Q- N’est-ce pas difficile d’être ministre de la Défense d’un pays pacifiste vis-à-vis du problème iraquien ?

R - La France n’est pas un pays pacifiste, c’est un pays qui prône une solution pacifique aux problèmes iraquiens. La France se situe délibérément dans un cadre international et en application de la résolution de l’ONU, dans le cadre du désarmement de l’Iraq par les inspections. Nous sommes, bien entendu, très déterminés à obtenir l’élimination des armes de destruction massive que pourrait détenir l’Iraq.

Q - Quelle est la voie la plus efficace : les inspections ou une armée d’intervention ?

R - Nous avons un point de référence, puisque les deux ont déjà eu lieu en Iraq. Et tout le monde reconnaît que les premières inspections, qui se sont terminées en 1998, ont permis l’élimination de davantage d’armes que l’intervention militaire en Iraq. C’est donc la bonne voie, c’est celle que nous voulons suivre, la voie de la raison, du bon sens ; la voie de l’efficacité.

Q - Il faudra donner le maximum de moyens possibles aux inspections.

R - C’est ce que la France a proposé à travers ses deux mémorandums. Le premier a permis de renforcer le nombre des inspecteurs et d’accroître les moyens matériels, avec en particulier les deux Mirage IV que la France a mis à la disposition des inspecteurs pour des missions de surveillance. Notre deuxième mémorandum, déposé la semaine dernière par Dominique de Villepin, tend à fixer un certain nombre de critères, pour juger du désarmement progressif.

Q - De quoi s’agit-il ?

R - Il s’agit notamment de fixer avec les inspecteurs les éléments de ce désarmement (la destruction, par exemple, des missiles Al-Samoud) et de donner un calendrier à chacun de ces éléments. Donc, je me sens à la tête du ministère d’un pays qui agit concrètement pour le désarmement, y compris, s’il le faut, mais en dernier recours, par des moyens militaires. Et, d’un autre côté, d’un pays qui est fermement attaché à une solution pacifique, celle qui évitera aux populations iraquiennes, qui ont déjà tellement souffert, de souffrir encore plus, de déstabiliser davantage une zone fragile, de relancer le terrorisme.

Q - Si une intervention devait avoir lieu, dans quel cadre pourrait-elle se dérouler ?

R - Nous avons toujours dit que, pour nous, une intervention militaire ne pourrait se faire que dans le cadre d’une décision de l’ONU : en aucun cas, nous n’interviendrions militairement sans une décision de l’ONU. Nos positions sont extrêmement claires, et nous n’en avons pas changé depuis le début. Je constate qu’elles rallient la très grande majorité, non seulement des gouvernements mais des opinions publiques. Et ce qui est en train de se passer en Iraq ces derniers jours montre que la voie des inspections est efficace.

Q - Est-ce que la France a les moyens d’une intervention militaire aujourd’hui ?

R - En ce qui concerne l’Iraq, nous sommes pour la voie pacifique du désarmement tant qu’elle est possible. Au-delà, si le président de la République et les autorités politiques en charge de la décision nous le demandent, nous pouvons mettre en œuvre toute intervention militaire n’importe où dans le monde, à n’importe quel moment.

C’est là le rôle du ministère de la Défense : mettre à la disposition des autorités politiques les moyens armés pour une intervention militaire à tout moment. Et ma responsabilité, c’est de veiller effectivement à ce que les hommes et les matériels soient perpétuellement en situation de disponibilité pour intervenir. Nous en avons fait la démonstration en Côte d’Ivoire, où il a fallu intervenir très vite pour protéger nos ressortissants et les ressortissants étrangers pour procéder à des évacuations.

Q - Certains, au sein de l’UMP, s’inquiètent de la possibilité pour la France d’exercer son droit de veto ?

R - Le problème ne se pose pas, puisque, aujourd’hui, notre position est majoritaire au Conseil de sécurité de l’ONU. Pour qu’il y ait recours éventuel à un droit de veto, il faudrait que nous nous trouvions dans la minorité. Le rapport de forces, actuellement, fait que notre position est majoritaire.

