« Ils l’ont fait échouer »

They made him fail
Al Ahram (Egypte)

[AUTEUR] George Giacaman est professeur à l’Uiversité de Birzeit et co-fondateur de l’Institut palestinien pour l’étude de la Démocratie (Muwatin.) Il est co-rédacteur de After Oslo : New Realities Old Problems (Londres, 1998).

[RESUME] Quand Mahmoud Abbas a annoncé sa démission, on accusa Yasser Arafat d’en être responsable. Même s’il y a un peu de vérité dans le fait qu’Arafat se sentait concurrencé par le numéro deux de l’OLP et de l’Autorité Palestinienne, le gouvernement israélien et l’administration américaine ont leur part de responsabilité.
Mahmoud Abbas avait appliqué la phase 1 de la feuille de route (cessez-le feu des deux côtés, arrêt des confiscations de terre, réouverture de l’accès aux villes de la Cisjordanie et de Gaza.) Il aurait dû en sortir renforcé au détriment d’Arafat, ce qui était le but affiché des gouvernements israélien et américain. Mais depuis que le Quartet est exclu du processus, seuls Israël et les États-Unis peuvent interpréter ces progrès.
Mi-août, le cessez-le-feu est considéré comme cassé suite à l’explosion d’un bus à Jérusalem, alors que cela faisait six semaines que l’armée israélienne continuait ses raids, ses arrestations et ses assassinats. Cet échec a fait dire aux Israéliens et aux Américains que Mahmoud Abbas ne pouvait, ni ne voulait, combattre le Hamas. Il avait un soutien des Palestiniens pour le cessez-le-feu, mais s’il était respecté des deux côtés. En fait, c’est l’intransigeance israélienne et la complaisance américaine qui l’ont fait échouer.

« Le temps d’agir »

A time to act
Ha’aretz (Israël)

[AUTEUR] Ze’ev Sternhell est historien, spécialisé dans l’étude des mouvements fascistes et de leurs racines historiques ainsi que sur les racines du sionisme. Il est professeur de Sciences politiques à l’université hébraïque de Jérusalem.

[RESUME] Ce qui se passe actuellement en Israël est exactement ce qu’Ariel Sharon, le chef d’état major, le gouvernement et les dirigeants des colons pensent être juste et souhaitable. Les personnes en charge de l’avenir du pays savent très bien qu’ils n’éliminent pas le
terrorisme en agissant comme ils le font, mais qu’ils le renforcent ; ils pensent que c’est le prix à payer pour saper la capacité des Palestiniens à maintenir une existence nationale.
Ils pensent que briser la résistance de la population et ghettoiser les territoires et est essentiel pour Israël. Ils ne sont pas naïfs ou stupides et ils ne pensent pas que la liquidation du Hamas entraînera une solution pacifique, mais ce n’est pas ce qu’ils cherchent de toute façon. Ce qu’ils veulent, c’est la soumission des Palestiniens au pouvoir israélien.
Ils n’arrêteront pas cette politique tant qu’il n’y aura pas de réaction populaire semblable à ce qui s’est passé après la guerre du Kippour et la guerre du Liban. La chute de Sharon doit provenir d’une mobilisation de la société civile et de tous ceux qui croient en la justice et aux Droits de l’homme. L’opposition parlementaire doit déposer une motion de censure qui doit être soutenue par des manifestations qu’elle mènera. Il est inconcevable que cette mobilisation populaire n’ait pas lieu.

« Les États-Unis doivent choisir : Arafat doit partir »

U.S. Must Weigh In : Arafat Has Got to
Go

Los Angeles Times (États-Unis)

[AUTEUR] Robert Satloff est directeur du planning stratégique et politique Washington Institute for Near East Policy.

