Monsieur le Président,

Mesdames,
Messieurs,

Je voudrais, avant tout, remercier cordialement le Conseil argentin pour les relations internationales et, en particulier, Don Carlos Manuel Muniz, pour la possibilité d’être aujourd’hui avec vous et d’échanger de vues sur les problèmes qui nous préoccupent tous. Nous connaissons l’ambassadeur Muniz comme le vrai patriarche de la diplomatie argentine et latino-américaine, et je ne peux m’empêcher de m’extasier devant sa longue activité en tant de fondateur et président constant de ce centre compétent des recherches internationales.

Je suis aussi surtout heureux d’intervenir ici, parce que nos pays - la Fédération de Russie et la République d’Argentine - sont partenaires de longue date dans le cadre de l’ONU et des autres organes multipartites. Nous coopérons étroitement dans l’arène internationale sur une vaste gamme de problèmes : depuis le désarmement et la non-prolifération des armes d’extermination massive et des moyens de leur acheminement jusqu’au droit maritime et spatial et les problèmes de l’Antarctique. Et nous ne faisons pas que coopérer, mais dans beaucoup de cas sommes compagnons d’idées.

Cependant, le développement des relations internationales a atteint actuellement l’étape où, au fond, on ne peut déjà plus examiner aucun problème pris isolément, sans le large contexte global. Nous faisons face à la situation - et la crise irakienne le montre clairement, - où il devient toujours plus difficile de construire une stratégie consécutive du règlement de tel ou tel problème sans répondre à la question : où va le développement des relations internationales ? Sur quels principes va se construire la sécurité globale au XXIe siècle ? Dans quel système international allons-nous vivre dans dix, quinze, vingt ans ?

C’est sur ces problèmes fondamentaux, selon moi, que je voudrais aujourd’hui vous faire part de mes considérations. D’autant plus que ces problèmes n’ont plus aujourd’hui un caractère théorique abstrait, mais touchent directement les intérêts de tous les états, au fond, de chacun d’entre nous.

Il est universellement reconnu que le processus de la mondialisation a brusquement renforcé l’interdépendance du monde contemporain. On le voit bien à l’exemple des pays géographiquement éloignés comme la Russie et l’Argentine. Aujourd’hui, nous avons à résoudre les problèmes au fond similaires, répondre aux mêmes défis. Devant nos pays sont posées les tâches communes de renforcer la démocratie, de perfectionner la gestion étatique, de donner une visée plus sociale à l’économie de marché. Nous sommes dans la même mesure intéressés à la création des conditions extérieures favorables pour un développement économique stable de nos pays, avant tout, sur le plan de la garantie de la sécurité et de la stabilité internationales.

Bref, jamais encore dans son histoire, l’humanité n’a été unie par les intérêts et valeurs communs. Finalement, c’est grâce à la compréhension de cette communauté que l’on a su mettre fin à la "guerre froide" et résoudre la tâche historique - éliminer la menace du conflit nucléaire mondial et réduire au minimum le danger de l’apparition des guerres conventionnelles entre les états. Le monde a cessé d’être l’arène de l’opposition de deux superpuissances. Je pense que les pays de l’Amérique Latine ont pleinement senti eux-mêmes l’influence bénéfique de ces changements.

Néanmoins, la mondialisation n’est pas devenue le principe stabilisant ou régulateur dans les relations internationales. Au contraire, elle a elle-même besoin de régulation. A présent, deviennent toujours plus visibles les conséquences négatives de la mondialisation, avant tout, pour les pays les moins développés.

Les défis et menaces comme le terrorisme international, le trafic de drogue et le crime organisé ont acquis une échelle globale. Le monde est submergé par les forces destructrices de l’extrémisme, du séparatisme, de la xénophobie et de l’intolérance, qui ont généré le nombre de conflits régionaux sans précédent, difficilement réglables.

L’interdépendance croissante des états et des régions a augmenté leur vulnérabilité vis-à-vis des crises écologiques, les épidémies des maladies graves, les oscillations de la conjoncture économique et financière. L’exemple le plus probant en sont les crises financières gravissimes, qui se sont abattues sur le monde dans les années 90 et ont asséné un coup dur à l’économie de beaucoup de pays, y compris la Russie et l’Argentine.

Il faut reconnaître que nous n’avons pas encore su créer les mécanismes de l’opposition à ces défis, qui seraient adéquats aux nouvelles notions de la sécurité, apparues à l’époque de la mondialisation. La communauté internationale s’est enlisée dans un long état transitoire, qui lui menace de la perte du contrôle des processus internationaux et de l’augmentation ultérieure des éléments du chaos et de l’incertitude.

