Présidence de M. Bernard PLASAIT

M. Bernard Plasait, président - Nous allons à présent entendre Mme Claude Beuzelin, secrétaire générale du SNPES-PJJ-FSU, accompagnée de M. Roland Ceccoti-Ricci, membre du bureau national du SNPES-PJJ-FSU.

(M. le président lit la note sur le protocole de publicité des travaux de la commission d’enquête et fait prêter serment.)

M. Jean-Claude Carle, rapporteur - Ma première question concerne les éducateurs.

Lorsque l’on fait le tour des différents centres en France, on constate que les éducateurs les plus jeunes sont souvent ceux qui sont confrontés aux situations les plus difficiles. C’est vrai dans le domaine de la protection judiciaire de la jeunesse, c’est malheureusement vrai également dans d’autres domaines de la fonction publique. Qu’en pensez-vous ? Comment peut-on essayer d’améliorer la situation ?

Mme Claude Beuzelin - J’aurais aimé, en préalable, vous présenter notre analyse de la délinquance des mineurs et, plus globalement, de la protection judiciaire de la jeunesse.

Pour répondre à la délinquance des mineurs, il est nécessaire d’en analyser les causes. Elles sont multifactorielles, elles l’ont toujours été, mais il est important de le rappeler aujourd’hui.

Il y a d’abord de fortes inégalités sociales, qui sont économiques, mais aussi spatiales et géographiques. Certaines populations ouvrières ou d’origine étrangère sont exclues du monde du travail, les enfants et les adolescents de ces familles sont également victimes d’exclusion et ces personnes se sentent abandonnées.

On ne peut pas isoler le contexte social quand on veut répondre à la question de la délinquance des mineurs. Si on le fait, on apporte des réponses souvent très répressives et on bascule dans une grande intolérance à l’égard de ces jeunes avec des dispositifs proches de la tolérance zéro ou allant jusqu’à la comparution immédiate ou le flagrant délit ou les centres fermés. Or nous savons, par notre pratique professionnelle, par l’histoire des institutions et des sciences humaines, que cela aboutit à des impasses.

Par ailleurs, je tiens à souligner que l’on ne peut pas dissocier les mineurs en danger des mineurs qui ont commis des délits. Les professionnels ont appris qu’il n’y a pas deux catégories de jeunes. Si tous les mineurs en danger ne deviennent pas des mineurs délinquants, on constate que 90 % des mineurs délinquants ont été des mineurs en danger. Il est donc nécessaire d’assurer une continuité dans la prise en charge des uns et des autres. Cette continuité doit avoir lieu dans l’espace éducatif. Nous sommes favorables à ce que la protection judiciaire de la jeunesse ait, à ce titre, une double compétence et qu’elle puisse intervenir aussi bien au civil qu’au pénal. Aujourd’hui, la PJJ intervient essentiellement au pénal et on s’aperçoit que l’on s’attache à l’acte commis sans intégrer la dimension familiale et personnelle du jeune.

La réponse à la délinquance doit également s’inscrire dans un cadre plus large. Il est nécessaire de développer une prévention spécialisée ayant pour but d’éviter la marginalisation et l’exclusion et de créer un lien social. Il convient de consolider les mesures éducatives en milieu ouvert, les jeunes gardant un lien direct avec leur environnement familial et social. Les mesures de placement doivent être des mesures éducatives s’inscrivant dans la durée. La décision est prise par l’instance judiciaire, mais la PJJ doit en être le maître d’oeuvre.

Pourquoi ne trouve-t-on aujourd’hui que des jeunes professionnels dans les CPI, les CER et l’ensemble des foyers de la PJJ ? Entre 1985 et 1997, le recrutement a été presque totalement interrompu et on a assisté pendant dix ans à une baisse du nombre des personnels. C’est seulement en 1998 que nous avons récupéré nos effectifs. Cette situation a entraîné la fermeture d’un certain nombre d’établissements, l’arrêt de la transmission de l’expérience entre les générations et une profonde désorganisation de l’institution. Les sollicitations devenant plus fortes, le recrutement a repris depuis peu avec l’embauche de 1.300 personnes. Toutefois, cela ne signifie pas que 1.300 professionnels de plus sont sur le terrain, car il y a des périodes de formation.

