Le fait de prendre en charge le secteur de la santé publique, aujourd’hui au Rwanda, n’est pas une sinécure, loin de là, c’est un énorme défi. A l’occasion du voyage du ministre rwandais de la Santé, Ezéchias Rwabuhihi, en Europe, celui-ci tente d’intervenir en particulier sur deux dossiers : le sida et le paludisme. Juste reconnaissance de ses mérites de médecin de terrain, il assume avec lucidité et sérénité la lourde responsabilité d’un ministère qui, bien qu’essentiel dans un pays comme le Rwanda, ne bénéficie que de 6% du budget total de l’Etat.

Le ministre Rwabuhihi vient d’effectuer une visite de deux semaines en Belgique et en Allemagne, fin octobre et début novembre, qui lui a permis de rencontrer, entre autres, les responsables de la coopération et de la santé publique dans ces deux pays. " L’objectif était d’insister, dit-il, sur l’urgence de prendre en considération les deux fléaux majeurs, le sida et le paludisme, qui sont les principaux pourvoyeurs de mortalité, notamment au Rwanda. Ils sont aussi, par ailleurs, au même titre que la tuberculose, les conséquences naturelles et souvent les facteurs de la pauvreté dans les pays les plus démunis ".

En Belgique, le Dr. Rwabuhihi est allé participer à un colloque, organisé à Anvers, sur le thème des " soins de santé pour tous ". Un idéal, hélas, largement inaccessible pour les couches les plus déshéritées de la population au Rwanda.

A l’occasion de ces échanges, fait observer le ministre rwandais de la Santé, on peut tout de même se féliciter du fait que le retentissement psychologique créé par le choc du sida dans les consciences, ne permet plus d’ignorer, les ravages suscités parmi les populations pauvres par les autres maladies endémiques. Là où l’on parle du sida aujourd’hui, on ne peut plus passer sous silence les méfaits du paludisme et des autres maladies infectieuses. C’est déjà un progrès pour surmonter l’oubli et l’indifférence des nantis par rapport à ces calamités, volontiers considérées comme des causes naturelles de mortalité.

Il est sans doute plus que temps de souligner le caractère particulièrement scandaleux du silence des bonnes consciences, dans les pays industrialisés, où sont produits des médicaments efficaces contre la quasi totalité de ces fléaux endémiques, à l’exception du sida, qui continuent d’anéantir les forces vives dont les pays en développement ont tant besoin. " Bien sûr, les médicaments appropriés existent. Mais ils sont inaccessibles ", ponctue le ministre rwandais de la Santé. Apparemment, les grands groupes pharma-ceutiques n’éprouvent aucun intérêt à commercialiser leurs produits, à prix modéré et donc accessible, sur le marché des pays les plus pauvres. Même quand ces derniers comptent parmi les plus peuplés de la planète. Allez-y comprendre quelque chose à cette stratégie du profit immédiat !

Cependant, le Dr. Rwabuhihi n’hésite pas à reconnaître une part de responsabilité des dirigeants des pays pauvres, eux-mêmes. " Nous n’avons pas réussi jusqu’ici à mobiliser suffisamment la conscience internationale sur les ravages du paludisme, au sein de nos populations. Sans doute parce que, de notre côté, on avait tendance à considérer cette maladie comme inévitable. Comme une forme de fatalité, sous les tropiques. Alors, dit-il, on finit par se résigner. Là où l’espoir a disparu, on adopte une attitude de laisser-aller ".

Paludisme et sida, de toute évidence, sont les deux grands défis auxquels le Rwanda se trouve confronté en matière de santé publique. Le premier nommé demeure la principale cause de mortalité dans le pays. Mais la montée en puissance du second fléau n’en est pas moins spectaculaire. Le sida n’est plus considéré comme une maladie des collectivités urbaines, il est largement répandu, y compris dans les secteurs ruraux. Dans le principal Centre hospitalier de Kigali, selon un rapport diffusé récemment par le Programme national de lutte contre le Sida, 80% des décès actuellement sont dus, hélas, à cette pandémie. Le rapport estime par ailleurs qu’environ 150 personnes contractent, chaque jour, le virus du sida au Rwanda. D’où la nécessité impérieuse d’une vigoureuse campagne de prévention contre cette maladie, toujours incurable.

Les plus hautes autorités rwandaises, y compris au sommet de l’état, ont engagé des efforts déterminés et méritoires pour soutenir cette campagne. " Après le génocide de 1994 et ses conséquences dans le pays, nous avions l’impression d’avoir accusé un sérieux retard dans la lutte contre le sida. Nous devions, précise le ministre, en quelque sorte mettre les bouchées doubles. Cela n’a pas été toujours de tout repos. Par exemple, il y a encore trois ans, lorsque j’allais parler devant des jeunes des moyens de prévention contre le sida, j’étais accueilli généralement par des ricanements hilares. Les jeunes ne se sentaient absolument pas concernés. Aujourd’hui le climat a changé. Il y a un club antisida pratiquement dans toutes les écoles secondaires du pays. C’est une étape importante ".

Bien entendu, les moyens les plus efficaces dans la lutte contre le sida, les traitements d’accompa-gnement pour les malades, les moyens de dépistage des séropositifs, demeurent hors de portée ou difficilement accessibles dans un pays où le revenu moyen, par tête d’habitant, avoisine péniblement les 250 $ par an. A peine de quoi subvenir aux besoins alimentaires d’une famille.

Depuis le procès de Pretoria, en Afrique Sud, sur le sida le contexte international est en train de changer. Sous la pression de l’opinion publique, les multinationales de l’industrie pharmaceutique se montrent plus disposées à mieux prendre en compte les besoins des pays pauvres, particulièrement touchés par le fléau du sida. Alors le ministre rwandais de la Santé a vite capté l’air du temps. Il est venu en Allemagne, entre autre, pour finaliser un accord avec la firme Bohrlinger-Ingolheim pour la livraison au Rwanda de médicaments contre le sida, à un prix 4 fois inférieur à celui pratiqué normalement sur le marché international. Avec, en prime, la livraison gratuite d’un lot de médicaments préventifs contre la transmission par la mère du virus du sida à son nouveau-né. Qui dit mieux !

Un beau succès et un espoir dans la lutte contre le sida. Mais cela ne suffit pas, hélas, à faire oublier au ministre rwandais que la prévention contre le paludisme, dans son pays, revêt un caractère aussi prioritaire, sinon plus, que celle contre le sida. Malheureusement, dans ce domaine, les concours extérieurs n’en sont pas encore à se bousculer au portillon. Et pourtant, une mesure élémentaire de prévention, comme le don d’une moustiquaire dans chaque foyer - le seul moyen efficace contre les piqûres de moustiques, agents de propagation de la malaria - représente une charge financière équivalente au tiers du budget annuel du ministère de la Santé à Kigali ! Une telle charge est-elle oui ou non inaccessible au regard de la solidarité internationale ? L’avenir nous le dira.

(G.S. T.L.)