Le Ministre des Affaires étrangères a déclaré que la France devait continuer de faire la preuve de sa capacité d’initiative permanente dans le contexte actuel d’autant qu’elle est régulièrement mise sur la sellette et qu’elle se trouve aujourd’hui dans une situation de bouc émissaire.
Alors que la France a été accusée de n’avoir pas joué le jeu de la résolution 1441, on peut se demander si le calendrier militaire des Etats-Unis n’avait pas déjà largement pris le pas sur la mise en œuvre de cette résolution : la préparation des opérations militaires remonte au moins à l’automne dernier ; la première décision d’envoi de troupes américaines vers la zone du Golfe date des derniers jours de décembre ; plusieurs rencontres avec des responsables politiques américains intervenues en janvier dernier ne laissent guère de doute sur la volonté américaine d’aller vers la guerre dès ce moment.
La France a par ailleurs été accusée d’avoir trahi l’esprit de la résolution 1441 en refusant les ultimatums avancés par les Etats-Unis et la Grande-Bretagne. Cette accusation ne tient pas compte du rôle que nous avons joué dans la négociation de cette résolution qui propose un schéma en deux temps et qui a donné lieu à des lectures divergentes. Cette résolution exclut bien toute automaticité du recours à la force et son esprit est contraire à la notion même d’ultimatum. L’idée selon laquelle la France se serait engagée à voter une deuxième résolution dès l’adoption de la résolution 1441 n’a aucun sens, parce que nous n’avons jamais accepté le principe d’automaticité et que les Américains ont toujours refusé toute mention d’une deuxième résolution.
La France a également été accusée, par son intransigeance, d’avoir fermé la porte à tout compromis. Or, notre pays a développé une approche constructive puisqu’il a été le premier artisan de l’unanimité autour de la résolution 1441 et qu’il a été à l’origine des réunions ministérielles du Conseil de sécurité. Celui-ci a d’ailleurs été réuni une seule fois à la demande des Américains, lors de la séance consacrée à la présentation des preuves, qui s’inscrivait déjà dans une logique de justification des opérations militaires. A chaque intervention au Conseil, la France a fait des propositions concrètes : plan de lutte contre le terrorisme (20 janvier), premier mémorandum sur le renforcement des inspections (5 février), deuxième mémorandum précisant la méthode des inspections (14 février), définition des tâches prioritaires et d’un délai pour la remise du rapport des inspecteurs (7 mars), appel pour que les Nations unies demeurent au centre des futures discussions sur les suites du conflit (19 mars). En concertation avec les Russes et les Allemands, notre pays a, en outre, fait savoir qu’il était prêt à raccourcir les délais pour le désarmement de l’Irak. Enfin, dans la dernière étape de discussion, l’échec de la proposition britannique n’est pas dû à la France mais à une absence de soutien par une majorité des membres du Conseil de sécurité. Les dernières propositions présentées par le Président de la République et par le Chili ont été pour leur part ignorées par la partie américaine. En réalité, l’abandon d’une solution multilatérale provient du changement d’objectif opéré par l’administration américaine, passant du désarmement de l’Irak au changement de son régime.
Après avoir estimé que sur le terrain, la réalité différait des prévisions initiales des alliés, le Ministre a jugé qu’il fallait dès maintenant préparer l’avenir. L’assistance aux populations est une exigence immédiate : cette responsabilité incombe au premier chef aux forces de la coalition qui doivent respecter pleinement le droit international humanitaire. Il en va de même pour les Irakiens avec leurs prisonniers. La France s’est engagée à apporter sa contribution : les ONG françaises concernées ont été réunies vendredi dernier et une rencontre avec le Président du CICR a permis d’évoquer cette question. Le programme « pétrole contre nourriture » doit reprendre le plus rapidement possible sous l’égide des Nations unies.
Il est par ailleurs nécessaire de fixer les conditions du rétablissement rapide de la pleine souveraineté des Irakiens sur leur territoire en préservant l’unité et l’intégrité territoriale du pays. Les Nations unies doivent être au cœur du processus de transition sans légitimer la guerre a posteriori. La reconstruction économique du pays devra être engagée au plus vite afin d’en favoriser la stabilité.
La stabilité de la région demeure une préoccupation permanente. Il faut éviter que la Turquie, l’Iran et la Syrie ne participent au conflit, prévenir les risques d’actions terroristes et relancer le processus politique en vue du règlement du conflit israélo-palestinien.