Par ailleurs, les jeunes pris en charge par la protection judiciaire de la jeunesse font souvent l’objet d’une double mesure, c’est-à-dire une ordonnance de placement et une prise en charge en milieu ouvert. En effet, la confrontation permanente des jeunes et des adultes crée des tensions vis-à-vis des adultes qui les encadrent. Ces situations conflictuelles sont souvent dues aux conditions dans lesquelles sont effectués les placements.

La décision est prise en cinq minutes sans que les parents y soient associés et sans que le sens et les raisons du placement soient expliqués, si ce n’est qu’il s’agit d’une alternative à l’incarcération. On dit au jeune : je ne te mets pas en prison, je te mets dans un foyer. On donne au placement non pas une dimension éducative, mais une dimension de sanction et cela crée de fortes tensions. On regroupe dans les foyers des jeunes ayant le même parcours, le même comportement. On ne cherche plus à créer des groupes sur lesquels on puisse travailler, composés de jeunes ayant des problématiques différentes. Ils vont s’identifier les uns aux autres et cela va générer des situations explosives.

A notre avis, il faut redonner au placement une dimension éducative et en expliquer les raisons. Le mineur délinquant est en danger dans sa famille et dans son environnement, mais il met en danger les autres. Tout cela doit être clairement dit et on ne doit pas instrumentaliser les lieux de placement de la protection judiciaire de la jeunesse.

M. le président. Nous avons parlé des difficultés de recrutement. Ne pourrait-on améliorer la situation par d’autres moyens que le concours, la troisième voie ou les contrats ?

Mme Claude Beuzelin - Notre syndicat, depuis plus de vingt ans, est favorable à la troisième voie. Les professionnels acquièrent par l’expérience des connaissances qui doivent être valorisées. Toutefois, une formation est nécessaire. La validation des acquis ne doit en aucun cas la remettre en cause.

En revanche, nous sommes hostiles à l’embauche de contractuels. En tant que syndicat, nous sommes opposés à tous les emplois précaires dans la fonction publique et, malheureusement, il y en a beaucoup. Nous considérons que le métier d’éducateur s’apprend et nous sommes favorables à une formation avant la prise de fonctions.

M. le président - Quel jugement portez-vous sur la réforme des services éducatifs auprès des tribunaux ?

Mme Claude Beuzelin - Cette réforme s’est inscrite dans la réforme plus globale de la réorganisation des services de la PJJ.

Sur le fond, nous avons toujours été opposés à la création de services au sein des tribunaux, mais nous ne sommes pas opposés au fait que des éducateurs travaillent dans les tribunaux.

Nous estimons que tous les services doivent être en liaison directe avec les services départementaux et en cohérence avec la politique départementale.

Les SEAT ont été décidés et créés quatre ans ou cinq ans après l’abandon des services de liberté surveillée, alors que la réforme n’était pas encore entrée en application. Les services éducatifs auprès des tribunaux ont souvent enclenché les mêmes dynamiques que les anciens services de liberté surveillée.

Par ailleurs, il est essentiel, à nos yeux, qu’au sein du tribunal, des éducateurs assurent les missions dévolues à la permanence éducative, c’est-à-dire le recueil de renseignements socio-éducatifs, ou l’accueil dans le cadre du civil ou du pénal.

La présence d’éducateurs au sein du tribunal nous paraît importante. L’articulation entre l’éducatif et le judiciaire est essentielle. Cela suppose des échanges et des rencontres. Il faut aussi encourager la collaboration avec l’ensemble des services et avec les CAE, même si le tribunal reste un lieu central. Lorsque l’articulation fonctionne bien à ce niveau, elle peut rayonner. C’est la raison pour laquelle nous estimons nécessaire de maintenir des éducateurs, même s’il n’existe pas de service. Il s’agit en fait d’éducateurs rattachés à un CAE.

M. le rapporteur - Comment les 35 heures ont-elles été mises en oeuvre ?

Mme Claude Beuzelin - Les personnels de la protection judiciaire de la jeunesse ne travaillent pas 35 heures. Lors des négociations qui ont eu lieu au ministère de la justice, les congés spécifiques de cette administration ont été remis en cause. Je parle bien des congés spécifiques et pas des congés annuels. Auparavant, tous les personnels bénéficiaient des mêmes congés. Avec les 35 heures, tout ou partie des congés spécifiques - la situation varie avec les services - ont été transformés en jours de RTT.

