Die Welt : Madame la ministre, quelle importance accordez-vous à la création de l’Eurocorps pour les relations franco-allemandes et l’Union européenne ?

Mme Alliot-Marie : Cette année, un détachement du Corps Européen a défilé en tête de nos troupes à l’occasion de notre fête nationale, le 14 juillet ; cette place d’invité d’honneur montre tout l’intérêt que nous lui accordons. La brigade franco-allemande a servi de fondement à la construction de l’Eurocorps dont la France assure le commandement depuis le début du mois de septembre, à la suite de l’Allemagne. En célébrant le dixième anniversaire du Corps Européen, tous nos vœux vont à une institution importante de la défense européenne.

Dix ans après, l’Europe dispose d’une force d’intervention rapide. Comment jugez-vous vos capacités opérationnelles ?

L’opération Artémis, menée par l’Union européenne dans la République démocratique du Congo, était la première hors du continent et placée sous mandat des Nations unies. Symboliquement, il s’agissait d’un signal fort et militairement, d’un cas exemplaire. Dans un très court laps de temps, nous avons fait naître une décision des Nations unies et choisi une nation-cadre (La France, N.d.l.R.). Un état-major multinational opérationnel et un état-major de commandement de force ont été mis en place. Le succès de l’opération Artémis a montré que l’Union disposait d’une réelle capacité de réaction, et qu’elle est désormais en mesure d’intervenir non seulement pour contribuer à la sécurité de notre continent, comme par exemple en Macédoine, ou en complémentarité de l’Alliance Atlantique, mais aussi partout où les intérêts des Européens sont en jeu

Le ministre allemand de la Défense, Peter Struck, est favorable à la constitution d’un consortium européen pour la construction navale, à la manière du groupe EADS. Quelle est votre position à ce sujet ?

Je crois tout d’abord que l’Europe de la défense ne peut être efficace que si elle peut s’appuyer sur une forte industrie d’armement européenne. Nous avons compris, en Europe, qu’il est important d’atteindre une certaine taille pour faire face à la concurrence internationale. Il est donc évident que nous devons parvenir à des accords et alliances entre les industries des pays européens. EADS est un bon exemple, que la construction navale et l’industrie pour les forces terrestres devraient suivre.

La création d’une défense européenne a, pour certains critiques, un arrière-goût d’anti-américanisme. Comprenez-vous ces arguments ?

Non, ils ne sont pas justifiés. L’Europe de la Défense a vocation à travailler en partenariat avec les Etats-Unis Ce que nous souhaitons réaliser est une complémentarité, non une concurrence.

Quelle armée européenne souhaitez-vous, ou souhaitez-vous voir, dans, disons, une dizaine d’années ? Quel rôle jouera l’OTAN ?

A l’heure actuelle, nous n’avons pas l’ambition d’avoir une armée européenne. Actuellement, l’important est que l’Europe de la défense fasse des progrès concrets. C’est ce que nous faisons. Car l’Europe de la défense existe, même si elle doit encore être renforcée. Nous le montrons en remplaçant les troupes de l’OTAN en Macédoine et en intervenant en République démocratique du Congo. Cela ne change rien au fait que l’OTAN reste notre cadre de référence pour la définition des conditions de possibles engagements entre alliés. Je ne vois pas de contradiction avec le développement d’Europe de la défense.

Les relations franco-américaines ont traversé une crise unique à ce jour à cause de la guerre en Irak. Quelles leçons en tirez-vous ?

Des crises sérieuses ont déjà existé par le passé. Il existe des tensions entre tous les partenaires qui sont étroitement liés entre eux. La crise dont vous parlez ne remet pas en cause ni notre histoire commune, ni le fait que nous soyons amis et alliés. Il existe cependant des analyses différentes de cette crise. En ce qui concerne l’Irak, nous sommes d’accord avec tous les Européens sur le fait que les armes de destruction massive devaient être détruites, pour peu que l’Irak en ait effectivement disposé. Nos différences d’opinion reposent sur l’art, la manière et le délai pour atteindre ce but. La France, l’Allemagne et de nombreux pays étaient d’avis que l’on aurait dû laisser aux inspecteurs en désarmement des Nations unies le temps de mener à terme leur travail. Les Etats-Unis n’étaient pas de cet avis et sont intervenus militairement en Irak sans mandat des Nations unies. Ce qui est fait est fait. La question, aujourd’hui, est de reconstruire l’Irak et de savoir comment le droit international, condition préalable à des relations stables, peut retrouver, avec l’aide des Nations unies, sa pleine application. Les Etats-Unis doivent reconnaître que le monde est basé sur plusieurs centres de pouvoir, qui tous méritent le respect.

Le sous-secrétaire d’Etat américain, Richard Armitage, n’a pas exclu l’envoi en Irak d’une force internationale sous la direction des Nations unies. Dans quelles conditions la France serait-elle prête à y participer ?

La première condition serait que les Américains se mettent d’accord entre eux. Ce n’est pas le cas. Car Donald Rumsfeld défend une position opposée. Une participation de la France, peu importe où et comment, est exclue, dans tous les cas, sans une résolution des Nations unies.

Cet entretien a été réalisé en allemand. Traduction officielle du ministère français de la Défense.