On ne peut pas aller vers un autre monde sans aller vers une autre ONU. Comme le rappelle Alain Dejammet dans son livre Supplément au voyage en Onusie, la réforme de cette institution n’est pas illusoire. L’ONU est née de la fin de la Seconde Guerre mondiale et la nouvelle organisation pourrait naître des suites de l’agression illégale de l’année 2003. Cependant, toute réforme qui toucherait à la charte de l’ONU n’est qu’utopie car pour la modifier il faudrait l’unanimité des membres du Conseil de sécurité et un vote favorable des deux tiers de l’Assemblée.
On peut en revanche prendre des mesures concrètes qui ne sont pas liées à des textes de la Charte. On pourrait interdire la réélection du secrétaire général de l’ONU et faire passer son mandat de cinq à sept ans pour accroître son indépendance. On ne peut pas accroître le nombre de membres permanents du Conseil de sécurité sans créer des tensions entre pays candidats et accroître les obstructions, mais on pourrait augmenter le nombre de pays siégeant au Conseil et donner à certains un statut « semi permanent ». Il faut rééquilibrer les contributions budgétaires car les États-Unis, avec leur participation s’élevant à 22 % du budget de l’ONU, ont un trop gros moyen de pression.
Il faut surtout délocaliser le siège de l’ONU pour faire échapper l’organisation à l’influence des think-tank, de la presse locale, des pressions en tout genre et aux écoutes diverses qui obligent le secrétaire général à aller discuter avec ses hôtes dans les jardins à l’heure où la pelouse est tondue. L’ONU ne doit plus siéger au cœur de l’Empire. L’idée la plus folle et la plus raisonnable peut-être, serait d’installer le siège à Jérusalem, lieu triplement sain et cœur du nœud gordien international, mais on peut également penser à des villes comme Ottawa ou Rio de Janeiro. On pourrait aussi instaurer une mobilité des différentes instances internationales.
Quoi qu’il en soit, il faut transformer l’ONU pour qu’elle soit le gendarme du gendarme du monde.

Source
Le Monde (France)

« Vive l’ONU libre ! », par Régis Debray, Le Monde, 1er décembre 2003.