Néanmoins, on constate une diminution des heures de travail en hébergement, dans les services du milieu ouvert et dans les services éducatifs. Cela dit, la réduction du temps de travail ne s’est pas accompagnée d’une diminution de la charge de travail dans la mesure où la direction de la protection judiciaire de la jeunesse a refusé et de créer des emplois et d’alléger la charge de travail des services.

La mise en place des 35 heures a donc suscité beaucoup de désarroi et de mécontentement, voire d’écoeurement. Les personnels l’ont d’ailleurs manifesté par un mouvement de grève assez long. Aujourd’hui, on leur demande de travailler davantage dans un cadre horaire réduit, ce qui n’est pas propice au développement d’un climat serein.

M. le rapporteur - Lors des visites que nous avons effectuées dans les différents centres et tribunaux, nous avons constaté que l’exécution des mesures prononcées par les magistrats soulève des difficultés et exige parfois des délais très longs. Les mesures sont donc triées en fonction de priorités qui sont plus ou moins bien définies. Quel est votre sentiment sur ce point et comment pourrait-on améliorer cette situation ?

Mme Claude Beuzelin - En ce qui nous concerne, il n’y a pas de tri à faire. Lorsque des mesures sont en attente, cela signifie que la charge de travail des services est supérieure aux possibilités des personnels.

Nous pensons que la première mesure déposée doit être la première appliquée. Ce n’est pas aux personnels des services éducatifs de trier les mesures. Si un magistrat sait qu’un service est surchargé, c’est à lui que revient la responsabilité de ne pas lui envoyer de nouvelles mesures à traiter, car il sait qu’elles ne seront pas exécutées. Mais ce n’est pas toujours possible.

Nous sommes, je le répète, opposés à l’organisation d’un tri des mesures. Nous préconisons un renforcement des moyens des services pour éviter que des mesures restent en attente.

Les mesures en attente soulèvent une double question : l’exécution des décisions judiciaires d’une part et les conditions d’intervention des éducateurs d’autre part.

Lorsqu’elle intervient après un délai de deux ou trois mois, l’équipe éducative est confrontée à une situation qui s’est quelquefois beaucoup dégradée. Parfois, le sens même de l’intervention n’est plus bien perçu. Une décision judiciaire provoque une forte émotion chez les personnes intéressées. Trois ou quatre mois après, le sens de l’intervention est plus difficile à percevoir, il n’y a plus ni l’impact de la décision judiciaire, ni la parole du juge. Le temps qui s’écoule entre la décision et l’intervention de l’équipe éducative est bien évidemment très dommageable au suivi et à l’accompagnement du mineur et de sa famille.

M. le rapporteur - Cette situation est essentiellement due à un manque de places et de moyens humains. A combien évaluez-vous les besoins en personnels ?

Mme Claude Beuzelin - Selon nos évaluations, on recense environ 4.000 mesures en attente. Un éducateur suit en moyenne vingt mesures, je vous laisse le soin de faire le calcul. En outre, il faut tenir compte du fait qu’un éducateur intervient au sein d’une équipe pluridisciplinaire comprenant des psychologues, des assistantssociaux.

Il convient également de renforcer d’autres secteurs de la protection judiciaire de la jeunesse, notamment ceux qui sont en charge de l’insertion professionnelle.

Il s’agit d’un aspect fondamental. Nous avons affaire à des jeunes qui sont bien souvent exclus et de l’école et des dispositifs de droit commun de formation en alternance, par exemple les trajets d’accès à l’emploi, les TRACE. Nous devons, pour les aider à reprendre pied dans des dispositifs classiques, travailler avec eux sur l’insertion et sur la question scolaire s’ils ont plus de seize ans. S’ils ont moins de seize ans, nous rappelons à l’Education nationale la nature de sa mission. Il convient donc de développer les capacités des centres de jour qui sont des lieux de prise en charge, d’insertion et de formation.

Dans ce domaine, des retards conséquents se sont accumulés. Les besoins sont très importants. La direction de la PJJ a décidé, cette année, d’en faire sa priorité. Mais les retards sont tels qu’il faudra des années pour les résorber.

S’agissant de l’hébergement, permettez-moi de souligner que, sur les trente-cinq créations de CPI annoncées, une vingtaine sont en fait des transformations de foyers d’action éducative, FAE, en CPI. Il n’y a donc pas trente-cinq structures nouvelles.