Les événements tragiques du 11 septembre 2001 aux USA semblaient avoir ébranlé cette tendance. Pour la première fois depuis la Seconde guerre mondiale, l’humanité a serré ses rangs face à l’ennemi commun - le terrorisme international. Grâce à cette cohésion, on a réussi à porter un grave coup à l’infrastructure terroriste en Afghanistan. Différentes structures internationales, à commencer par l’ONU et sans oublier les organisations régionales, ont commencé à s’adapter progressivement aux exigences de la lutte contre les menaces et défis modernes. Néanmoins, deux ans n’ont pas encore passé que la guerre en Irak a provoqué une grave scission au sein de la communauté internationale, a affaibli la coalition antiterroriste, en la privant d’objectifs et de principes de la lutte clairs.

Tout cela permet de dire que les relations internationales modernes vivent une profonde crise système. On voit toujours plus clairement la principale contradiction de l’époque de la mondialisation : le monde devient toujours plus interdépendant et toujours moins gérable.

Je dirai franchement : je ne vois pas d’issue à cette contradiction sur les voies qu’avait suivi jusqu’à présent le développement des relations internationales. L’augmentation sans précédent des conflits et des problèmes non réglés au monde rien qu’en ces une ou deux années dernières, témoigne que les méthodes traditionnelles de la réaction aux crises se sont en fait taries. Une conclusion s’impose : il faut commencer sans tarder la formation du système international qui puisse garantir les intérêts de la sécurité de tous les états, assurer la stabilité globale, contribuer à la neutralisation des défis et menaces actuels et ne pas en laisser apparaître de nouveaux.

Peut-être que d’aucuns diront que le problème ainsi posé est trop ambitieux. Mais nous n’avons pas tout simplement d’autre issue. Comme le disait le général José de San-Martin, "il faut penser grand, sinon, nous causerons notre propre échec". (Hay que pensar en grande, si no lo hacemos, nosotros tendremos la culpa).

Il est rassurant de voir que se forme progressivement dans le monde un consensus à l’égard des principes de base, sur lesquels doit, avant tout, s’appuyer le nouvel ordre mondial.

Premièrement, ce sont les principes du multilatéral. Il s’agit de reconnaître l’évidence qu’aucun état, aussi puissant qu’il soit, n’est pas capable de régler les problèmes mondiaux seul à seul. C’est pourquoi l’appel au multipartite n’a rien à voir avec l’antiaméricanisme, comme l’essaient parfois de présenter certains politiques. Au contraire, nous sommes profondément persuadés que l’appui pris sur la coopération multilatérale, le renforcement de la cohésion de la communauté internationale répondent le mieux aux intérêts des Etats-Unis. En faveur de cela témoigne toute l’expérience de la coopération des états-membres du Conseil de Sécurité de l’ONU et du G8 pour l’Afghanistan, l’Irak, la non-prolifération et autres problèmes internationaux.

Le temps serait venu de prendre conscience que dans le monde moderne, les intérêts nationaux des états, avant tout dans le domaine de la sécurité, ne peuvent être pleinement réalisés qu’en coopération avec la communauté internationale et compte tenu de ses intérêts, sans nuire ni sacrifier en rien ceux des autres états.

D’où découle un autre principe - le besoin du renforcement ultérieur des institutions multipartites et, avant tout, du rôle central coordonnateur de l’ONU et de son Conseil de Sécurité. C’est l’ONU qui est appelée à réaliser les fonctions régulatrices dans les relations internationales, servir de centre principal de l’élaboration de la stratégie du développement international.

Certes, personne ne doute que l’activité de l’ONU doive être plus efficace. Mais, premièrement, cela dépend des états-membres, c’est-à-dire de nous-mêmes. Deuxièmement, il est d’une importance de principe que les problèmes aussi compliqués comme la réforme de l’ONU et, en particulier, de son Conseil de Sécurité, soient résolus sur la base de la compréhension universelle des objectifs et tâches que nous posons devant cette organisation pour une perspective à long terme, contribuent au renforcement de son prestige et du rôle central de l’ONU dans les affaires mondiales. C’est pourquoi nous saluons l’initiative de Kofi Annan, Secrétaire Général de l’ONU, de créer le "groupe des sages", qui comprendrait, en particulier, les représentants de la Russie et des pays de l’Amérique Latine.

Et, enfin, le troisième principe importantissime, sur lequel le monde est aussi largement d’accord, consiste en une application inconditionnée du droit international. Bien sûr, le droit international n’est pas quelque chose d’invariable et de figé ; il devra évoluer compte tenu des changements qui se passent dans le monde. Cependant, il est d’une importance de principe que son développement se passe dans l’esprit de la continuité, sur la base des approches concertées et ne mène pas à l’ébranlement, mais au renforcement de la légalité internationale. Il faut respecter les normes en vigueur du droit international et en élaborer des nouvelles en commun. Ce n’est qu’ainsi que l’on saura éviter le chaos de droit qui poussera autrement les états sur la voie de la garantie de leur sécurité par la croissance de la force militaire, ou, qui pis est, par l’acquisition d’armes d’extermination massive.

