Le Président Edouard Balladur a remercié M. Dominique de Villepin d’avoir bien voulu se rendre devant la Commission pour l’informer sur trois différents thèmes : la réunion du G8 à Evian du 1er au 3 juin, la situation au Proche-Orient au retour du voyage du ministre en Israël et dans les Territoires Palestiniens, des évolutions de la situation en Irak résultant notamment du vote de la résolution 1483.

M. Dominique de Villepin s’est tout d’abord exprimé sur la présidence française du G8 qui trouvera son aboutissement lors du sommet d’Evian. Avant ce sommet, a eu lieu à Paris, les 22 et 23 mai dernier, une réunion des ministres des affaires étrangères du G8 où ont été abordés les principaux sujets d’actualité et préparé les débats relatifs aux questions de sécurité internationale qui seront traitées à Evian. Ces thèmes concernent le terrorisme, mais aussi la lutte contre la prolifération, sujet sur lequel les ministres du G8 ont marqué leur soutien aux régimes de contrôle, notamment à l’AIEA en matière nucléaire, et ont évoqué le cas de l’Iran. La question de la Corée du Nord a également fait l’objet d’un accord sur l’attitude dangereuse de ce pays pour la région et sur l’utilité des récentes discussions à trois, à Pékin, qu’il serait utile d’ouvrir aux autres pays concernés, notamment le Japon et la Corée du Sud.

M. Dominique de Villepin a ensuite expliqué que le Président de la République avait rappelé que l’objectif de la présidence française du G8 était de promouvoir une mondialisation mieux maîtrisée et plus responsable ; cela explique le format particulier de ce sommet. En effet, le G8 proprement dit, qui aura lieu les 2 et 3 juin, sera précédé, le dimanche 1er juin, par un « dialogue élargi » sur le thème de la croissance économique et de la coopération internationale auquel participeront 22 pays invités par le Président Chirac, et les responsables de la Banque mondiale, du FMI et de l’OMC.

Par ailleurs, le 1er juin au soir, se tiendra la rencontre G8-NEPAD, comme en 2001 et 2002, entre le G8 et les cinq fondateurs du NEPAD afin de poursuivre la mise en œuvre du plan d’action adopté à Kananaskis.

M. Dominique de Villepin a ensuite décliné les trois priorités du sommet : croissance, développement durable et sécurité. En ce qui concerne la croissance, les discussions porteront sur le thème de « l’économie responsable », sur celui des réformes structurelles, y compris des marchés financiers internationaux, et sur celui des négociations commerciales du cycle de Doha afin de permettre à la réunion ministérielle de Cancun d’être un succès.

Concernant le développement durable, la mondialisation de l’économie exige la mondialisation de la solidarité. Le sommet d’Evian sera ainsi l’occasion de faire le point sur la mise en œuvre du plan d’action pour l’Afrique en soutien au NEPAD adopté par le G8 en 2002. Dans le domaine commercial, l’objectif de la France est de convaincre ses partenaires de l’intérêt d’une intégration positive de l’Afrique dans les échanges économiques mondiaux. Des initiatives sont également prévues dans le domaine de l’eau, de la lutte contre la famine, et surtout dans celui de la santé pour lequel l’objectif est de faciliter l’accès des pays en développement aux médicaments, en particulier dans les pays non producteurs.

M. Dominique de Villepin a présenté les actions prévues dans le domaine de la sécurité. Il sera d’abord question de la lutte contre le terrorisme, en particulier au travers de l’appui au Comité du contre terrorisme du Conseil de sécurité pour le renforcement des capacités des pays en développement dans la lutte contre le terrorisme. Le G8 abordera également le problème de la non-prolifération à la suite du Partenariat global contre la prolifération des armes et des matériaux de destruction massive, adopté l’an dernier, et doté de 20 milliards de dollars, la sécurité nucléaire et la sécurité des transports.

M. Dominique de Villepin a indiqué que les discussions directes entre chefs d’Etat et de Gouvernement seront l’occasion de traiter de façon informelle les crises et les questions régionales, en particulier le Proche-Orient, l’Irak, la Corée du Nord et l’Afghanistan.