En outre, à côté des CPI et des CER, nous avons besoin d’autres formes de structures collectives d’hébergement : hébergement diversifié, placement familial, par exemple. Nous devons imaginer des modes d’hébergement, développer tout un ensemble de solutions.

M. le rapporteur - Quel jugement portez-vous sur les CPI et sur les CER d’une part, sur la création éventuelle de centres fermés d’autre part ?

Mme Claude Beuzelin - Nous avons demandé le renforcement des structures d’hébergement. En revanche, nous avons dénoncé, et cette critique est toujours d’actualité, la généralisation de l’éloignement et de la rupture prévue dans le cahier des charges de ces structures.

Il faut étendre les possibilités de placement sous contrôle judiciaire. Les jeunes sont soumis à une obligation de résidence. Il faut donc disposer des équipes nécessaires pour maintenir le jeune dans la structure. L’objectif recherché, c’est l’alternative à l’incarcération, l’accueil dans l’urgence.

Les CER n’assurent pas l’accueil immédiat. Ils organisent des prises en charge sur un temps très court et forment des groupes. La constitution de groupes crée une dynamique plus favorable au suivi des jeunes. Le travail est ainsi plus facile dans les CER qu’il ne l’est dans les CPI.

On envoie en priorité dans ces centres les jeunes qui ont commis des délits, qui troublent l’ordre public. On a spécialisé ces foyers dans l’accueil d’un public particulier. Aujourd’hui, la durée de la prise en charge est très courte, ce qui ne permet pas de construire une continuité éducative. Il s’agit là d’une difficulté majeure.

Ces foyers sont réputés accueillir les jeunes les plus difficiles, les plus « réitérants », les plus rétifs à l’éducation. On les a spécialisés à outrance en stigmatisant les jeunes. Dans ces foyers, la prise en charge est de trois mois, délai qui ne permet pas de résoudre tous les problèmes. En conséquence, il est souvent nécessaire de poursuivre la prise en charge en hébergement. On amorce la démarche, mais on s’aperçoit qu’on ne parvient pas à obtenir des placements dans le secteur habilité. Cette situation est due à la très forte stigmatisation de ces publics, stigmatisation qui est un facteur de rejet.

J’en viens aux centres fermés. En 1979, le ministre de la justice, Alain Peyrefitte, a décidé de supprimer les centres fermés, car ils généraient de la violence - entre les jeunes eux-mêmes et entre les jeunes et les adultes - et des caïdats. Ces centres n’avaient pas permis de réduire le nombre de mineurs incarcérés, et surtout, ils n’avaient en rien résolu leurs problèmes.

De nombreux personnels, qui sont toujours en activité, ont connu les centres fermés et les dégâts qui en sont résultés. Nous ne sommes pas les seuls à affirmer qu’une telle disposition est inefficace, vouée à l’impasse et à l’échec. En tout état de cause, ce n’est pas ainsi que l’on remédiera aux difficultés que connaissent les mineurs.

M. le rapporteur - La PJJ, comme d’autres institutions, connaît des difficultés. Quelles dispositions préconisez-vous pour y remédier ?

Mme Claude Beuzelin - Nos propositions sont multiples et je ne pourrai pas toutes les énumérer. Je n’en développerai qu’une. Cette institution doit retrouver son autonomie dans la mise en oeuvre des mesures éducatives. C’est fondamental.

La PJJ est chargée de mettre en oeuvre les décisions judiciaires. Il est indispensable de repenser et de redéfinir l’articulation entre le judiciaire et l’éducatif. Cette articulation est battue en brèche depuis plusieurs années. Elle est remise en cause par l’emballement de la machine judiciaire : multiplication des procédures, sollicitations et pressions exercées sur l’institution elle-même. Elle est aussi remise en cause par une volonté de visibilité et de rapidité qui s’oppose à la construction de projets éducatifs précis pour les mineurs.

On ne peut pas continuer à instrumentaliser cette institution, ses services et ses professionnels. Pour remplir pleinement sa mission éducative, elle doit disposer de moyens supplémentaires. Il est nécessaire de laisser aux services compétents la responsabilité de la mise en oeuvre des mesures. C’est la seule garantie pour préserver la mission éducative de la protection judiciaire de la jeunesse.

M. le président - Je vous remercie.


Source : Sénat français