La journaliste belge Marie-France Cros explique ainsi ce qu’elle appelle un " racisme de bon aloi " :
" Seuls les Hutus sont de vrais Rwandais, les Tutsi étant censés venir d’Égypte (...) Pendant des années, les Européens - Belges en particulier, mais aussi Français - n’y ont rien trouvé à redire. Missionnaires, coopérants ou hommes politiques, ils ont pourtant connu la seconde guerre mondiale ou ont appris à l’école que le fascisme et l’exclusion systématique menaient tout droit à la "catastrophe" que fut la Shoah pour les Juifs. Ils le savent si bien qu’aucun d’eux n’oserait décrire aujourd’hui les Juifs comme avares, sales et le nez crochu, selon la caricature couramment utilisée avant la guerre. Nous avons cependant entendu souvent nos compatriotes - pas tous ! - liés au Rwanda expliquer benoîtement que "les Tutsi sont intelligents et fourbes tandis que les Hutu sont balourds mais gentils", sous-entendant par là qu’il était normal que les premiers, dangereux, subissent une discrimination, afin de permettre aux seconds, demi-innocents, de s’épanouir (...) On s’est donc voilé les yeux, préférant croire que le général Habyarimana dirigeait "la Suisse de l’Afrique" " [1].
Ce racisme interroge par la bonne conscience de ceux qui l’expriment. Un paradoxe qui s’explique parce ce qu’il fait appel à deux racismes emboîtés l’un dans l’autre : c’est parce que les Noirs ou les Africains sont considérés comme différents des Blancs ou des Européens, qu’ils doivent être jugés avec des critères qui leur sont propres. C’est pour cela que même des gens " de gauche " ou des catholiques bon teint peuvent se permettre de dire des Tutsi ce que seuls les pires dinosaures nazis osent encore dire des Juifs. C’est un peu le même racisme qui fait que partout en Europe l’on a respecté trois minutes de silence pour les 6 000 américains morts le 11 septembre 2001 dans l’attentat suicide des Twin Towers à New York, alors que les 1,8 millions de victimes Tutsi du génocide qui auraient mérité proportionnellement 15 heures de silence, n’ont eu droit à aucune manifestation de souvenir et de recueillement. Deux poids, deux mesures. Deux sortes d’êtres humains, ceux qui ont droit au respect, ceux qui ont droit au mépris. Depuis 1994 la mémoire des victimes du génocide est ignorée par la France. Comme le rôle de ses militaires, comme ses relations politiques, comme ses actions secrètes, cela ne doit pas sortir de la nuit rwandaise.
[1] La Libre Belgique du 1er juin 1994.
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