Le Ministre a conclu en faisant le point des avancées de ce sommet d’Evian qui sont la participation pleine et entière de la Russie à toutes les instances du G8, l’ouverture vers le Sud et la conjuration de la tentation du repli, du protectionnisme, de la violence. Ce sommet doit en effet illustrer le choix résolu de l’ouverture internationale.

Le Président Edouard Balladur a remercié M. Dominique de Villepin d’avoir accepté de se rendre devant la Commission des Affaires étrangères à la veille du sommet du G8. Il a souligné que ce dernier se caractérisait par la participation d’un nombre élevé de chefs d’Etat et de gouvernement et a demandé au Ministre de bien vouloir préciser quels étaient les différents formats des réunions du G8 et à quel moment un G8 prenait fin.

M. Dominique de Villepin a précisé que la réunion de dimanche qui précèdera l’ouverture solennelle le lundi du G8 sera ouverte à tous les autres pays invités. Ensuite, les réunions des 2 et 3 juin se tiendront à huit Etats membres. Les autres Etats invités ne seront pas parties prenantes dans la réunion finale. Quant à la durée d’une présidence du G8, elle se prolonge jusqu’à la fin de l’année. C’est pourquoi des initiatives liées aux décisions du G8 peuvent se concrétiser dans les mois qui suivent le Sommet, comme cela avait été le cas l’an dernier pour des initiatives concernant les relations entre l’Inde et le Pakistan.

Le Ministre a ensuite abordé la question du conflit du Proche-Orient. Il a expliqué que sa visite des 25 et 26 mai en Israël et dans les territoires Palestiniens lui a permis d’achever un cycle de trois tournées au Moyen-Orient, dont l’objectif était d’évaluer l’impact de la nouvelle donne stratégique régionale, de promouvoir la « feuille de route » du Quartet et de dynamiser les relations bilatérales de la France avec Israël et les Palestiniens.

En Israël, le Ministre a indiqué qu’il avait rencontré son homologue, M. Silvan Shalom, ainsi que le Président de l’Etat d’Israël, M. Moshe Katsav. Le Premier Ministre Ariel Sharon s’est tenu au principe qu’il s’était fixé de ne recevoir aucun visiteur qui rencontrerait le Président Yasser Arafat. Le Ministre a souligné que la ligne de la France était de dialoguer avec lui. Cette position politique est aussi celle de l’Union européenne, ce qui a eu pour conséquence que d’autres responsables européens n’ont pas davantage rencontré M. Ariel Sharon.

Dans les Territoires Palestiniens, le Ministre a indiqué qu’il s’était entretenu avec son homologue M. Nabil Chaath, le Président Arafat et le Premier Ministre Abou Mazen, accompagné de plusieurs Ministres dont celui de l’Intérieur, M. Dahlan.

Cette visite a permis de réaffirmer l’engagement de la France et de l’Union européenne pour la réussite du plan de paix. Présent à Jérusalem le jour où le gouvernement israélien a accepté la « feuille de route » du Quartet, le Ministre a dit qu’il s’était félicité de cette décision mais il avait rappelé auprès de ses interlocuteurs comme auprès des médias, que cette acceptation acquise à une courte majorité et avec de nombreuses réserves portant sur des points importants, laissait présager des difficultés dans la mise en œuvre future.

Tous les acteurs doivent donc se mobiliser pour mettre en œuvre ce plan de paix. Le Ministre a souligné auprès de ses interlocuteurs israéliens que le succès de M. Abou Mazen dépendra étroitement des gestes israéliens sur le terrain : gel de la colonisation, libération de prisonniers, arrêt des opérations militaires et début de retrait des forces. En se rendant dans les Territoires, on constate en effet l’extension très forte de la colonisation ces dernières années et on perçoit bien la nécessité d’un retour en arrière.

