Présidence de M. Jean-Pierre SCHOSTECK, président

M. Jean-Pierre Schosteck - Nous allons à présent entendre Mme Andréanne Sacaze, vice-présidente de la conférence des bâtonniers.

(M. le président lit la note sur le protocole de publicité des travaux de la commission d’enquête et fait prêter serment.)

Mme Andréanne Sacaze - Monsieur le président, monsieur le rapporteur, madame, messieurs les sénateurs, je tiens, préalablement à mon intervention, à vous remercier pour l’honneur qui est fait à la conférence des bâtonniers d’être auditionnée par votre commission d’enquête sur la délinquance des mineurs.

Les avocats en effet sont confrontés chaque jour aux deux aspects de l’insécurité et de la délinquance des mineurs, puisqu’ils assurent la défense tant des enfants victimes que des enfants délinquants, au centre du débat judiciaire d’abord, mais aussi en amont, lorsque des mesures sont prises en matière de placement ou d’assistance éducative en milieu ouvert. J’espère que nous pourrons ainsi apporter, par notre modeste contribution, quelque chose à la réflexion globale qui est la vôtre.

Le débat sur la délinquance des mineurs est trop important pour l’avenir de notre société pour être escamoté. Or nous entendons et nous lisons ça et là des statistiques, des prises de position quasi-caricaturales du style « il faut les enfermer », comme si nous étions dans l’incapacité ensemble de réfléchir sérieusement et sans oeillères sur les causes et les moyens d’y remédier.

Je ne suis pas une adepte des statistiques et je ne souhaite pas vous abreuver de chiffres dont je n’ai qu’une connaissance parcellaire et, partant, incomplète. En revanche, il me semble qu’il convient, pour traiter le problème de la délinquance juvénile, de rechercher les causes et d’examiner les moyens mis à notre disposition pour enrayer le phénomène, afin de déterminer si ces moyens sont suffisants et, à défaut, d’envisager par des idées nouvelles d’autres possibilités, d’autres outils plus adaptés aux enfants de nos jours.

Pour ce qui est des causes, la délinquance est un phénomène général de transgression de la loi et de l’ordre social. C’est un ensemble dont la délinquance des mineurs est un élément aux caractères parfois identiques, mais qui est reconnu par l’ordonnance du 2 février 1945 comme un phénomène spécifique et devant être traité comme tel.

Parallèlement, nous observons une peur croissante de la population, amplifiée par les médias qui ne cessent de mettre en exergue la « violence », mot attrape-tout, mais qui ne parlent jamais des enfants calmes et sans problème qui n’intéressent apparemment personne, alors qu’ils représentent 95 % de la population juvénile.

Cela pose à mon sens un premier devoir : celui d’informer correctement sur la réalité de la délinquance juvénile, car de la justesse des propos sur cette réalité dépendra la pertinence des réponses à y apporter. Le second devoir est d’utiliser les mots justes pour parler de cette délinquance spécifique, car le mot inadapté crée lui aussi un accroissement du sentiment de peur et d’insécurité de nos concitoyens.

A titre d’exemple, il convient de ne pas pratiquer l’amalgame entre incivilité et délinquance, groupe de jeunes et bande délinquante organisée, injure verbale et agression physique, incendie d’une ou deux voitures et émeute. Ces simples références permettent de comprendre que la violence prend des formes variées qui n’ont pas les mêmes motivations, qui nécessitent par conséquent des réponses adaptées et elles aussi variées. Par exemple, le fait de cracher dans la rue, de déambuler sur une mobylette bruyante, est-ce une incivilité ou une violence ? Selon le ressenti des victimes, le lieu, l’ethnie, le milieu social, vous ne trouverez pas la même réponse et donc pas la même définition.

En clair, il me semble indispensable, à l’avenir, de définir par des mots justes et appropriés chaque acte, afin d’éviter les amalgames et de bien différencier chacun d’entre eux, pour permettre la mesure la mieux adaptée, c’est-à-dire une réponse juste qui pourra être comprise, admise et respectée. A mon sens, c’est l’un des problèmes que rencontre aujourd’hui la justice lorsqu’elle répond à ces actes de délinquance.