Q - Votre position de femme à la tête de l’armée, avec le spectre d’une guerre à l’horizon, est sans précédent, Jeanne d’Arc exceptée ?

R - Le problème n’est pas d’être un homme ou une femme, mais d’accomplir la mission qui vous a été confiée.

Q - Avez-vous été blessée par une certaine francophobie de la part d’une partie de la presse anglo-saxonne ?

R - Certaines attaques déconsidèrent d’abord ceux qui les formulent. Il y en a qui ne méritent même pas qui on y attache la moindre importance. Je crois qu’elles font partie d’une action, probablement pour camoufler la profonde division de l’opinion américaine, et plus généralement anglo-saxonne. Je le constate aujourd’hui. Les Américains sont probablement plus divisés que ne le sont les Européens sur une éventuelle intervention en Iraq. Ces attaques font aussi partie (c’est le deuxième aspect) de tentatives de pressions ou de chantage qui ne nous impressionnent pas. Car, lorsqu’on a le sentiment d’avoir avec soi la justesse du raisonnement, et la justice, on ne s’attache pas à ce genre de comportement.

Q - La France est-elle prête à une mobilisation rapide en cas d’intervention ?

R - Encore une fois, nous n’interviendrons en Iraq que s’il y a une décision politique, comme partout ailleurs dans le monde. Nous sommes prêts à intervenir, que ce soit avec nos forces aériennes, notre groupe aéronaval, nos forces terrestres. Cela dépend à la fois du lieu géographique de l’intervention, des forces engagées. Lorsqu’il s’agit des forces aériennes, quelques jours suffisent à cela. Le délai ne dépend que des autorisations de survol que nous devons demander aux pays, des conditions d’aéroports existants pour poser nos avions et de l’accord des pays. Nous avons des forces qui sont en état d’alerte permanente.

En ce qui concerne le groupe aéronaval, puisque nous sortons d’une période de révision, il est disponible sous quelques jours, deux semaines au maximum. Quant aux forces terrestres, quel que soit le point du globe, c’est toujours un peu plus long, sauf si nous avons des forces prépositionnées. Il y a un certain nombre de pays où nous avons de l’ordre de 20.000 hommes prépositionnés.

Q - Vous avez devant vous un calendrier : quels sont les jours qui seront marqués en rouge ?

R - Tous les jours ! Quand je vois ce qui arrive le matin sur mon bureau, des renseignements sur le monde entier...

Q - Nous parlons de l’Iraq.

R - On dit qu’en ce qui concerne l’Iraq une intervention militaire terrestre est difficilement envisageable à partir de la fin du mois d’avril.

Q - Donc, à partir du 1er mai, nous sommes sauvés ?

R - Disons que c’est, dans tous les cas, la théorie militaire sur certains types d’intervention.

Q - En cette période de crise, y a-t-il une agitation, une effervescence, au sein de votre ministère ?

R - Il n’y a jamais d’agitation dans cette maison. Et plus les situations sont graves ou tendues, moins il y a d’agitation. C’est le grand savoir-faire. C’est ce qui m’a frappée quand, dix heures après mon arrivée, s’est produit l’attentat de Karachi. Il a fallu réagir très vite. J’ai vu que tout se faisait dans le plus grand calme, avec la plus grande détermination et la plus grande efficacité. En l’espace de trois heures, tout ce qui était nécessaire pour mettre en place des systèmes de secours, de rapatriement, d’enquête, avait été fait sans qu’à aucun moment il n’y eût un mot plus haut que l’autre ni un sentiment d’excitation.

Q - Donc une situation sous contrôle absolu ?

R - C’est la moindre des choses qu’on puisse demander à des ministres de la Défense.

Q - Le Premier ministre avait enjoint ses ministres à faire du terrain. On a constaté que vous aimiez être au contact des missions militaires, vous avez évolué avec la Patrouille de France.

R - Je n’ai pas encore fait un appontage ni un catapultage sur le Charles de Gaulle./.

Source : ministère français de la Défense