Le Ministre a demandé aux Palestiniens, et notamment au Président Arafat, l’arrêt de la violence et du terrorisme et la poursuite déterminée des réformes. A cet égard, le Ministre a proposé, au nom de la France, d’apporter un soutien institutionnel aux réformes ainsi qu’un soutien dans le domaine de l’éducation et de la santé notamment.

Il a souligné la nécessité de préserver le rôle du Quartet. Il est indispensable que tous les acteurs du processus dès son origine continuent d’y être associés et participent effectivement au mécanisme de supervision de ces accords, car l’impartialité du dispositif et l’adhésion des deux parties constituent deux conditions essentielles de leur succès.

Le Ministre a indiqué que sa visite avait également eu pour objectif de donner un nouvel élan aux relations de la France avec Israël. Il a inauguré, avec son homologue israélien, les travaux du groupe de haut niveau franco-israélien institué en juillet 2002 et présidé du côté français par le professeur David Khayat. Celui-ci a accompli un important travail préparatoire, ce qui a permis de déboucher sur des propositions novatrices pour une relance de la coopération dans le domaine universitaire, social ou de recherche scientifique. Le Ministre a souligné l’engagement de construire un nouvel Institut culturel français à Tel Aviv, et de lancer un nouveau programme de coopération scientifique et technologique avec Israël. Toutes ces initiatives visent principalement à mettre la relation bilatérale à l’abri des aléas liés à la situation politique.

M. Jack Lang s’est réjoui de la relance des relations entre la France et Israël, notamment sur les plans culturel et universitaire. Il a, par ailleurs, souligné le rôle de l’Institut français de Tel-Aviv et le travail de M. David Khayat.

Après avoir précisé qu’il s’était rendu en Israël et les Territoires occupés avec Renaud Donnedieu de Vabres quelques jours avant la venue du Ministre, M. Guy Lengagne a estimé que les motivations réelles de M. Ariel Sharon de ne recevoir aucun visiteur du Président Yasser Arafat n’étaient pas dénuées de cynisme.

Il a en outre déclaré qu’au cours de ce récent voyage en Israël, il avait perçu un fort sentiment anti-français parmi un grand nombre de ses interlocuteurs qui ont notamment condamné l’attitude de la France au cours de la crise Irakienne. Face à de tels comportements, comment la France pourra-t-elle sortir de cette ornière ?

Evoquant les rapports entre le Premier Ministre palestinien, M. Abou Mazen, et du Président Yasser Arafat, il a souligné que ce dernier estimait détenir une légitimité supérieure même si Abou Mazen est désormais présenté comme un interlocuteur incontournable. Selon M. Guy Lengagne, la balle est, aujourd’hui, dans le camp des Israéliens qui poursuivent la construction de nouvelles colonies ce qui permet au Gouvernement d’Ariel Sharon de figer encore davantage la situation sur le terrain.

M. Jean-Claude Lefort s’est félicité du voyage de M. Dominique de Villepin en Israël et en Palestine. Il s’est, en outre, réjoui de la volonté de celui-ci de remettre la France et l’Union européenne dans le processus de paix. Souhaitant aborder la question des réfugiés, il a rappelé que les négociations de Tabah avaient quasiment réglé, juste avant l’arrivée de M. Ariel Sharon au pouvoir, le problème du droit au retour qui n’implique pas forcément l’exercice de ce droit. Aujourd’hui, la feuille de route a reçu un accord total de la part des Palestiniens, elle a été acceptée par Israël assortie de l’émission de 14 objections et grâce aux pressions américaines avant le vote de la Knesset. Le Ministre a-t-il évoqué, au cours de ses entretiens, notamment avec le Président Yasser Arafat, la question des processus de contrôle de la mise en oeuvre de la feuille de route ?

Le Président Edouard Balladur a regretté les tentatives d’éviction du Quartet du processus de paix alors que l’origine de la feuille de route est européenne et s’est interrogé sur les moyens de faire revenir l’Union européenne dans les négociations si M. Ariel Sharon persiste à ne vouloir traiter qu’avec les Etats-Unis et inversement. Il a également souhaité savoir si le Ministre avait abordé, avec ses interlocuteurs, la question des colonies qui, du fait de leur expansion, rendent de plus en plus difficiles tout règlement du conflit et nécessiteront la restitution de territoires.