Après les mots, les responsabilités ; quelles sont les causes de l’augmentation de la délinquance des jeunes adolescents ? Elles sont très larges et il ne faut pas simplifier outrageusement la réalité. Tout n’est pas lié à l’insertion économique et aux valeurs républicaines et familiales qui, effectivement, s’étiolent quelque peu.

N’étant ni sociologue ni psychologue, je me garderai d’entrer véritablement dans une analyse pour laquelle je suis incompétente. Le bon sens me conduit toutefois à constater qu’en effet les familles se désagrègent. La multiplication des divorces est une réalité, qui conduit très fréquemment à un effacement de la fonction paternelle. Le plus souvent, la mère garde l’enfant auprès d’elle, et ce dernier, pour peu que le père soit éloigné de lui, volontairement ou involontairement, n’a plus le repère de la fonction sociale du père. En effet, le chômage, le manque d’argent, le désespoir de certains parents leur font oublier l’éducation quotidienne de leurs enfants. L’instruction civique a été passée à la trappe pendant des années sans doute à tort, car une phrase de morale ou de civisme commentée chaque jour marque l’esprit d’un enfant et lui donne des bases qu’il véhiculera par la suite.

Cependant, il existe d’autres phénomènes. Je pense par exemple à une urbanisation sans âme, sans repères, sans chaleur, où l’on vit mal les uns sur les autres et, compte tenu du chômage des parents, de la démission du système scolaire parfois ou de son inadaptation, avec peu d’espoir d’en sortir. Ce manque de projets et d’espoir rend envieux, aigri et provoque à mon sens le rejet de celui qui a la chance de posséder, qui devient alors le centre de la haine et de l’agressivité.

Ne s’agit-il pas alors pour ces jeunes enfants -j’utilise sciemment ce terme parce que c’est un élément qu’il ne faut pas oublier- de traduire leurs propres craintes, leurs peurs personnelles et le sentiment confus, inexprimé, de leur échec ?

L’échec scolaire, tout d’abord, car souvent les pratiques pédagogiques ne sont pas adaptées à ces enfants désocialisés et devraient être revues. L’échec familial, ensuite, face à des parents déresponsabilisés faute de réussir à gérer leurs propres difficultés. L’échec du message transmis par les pouvoirs publics qui ne parlent plus qu’en termes sécuritaires et caricaturaux, comme si nous étions paralysés dans notre réflexion pour trouver enfin les moyens de répondre à la désespérance réelle de notre jeunesse, qui a si peu d’espoir, rappelons-le, que le suicide est la première cause de mortalité des mineurs. L’échec des adultes, enfin, qui ne montrent pas l’exemple et qui sont en grande partie responsables de l’incompréhension du discours qu’ils véhiculent par rapport à leurs propres comportements.

A titre d’exemple, lorsqu’une catégorie socioprofessionnelle saccage une préfecture, enferme un directeur d’entreprise, on parle dans les médias de revendications politiques. Pourtant, c’est de la violence d’adultes caractérisée qui me paraît inadmissible. Lorsqu’il s’agit d’incendie de voiture ou de caillassage des services de police par des adolescents qui passent plus de temps dans la rue qu’à l’école, on évoque alors des comportements déviants intolérables qui doivent cesser. Comment le jeune adolescent peut-il trouver ses repères et se structurer face, là encore, à un langage et à une réponse différents selon les personnes qui sont concernées par la déviance ?

Enfin, les adultes composant notre société doivent se remettre en cause. Avons-nous apporté à nos enfants ce qu’ils sont en droit d’attendre de nous ? N’existe-t-il pas une forme de démission collective, c’est-à-dire que nous avons oublié l’essentiel : apprendre à nos enfants à se respecter, à respecter autrui, les biens et la loi ? Nous sommes-nous donné les moyens durant ces décennies pour ce faire ?

J’évoquerai les moyens juridiques, tout d’abord, avec l’ordonnance du 2 février 1945, qui avait pour objectif, après la Libération, de poser les fondements de la justice pénale des mineurs. Le principe directeur était que l’enfant restait éducable et de fait était affirmée la primauté de la mesure éducative sur la peine, cette dernière devenant plus exceptionnelle. C’est pourquoi l’on exige une enquête de personnalité avant de juger un mineur.

