon national, parce que la réalité de la région parisienne n’est pas celle de la région Centre non plus que celle du Nord - Pas-de-Calais, ne serait-ce que du fait des spécificités culturelles importantes.
Nous insistons aussi sur la nécessité de pouvoir, à un moment donné, procéder à une évaluation précise de ce qui a été fait et mis en place, de ce qui fonctionne et de ce qui ne fonctionne pas. Des réformes ont été lancées dont nous n’avons jamais vu le bout, dont nous n’avons jamais eu l’évaluation. Les évolutions sont si rapides qu’on n’a même pas le temps de faire l’évaluation du projet précédent. Au bout d’un moment, nous, éducateurs de terrain, ne savons plus ce que nous devons faire !
Dans le même ordre d’idée, nous voudrions que la protection judiciaire de la jeunesse ait une réelle politique de ressources humaines. Je sais bien que c’est très compliqué à mettre en place dans la fonction publique. Il n’empêche que la CFDT demande une politique de ressources humaines, et cela rejoint l’idée que nous avancions au début de notre intervention d’une cooptation dans les endroits difficiles, afin de pouvoir travailler, parce que des gens motivés travailleront. Or une motivation est portée par toute une équipe. Qu’on ne raisonne pas uniquement sur « une personne, un poste », car ce sont aussi des équipes qui travaillent ensemble !
Pour toutes ces raisons et, en particulier, compte tenu des difficultés que nous pouvons rencontrer sur le terrain ou dans les lieux où nous travaillons, compte tenu également des spécificités régionales et locales, il faut que la protection judiciaire de la jeunesse ait une politique de ressources humaines.
Il faut également -mais la réflexion est en cours- repenser un certain nombre de choses dans la formation des éducateurs, des agents techniques d’éducation, les ATE, etc.
Le premier point qu’il faudrait revoir, c’est que, aujourd’hui, les directeurs, les éducateurs, les ATE, reçoivent des formations séparées. Or, quand nous travaillons, c’est forcément avec un directeur, avec un ATE, avec un éducateur.
Il faudrait aussi que la PJJ s’ouvre à certaines autres formations, puisque nous sommes amenés à travailler en partenariat avec un éducateur de prévention, un éducateur de l’ASE, un éducateur d’un foyer associatif. Nous ne faisons pas les mêmes métiers, c’est sûr. La PJJ a la spécificité de s’occuper d’ados et de pré-ados qui sont des mineurs sous main de justice, placés par un juge des enfants. Même si nous ne travaillons pas sur un volet administratif, comme le fait l’ASE, il n’empêche que nous travaillons avec ces gens-là et que nous ne nous connaissons pas forcément, nous ne nous comprenons pas forcément, alors que nous sommes collègues et que nous sommes là pour travailler ensemble.
Enfin, je voudrais souligner que, lorsqu’on travaille en milieu ouvert, on crée des réseaux : à la mission locale, avec l’espace territorial, etc. Le jour où l’on s’en va, ce réseau de travail ne continue pas forcément d’exister, parce qu’il est porté par une personne et non par une volonté globale. Il est donc important de nous ouvrir.
M. le président - Peut-on reformuler votre position en disant que, dans une administration qui est très riche de ressources humaines, où les personnes sont nombreuses à avoir une vraie vocation, à avoir envie d’être au service de cette jeunesse, une part importante du gâchis pourrait être évitée si, d’une part, un pilotage national avec évaluation était mis en place, de telle manière que chacun des agents comprenne mieux dans quel contexte général il agit et, d’autre part, si la décentralisation ou la déconcentration étaient plus marquées ?
M. Jean-Michel Bocquet - Le terme de « gâchis » me dérange quelque peu.
M. le président - Disons « gaspillage » !
M. Jean-Michel Bocquet - Cette administration recèle de grandes richesses, et elle fonctionne. Aujourd’hui, les éducateurs qui travaillent, et qui travaillent bien, qui sortent des mineurs de leurs difficultés, sont nombreux.
On pourrait faire mieux, c’est vrai, notamment par une politique de déconcentration et par une valorisation du métier exercé. Certaines réformes, notamment la loi sur la présomption d’innocence, ont marqué des avancées.
Les éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse ont parfois l’impression de n’être pas entendus dans leur volonté, très réelle, d’aider ces mineurs. Nous sommes de moins en moins dans le leurre éducatif du tout-éducatif merveilleux qui résoudra tout : plus personne ne tient vraiment ce raisonnement, à la protection judiciaire.
On doit améliorer les choses, on peut les faire autrement, mais il faudra inévitablement travailler sur un mode contractuel pour que les personnels se voient réellement reconnus dans le métier qu’ils exercent. Aujourd’hui, tout ce qu’on entend sur la protection judiciaire de la jeunesse, c’est qu’elle ne fonctionne pas, que, comme vous le disiez un peu, c’est un gâchis... Ce n’est pas tout à fait comme cela, et il est un peu caricatural de présenter les choses ainsi.
M. le président - Messieurs, je vous remercie.
Source : Sénat français
Restez en contact
Suivez-nous sur les réseaux sociaux
Subscribe to weekly newsletter