La Cour internationale de Justice (CIJ), organe judiciaire principal de l’Organisation des Nations Unies, a rendu aujourd’hui son arrêt en l’affaire des Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique).

Dans son arrêt, qui est définitif, sans recours et obligatoire pour les Parties, la Cour dit d’abord, par quatorze voix contre deux, que « les actions menées par les Etats-Unis d’Amérique contre les plates-formes pétrolières iraniennes le 19 octobre 1987 et le 18 avril 1988 ne sauraient être justifiées en tant que mesures nécessaires à la protection des intérêts vitaux des Etats-Unis d’Amérique sur le plan de la sécurité en vertu de l’alinéa d) du paragraphe 1 de l’article XX du traité d’amitié, de commerce et de droits consulaires de 1955 entre les Etats-Unis d’Amérique et l’Iran, tel qu’interprété à la lumière du droit international relatif à l’emploi de la force », mais « qu’elle ne saurait cependant accueillir la conclusion de la République islamique d’Iran selon laquelle ces actions constituent une violation par les Etats-Unis d’Amérique des obligations que leur impose le paragraphe 1 de l’article X dudit traité, relatives à la liberté de commerce entre les territoires des parties, et qu’en conséquence elle ne saurait davantage accueillir la demande en réparation présentée par la République islamique d’Iran ».

La Cour dit ensuite, par quinze voix contre une, que « la demande reconventionnelle des Etats-Unis d’Amérique concernant la violation par la République islamique d’Iran des obligations que lui impose le paragraphe 1 de l’article X du traité de 1955 susvisé, relatives à la liberté de commerce et de navigation entre les territoires des parties, ne saurait être accueillie ; et qu’en conséquence elle ne saurait davantage accueillir la demande reconventionnelle en réparation présentée par les Etats-Unis d’Amérique ».

Raisonnement de la Cour

Dans son arrêt, la Cour, après avoir rappelé la procédure en l’espèce, observe qu’elle a pour tâche de déterminer s’il y a eu ou non violation du traité d’amitié, de commerce et de droits consulaires signé en 1955 entre les Etats-Unis et l’Iran, et d’en tirer les conséquences appropriées au vu des conclusions des Parties.

L’Iran allègue que les Etats-Unis ont violé la liberté de commerce entre les territoires des Parties, telle que garantie par le traité, en attaquant et détruisant trois installations de production pétrolière offshore, propriété de la compagnie nationale iranienne des pétroles et exploitées par elle à des fins commerciales, les 19 octobre 1987 et 18 avril 1988. Il demande réparation du préjudice ainsi causé. Quant aux Etats-Unis, ils affirment, dans une demande reconventionnelle, que c’est l’Iran qui a violé le traité de 1955 en attaquant des navires dans le Golfe et en menant d’autres actions militaires dangereuses et nuisibles pour le commerce et la navigation entre les Etats-Unis et l’Iran. Ils demandent également réparation du préjudice subi.

La Cour commence par examiner si les actions menées par les forces navales américaines contre les installations pétrolières iraniennes étaient justifiées, au regard du traité de 1955, en tant que mesures nécessaires à la protection des intérêts vitaux des Etats-Unis sur le plan de la sécurité (alinéa d) du paragraphe 1 de l’article XX du traité). La Cour indique qu’il échet d’interprétercette clause du traité à la lumière des règles pertinentes du droit international. Elle en infère que les Etats-Unis ne pouvaient recourir à l’emploi de la force au titre de ladite clause que dans l’exercice de leur droit de légitime défense. La Cour ajoute que les Etats-Unis ne pouvaient exercer ce droit que s’ils avaient été victimes d’une agression armée de l’Iran et elle précise que, dans ce cas, leurs actions devaient être nécessaires et proportionnées à l’agression armée subie. Ayant procédé à un examen minutieux des éléments de preuve fournis par les Parties, la Cour estime que les Etats-Unis n’ont pas réussi à démontrer que ces différentes conditions étaient satisfaites en l’espèce et elle en conclut que ceux-ci ne pouvaient dès lors pas se prévaloir des dispositions de l’alinéa d) du paragraphe 1 de l’article XX du traité de 1955.