Cette ordonnance est aujourd’hui critiquée et d’aucuns souhaitent la remettre en cause. La conférence des bâtonniers a réfléchi sur ce thème et organise le 4 juillet prochain un colloque auquel participeront des gens de terrain pour expliquer leurs difficultés et tenter de raisonner objectivement sur ce texte qui, à bien des égards, avait été remarquablement pensé et orchestré.

Car, en définitive, ce texte apporte un panel de solutions, tant du point de vue éducatif par les mesures d’AEMO, de liberté surveillée, de contrôle judiciaire, de placement en milieu ouvert, semi-fermé ou fermé, que du point de vue répressif par la diversité des peines - remise à parent, admonestation, blâme, amende, prison avec sursis, peine d’emprisonnement ferme, travail d’intérêt général. Tout y est pour permettre aux services socio-éducatifs et aux juges de procéder par étape, de suivre l’enfant dans son parcours difficile et de le sanctionner quand il dépasse les limites tolérables, c’est-à-dire lorsqu’il bouleverse de façon délibérée l’ordre social.

Malheureusement, les moyens matériels n’ont pas suivi. Les mesures éducatives sont mises en place avec un tel décalage dans le temps par manque de travailleurs sociaux qu’elles finissent par être incomprises et, partant, qu’elles n’ont plus l’impact qui leur était assigné. Les sanctions sont tellement tardives qu’un enfant peut être jugé trois ans après les faits, il est parfois même devenu majeur. Ne parlons pas de l’application des peines, qui sont mises en place, dans le cadre des sursis avec mise à l’épreuve par exemple, douze à dix-huit mois après le prononcé de la peine ! Les victimes ne comprennent pas ce décalage et se désespèrent d’obtenir réparation, ce qui conduit au refus de dépôt de plainte, considéré comme inutile.

Il existe à cet égard un problème réel d’adéquation de la réponse aux actes dans l’immédiateté, qui crée chez les jeunes un sentiment d’impunité néfaste pour leur devenir et qui amplifie la peur de nos concitoyens.

Ce n’est donc pas la réforme de l’ordonnance de 1945 qui est nécessaire ; c’est l’augmentation des moyens de sa mise en oeuvre et sans doute également la recherche d’une complémentarité dans les méthodes et d’une cohésion entre les services qui s’occupent des enfants, mais aussi le réapprentissage de la responsabilité pour les parents.

Quelques idées peuvent être signalées. M. Philippe Chaillou, président de la chambre des mineurs de la cour d’appel de Paris, indiquait dans Libération, le 15 février 2002 : « Le constat que nous partageons est la massification de la délinquance des mineurs. En soi, cette massification devrait proscrire la réponse pénale actuelle qui ne participe que d’un refoulement social du problème qui ne pourra que faire retour à encore plus de violence. Cette massification doit être prise au contraire comme un symptôme majeur de nos dysfonctionnements sociaux et comme le révélateur du malaise de notre civilisation. Vouloir contre toute évidence réduire cette massification à une somme de dysfonctionnements individuels n’appelant que des réponses pénales individuelles risque de nous conduire à de sérieuses déconvenues. » Je partage pour ma part cette analyse.

S’il ne faut pas négliger la réponse individuelle, encore faut-il l’adapter. Ne pourrait-on pas envisager de scinder les actes en plusieurs catégories ? Par exemple, les phénomènes de bande, les trafics en tous genres, les crimes -je pense aux viols collectifs de mineurs par des mineurs qui sont de plus en plus fréquents dans les cités- relèveraient exclusivement, bien évidemment, du judiciaire. En revanche, les incivilités pourraient relever de l’Education nationale, de la responsabilité du département, des municipalités, avec des organismes qui auraient sensiblement les mêmes fonctions que les délégués des procureurs, qui ne sanctionnent pas mais qui rappellent avec fermeté la loi, le respect de l’autre et de ses biens.

Tous les actes antisociaux des mineurs ne méritent pas à mon sens une judiciarisation massive. Tous les actes doivent trouver une réponse, mais pas obligatoirement dans le judiciaire. Comme le précisait M. Chaillou, on a le sentiment de brasser du papier pour rien, sans véritable prise sur les gamins, tout simplement par manque de solutions concrètes.