Le Ministre a enfin considéré qu’il fallait relancer la réflexion sur la politique étrangère et de défense européenne. Il convient d’établir un code de conduite qui évite que les déclarations des Quinze soient, à l’avenir, contredites par des initiatives individuelles. Pour ce faire, il faut définir précisément l’identité de l’Union européenne, ses intérêts et ses valeurs. Il faut également tendre vers la définition d’une politique étrangère, non pas unique, mais commune. Enfin, il faut définir un nouveau partenariat transatlantique qui réponde aux inquiétudes manifestées par les Britanniques et les Américains sans accepter pour autant la logique d’un monde dominé par une seule puissance.
Le Président Edouard Balladur a demandé si l’éventuelle utilisation d’armes chimiques ou biologiques par l’Irak ferait évoluer la position de la France sur cette guerre.
M. Dominique de Villepin a répondu qu’il s’agissait d’une question essentielle. Le Président de la République a déjà eu l’occasion d’indiquer que, dans une telle hypothèse, la France porterait assistance à ses alliés en utilisant les capacités qui sont les siennes dans ce domaine.
D’ailleurs, la France n’a jamais cessé de dire que le risque était réel, qu’il fallait agir pour y mettre fin, d’où son engagement au travers de la résolution 1441. Mais, la France estimait qu’il était possible de parvenir à l’objectif du désarmement de l’Irak par des voies pacifiques. Et c’est parce qu’elle prenait au sérieux la menace qu’elle a demandé que tous les pays disposant d’informations sur le sujet les fournissent aux inspecteurs, même si ceux-ci se sont rendu compte que certains des renseignements qui leur ont été communiqués se sont avérés faux.
Mais s’il est établi que l’Irak dispose toujours d’armes de destruction massive, cela ne remettra pas en cause la justesse de la position française. La France pensait néanmoins qu’il était possible d’obtenir une connaissance complète des arsenaux irakiens par les inspections, lesquelles avaient déjà permis d’obtenir des connaissances très satisfaisantes dans les domaines nucléaire et balistique.
M. François Loncle a d’abord évoqué les propos du Président de la République sur le comportement des pays candidats pendant cette crise qu’il a jugés excessifs. Il s’est également interrogé sur les déclarations abruptes de l’Ambassadeur de France en Italie et il a demandé s’il s’agissait d’une initiative personnelle de celui-ci.
M. Jacques Myard a estimé que la logique de la position française était fondée et imparable. A l’inverse, du côté de l’administration américaine, on a l’impression que la volonté de faire la guerre à tout prix constituait sa logique.
Concernant la volonté du Ministre de parvenir à l’établissement d’une politique étrangère européenne commune, il s’est demandé si son existence aurait pu permettre d’arrêter les Etats-Unis.
M. Pierre Lellouche a rappelé qu’il ne partageait pas la stratégie d’opposition aux Etats-Unis. Il a demandé si, compte tenu des difficultés rencontrées par nos alliés, nous ne devrions pas aujourd’hui les aider, y compris en ce qui concerne le déroulement des opérations. Il a également souhaité savoir si en cas d’utilisation d’armes chimiques par l’Irak, l’appui de la France ne serait que sanitaire, ce qui serait regrettable.
Enfin, s’agissant des débats en cours à la Convention sur l’avenir de l’Europe, il s’est interrogé sur la proposition française d’instaurer un vote à la majorité qualifiée dans le cadre de la politique européenne de sécurité commune : cela ne reviendrait-il pas pour la France à abandonner, à l’intérieur même de l’Europe, l’utilisation d’un veto qu’elle revendique dans d’autres enceintes ?
M. Didier Julia a critiqué la couverture télévisée assurée par les médias américains, qui renforce la nécessité de créer un outil audiovisuel européen capable de faire entendre notre voix.
Il s’est également demandé si cette guerre n’avait pas aussi pour but d’assurer la sécurité d’Israël.
M. Pierre Lequiller a souhaité obtenir des précisions sur l’évolution de la situation au nord de l’Irak.
M. Richard Cazenave a estimé que la position française est d’une grande cohérence. Concernant les armes de destruction massive, leur utilisation sur le théâtre d’opérations ne signifierait pas pour autant que l’Irak est capable de menacer ses voisins avec de telles armes en l’absence de vecteurs appropriés.