M. Dominique de Villepin a expliqué qu’entre la France et Israël, il existait une relation passionnelle, une grande attente d’Israël vis-à-vis de la France. C’est pourquoi il apparaît important de découpler les liens de coopération de la politique, afin que le conflit du Proche-Orient n’interfère pas systématiquement dans tout.

Le Premier Ministre Abou Mazen est avant tout un homme de gestion ; le Président Yasser Arafat détient incontestablement la légitimité populaire du chef historique. De ce fait, tous ses interlocuteurs font pression et lui demandent de s’impliquer dans le processus de paix. M. Dominique de Villepin a indiqué que selon lui, les autorités palestiniennes sont d’accord pour établir une trêve, une cessation de la violence, afin d’avancer dans le processus de paix. En face la politique de sécurité imposée par le gouvernement Sharon n’a pas abouti à une sécurité plus grande. Ces données ont pesé fortement sur l’engagement des Israéliens dans le processus. La clé de l’évolution est probablement dans la réalité de l’engagement des Etats-Unis qu’il est difficile d’apprécier, si l’on considère qu’une partie de l’administration américaine estime qu’aller plus loin dans la colonisation apportera plus de sécurité.

Or la sécurité constitue pour le Président américain le premier des objectifs, c’est là un élément primordial de la politique américaine. En même temps il est indispensable de trouver une issue au conflit israélo palestinien et pour réussir le seul engagement américain ne sera pas suffisant. Il faut en effet un mécanisme de supervision multilatéral auquel les européens doivent d’autant plus participer qu’ils sont à l’origine de la « feuille de route ».

Pour les Palestiniens, le droit au retour se présente davantage comme un principe moral - la reconnaissance du droit à revenir - que comme un principe politique - le retour effectif. Les Israéliens, hantés par les enjeux démographiques se montrent en revanche extrêmement réservés sur la question du droit au retour. Quant à la question des colonies, leur maintien sera économiquement difficile pour Israël mais leur abandon supposera des choix douloureux. Quoiqu’il en soit il y a actuellement une chance d’enclencher un processus de paix au Proche-Orient, si elle n’est pas saisie le pire peut arriver.

M. Paul Quilès a indiqué qu’il avait participé à Prague à l’Assemblée parlementaire de l’OTAN au cours de laquelle la France avait été accusée de tous les maux par de nombreux parlementaires, notamment tchèques et polonais. Il s’est inquiété de l’évolution de L’OTAN qui devient une machine politique dont l’objectif est de bloquer les initiatives entreprises pour construire une Europe de la défense. La réunion à quatre de Bruxelles a par ailleurs été vertement critiquée, y compris par M. Robertson. Ne faudrait-il pas rapidement renouer le contact avec les pays candidats à l’entrée dans l’Europe et effacer nos faux pas et nos insuffisances.

M. Dominique de Villepin a rappelé l’enjeu fondamental de la position française. Celle-ci pose le problème de l’Europe que nous voulons pour les cinquante prochaines années, de son rôle dans la définition de l’équilibre mondial et de sa capacité à assurer sa sécurité. Les Etats-Unis se satisferaient probablement d’une Europe à vocation essentiellement économique et commerciale. Depuis la crise irakienne, ni la Grande Bretagne, ni l’Espagne n’ont fait part de leur vision de la future Europe ; La France estime pour sa part qu’il est totalement injuste de lui attribuer la responsabilité des divisions entre les pays européens. Quant au sommet des quatre il visait à montrer que nous sommes déterminés à avancer dans la construction d’une défense européenne et cette démarche porte ses fruits : plusieurs pays européens sont prêts à rejoindre le noyau dur constitué par la France, l’Allemagne, la Belgique et le Luxembourg. La Grande Bretagne n’exclut pas de le rejoindre demain. Cette force européenne est déjà présente en Bosnie et elle sera peut-être demain active en Afrique, comme par exemple en Ituri.