Il est vrai que la protection judiciaire de la jeunesse n’a pas les moyens matériels de ses interventions, que les institutions en amont n’ont pas plus de moyens pour mettre en oeuvre efficacement une politique éducative.

En outre, lorsque le juge se trouve confronté à un multirécidiviste, que doit-il mettre en place. La prison ? On y pense tout de suite, je ne vous ferai pas l’outrage de vous rappeler tout ce qui a pu être écrit sur les prisons, sur les quartiers de mineurs qui n’existent parfois même pas et dans quelles conditions quand ils existent ! La prison n’est donc pas la solution miracle. Elle ne doit intervenir qu’après des échecs réitérés, à défaut d’autres placements et dans les cas de délinquance extrêmement graves.

Les centres éducatifs renforcés, qui existent déjà, pourraient être une solution, à condition de ne pas se cantonner à un programme de trois à six mois. Cette durée, pour un enfant ancré dans la délinquance, me semble trop brève. En outre, l’absence de structure destinée à accueillir le mineur lorsqu’il sort de ce système m’inquiète. Là encore, ne faudrait-il pas solliciter de l’Education nationale une adaptation de ses méthodes à ces jeunes longtemps déscolarisés ?

Les centres de placement immédiat sont à mes yeux une bonne formule, car ils permettent de réagir dans l’urgence, sous le contrôle d’un juge, de dresser un audit pour préparer le programme éducatif adapté au mineur concerné, de bien préciser au mineur, car cela est important, les raisons de son placement et le cadre légal et administratif dans lequel il va évoluer pour une durée de un à trois mois, mais aussi de garantir -et c’est essentiel pour un enfant- la cohérence de la prise en charge, par référence à la décision de justice.

Mais la difficulté se présente après, là encore lors de la sortie. Quelle structure d’accueil ? Cela supposera sans doute le développement des centres d’accueil départementaux et régionaux et une cohésion me semble-t-il nécessaire par des comités de pilotage entre les juridictions, les services sociaux, la protection judiciaire de la jeunesse, les représentants des municipalités et des pouvoirs territoriaux, et ce afin de coordonner la prise en charge des mineurs.

Les discours qui sont tenus actuellement tendent à proposer la mise en place d’une comparution immédiate des mineurs, conformément à celle qui existe pour les majeurs. Les avocats sont partagés sur cette mesure. Certains pensent que les dysfonctionnements existants pour les majeurs, à savoir une défense bâclée, des victimes non informées ou n’ayant pas le temps matériel de se constituer se retrouveront de la même manière dans la justice d’urgence des mineurs. D’autres estiment que, pour les incivilités ou les délits très mineurs, tels que le vol à l’étalage dans un supermarché, la réponse immédiate pourrait être une bonne chose.

Il ne m’appartient pas de trancher, car là n’est pas mon rôle, mais il est alors une certitude : il sera nécessaire en amont de mettre en place un système pour que le dossier relatif à la personnalité de l’enfant arrive complet. Cela suppose par exemple que, dans chaque commissariat ou gendarmerie, une assistante sociale soit chargée de recevoir l’enfant avant même son audition ou après celle-ci afin d’obtenir les renseignements nécessaires et de dresser un rapport à l’attention du juge. L’efficacité serait double : d’une part, le dossier étant complet, l’enfant pourrait être jugé rapidement ; d’autre part, le juge pourrait éventuellement prendre des mesures d’assistance éducative en milieu ouvert pour les autres enfants de la famille s’il ressort de l’enquête que celle-ci est en déshérence, désocialisée et partant dangereuse pour les mineurs sains qui restent encore en son sein et qu’il faut protéger.

Il faut également songer à l’enfant victime d’autres enfants. Il mérite notre attention et force est de constater que, s’il est respecté dans les mots, il ne l’est guère dans les faits. J’en veux pour preuve que l’enfant fautif va être assisté d’un avocat dès la première heure de son interpellation par les services de police ou de gendarmerie alors que l’enfant victime, lui, n’est pas assisté. Pourtant, il porte tout le poids de sa détresse et un soutien lui serait bien utile, d’autant plus qu’il est souvent confronté à l’auteur qui conteste et qu’il doit alors se positionner en victime, ce qui n’est pas une démarche spontanée de la part de l’enfant. Cette remarque vaut pour la confrontation de l’enfant victime à un auteur adulte, mais il m’apparaissait normal ici de la réitérer.