La Cour s’interroge ensuite sur la question de savoir si les Etats-Unis, en détruisant les plates-formes, ont entravé le fonctionnement normal de celles-ci, empêchant ainsi l’Iran de jouir de la liberté de commerce « entre les territoires des deux Hautes Parties contractantes » telle que garantie par le traité de 1955 (article X, paragraphe 1). Elle conclut qu’en ce qui concerne l’attaque du 19 octobre 1987, les plates-formes de Reshadat et de Resalat étaient en réparation et hors d’usage, et qu’il n’y avait donc à ce moment-là aucun commerce de pétrole brut, issu de ces plates-formes, entre l’Iran et les Etats-Unis. Selon la Cour, l’attaque desdites plates-formes ne peut donc être considérée comme ayant porté atteinte à la liberté de commerce entre les territoires des deux Etats. La Cour parvient à la même conclusion s’agissant des attaques menées contre les plates-formes de Salman et Nasr le 18 avril 1988, car tout commerce de pétrole brut entre l’Iran et les Etats-Unis était alors suspendu du fait d’un embargo imposé par un Executive Order adopté le 29 octobre 1987 par les autorités américaines. Compte tenu de ce qui précède, la Cour dit que les Etats-Unis n’ont pas violé les obligations qui étaient les leurs à l’égard de l’Iran au titre de l’article X, paragraphe 1, du traité de 1955 et rejette la demande en réparation de l’Iran.

Concernant la demande reconventionnelle des Etats-Unis, la Cour, après avoir rejeté les exceptions d’incompétence et d’irrecevabilité soulevées par l’Iran, examine si les incidents que les Etats-Unis attribuent à l’Iran ont porté atteinte à la liberté de commerce ou de navigation entre les territoires des Parties garantie par l’article X, paragraphe 1 du traité de 1955. Elle dit qu’aucun des navires dont les Etats-Unis allèguent qu’ils auraient été endommagés par des attaques iraniennes ne se livrait au commerce ou à la navigation entre les territoires des deux Etats. Elle ne retient pas davantage l’argument plus général des Etats-Unis selon lequel les actions de l’Iran auraient rendu le golfe Persique périlleux, estimant qu’il ressort des éléments qui lui ont été soumis qu’il n’y a pas eu, à l’époque, une entrave effective au commerce et à la navigation entre les territoires de l’Iran et des Etats-Unis. La Cour rejette en conséquence la demande reconventionnelle en réparation des Etats-Unis.


Composition de la Cour

La Cour était composée comme suit : M. Shi, président ; M. Ranjeva, vice-président ; MM. Guillaume, Koroma, Vereshchetin, Mme Higgins, MM. Parra-Aranguren, Kooijmans, Rezek, Al-Khasawneh, Buergenthal, Elaraby, Owada, Simma, Tomka, juges ; M. Rigaux, juge ad hoc ; M. Couvreur, greffier.

M. le juge Ranjeva, vice-président, et M. le juge Koroma joignent des déclarations à l’arrêt ; Mme le juge Higgins et MM. les juges Parra-Aranguren et Kooijmans joignent à l’arrêt les exposés de leur opinion individuelle ; M. le juge Al-Khasawneh joint à l’arrêt l’exposé de son opinion dissidente ; M. le juge Buergenthal joint à l’arrêt l’exposé de son opinion individuelle ; M. le juge Elaraby joint à l’arrêt l’exposé de son opinion dissidente ; MM. les juges Owada et Simma et M. le juge ad hoc Rigaux joignent à l’arrêt les exposés de leur opinion individuelle.

Source : Cour internationale de Justice
Référence 2003/38
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