M. Paul Quilès a déclaré qu’il était d’accord avec l’analyse du ministre, mais il s’est demandé pour savoir si l’on avait les moyens de notre diplomatie. Les anciens pays de l’Est sont obsédés par leur sécurité et l’on n’a pas les moyens de la leur assurer avec une défense européenne qui demeure toujours embryonnaire.

M. Dominique de Villepin a estimé qu’il fallait trouver les moyens de faire fonctionner l’Europe à vingt-cinq. La situation actuelle est caractérisée par l’opposition entre les pays qui défendent le statu quo et ceux qui ont une vraie volonté européenne. Il ne faut pas que l’Europe soit limitée au plus petit dénominateur commun. Il revient sans doute à quelques Etats de lancer le mouvement en nouant des coopérations renforcées.

Il faut par ailleurs trouver une ambition commune pour l’Europe qui permette de dépasser les crispations nées de la crise irakienne. Bien sûr la partie est complexe du fait de l’arrivée des dix nouveaux membres mais la question est essentielle car il s’agit de l’identité européenne.

Abordant le dossier irakien, M. Dominique de Villepin a souligné l’unité retrouvée du Conseil de sécurité, consacrée par la résolution 1483, qui a pu être adoptée le 22 mai dernier à l’unanimité après une négociation conduite dans un esprit constructif. Malgré ses imperfections, ce texte ouvre la possibilité de remettre en selle les Nations unies. Le projet américain initial a été amélioré ; à cet égard on note l’accroissement du rôle du représentant spécial du Secrétaire général et la nomination à ce poste de M. Vieira de Mello, actuel haut-commissaire aux droits de l’Homme de l’ONU et ancien représentant du Secrétaire général au Timor oriental, dont la stature internationale est reconnue par tous, constitue un signe encourageant. De même, le mécanisme de transparence internationale pour l’utilisation des recettes du pétrole garantissant la gestion, la période de six mois pour l’extinction progressive du programme « pétrole contre nourriture », le contrôle régulier de l’action des puissances occupantes par le Conseil de sécurité à travers des rapports trimestriels et la révision au bout d’un an des dispositions de la résolution sont des acquis substantiels.

Il a estimé que la résolution 1483 encadrait l’activité de la puissance occupante et fixait clairement comme objectif la restauration de la souveraineté irakienne pour permettre au peuple irakien de déterminer librement son avenir politique. Selon lui, en dépit de ces imperfections, cette résolution qui restaure l’unité du conseil de sécurité et de la communauté internationale, s’inscrit dans un esprit de responsabilité collective. Il appartient à chacun d’exploiter toutes les potentialités de ce texte.

Le Ministre a observé que ces évolutions avaient eu lieu alors même qu’en Irak les perspectives sont très incertaines et en dépit des efforts du nouvel administrateur civil, M. Paul Bremer, pour reprendre en main la situation. La concertation politique inter irakienne tarde à produire des résultats, elle souffre des hésitations de la puissance occupante et des ambiguïtés des Irakiens eux-mêmes, partagés entre la volonté de participer au processus et le souci de ne pas se compromettre avec les coalisés. Tel est le cas du conseil suprême de la révolution islamique en Irak, l’une des principales formations chiites. Dans les grandes villes, la sécurisation reste incomplète, des incidents récurrents montrent la précarité de la situation : accrochages entre les troupes américaines et les populations civiles, tensions inter ethniques, actes de banditisme dont sont victimes ONG et journalistes. Dans ce domaine, les plus récentes mesures prises par la puissance occupante portent sur la dissolution des forces armées et des services de renseignement irakiens et sur la récupération auprès de la population de nombreuses armes en circulation dans le pays. L’approvisionnement alimentaire et énergétique souffre toujours de graves pénuries et la situation des administrations reste incertaine, notamment du fait de la « débaathisation » de la haute fonction publique décrétée par l’occupant.

