Q - Bonjour, juste un petit retour en arrière. Au moment de la rupture, on a encore votre image disant à l’ONU, la France ne peut pas accepter, d’une guerre dont on nous expliquait qu’elle était engagée et déclenchée pour découvrir d’une part, des armes de destruction massive et d’autre part, pour démontrer le lien entre l’Irak et Al Qaïda.

Pas d’arme de destruction, pas de démonstration du lien.

Au fond, le refus qui était le vôtre avait des raisons d’être. Aujourd’hui, les choses ont-elles radicalement changé ou non ?

R - Le refus qui a été le nôtre, nous l’assumons pleinement. Il n’est pas question, un instant, de légitimer, il est question de faire face à l’urgence, aux difficultés, aux incertitudes qui règnent aujourd’hui en Irak à travers cette nouvelle résolution que nous allons voter aujourd’hui, avec la très large majorité et je l’espère tous les membres du Conseil de sécurité. Hier, nous étions réunis à Paris avec mes collègues allemand et russe pour apporter notre soutien à ce projet.

Face à cela, nous avons pensé qu’il n’y avait qu’une solution, c’est l’unité de la communauté internationale, faire preuve d’un esprit de responsabilité. Le projet de résolution qui sera voté aujourd’hui ressemble à peu de choses près au projet initial qui nous a été proposé.

Q - C’est le quatrième n’est-ce pas ?

R - C’est le quatrième projet, nous avons travaillé de longues semaines et je crois qu’il est aujourd’hui, considérablement amélioré.

Q - L’ONU aura-t-elle un rôle ?

R - Nous pouvons dire que l’ONU est de retour et dans le fond, c’est le véritable enjeu, faire en sorte que l’ONU puisse reprendre sa place car nous avons la conviction que l’ONU est la seule capable d’apporter sa légitimité, son expérience, son efficacité sur le terrain.

Evidemment, il fallait trouver les moyens de le faire et c’est donc une discussion très technique qui s’est engagée sur chacun des points.

La légalité vous l’avez rappelé, les sanctions, le désarmement et nous tenions, afin d’être cohérents, à ce que le processus de désarmement puisse être consacré par les Nations unies.

Q - Mais contrôlé par les inspecteurs, et reviendront-ils ?

R - Les inspecteurs doivent revenir, c’est le processus qui est initié, la CCVINU et l’AIEA devront justement apporter leur certification, la conformité, même s’ils le feront avec les inspecteurs américains et britanniques déjà sur place et qui se sont déployés, il y a près de 2.000 inspecteurs aujourd’hui.

Nous tenons à ce que ce processus de désarmement puisse être poussé jusqu’à son terme.

Q - Et la durée de la période de transition, la connaissez-vous ? Les Américains acceptent-ils de la donner ?

R - Justement, nous avons également travaillé là-dessus. Au départ, le projet n’avait pas de date limite et nous avons donc prévu une clause de rendez-vous, au bout de douze mois. Nous avons prévu, et c’était très important pour la France, un contrôle régulier, nous voulons que la transparence soit de mise et nous souhaitons qu’à des intervalles réguliers, environ tous les trois mois, nous puissions savoir exactement ce qui se passe sur le terrain.

Il y aura donc des rapports qui seront faits au Conseil de sécurité, il y aura une information et surtout, et c’est un élément-clé, un représentant spécial des Nations unies. Au départ, on ne parlait que d’un coordonnateur, quelqu’un qui avait vocation, sur le côté, à regarder les choses se faire ; là, il a un rôle politique, indépendant, effectif et il pourra donc participer pleinement à ce processus politique qui est sans doute l’une des clés de la reconstruction. Il faut qu’il y ait très vite une autorité légitime et nous l’avons dit hier, avec nos amis russes et allemands, nous tenons à ce que, très rapidement, la pleine souveraineté puisse être remise aux Irakiens.

Dans un premier temps, nous sommes dans la phase de sécurisation, il y a donc une responsabilité particulière de ceux qui se sont engagés sur le terrain. Ils créent une force de stabilisation mais celle-ci n’est, en somme, qu’une sorte de coalition élargie. Le moment venu, il est donc essentiel qu’une autorité souveraine, légitime puisse s’installer en Irak et présider au destin même de ce pays.

Q - Quel commentaire faites-vous sur de nombreux titres aujourd’hui de la presse américaine, je résume en gros :

"Bush : mission non accomplie en Irak".

C’était un papier de Libération d’hier qui reprenait les titres de "The New Republic". Beaucoup de titres américains considèrent que la politique de M. Bush en Irak ne tient pas ses engagements.

R - C’est une tâche effroyablement difficile. Rappelez-vous quel a été l’argument développé par la France tout au long de ces mois, un pays seul peut faire la guerre, mais un pays seul ne peut pas construire la paix. Le risque de la guerre, c’était bien de voir s’ouvrir cette période d’incertitudes, de frustrations, de rancœurs, de tensions et nous voyons aujourd’hui le retour de la violence à grande échelle sur la scène internationale et dans cette région. Nous le voyons avec le risque terroriste qui ne cesse de s’accroître et c’est bien pour cela que nous pensions qu’il fallait aller jusqu’au bout du processus de désarmement pacifiquement.

La guerre a eu lieu, il faut maintenant revenir à l’unité de la communauté car sans elle, comment espérer faire diminuer le terrorisme, comment espérer faire diminuer le risque de prolifération et comment espérer régler les crises régionales ? Je le rappelle car c’est aujourd’hui au cœur des préoccupations de la France.

Nous devons trouver une solution au conflit du Proche-Orient et si le sentiment d’injustice ne diminue pas, si la douleur de l’insécurité que connaissent aujourd’hui les Israéliens de leur côté ne voit pas des solutions, la spirale de la violence continuera.