Les avocats sont donc parfaitement conscients des réalités, car ils travaillent au coeur de celles-ci. Vous l’aurez compris, ils sont hostiles à un tout sécuritaire qui irait à l’encontre du but recherché. Avant tout, ils estiment qu’il faut repenser la manière de traiter le problème sans oeillères, sans carences de langage, et admettre que durant des décennies la société dans son ensemble n’a pas su organiser sa propre défense.

S’il faut préciser le langage et augmenter les moyens, il faut aussi responsabiliser les parents, ce qui suppose un apprentissage du civisme. J’ai envie de dire avec une pointe d’humour que les médias, au lieu de faire du loft, pourraient participer à cette éducation tant l’on sait que la défaillance parentale alimente la délinquance. Il faut utiliser ensuite pleinement les moyens qui sont déjà mis en place par l’ordonnance de 1945, et retrouver une cohésion sociale, un respect de la loi pour tout ce qui donnera à la lutte contre la délinquance des mineurs toute sa légitimité.

Vous m’accorderez que c’est un vaste programme, car nous devons tous ensemble repenser nos propres comportements. Comme le dit sans ambages Malek Boutih, président de SOS racisme, il ne faut pas avoir peur de regarder en face l’ombre de l’humanité -cette ombre, c’est une violence exacerbée et insupportable dans certains cas- et ne pas tout renvoyer au social. Il est cependant dangereux de croire que les sanctions multipliées résoudront les problèmes. Il faut déculpabiliser la société face à cette délinquance, il faut aussi la rassurer sur les moyens à mettre en oeuvre.

Quels moyens complémentaires pourrions-nous vous donner, nous les avocats ? Peut-être en amont conviendrait-il de dissocier la fonction de juge de celle de protecteur de l’enfant. J’entends par-là que le juge des enfants, tout à la fois protecteur de l’enfant en danger et sanctionnateur de l’enfant déviant ne peut être partout à la fois. Au surplus, ces fonctions sollicitent une approche et un état d’esprit différents. Si ces deux fonctions étaient dissociées, chaque juge aurait plus de temps à consacrer à l’enfant lui-même et pourrait s’investir à plus long terme.

Peut-être, toujours en amont, faudrait-il instaurer des liens plus étroits entre l’Education nationale et les juges des enfants, afin de créer un dialogue fructueux sur un programme éducatif de réinsertion scolaire adapté à chaque enfant.

Il serait également souhaitable, par l’entrée de la médiation, de mieux expliquer les mesures de placement, qui sont souvent incomprises tant par les parents que par les enfants. J’y suis extrêmement favorable pour ma part, car je constate cette incompréhension sur le terrain, y compris de la part de ceux qui sont maltraités par leurs parents et qui ne comprennent pas qu’on les retire de ce milieu social qu’ils aiment malgré tout.

Au stade de la sanction, il faut bien distinguer le récidiviste du primaire et utiliser selon moi plus souvent le médiateur pénal pour les délits mineurs ou les incivilités, ce qui permet de mettre en présence l’auteur et la victime et de créer un contact en dehors de toute violence.

J’ai entendu hier sur France Info que le Gouvernement envisageait la création d’un SAVU, c’est-à-dire si j’ai bien compris d’un SAMU pour les victimes de la violence. C’est certainement une approche positive pour permettre aux victimes de s’extérioriser, de panser leurs plaies et d’être orientées juridiquement vers des solutions adaptées à leurs problèmes. Cela va supposer un investissement massif de la part de notre profession et, même si je n’ai pas eu le temps de solliciter leur avis, je reste persuadée que la conférence des bâtonniers s’emploiera à apporter son aide à ce type de mesures.

Il s’agit de multiplier les consultations dans le cadre des CDAD9(*) et des CDAJ10(*) pour, là encore, apporter un soutien logistique tant aux parents désemparés face à l’attitude de leurs enfants qu’aux victimes des agissements déviants. Les avocats se sont beaucoup investis à ce titre et continueront, soyez-en assurés, de le faire.