Le Ministre a indiqué que malgré ces conditions d’incertitude la France poursuivait la réactivation de sa section d’intérêts à Bagdad, cinq diplomates accompagnés par des agents de sécurité ont rejoint très récemment le chargé d’affaires.

M. François Loncle a relevé que la France était davantage stigmatisée par les Etats-Unis que l’Allemagne et la Russie, notamment dans le cadre d’une campagne médiatique très forte. Il a ainsi été fait état de passeports français qui auraient été délivrés à des responsables irakiens : qu’en est-il exactement ? Beaucoup de voix s’élèvent pour demander la restauration des liens avec les Etats-Unis, quelle position la France entend-elle adopter à ce sujet ?

M. Jack Lang a demandé si le Ministre avait des informations sur le sort des anciens dirigeants irakiens. Abordant la situation en Côte d’Ivoire, il a approuvé les accords de Marcoussis en estimant qu’ils avaient permis de restaurer la paix civile. Mais le chef de l’Etat ivoirien n’a toujours pas nommé les ministres de la défense et de la sécurité intérieure et l’armement des escadrons de la mort se poursuit. Pouvons-nous intervenir pour mettre un terme à ces agissements ?

M. Jean-Claude Lefort a demandé au nom de quelles règles internationales une puissance occupante avait des droits dans le pays qu’elle occupe. Il a ensuite estimé que les déclarations du ministre apparaissaient comme contradictoires : il a tantôt dit que l’ONU devait être au centre du processus de reconstruction de l’Irak, tantôt affirmé qu’il devait y avoir un retour de l’ONU dans la question irakienne. Quelle est la position du ministre sur cette question ?

Sur la campagne anti-française aux Etats-Unis, M. Dominique de Villepin a estimé que cela traduisait combien les positions françaises et la capacité de la France à les faire partager ont été mal vécues par les Etats-Unis. Pour la France mieux vaut agir politiquement, la force n’étant pas le seul instrument de l’action même si elle est parfois nécessaire. C’est une réelle différence d’approche qui ne constitue pourtant pas une raison suffisante pour se quereller. Il est nécessaire d’avoir une vision ouverte et constructive. La France a défendu ce principe lors du débat sur la résolution 1483. Il n’est pas souhaitable d’aller vers un choc frontal. En Irak, les Etats-Unis auront besoin de tous pour maîtriser le processus politique ; les Nations unies ont su montrer leur efficacité et leur capacité à maîtriser la complexité des problèmes et la résolution 1483 leur offre la possibilité d’agir en Irak.

S’agissant des passeports français fournis à des responsables irakiens, le Ministre a affirmé que tous les passeports français avaient été détruits avant la fermeture, la veille de l’intervention armée, de la section des intérêts français à Bagdad. Des explications ont été demandées sur le fondement de ces allégations, sans que des réponses ne soient obtenues.

En ce qui concerne le sort des anciens dirigeants irakiens, le ministre a indiqué que l’on est dans la plus totale incertitude. Une note manuscrite attribuée à Saddam Hussein a été récemment retrouvée, cela signifie-t-il qu’il est encore vivant ?

Au sujet des droits accordés à des puissances occupantes, M. Dominique de Villepin a répondu qu’ils étaient prévus par les conventions de La Haye de 1907 et de Genève de 1949. Elles stipulent que les autorités d’occupation ont le droit de faire fonctionner le pays occupé, sans modifier l’ordre juridique existant. Compte tenu de ces règles, le retour de l’ONU était inévitable à terme.

Sur la Côte d’Ivoire, il est vrai que la réapparition de milices ou de stocks d’armes peut nourrir une légitime inquiétude. Il convient donc de rester attentif, dans la logique de la démarche mise en place lorsqu’étaient apparus les « escadrons de la mort » : la saisine de la Commission des Droits de l’Homme de l’ONU et l’organisation d’inspections avaient été très utiles. Par ailleurs, le déploiement de troupes françaises le long de la frontière occidentale du pays devrait avoir un effet stabilisant.

Source : Assemblée nationale (France)