[RESUME] En juin 2002, George W. Bush posait la transformation de l’Autorité palestinienne comme condition à un soutien états-unien à la constitution d’un État palestinien. Ce faisant, il considérait qu’aucun processus de paix n’était possible tant qu’Arafat restait au pouvoir. Malheureusement, au lieu de s’attaquer de front au problème, l’administration préféra court-circuiter Arafat en promouvant Mahmoud Abbas. Toutefois, Arafat conservait le pouvoir derrière le trône et il a été capable d’organiser un putsch contre son Premier ministre quand il l’a voulu.
La diplomatie et les manœuvres fonctionnent sans doute au Sénat, mais ne s’appliquent pas dans la politique du Proche-Orient. Les États-Unis doivent donc agir comme ils l’ont fait avec Charles Taylor, Ferdinand Marcos ou Raul Cedras et lui demander de partir. Il serait légitime qu’Israël expulse Arafat, mais il vaudrait mieux que les États-Unis s’assurent de son départ par des voies diplomatiques.
Il faut que Washington constitue un front uni avec ses alliés européens et arabes, puis envoit une équipe bipartisane composée de personnalités bien vues dans le monde arabe pour rencontrer Arafat et le convaincre de démissionner et de s’exiler en échange d’un soutien états-unien à l’Autorité palestinienne. Il faudra alors organiser la transition au sein de cette Autorité.
Le départ d’Arafat provoquera de l’instabilité à court terme, mais à long terme cela amènera la paix. La voix d’un Arafat lointain aura de moins en moins d’impact avec le temps. Si Washington soutient un nouveau Premier ministre inféodé à Arafat, le futur sera sanglant et nous n’aboutirons à rien.

« Des doutes sur un allié »

Doubts About an Alley
Washington Post (États-Unis)

[AUTEUR] Bernard-Henri Lévy, philosophe, est l’auteur de Qui a tué Daniel Pearl.

[RESUME] Il y a eu, récemment, des rapports dans la presse américaine concernant la probabilité que le gouvernement pakistanais échange avec l’Iran des données nucléaires et technologiques secrètes. Je suis moi-même un observateur du Pakistan depuis trente ans. Est-ce connu à l’Ouest que le président Musharraf en personne a dû annuler plusieurs voyages à Karachi, la capitale économique de son propre pays, pour des raisons de sécurité ?
En fait, les services secrets pakistanais, l’ISI, ont un énorme pouvoir et ceux-ci sont profondément infiltrés par des militants fondamentalistes. C’est pourquoi ce pays est le sujet de beaucoup d’autres questions urgentes comme l’accueil et les soins à Ben Laden ou l’assassinat de Daniel Pearl.
Abdul Qader Khan, appelé « le père de la bombe islamiste », est adulé dans son pays ; ce fanatique islamiste était au gouvernement, et en contact avec la Corée du Nord et les hommes de Ben Laden. Daniel Pearl, selon moi, a été assassiné pour éviter qu’il ne révèle ce trafic.
Sans remettre en cause l’impératif moral de la guerre au terrorisme, est-il nécessaire de continuer à financer massivement ce régime sans contrepartie ? D’autant plus que le Pakistan libéral et démocratique ne comprend pas pourquoi nous ne sommes pas de leur côté.

« Oui à l’esprit de Cancun »

Oui à l’esprit de Cancun
Le Monde (France)

[AUTEUR] Dominique Strauss-Kahn, ancien ministre de l’Économie et des Finances, est député (P.S.) du Val d’Oise.

[RESUME] Faut-il brûler l’OMC ? Certains le pensent. Je copréside les travaux du Trade and Poverty Forum ; nous publions un premier rapport, « Les enjeux de Cancun ». Le cycle est passé d’une libéralisation à marche forcée, avec l’Accord général sur les services (AGCS), à un Agenda pour le développement. Entre Seattle et Doha, les pays en développement ont pris le pouvoir à l’OMC et l’Occident a pris conscience qu’il fallait s’attaquer aux racines du terrorisme : la pauvreté. Des avancées importantes pour le Sud sont en jeu à Cancun :
 L’application des règles de l’OMC au profit des pays en développement (comme le plafond de soutiens internes de 5 % ou des initiatives sectorielles à l’image de « l’initiative coton »)
 La suspension des règles de l’OMC qui nuisent au développement du Sud. C’est la logique du « traitement spécial et différencié », où le droit commercial international rééquilibre l’asymétrie du commerce mondial.
 La réorientation de la négociation : jusqu’ici, seuls les sujets offensifs des pays riches étaient traités à l’OMC.
Le libre-échange est aujourd’hui analysé à l’aune de son impact réel et cette évolution doit beaucoup à l’Union européenne et particulièrement à Pascal Lamy.
Mais il reste beaucoup à faire, certains compromis ne sont pas encore à la hauteur des enjeux. Parallèlement, l’OMC doit être réformée afin que tous puissent y participer pleinement et que le tribunal sorte d’une conception idéologique de la libéralisation. Enfin, des liens doivent être créés avec les autres organisations internationales. Car le développement ne peut être limité au commerce. Je propose quatre pistes :
 Rétablissement de l’aide publique au développement
 Vaste initiative pour assurer une santé de base universelle
 Problème de l’eau
 Initiative régionale de développement entre le Nord et le Sud.
Ce n’est peut-être qu’un pas, mais il prend la bonne direction.