Nous avons, à travers tous les barreaux, mis en place des formations pour les avocats des mineurs, ce qui nous permet de répondre à la demande. Mais encore faut-il, pardonnez-moi de le dire ici, que cette fonction soit reconnue financièrement à travers l’aide juridictionnelle, ce qui n’est pas encore le cas.

En clair, la crise d’aujourd’hui, quitte à paraître optimistes, nous semble être une bonne opportunité pour réfléchir et pour modifier ou adapter nos comportements à cette situation nouvelle.

Je suis prête à répondre aux questions de votre commission.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur - Existe-t-il des différences dans le fait d’être avocat de mineurs ou d’adultes ? Si oui, quelles sont-elles ?

Mme Andréanne Sacaze - La réponse est « oui ».

L’enfant n’a pas le même discernement que l’adulte. Tout d’abord, nous ne pouvons pas utiliser les mêmes mots avec un mineur qu’avec un majeur. Ensuite, les enfants délinquants sont souvent déscolarisés, en rupture totale avec la société, et ils ne comprennent pas le langage que nous tenons. L’approche langagière est tout à fait différente. Nous devons utiliser des mots simples, que des parents normalement constitués et éducateurs doivent tenir à l’égard de leurs propres enfants.

Nous sommes aussi la première personne qu’ils rencontrent avant la sanction. Il est important de leur expliquer qu’ils vont être responsabilisés et que, si la sanction intervient, c’est parce qu’ils ont commis une faute. Ainsi ils arrivent devant le juge avec un état d’esprit différent, ils ont une meilleure approche de la discussion qui va avoir lieu et de la sanction qui sera prononcée à leur encontre.

Nous n’essayons pas, en tant qu’avocat, de les déresponsabiliser, contrairement à ce que nous pouvons lire dans la presse. Les avocats sont parfaitement responsables et comprennent très bien qu’ils ne sont pas là pour approuver le comportement déviant d’un mineur, mais bien au contraire pour lui faire comprendre que ses fautes ne sont pas tolérables et qu’il faut qu’il accepte la sanction, qu’il accepte de rentrer dans le moule social s’il veut devenir un jour un adulte responsable.

Vous comprenez bien que nous n’avons pas ce même dialogue avec un adulte qui a déjà une expérience de la vie, avec lequel il est plus aisé d’aller à l’essentiel. Il faut tout de même que nous ayons une approche à la fois psychologique, sociologique et juridique. C’est pour cela que nous avons formé des avocats spécialement destinés aux mineurs. C’était pour nous une nécessité.

M. le rapporteur - Quelle est la part des avocats commis d’office en ce qui concerne les mineurs ?

Mme Andréanne Sacaze - Très honnêtement, je ne peux pas répondre précisément parce que je ne connais pas les statistiques. Cependant, je peux dire que, dans la majeure partie des cas, les avocats travaillent au titre de la commission d’office et de l’aide juridictionnelle. Très peu de parents demandent l’assistance d’un avocat pour leur enfant.

M. le rapporteur - Vous nous avez dit qu’il ne fallait pas faire d’amalgame entre la délinquance et les incivilités, et que ces dernières pourraient être traitées autrement que de façon judiciaire. A quoi pensez-vous ?

Mme Andréanne Sacaze - Je pensais avoir suggéré une réponse. J’ai fait référence au délégué du procureur. Ces personnes ont souvent été policier, gendarme, donc elles connaissent la loi et ont tenté de la faire respecter du mieux qu’elles pouvaient pendant leurs fonctions. Je pense que l’on pourrait trouver, parmi les personnes civiles, au sein même des municipalités, sous le contrôle du procureur de la République, par exemple, de manière à assurer une cohérence dans l’action pénale locale et à éviter une trop grande diversification, une personne qui serait investie du pouvoir de recevoir les mineurs fautifs afin de leur faire une leçon de morale, ce que l’on appelle un rappel à la loi. Je ne vois pas pourquoi ce ne serait pas possible dans la vie civile.