Q - Vous reposez là la question de fond, deux visions du monde. La doctrine américaine qui est une certaine conception de la gestion du monde qui n’est pas la vôtre et cette question-là reste posée. Ce n’est pas le petit texte de l’ONU qui est une sorte d’amélioration qui résoudra tout cela.

R - Et effet, il y a bien deux visions du monde mais encore faut-il que nous soyons capables, au-delà de ces deux visions, de travailler ensemble car c’est aussi la vision de la France. Il faut agir ensemble si l’on veut être efficaces et c’est tout l’intérêt des Nations unies car les Nations unies nous rassemblent tous. Nous voyons aujourd’hui que c’est leur retour et nous nous en félicitons. Dans ce cadre, nous allons pouvoir travailler tous ensemble, unir nos forces, nos compétences. Les Nations unies peuvent apporter une légitimité dans le processus irakien que nul autre ne peut apporter. Utilisons cette capacité. Un certain nombre de pays ont une connaissance intime de ces régions, utilisons cette compétence et ces connaissances, faisons preuve d’esprit d’ouverture, soyons constructifs.

Q - Mais c’est la France ou c’est l’Europe ? Concevez-vous votre fonction, votre mission comme étant le pays, la France qui doit tirer le projet européen. Hors de l’Europe, je ne vois pas comment on pourra affronter la puissance américaine.

R - Mais l’Europe est aujourd’hui au cœur de l’ambition française et je le dis dans un débat souvent passionné avec notre ami Bernard Guetta, l’Europe a un rôle central et c’est bien cela que porte la France.

Q - Mais, M. Guetta s’inquiétait ce matin disant que l’Europe n’était toujours pas là ?

R - Eh bien, il a tort car je peux vous dire que la France ne cesse de vouloir avancer dans ce domaine européen. L’élargissement est une chance, la révolution institutionnelle en cours est une chance, nous devons avoir les outils pour permettre à cette Europe d’exister, de s’affirmer et il faut que cette identité européenne aussi se précise. Vous savez qu’il y a un débat entre les deux visions, Tony Blair qui pense que le monde peut être unipolaire avec un partenariat atlantique et nous qui pensons qu’il faut appliquer aux relations mondiales ce qui existe aussi au niveau des Etats, une démocratie. On est plus fort lorsque l’on est plusieurs, lorsque l’on se respecte et que l’on travaille ensemble pour aller dans la même direction. Donc, nous pensons que dans le cadre de cette démocratie, avec cette règle du respect entre les uns et l’autre, avec cette règle de l’échange qui fait que tous se mobilisent pour travailler dans le même sens, à une heure où, une fois de plus, le monde est confronté à de grands défis, le terrorisme, la prolifération, les crises, le crime organisé. Nous nous réunissons aujourd’hui dans le cadre d’une conférence qu’organise la France, sur les routes de la drogue d’Asie centrale à l’Europe. Et c’est intimement lié au problème dont nous parlons. 25 milliards de revenus par an pour l’Afghanistan, 20 % du produit national brut de l’Afghanistan, 80 % de l’héroïne consommé en Europe vient d’Afghanistan.

Q - Et quel paradoxe, l’Afghanistan, premier terrain de riposte américaine après le 11 septembre pour lutter contre le terrorisme international, l’Afghanistan aujourd’hui le premier pays au monde de producteur de pavot, donc d’héroïne, qui alimente les réseaux du terrorisme international.

R - Vous avez tout à fait raison et cela montre une nouvelle fois que la guerre seule n’est pas la solution. Derrière, il faut une stratégie politique, il faut un dialogue culturel permettant d’échanger avec ces pays, il faut une vision du développement économique. Aujourd’hui, l’un des grands enjeux que nous mettons au cœur de la préparation du G8 qui se tiendra début juin, c’est ce retour de la croissance. Ne laissons pas notre monde être pris en otage par la violence et par le terrorisme, retrouvons cette idée du progrès ; oui, nous sommes capables ensemble de construire un avenir commun. C’est cela l’enjeu et ne laissons pas les terroristes instrumentaliser notre devenir en plaçant la sécurité et donc la peur au cœur de nos attitudes. Nous devons être mobilisés, nous devons tout faire pour nous coordonner dans le domaine de la sécurité mais nous devons regarder vers l’avenir et nous devons être capables d’agir ensemble.

Q - Que fait-on en diplomatie avec les cicatrices ? Que se passera-t-il dans une demi-heure, car vous allez nous quitter pour accueillir Colin Powell que vous n’avez pas vu depuis le bras de fer à l’ONU, que se passera-t-il ?

R - J’ai été en contact au téléphone avec Colin Powell presque tous les jours pour travailler sur la résolution. Les relations que nous entretenons ont toujours été des relations amicales quelles que soient les difficultés. Vous savez, c’est aussi cela de défendre les intérêts de son pays, c’est qu’au-delà des humeurs, au-delà des passions, il y a une réalité. Nous avons à travailler ensemble pour les intérêts de nos pays et pour ceux du monde.

Q - Ce qui s’est passé laisse-t-il des traces ?

Lorsque l’on écoute ces propos, "on s’arrangera avec la Russie et l’Allemagne, mais il faut punir la France".

Sommes-nous punis ?

R - Je ne crois pas que ce soit du tout l’esprit du temps. D’abord, ce n’est pas à la mesure des enjeux, je ne crois pas que ce soit une réflexion qui puisse véritablement répondre aux difficultés et c’est je crois, sous-estimer les difficultés du monde. Nous devons être ensemble, nous devons agir ensemble et nous serons au rendez-vous./.