Donc, le multipartite, le rôle central de l’ONU réformée et la légitimité internationale - tels sont les trois principaux phares qui doivent éclairer la voie vers un ordre mondial nouveau, plus sûr, juste et démocratique.

La Russie et l’Argentine, la Russie et les pays de l’Amérique Latine sont dans cette cause les alliés naturels. Nous sommes réunis par la visée constructive commune de la politique étrangère de nos pays, par l’intérêt objectif à un ordre mondial démocratique, nécessaire pour le maintien de notre originalité, par une profonde aspiration au droit international.

Les pourparlers d’aujourd’hui avec Monsieur Bielsa, Ministre des affaires étrangères et du culte de l’Argentine, tout comme les entretiens que nous avons eus à Santiago et à Montevideo, ont renforcé ma conviction que dans un monde global, la Russie et les pays de l’Amérique Latine ont plus que jamais besoin l’un de l’autre. La coïncidence de nos approches aux problèmes internationaux clé, le caractère complémentaire de l’économie de nos pays et les liaisons culturelles traditionnelles font une base objective du développement de la coopération russo-latinoaméricaine pour une perspective à long terme.

Me trouvant à Montevideo au sommet de MERCOSUR, j’ai vu de réelles manifestations de la politique du "régionalisme ouvert", senti la bonne volonté des états-participants de ce forum à l’extension des liens avec les partenaires non régionaux. La Russie salue cette ouverture et est prête, pour sa part, à développer un partenariat avantageux dans le cadre du MERCOSUR et des autres groupements d’intégration des pays de l’Amérique Latine.

Je pense que l’état actuel des relations russo-argentines est surtout probant du point de vue des conditions favorables qui mûrissent actuellement pour donner une qualité nouvelle à la coopération de la Russie avec les états de la région.

Nos pays ont surmonté avec succès de graves crises économiques. Aujourd’hui, l’économie russe monte. Les résultats des récentes élections à la chambre basse du parlement - la Douma d’Etat - disent que notre pays, tant sur le plan intérieur qu’international, est capable de mener un cap politique et économique stable, continu et durable. L’économie argentine fait aussi preuve de dynamique positive. Tout cela crée une bonne base pour faire un pas résolu en avant dans le développement de notre coopération. Le premier forum du Conseil d’entreprise Argentine-Russie, qui se passe en ces jours-ci à Buenos Aires, constitue sur ce plan un événement assez prometteur.

Ceci dit, nous sommes loin de partir à zéro. Nos pays possèdent une expérience historique de coopération de plus d’un siècle. Il suffit de se rappeler que dans les années 80, le volume de nos échanges commerciaux avec l’Argentine atteignait 3 milliards de dollars par an. Jusqu’à présent, 25% de l’énergie électrique en Argentine sont produits avec l’utilisation du matériel russe.

Maintenant, il me semble, nous devons chercher en commun de nouvelles pistes de coopération. Par exemple, le matériel et les technologies russes pourraient trouver leur emploi dans la lutte contre les inondations et les incendies des forêts qui, comme nous savons, ravagent l’Argentine.

Est intéressante la participation des entreprises russes à la mise en pratique des projets dans le domaine de l’infrastructure, des fabrications d’assemblage conjointes, des livraisons des récentes technologies russes pour le secteur de l’énergie. Ces projets sont capables de créer des emplois supplémentaires et pourraient être mis en pratique parallèlement à l’achat des produis agricoles argentins. De bonnes possibilités pour la coopération existent aussi dans les domaines comme le secteur de l’énergie nucléaire, la conquête et la mise en valeur de l’espace à des fins pacifiques, y compris la mise au point des technologies et matériaux nouveaux, le monitorage de la Terre.

Certes, nous sommes prêts à poursuivre la diversification de la coopération traditionnelle de nos pays dans l’arène internationale, en particulier dans les domaines clé comme la lutte contre le terrorisme international et les autres menaces et défis. Par exemple, pourquoi ne pas réfléchir à la création d’un groupe de travail bilatéral pour étudier les problèmes afférents à la prévention des crises financières et à un caractère plus stable du système financier mondial ?

Mesdames,
Messieurs,

Il n’y a pas longtemps, nous avons célébré le 115e anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques entre la Russie et l’Argentine. Je crois que le temps n’a fait que consolider les sympathies réciproques de nos peuples, à la base desquelles ont toujours résidé la profonde communauté culturelle et spirituelle. Je partage entièrement l’idée, énoncée par Cesar Milstein, lauréat argentin du Prix Nobel de la médecine, que nous sommes entrés dans le millénaire, dans lequel la puissance économique des pays est toujours plus basée sur le potentiel intellectuel et créateur de la population. C’est bien ce potentiel humain qui fait la principale richesse de la Russie et de l’Argentine. Allons donc, en nous appuyant sur cette ressource, construire les relations entre nos pays qui répondent aux défis du XXIe siècle.

Merci pour votre attention.