M. Jean-Paul Bacquet a regretté la désunion de l’Europe dans cette crise. Que faire pour retrouver l’unité des Quinze et à moyen terme des Vingt cinq ? Il s’est également interrogé sur l’attitude de l’Europe en cas d’intervention de la Turquie dans le conflit en Irak.
Le Ministre des Affaires étrangères a considéré que les paroles fortes prononcées par le Président de la République à l’encontre des pays signataires de la lettre des huit avaient eu le mérite de rompre avec la langue de bois et de provoquer un sursaut favorable au dépassement des clivages entre la vieille et la nouvelle Europe dans un sens favorable à la poursuite de la construction européenne.
Les propos de l’Ambassadeur de France à Rome visaient à répondre aux critiques qui nous ont été adressées par les autorités italiennes. Un entretien avec le Ministre des Affaires étrangères italien a d’ailleurs permis de faire le point sur cette question et d’envisager de manière positive la suite de nos relations.
Il ne faut pas affirmer que la partie diplomatique s’est arrêtée avec le conflit armé car celle-ci doit aujourd’hui faire face à de multiples risques de crise (en Iran, en Syrie, au Pakistan, en Corée du Nord), aux défis du terrorisme et du crime organisé. Aussi, la France, par sa position dans la crise irakienne, a posé les jalons d’un nouvel ordre international. Il n’est pas possible de faire l’apologie du recours à la force, comme certains le font, sans en assumer les conséquences. Le lien entre l’Irak et Al Qaïda relève de la spéculation et les objectifs des Etats-Unis sont passés du désarmement de l’Irak au changement de régime et au remodelage du Proche-Orient. Il était donc essentiel que la France intervienne avec la communauté internationale pour exprimer son refus d’une telle logique. Notre pays a d’ailleurs été suivi sur ce point, puisque le projet d’intervention n’a jamais été soutenu par plus de trois à quatre membres du Conseil de sécurité.
S’agissant de la reconstruction économique et politique de l’Irak, l’attitude française est constructive. Cette reconstruction doit s’opérer dans le cadre du Conseil de sécurité car un gouvernement militaire dépourvu de la légitimité des Nations unies serait immanquablement confronté à de graves difficultés.
En cas d’utilisation des armes chimiques à l’encontre des armées américaines et britanniques, notre pays offrirait son assistance sans s’engager dans un conflit auquel il est opposé. L’utilisation de telles armes plaiderait a posteriori pour le système des inspections et pour la mise en place d’un système permanent et intrusif de lutte contre les armes de destruction massive mis en œuvre dans le cadre des Nations unies.
Il est nécessaire d’encadrer la mise en place d’un Ministre des Affaires étrangères de l’Europe et le système de majorité qualifiée dans le domaine de la politique étrangère et de défense afin de prendre en compte les intérêts nationaux des Etats membres. Ce Ministre pourrait mettre en œuvre les positions communes des Etats membres sans leur imposer pour autant une position unique. Dans ce cadre, la coordination des diplomaties nationales serait confortée sans pour autant imposer une politique unique à l’ensemble des Etats de l’Union.
La France a besoin d’une chaîne d’information internationale qui offre une vision du monde conforme à certaines exigences déontologiques. Même si son coût est élevé, sa réalisation rapide est indispensable.
La mise en place d’une solution politique à la crise du Proche-Orient est une nécessité absolue dans le contexte actuel. Il en va de l’intérêt de tous, y compris d’Israël. Les risques d’implication de l’Iran et de la Turquie dans le conflit irakien sont importants et la modération des parties concernées doit faire l’objet de toutes les attentions.
A l’avenir, la communauté internationale doit se doter de bras armés dans le cadre des Nations unies. Outre l’idée d’un corps des inspecteurs en désarmement, il conviendrait de réfléchir à un système comparable pour le respect des droits de l’Homme par les différents pays.
Il ne fallait pas plaider pour un ralliement à la position américaine uniquement pour préserver l’unité de l’Europe. Celle-ci devra être restaurée dans les prochains mois et elle constitue l’enjeu principal des échéances à venir.
En conclusion, le Président Edouard Balladur a remercié le Ministre des Affaires étrangères pour la précision de ses propos et il a indiqué que la Commission devrait réfléchir aux moyens d’éviter la prolifération des armes de destruction massive en mettant en place un système de contrôle permanent applicable à tous les Etats.
Source : Assemblée nationale (France)
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