Certains maires, dont le maire d’Orléans, ont pris des dispositions pour que les mineurs traînant dans les rues fort tardivement soient renvoyés dans leurs foyers. Ce type de mesure a pu choquer. Pour ma part, j’ai approuvé la décision du Conseil d’Etat qui l’autorisait. Sous l’impulsion des maires, il y a peut-être des mesures à trouver ; des membres de la société civile, éventuellement sous le contrôle des parquets, dans le cadre par exemple des contrats locaux de sécurité, pourraient trouver une solution pour faire ce rappel à la loi.

Vous m’accorderez que le fait de taguer une maison n’est vraiment pas bien, nous sommes bien d’accord. Pour autant, cela mérite-t-il une sanction judiciaire pour un enfant qui le fait pour la première fois et qui dit d’ailleurs qu’il voulait s’amuser, parce qu’il ne savait pas quoi faire. Il doit peut-être lui rappeler qu’il faut respecter le bien d’autrui.

Donc des personnes civiles formées, assermentées pour ce faire, cela va de soi, pourraient être l’équivalent des délégués de procureurs hors cadre judiciaire, sous le contrôle d’une politique générale pénale afin de ne pas trop dissocier toutes les politiques municipales.

M. Jean-Jacques Hyest - Ce sont toujours des infractions pénales.

Mme Andréanne Sacaze - Nous sommes d’accord !

M. Jean-Jacques Hyest - Pour moi, les incivilités sont des infractions pénales. Il faut le rappeler parce qu’autrement le flou règne. C’est la loi qui a dit que certaines choses étaient pénalement répréhensibles, qu’il s’agisse de contraventions ou de délits.

Mme Andréanne Sacaze - Tout à fait !

M. Jean-Jacques Hyest - Il est peut-être nécessaire de le rappeler à certains moments. Il y a aussi souvent la réparation.

M. Patrice Gélard - Et voilà !

Mme Andréanne Sacaze - Justement !

M. Jean-Jacques Hyest, vice-président - Pour ce qui est du rappel à la loi et de la leçon de morale, franchement, veuillez m’excuser, mais, s’il n’y en a pas eu régulièrement comme vous le disiez, cela m’étonnerait que le fait de passer une demi-heure ou trois quarts d’heure avec quelqu’un, quel qu’il soit, ait un effet.

Mme Andréanne Sacaze - Pour les primaires, si !

M. Jean-Jacques Hyest - Je pense que la réparation est très importante. Si on a tagué, on doit nettoyer.

Mme Andréanne Sacaze - Nous sommes d’accord !

M. Jean-Jacques Hyest, vice-président - Certes, pour de petites infractions -je ne dis pas « incivilités » - telles que le vol à l’étalage -quel gamin n’a pas été tenté un jour par un disque !- il n’est sans doute pas nécessaire de déclencher la bombe atomique judiciaire. Il faut peut-être trouver des sanctions et des mesures de réparation adaptées.

Mme Andréanne Sacaze - Monsieur le sénateur, un exemple nous est donné par la justice espagnole. Un article est paru dans Le Point sur un magistrat d’Andalousie qui, lorsqu’il est saisi de problèmes de cette nature, exige comme sanction la réparation. Cela me paraît être une très bonne solution.

Effectivement, quand l’enfant doit utiliser « l’huile de coude », si vous me permettez cette familiarité, pour effacer son tag, il comprend. Nous sommes bien d’accord.

Mon propos ne visait pas à les déresponsabiliser, mais à indiquer que le fait de tout judiciariser n’était peut-être pas nécessaire et qu’il convenait en revanche de trouver la solution adaptée pour la compréhension du mineur.

M. Patrice Gélard - Je voudrais faire la remarque suivante : ce n’est pas possible ! Au regard de la Convention européenne des droits de l’homme, le travail forcé n’existe pas.

Mme Andréanne Sacaze - Nous sommes d’accord. Nous essayons ensemble de trouver des solutions. Je ne dis pas que notre droit, dans l’immédiat, soit adapté aux solutions éventuellement nouvelles que nous pourrions trouver. Je ne dis pas que ce que nous évoquons est possible aujourd’hui. Il est clair que cela entraînera sans doute des modifications législatives et des adaptations du droit européen.


Source : Sénat français