« Un marché agricole plus juste à Cancun »

Un mercado agr ?cola más justo en Cancún
El Periódico (Espagne)

[AUTEUR] Jacques Diouf est le directeur général de la FAO.

[RESUME] La 5ème conférence de l’OMC devrait mettre fin à une longue période de dures négociations sur les bases du commerce mondial, et particulièrement sur la libéralisation du commerce agricole.
Si les deux grandes puissances appliquent leurs déclarations de réduire leurs subventions, les grands espoirs naissants seront fondés, d’autant plus quand on sait l’importance de l’agriculture dans les économies en développement et les difficultés qu’ils subissent en ce qui concerne leur accès au marché mondial. Les pays pauvres exportent à bas prix alors qu’ils ne peuvent acheter ce qui est nécessaire à leur développement et qui est vendu au prix fort.
Les normes de l’OMC doivent reconnaître que les pays les plus pauvres ont besoin d’un traitement spécial. Et les agriculteurs des pays riches comme des pays pauvres bénéficieraient des retombées d’un partage équitable des richesses.
Ce que les groupes anti-globalisation dénoncent, à savoir l’emprise des multinationales sur le commerce mondial, est injuste pour les paysans des pays riches comme des pays pauvres. Il existe, dans les pays en développement, un énorme potentiel agricole qui pourrait réduire la pauvreté et la faim dans le monde. Pour cela, les pays du Nord doivent accepter d’appuyer leur production sur des normes de compétition équitables.

« L’Europe avant l’Europe »

L’Europe avant l’Europe
Le Figaro (France)

[AUTEUR] Le Cardinal Lustiger est archevêque de Paris.

[RESUME] En 1849, Victor Hugo appelait à la création des « États-Unis d’Europe », idée qui habite notre continent depuis plus de deux siècles. L’Europe préexiste aux constructions nationales qui l’ont façonnées. Notre histoire commune a unifié nos peuples, dont le baptême a fait naître une nouvelle fraternité.
Après la victoire des alliés, le Conseil de l’Europe était créé. Mais cette construction était purement économique, même si elle était hautement symbolique par rapport à la paix. Jean Monnet, Robert Schuman comme Alcide de Gaspari, et bientôt Konrad Adenauer étaient des chrétiens convaincus et avaient en mémoire les paroles du prophète Isaïe : « Le Seigneur sera juge entre les nations, l’arbitre de peuples nombreux. Un enfant nous est donné, on l’appellera " Prince de la Paix ". » Le charbon et l’acier étaient le symbole des efforts de guerre, mais ce geste fondateur ne pouvait devenir immuable qu’au prix de la réconciliation des peuples. La foi chrétienne est un fondement commun de nos valeurs. J’en tire deux conséquences :
 Pour réunir l’Est et l’Ouest, l’œcuménisme a un rôle majeur pour l’avenir de l’Union. Les plus solennels traités peuvent être tenus pour des chiffons de papier ; les gestes silencieux du Pape engagent la conscience profonde des croyants.
 Le cas de la Turquie met en jeu les relations des vieilles nations européennes chrétiennes avec les sociétés musulmanes. Il faut tirer au clair ce qui les a séparées et ce qui les unit. On ne doit pas occulter ce qui a présidé à la fondation et la croissance de notre famille. L’union de destins ne peut passer que par la reconnaissance des identités.